1 — Le réchauffement climatique et ses conséquences sont déjà là

Cette année, plusieurs records de température ont été battus et l’année 2023 pourrait ainsi être la plus chaude jamais enregistrée depuis la période pré-industrielle.

Les conséquences de ces hautes températures se font notamment sentir aux pôles : en 2023, l’étendue de la glace de mer en Antarctique et en Arctique a atteint des niveaux historiquement bas.

L’augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes climatiques est également déjà visible. En Europe, les pertes économiques liées aux catastrophes climatiques ont dépassé 100 milliards d’euros sur les seules années 2021 et 2022. Aux États-Unis, le nombre de catastrophes météorologiques graves survenues en un an — dont les dégâts dépassent un milliard de dollars — n’a jamais été aussi élevé que cette année, avec au moins 23 catastrophes de cette ampleur. Le Pakistan continue de subir les conséquences des inondations dévastatrices de l’été 2022, qui ont touché près d’un tiers de son territoire et endommagé 1,78 millions d’hectares de terres agricoles1. Le commerce international est également touché, avec une diminution historique du trafic dans le canal de Panama en 2023 due à la sécheresse dans la région. Les vagues de chaleur extrêmes mettent par ailleurs en péril les infrastructures essentielles de transport et d’énergie — les centrales nucléaires étant les principales infrastructures menacées par les épisodes de sécheresse et la baisse du niveau des cours d’eau.

En termes de biodiversité, la longueur et la rudesse accrues de la saison sèche en Amazonie cette année a provoqué la mort de centaines de poissons, mettant en danger les écosystèmes ainsi que la sécurité alimentaire des populations.

Une étude publiée le 30 novembre, premier jour de la COP, par Rhodium Group, projette une augmentation de température « très probable » de 2 à 4°C d’ici la fin du siècle — et une fourchette « probable » de 2,3 à 3,4°C avec une moyenne de 2,8°C2. Pour rappel, l’objectif de l’Accord de Paris est de limiter le réchauffement en le maintenant « bien en-dessous » de 2°C par rapport aux niveaux pré-industriels, avec un objectif fixé à 1,5°C d’ici la fin du siècle. 

2 — Budget carbone : combien peut-on encore vraiment émettre ?

Pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris et limiter le réchauffement climatique, les émissions de gaz à effet de serre supplémentaires dans l’atmosphère doivent diminuer jusqu’à atteindre zéro émissions nettes. Selon le GIEC, le budget carbone restant pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C avec une probabilité de 50 % est de 500 milliards de tonnes de CO2 (GtCO2) ; il s’élève à 1150 GtCO2 pour limiter le réchauffement à 2°C avec une probabilité de 67 %3.

Les émissions sont inégalement réparties entre pays et entre secteurs d’activité. La Chine est le premier émetteur mondial en considérant les émissions totales, suivie par les États-Unis et l’Inde. C’est dans les pays du Golfe où les émissions de CO2 par habitant sont les plus élevées, notamment au Qatar : 35,59 tonnes en 2021.

À l’échelle mondiale, le secteur énergétique est de loin le plus émetteur — avec des divergences considérables entre les États, liées par exemple à un usage accru des énergies renouvelables ou encore du nucléaire, dans le cas de la France. Il est suivi par le transport, la construction et l’agriculture.

Les Nations unies évaluent à 3500 milliards de tonnes de CO2 (GtCO2) les émissions que produiraient la combustion des réserves mondiales d’énergie fossile actuelle, sept fois le budget carbone restant pour limiter le réchauffement à 1,5°C pour cette seule industrie. Pour limiter le réchauffement à 2°C, le budget carbone restant est encore inférieur de trois fois aux émissions que provoqueraient la combustion de toutes les ressources fossiles restantes. 

3 — La consommation d’hydrocarbures est toujours en hausse

En 2020, la consommation de pétrole a significativement baissé par rapport à l’année précédente en raison du ralentissement des activités économiques provoqué par la pandémie de Covid-19. Au même moment, de plus en plus de gouvernements ont revu à la hausse leurs objectifs climatiques et plus que jamais investi dans les énergies renouvelables.

Si la consommation mondiale d’hydrocarbures a retrouvé voire dépassé ses niveaux pré-pandémiques en 2022 (du moins pour le gaz et le charbon), l’Agence internationale de l’énergie prévoit que « la demande mondiale de pétrole et de gaz devrait atteindre son maximum d’ici à 2030 »4. Pour le charbon, qui génère toujours 35 % de l’électricité globale, les dernières données du Global Energy Monitor indiquent que le nombre de projets de nouvelles centrales est en moyenne historiquement bas par rapport aux huit années précédentes5. La Chine représente quant à elle 21 % de la capacité totale de production d’électricité à partir de gaz en cours de développement. Si toutes les centrales au gaz et au pétrole — dont la construction a été annoncée, qui sont déjà en construction ou bien en phase de pré-construction — venaient à entrer en activité, elles émettraient 41 millions de tonnes d’équivalent CO2 au cours de leur durée de vie.

Au-delà du CO2, le méthane représente la moitié des émissions totales résultant de l’extraction et du transport d’hydrocarbures. Les émissions annuelle de méthane — qui a contribué à 17,3 % de l’effet de serre anthropique en 2016 — ont doublé au cours des cinquante dernières années, tandis que celui-ci dispose d’un « pouvoir de réchauffement global » (GWP) 28 fois supérieur à celui du CO26. En novembre, le biogéochimiste et spécialiste des écosystèmes Robert Warren Howarth publiait une étude suggérant que le GNL serait en réalité plus polluant que le charbon en raison des fuites de méthane qui se produisent au cours du trajet.

4 — Quelle place occupent les énergies renouvelables ?

Les énergies renouvelables constituaient l’an dernier 29,55 % du mix électrique mondial, selon les données du think-tank Ember (sans compter l’énergie nucléaire, qui a généré 9 % de l’électricité globale en 2022, en baisse par rapport à 17 % au début du siècle). 

La part du renouvelable dans la production d’électricité varie selon les régions du monde. Elle est la plus élevée (56 % en 2021) dans les pays d’Amérique latine et Caraïbes, tandis qu’elle ne s’élève qu’à 3 % en moyenne au Moyen-Orient. Dans certains pays de l’Union européenne, comme récemment au Portugal, les sources d’énergie renouvelable permettent désormais d’assurer — voire de dépasser — tous les besoins en électricité du pays au cours de périodes allant de quelques dizaines d’heures à plusieurs jours (du moins en termes de quantité d’énergie produite).

Si les pays qui disposent d’assez de capacités renouvelables peuvent produire une part importante de leur électricité — voire la totalité — à partir de ces sources lorsque les conditions météorologiques le permettent, la principale difficulté consiste à être en mesure de générer assez d’énergie pendant les pics de demande (qui varient selon les saisons et les heures de la journée) peu importe l’irradiation solaire ou la puissance du vent, par exemple.

L’Agence internationale de l’énergie considère que le triplement des capacités installées d’énergies renouvelables et le doublement du taux d’amélioration en termes d’intensité sont « essentiels à la transformation du secteur de l’énergie »7. Cumulées, ces deux mesures permettraient à elles seules 72 % de la réduction des émissions de CO2 nécessaires d’ici 2030 pour atteindre zéro émissions nettes d’ici le milieu du siècle8. À la COP 28 qui s’est ouverte hier à Dubaï, les parties pourraient adopter ce nouvel objectif.

5 — Électrification et transformation des usages : pompes à chaleur, véhicules électriques…

La transition énergétique ne pourra se faire sans une électrification massive de notre mode de vie : remplacement des moteurs des voitures thermiques par des batteries électriques, des chaudières à gaz par des pompes à chaleur, etc… Dans son scénario net zéro d’ici 2050, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) vise à atteindre une part d’électricité de 27,5 % dans la consommation totale d’énergie finale, contre 19,9 % en 2022.

L’électrification des moyens de transports individuels et l’émergence de la voiture électrique font partie des piliers des stratégies de transition aujourd’hui engagées par les États, notamment à travers des mesures d’incitation fiscale — de l’Inflation Reduction Act américain aux subventions de la Chine aux entreprises nationales du secteur. À l’échelle mondiale, les ventes de véhicules électriques ont plus que doublé entre 2021 et 2023. La part de voitures électriques dans les ventes de véhicules neufs a progressé pour atteindre 14 % en 2022 — la Norvège étant le premier pays en termes de rythme de déploiement des véhicules électriques, ceux-ci ayant représenté 88 % des ventes de nouveaux véhicules dans le pays en 2022. Le prix moyen des batteries pour véhicules électriques a par ailleurs été divisé par trois depuis 2015.

L’adaptation des méthodes de chauffage des bâtiments et des habitations est également un front privilégié des politiques de transition actuelles — avec par exemple, en Europe, des subventions aux niveaux national et européen. Les technologies de chauffage moins consommatrices d’énergie, comme les pompes à chaleur, gagnent également du terrain à l’échelle mondiale, avec une croissance des ventes de 13 % en 2021 et de 11 % en 2022.

Avec le risque d’entraîner une boucle de rétroaction positive et une amplification du réchauffement climatique, il est à noter que ce dernier peut lui-même avoir pour effet d’augmenter la consommation d’énergie, d’où la nécessité d’un déploiement de technologies moins consommatrices. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la climatisation représente environ 10 % de la demande mondiale d’électricité et, surtout, peut entraîner dans les pays les plus chauds une augmentation de plus de 50 % de la demande d’électricité en été.   

6 — Développement des technologies bas-carbone : la limite posée par les matériaux

La mise en œuvre de la transition énergétique et le développement des technologies bas-carbone pourrait cependant se heurter à des limites en termes de disponibilités et d’approvisionnement des matériaux qui leurs sont indispensables, dans le cas où l’offre deviendrait supérieure à la demande.

Le secteur des batteries, notamment destinées aux véhicules électriques, est un exemple emblématique. La fabrication de batteries électriques requiert du lithium, mais aussi du cobalt, du graphite, du manganèse, du molybdène et du nickel. 

Ces matériaux, dits « stratégiques » du fait de leur caractère essentiel pour la transition, font déjà l’objet de mesures de restrictions à l’exportation. À partir d’aujourd’hui même, 1er décembre, les exportateurs chinois devront disposer d’une licence d’exportation pour un certain nombre de produits à base de graphite — après des restrictions sur le gallium et le germanium en juillet. La Chine est l’un des principaux acteurs de la production de matériaux stratégiques.

7 — Davantage d’investissements sont requis dans les réseaux électriques

L’électrification est clef pour réussir la transition énergétique. Afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, l’AIE considère que la consommation mondiale d’électricité doit augmenter 20 % plus rapidement au cours de la prochaine décennie par rapport à la précédente. L’adoption massive de véhicules électriques ainsi que l’installation de pompes à chaleur contribueront quant à eux à augmenter la demande en électricité des ménages. Aux États-Unis, l’Agence d’information sur l’énergie (EIA) anticipe une augmentation de la consommation résidentielle d’électricité située entre 14 % et 22 % entre 2022 et 20509.

Le défi est ainsi double : parvenir à augmenter la production d’électricité décarbonée et développer le réseau électrique existant10.

Pour limiter le réchauffement à 1,5°C, les investissements dans les réseaux électriques doivent considérablement augmenter dans les prochaines années. Si les pays investissent de plus en plus dans la production d’énergie renouvelable, les sommes allouées aux réseaux demeurent stables depuis dix ans (environ 300 milliards de dollars par an).

Environ 80 % des investissements dans les réseaux électriques sont concentrés dans les économies avancées et en Chine (en particulier dans les projets de transmission à très haute tension). Dans les économies émergentes, le Covid-19 et ses conséquences ont directement contribué à une baisse continue des investissements dans les réseaux électriques, qui étaient inférieurs de 30 % entre 2019 et 2022 par rapport à 2015-2018.

8 — Guerres et transition énergétique

Si la montée de tensions entre États, voire entre blocs, font craindre une augmentation des difficultés de coordination pour l’atteinte des objectifs climatiques, des rivaux stratégiques comme la Chine et les États-Unis ont annoncé le 14 novembre, en amont de la COP 28, avoir convenu de « poursuivre les efforts visant à tripler la capacité de production d’énergie renouvelable au niveau mondial d’ici à 2030 », suivant les recommandations du scénario de l’AIE11. Les négociations sino-américaines sur le climat avaient été temporairement interrompues suite à la visite sur l’île de Taïwan de l’ex-présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, considérée par Pékin comme une provocation. 

La guerre en Ukraine a quant à elle eu un impact direct sur les marchés mondiaux de l’énergie, notamment en Europe avec l’arrêt d’une grande partie des importations de gaz russe — qui, pour Pierre Charbonnier, a pu mener à l’idée de la naissance d’une « écologie de guerre » où la sobriété énergétique et le développement de sources d’énergie alternatives sont mis au service d’intérêts stratégiques.

9 — L’Europe aura-t-elle assez d’énergie pour cet hiver ?

Les prix de l’électricité et du gaz payés par les ménages de l’Union européenne ont considérablement augmenté suite à l’invasion russe de l’Ukraine. En moyenne, le prix du kWh de gaz a plus que doublé entre 2008 et l’hiver 2022-2023, tandis que l’électricité coûtait 80 % plus cher par rapport à la même période. Si le plafond semble avoir été atteint, la dépendance croissante de l’Union vis-à-vis des importations de GNL — qui vise à remplacer le gaz russe transitant par gazoducs — menace la stabilité des prix en raison d’un marché global très compétitif12.

Cette année, l’objectif de remplissage de 90 % des réserves européennes de gaz fixé en juin 2022 a été atteint avec deux mois et demi d’avance. Au 29 novembre, celles-ci étaient toujours remplies à 96,51 %, soit leur niveau le plus élevé pour cette période de l’année depuis au moins 2012.

Des réserves pleines ne garantissent cependant pas un hiver sans crise. L’Agence internationale de l’énergie considère qu’un hiver plus froid associé à un arrêt total des livraisons de gaz russe par gazoduc pourrait « raviver la volatilité des prix et les tensions sur le marché », peu importe le niveau de remplissage des sites de stockage.

Si les dernières données du programme européen Copernicus indiquent qu’il y a une probabilité d’au moins 50 % que l’Europe connaisse des températures nettement supérieures aux moyennes au cours de l’hiver, des perturbations sont toujours possibles13 : attaques visant des gazoducs, perturbation des routes commerciales maritimes, éclatement d’une autre crise dans un pays exportateur…

10 — À quoi s’attendre pour la COP 28 ?

La COP 28 intègre un élément clef du processus lié à l’Accord de Paris : la présentation du premier Bilan global (Global Stocktake) prévu dans l’Accord. La phase de discussion politique de ces résultats pourrait mener à une révision à la hausse des objectifs de réduction des émissions, en réponse aux engagements encore « loin d’être suffisants » selon le secrétaire exécutif de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, d’après les résultats de la phase technique du Bilan.

La COP 28 doit également permettre aux parties de discuter de la question du financement de la transition énergétique et de l’adaptation au changement climatique, dont les conséquences touchent principalement les pays les moins émetteurs et aux revenus les plus faibles. Des avancées auraient déjà été obtenues jeudi 30 novembre sur la mise en œuvre du Fonds pour les pertes et dommages destinés aux pays touchés par des catastrophes climatiques, dont les règles de fonctionnement concrètes font l’objet de désaccords entre pays du Nord et pays du Sud rassemblés dans le Groupe des 77 + Chine14.

Les perspectives d’obtention d’un accord ambitieux sur la réduction de la dépendance aux énergies fossiles sont assombries notamment par la double casquette du président de la COP 28, également PDG de la première entreprise pétrolière émiratie. Les dirigeants des principaux pays émetteurs de CO2, dont Joe Biden, Xi Jinping, Justin Trudeau ou Vladimir Poutine, ne devraient par ailleurs pas se rendre à la COP 28.

Sources
  1. FAO, FAO Data in Emergencies Impact Assessment (DIEM-Impact), 2022.
  2. Rhodium Climate Outlook : Probabilistic Projections of Energy, Emissions and Global Temperature Rise, Rhodium Group, 30 novembre 2023.
  3. IPCC, Climate Change 2023 – Synthesis Report, 2023. 
  4. Oil and gas industry faces moment of truth – and opportunity to adapt – as clean energy transitions advance, Agence internationale de l’énergie, 21 novembre 2023.
  5. Flora Champenois, Construction starts on new coal plants on track to hit a record low, Global Energy Monitor, novembre 2023.
  6. Saunois, M., Stavert, A. R., Poulter, B., Bousquet, P., Canadell, J. G., Jackson, R. B. & Ciais, P. (2020), « The global methane budget 2000–2017 », Earth System Science Data, 12(3), 1561-1623.
  7. World Energy Outlook 2023, Agence internationale de l’énergie, octobre 2023.
  8. Dave Jones, « Why deals at COP28 to ‘triple renewables’ and ‘double efficiency’ are crucial for 1.5C », Carbon Brief, 21 novembre 2023.
  9. U.S. energy consumption increases between 0 % and 15 % by 2050, Agence d’information sur l’énergie, 3 avril 2023.
  10. Jesse D. Jenkins, « What “Electrify Everything” Actually Looks Like », Mother Jones, May and June 2023.
  11. Lisa Friedman, « U.S. and China Agree to Displace Fossil Fuels by Ramping Up Renewables », The New York Times, 14 novembre 2023.
  12. Electricity and gas prices stabilise in 2023, Eurostat, 26 octobre 2023.
  13. Jonathan Tirone, « Much of Europe Faces Increasing Probability of Warm Winter », Bloomberg, 10 octobre 2023.
  14. Fiona Harvey et Nina Lakhani, « Agreement on loss and damage deal reached on first day of Cop28 talks », The Guardian, 30 novembre 2023.