1 — Quels sont les différents types de métaux  ?

Même s’il n’existe pas de classification géologique parfaitement définie des métaux, ces derniers peuvent être regroupés en quatre grandes catégories1 :

  • Les métaux de base : aluminium, chrome, cuivre, étain, fer, magnésium, manganèse, plomb, nickel, titane, zinc ;
  • Les métaux précieux : argent, iridium, or, osmium, palladium, platine, rhodium, ruthénium ;
  • Les actinides, qui correspondent aux métaux de l’énergie nucléaire : plutonium, thorium, uranium ;
  • Les métaux de spécialité : tous les autres métaux.

Les métaux peuvent également être différenciés selon leur présence dans la croûte terrestre, mesurée en parties par million (ppm). À ce titre, on distingue  :

  • Les métaux abondants  : ce sont les métaux dont la teneur est supérieure à 1000 ppm (0,1 %), comme l’aluminium, le calcium, le fer, le magnésium, le potassium, le silicium, le sodium et le titane  ;
  • Les métaux rares ou peu abondants  : il s’agit des métaux les plus nombreux, pour lesquels la teneur dans la croûte terrestre est comprise entre 1 et 1000 ppm (cobalt, cuivre, molybdène, nickel, plomb, tungstène, zinc)  ;
  • Les métaux très rares  : leur teneur est inférieure à 1 ppm ; cette catégorie comporte les métaux précieux (argent, or et les six platinoïdes – iridium, osmium, palladium, platine, rhodium et ruthénium), ainsi que l’antimoine, l’indium et le sélénium.

Il convient par ailleurs de ne pas confondre les métaux rares avec les terres rares. Ces dernières sont en effet moins rares que ne le laisse supposer leur appellation, puisque leur concentration dans la croûte terrestre est supérieure à celle de l’or ou l’argent  ; leur rareté provient de la difficulté économique à les exploiter et des conséquences environnementales de leur extraction. Les terres rares désignent un ensemble de 17 éléments chimiques (le scandium, l’yttrium et les quinze lanthanides) chimiquement assez réactifs et disposant de propriétés électromagnétiques les rendant indispensables pour des fabrications de haute technologie. Les terres rares sont généralement qualifiées de vitamines des économies modernes, tant leur exploitation permet un gain en performance pour les technologies les utilisant.

Les terres rares sont généralement qualifiées de vitamines des économies modernes tant leur exploitation permet un gain en performance pour les technologies les utilisant.

Emmanuel Hache et Valérie Mignon

2 — Que sont les minerais et les métaux critiques  ?

Rappelons tout d’abord la différence entre les notions de minerai et de métal. Un minerai est une substance minérale solide d’origine naturelle. Il contient des métaux ou des composants métalliques qu’il est possible d’extraire. Le concept de métaux renvoie ainsi à l’état après raffinage.

L’aspect stratégique ou critique des minerais et des métaux doit s’appréhender en dépassant la seule question de la concentration géologique des éléments. La criticité est une approche basée sur une évaluation des risques liés à la production, l’utilisation ou la gestion de fin de vie d’une matière première2. Une matière première est dite critique quand elle remplit cinq conditions. Elle doit (i) être utilisée dans un grand nombre de secteurs industriels, (ii) difficilement substituable à court terme, (iii) faire l’objet de nombreuses applications industrielles, (iv) être dotée d’une valeur économique importante ; enfin (v) ses réserves et sa production doivent être concentrées géographiquement. 

La notion de criticité n’est pas universelle3 ; elle peut varier d’un pays à l’autre et dans le temps, car elle se rapporte à quatre niveaux de risque :

  • Géologique : la très grande diversité des usages de matériaux critiques fait craindre des pénuries ;
  • Économique : la cartellisation des marchés impacte les pays consommateurs ;
  • Stratégique : les réserves de matériaux, quand elles sont concentrées géographiquement, peuvent entraver les innovations engagées par certains pays dans des secteurs stratégiques ;
  • Environnementale : la production de ces matériaux s’accompagne d’émissions polluantes et d’une très forte consommation en énergie et en eau. 

De façon générale, les minerais et métaux sont considérés comme stratégiques dès lors qu’un État (ou une entreprise) les juge indispensables à sa politique économique ou à des enjeux régaliens en matière de défense, de politique énergétique et environnementale4. Les matières premières critiques font l’objet de classifications de la part des États ; les États-Unis en distinguent 50 en 20225 et la Commission européenne 34 dans sa dernière estimation réalisée le 14 mars 20236. La première liste des matières premières critiques publiée par la Commission européenne date de 2011, et celle-ci est révisée tous les trois ans.

L’importance des minerais et métaux stratégiques tient au fait qu’ils sont indispensables aux technologies bas-carbone et, en conséquence, au processus de transition énergétique des pays ; ils sont aussi cruciaux pour les technologies liées à la digitalisation des économies. L’utilisation des principaux métaux stratégiques est fortement complémentaire. Chaque élément est en effet nécessaire, mais pas suffisant à lui seul, pour le développement d’une technologie bas-carbone. A titre d’exemple, la fabrication de batteries électriques requiert non seulement du lithium, mais aussi du cobalt, du graphite, du manganèse, du molybdène et du nickel. 

L’importance des minerais et métaux stratégiques tient au fait qu’ils sont indispensables aux technologies bas-carbone et, en conséquence, au processus de transition énergétique des pays ; ils sont aussi cruciaux pour les technologies liées à la digitalisation des économies

Emmanuel Hache et Valérie Mignon

De façon plus générale, les minerais et métaux stratégiques sont utilisés pour les véhicules électrifiés (cobalt, cuivre, lithium, nickel, terres rares), les piles à combustible (platine, palladium, rhodium), les technologies de l’éolien (aluminium, cuivre, nickel et terres rares pour l’éolien offshore), l’aéronautique (titane) ou encore les technologies du solaire photovoltaïque (aluminium, argent, cuivre, silicium).

3 — Quels sont les principaux pays producteurs de métaux  ?

La Chine est un acteur majeur dans la production de nombreux minerais : antimoine, germanium, graphite, lithium, molybdène, silicium, terres rares, tungstène, ou encore vanadium. C’est également le cas des États-Unis (béryllium, cuivre, germanium, molybdène), de l’Afrique du Sud (manganèse, palladium, platine), du Chili (cuivre, lithium, rhénium), de l’Australie (bauxite, lithium, zirconium) ou de la Russie (antimoine, nickel, platinoïdes). D’autres pays occupent une position dominante dans la production mondiale d’un minerai en particulier  : la République Démocratique du Congo (RDC) avec le cobalt, ou le Brésil avec le niobium. 

La Chine est la seule à cumuler une production diversifiée et spécifique, puisqu’elle représente au moins 30 % de la production mondiale pour huit minerais différents et plus de 70 % de la production mondiale pour cinq d’entre eux. Toutefois, à l’instar des autres pays, elle n’est pas en position dominante sur la production de l’ensemble des minerais, et sa production minière ne permet pas de satisfaire ses besoins sur le territoire national.

4 — Pourquoi la Chine est-elle en position de force sur le marché des métaux  ?

Les dotations naturelles en minerais et métaux stratégiques confèrent à la Chine un avantage considérable par rapport aux autres nations. Cette position dominante n’a cessé de se renforcer avec la stratégie de l’empire du Milieu consistant à se tourner vers l’extérieur pour ses approvisionnements en métaux stratégiques. 

Les dotations naturelles en minerais et métaux stratégiques confèrent à la Chine un avantage considérable par rapport aux autres nations. Cette position dominante n’a cessé de se renforcer.

Emmanuel Hache et Valérie Mignon

La Chine a ainsi mis en place de vastes politiques d’internationalisation de ses entreprises (politique du Go Global au début des années 2000 et projet des nouvelles routes de la soie à partir de 20137), afin notamment de développer et exploiter des gisements miniers de grande ampleur ou stratégiques. Les moyens qu’elle utilise à cet égard sont nombreux et variés  : investissements directs à l’étranger, acquisitions ou prises de participation dans des sociétés locales ou internationales, développement de nouveaux projets miniers, projets d’infrastructures-matières premières, coentreprises, ou encore les prêts. Le China Global Investment Tracker de l’American Enterprise Institute estime à 203 milliards de dollars le seul montant des IDE financiers chinois dans le secteur des métaux, sur la période allant de 2005 à 2022. Bien que sous-estimant les investissements chinois, ces flux renseignés illustrent l’emprise de la Chine sur ces différents marchés.  

L’Australie est une destination privilégiée pour les IDE chinois, en particulier en ce qui concerne le lithium. La Chine y a investi 26,6 milliards de dollars sur la période 2005-2021. Ces investissements sont toutefois en recul depuis 2013, et c’est désormais l’Indonésie qui concentre l’intérêt de la Chine. Celle-ci finance des expansions de capacités minières et de nouveaux projets, prend des participations importantes et rachète des entreprises. Grâce à cette stratégie, la Chine a conclu des accords sur neuf des onze projets majeurs concernant le lithium au niveau mondial, dont les deux tiers sont exclusifs. 

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L’empire du Milieu investit également massivement en Argentine, au Chili et au Pérou, notamment concernant le cuivre et le lithium. Ces investissements s’ajoutant à ceux qu’elle opère en Australie, la Chine contrôle ainsi par ses participations étrangères environ 60 % de la production mondiale de lithium. 

Concernant l’Afrique, grâce à ses IDE en République démocratique du Congo (cobalt et cuivre), la Chine contrôlerait plus de la moitié de la production de cobalt du pays. De même, grâce à d’importantes prises de participation majoritaires (complexe igné du Bushveld) en Afrique du Sud, son approvisionnement en platinoïdes (iridium, palladium, platine) est pleinement assuré. 

Un tableau similaire pourrait être dressé pour les autres minerais et métaux stratégiques, comme la bauxite, le niobium ou le cuivre. De façon générale, grâce à sa stratégie à l’international, Pékin a mis la main sur plus de 50 % de la production mondiale de cobalt, plus de 60  % du lithium, plus de 80 % du magnésium et plus de 70 % du graphite. En conséquence, la Chine occupe une position dominante sur les métaux dits « électriques », qui jouent un rôle majeur dans les technologies de stockage d’énergie.

La Chine occupe une position dominante sur les métaux dits «  électriques », qui jouent un rôle majeur dans les technologies de stockage d’énergie.

EMmanuel Hache et Valérie Mignon

5 — Qu’en est-il du raffinage des métaux  ?

Parallèlement à sa stratégie d’IDE de grande ampleur, la Chine a renforcé depuis le début des années 2000 son poids dans les activités de raffinage des minerais et métaux stratégiques et est désormais le leader mondial en la matière. Le secteur des batteries de véhicules électriques est une parfaite illustration de son poids, puisque la Chine transforme 80 % des métaux présents dans ces technologies8. Elle évolue aujourd’hui le long de la chaîne de valeur en raison d’une forte concentration d’étapes à haute valeur ajoutée découlant du raffinage. Sa présence marquée sur le marché des batteries Li-ion (entre 60 % et 70 % du total) relève ainsi de la concentration d’étapes allant de la purification du lithium à la fabrication de batteries, en passant par la transformation en précurseurs de cathode de batteries.

La position-clef de la Chine dans les activités de raffinage s’explique en partie par sa décision de se positionner dès le milieu des années 1980 dans ce segment de production à faible coût en main d’œuvre. Les délocalisations d’entreprises occidentales ont accéléré la montée en puissance dans le secteur du raffinage, celles-ci délaissant ces segments industriels au profit de la recherche et développement. La Chine a également accepté d’en assumer le coût environnemental. Prenons l’exemple des terres rares, dont l’extraction est associée à d’importantes externalités environnementales, et pour lesquelles la Chine raffine près de 90 % de la production mondiale. Les différentes étapes (traitement, séparation, concentration) sont extrêmement polluantes. Par ailleurs, le processus de séparation des terres rares de la roche nécessite des quantités importantes d’eau, à traiter par la suite pour éviter une deuxième source de pollution dans les sols et nappes phréatiques. En minimisant les coûts environnementaux associés à la production, la Chine a dans un premier temps permis l’installation d’entreprises étrangères puis, dans un deuxième temps, a pu absorber les technologies de production, pour démultiplier sa production nationale en évinçant progressivement la concurrence internationale – ce notamment en ayant recours à un dumping économico-environnemental. 

La position-clé de la Chine dans les activités de raffinage s’explique en partie par sa décision de se positionner dès le milieu des années 1980 dans ce segment de production à faible coût en main d’œuvre.

Emmanuel Hache et Valérie Mignon

6 — Quelles politiques envisager pour s’extraire de la dépendance chinoise  ?

Comment les pays occidentaux peuvent-ils s’extraire de leur dépendance envers l’empire du Milieu  ? Plusieurs pistes peuvent être envisagées.

La première consiste à exploiter des ressources sur leur sol, en rouvrant des mines ou en introduisant de nouveaux procédés d’extraction. Citons notamment l’extraction et la production de lithium à partir d’eau géothermale. Le projet European Geothermal Lithium Brine – EuGeLi – vise ainsi à développer une production de lithium pour batteries extrait de saumures géothermales situées dans le Bas-Rhin à la frontière franco-allemande. Ce projet s’est déroulé de janvier 2019 à décembre 2021 et a été un succès puisque du lithium a pu être extrait. Il s’agit maintenant d’optimiser le modèle économique afin de produire à l’échelle industrielle dans le respect des normes environnementales, c’est-à-dire sans émission de CO2. 

Un autre exemple est le projet Emili – Exploitation de MIca Lithinifère par Imerys – annoncé par la société Imerys en octobre 2022, consistant en l’exploitation d’un gisement de lithium sur un site déjà existant de production de Kaolin (site de Beauvoir) dans l’Allier. Il est prévu que l’exploitation soit réalisée par la société française Imerys et que la production débute en 2027-2028. L’objectif affiché est de produire un volume de lithium permettant d’équiper 700 000 véhicules électriques par an, tout en minimisant les impacts environnementaux.

Outre la taille des réserves, la question du caractère responsable des exploitations, des coûts économiques et environnementaux et de leur acceptabilité est ici centrale. Il est en effet important de rappeler que les techniques d’extraction sont souvent très énergivores et demandent de grandes quantités d’eau et de produits chimiques. Dans ce cadre, le concept de « mine responsable », qui est un label international défini par des industriels et des ONG, pourrait être une opportunité à saisir en Europe pour prendre le leadership vert.

Une deuxième piste consiste à développer les politiques de recyclage. Le recyclage est un moyen de réduire le risque de criticité sur les métaux et de bénéficier d’un double dividende. Il permet ainsi de réduire les importations de métaux et de diminuer les externalités environnementales.

Le recyclage est un moyen de réduire le risque de criticité sur les métaux et de bénéficier d’un double dividende. Il permet ainsi de réduire les importations de métaux et de diminuer les externalités environnementales.

Emmanuel Hache Et Valérie Mignon

Le recyclage rend en effet le secteur de la production plus concurrentiel, dans la mesure où chaque pays peut devenir producteur, indépendamment de ses ressources minières. Concernant les aspects environnementaux, le recyclage génère moins de pollution locale que la production des métaux extraits d’une mine. Il offre ainsi une exploitation plus soutenable des mines restantes. Par ailleurs, il nécessite généralement moins d’énergie que la production primaire et permet ainsi de s’affranchir en partie d’une hausse du coût de l’énergie.

Renforcer les filières de recyclage, les localiser de sorte à favoriser les circuits courts et former les citoyens aux enjeux des matières premières constituent des défis à relever pour mettre en place une industrie du recyclage efficace et soutenable économiquement, pour répondre aux besoins de la transition énergétique.

La constitution de stocks de certains métaux stratégiques est une troisième piste envisageable pour s’extraire de la dépendance chinoise. Cette stratégie permet de faire face à d’éventuelles perturbations dans le processus de production, en évitant ainsi les ruptures d’approvisionnement et les très fortes tensions sur les prix qui en découlent. Toutefois, les questions du financement des stocks, du type de métaux à stocker et du volume à considérer restent en discussion. Des stocks stratégiques pourraient être envisagés pour les marchés dont le volume de production reste faible (autour de 100 000 tonnes par an) et pour lesquels la transparence des prix et la possibilité de réaliser des opérations de hedging n’existent pas. 

Quatrième piste, la diversification des sources d’approvisionnement peut s’effectuer de deux façons : (i) mettre en place une stratégie d’IDE de grande ampleur à l’instar de la Chine et (ii) développer des partenariats. Sur ce dernier point, mentionnons l’Alliance européenne des matières premières (ERMA) lancée par la Commission européenne en 2020. Celle-ci rassemble l’industrie, les États membres, les régions et la société civile autour de l’ambition de réduire la dépendance de l’Europe à l’égard de l’approvisionnement en matières premières critiques en provenance de pays tiers. Le principal obstacle est toutefois l’ancrage profond de la Chine dans de très nombreux pays, rendant difficile la diversification des sources d’approvisionnement. Dans sa stratégie de sécurisation des approvisionnements, la Chine propose généralement des partenariats bien plus larges que la seule question des métaux, avec des alliances économiques, financières ou militaires.

Une cinquième piste réside dans la sobriété dans l’usage des métaux. Comme nous l’avons précédemment mentionné, la production de métaux est très consommatrice d’eau et est, par conséquent, susceptible d’engendrer de fortes pressions dans certaines régions de production déjà soumises à un fort stress hydrique (Amérique latine, Australie, Chine). La production de certains matériaux, comme le cuivre ou le lithium, pourrait ainsi être contrainte dans les décennies à venir, en raison d’une limitation de la disponibilité en eau. 

Ces éléments incitent donc à accorder une attention particulière à la sobriété dans l’usage des métaux, dans l’accompagnement du citoyen vers la transition bas-carbone. Le travail à réaliser ici est conséquent, dans la mesure où la notion de sobriété est plutôt attachée à la sobriété énergétique et très peu à la minimisation de la consommation de métaux, tant pour les décideurs que pour les citoyens. Plusieurs possibilités peuvent être suggérées : réduire fortement ou éliminer le jetable, légiférer sur le délit d’obsolescence programmée et afficher le contenu en métaux des produits mis en vente. Globalement, il s’agit ainsi de réfléchir sur nos modèles de société en mettant l’accent sur la sobriété.

7 — Existe-t-il un risque de pénurie  ? Quels sont les métaux les plus menacés  ?

IFP Energies Nouvelles (IFPEN) a développé un modèle de programmation linéaire mondial multirégional, le modèle TIAM (TIMES Integrated Assessment Model), afin d’apprécier les dynamiques du système énergétique mondial, de l’extraction des ressources à l’utilisation finale de l’énergie, sur une période de plus de 100 ans. Ce modèle permet d’évaluer les conséquences de différentes orientations énergétiques et environnementales, avec une représentation explicite et détaillée des technologies et des types d’énergies. Dans le cadre du projet GENERATE, l’équipe IFPEN a ainsi modélisé l’ensemble des chaînes de valeur de différents matériaux (cobalt, cuivre, lithium, nickel et terres rares) dans le modèle TIAM-IFPEN pour évaluer, à l’horizon 2050, leurs demandes sous divers scénarios (2°C et 4°C), en incluant des hypothèses sur différents types de mobilité (soutenable ou business as usual) et sur le recyclage.

Les résultats du modèle mettent en évidence des niveaux de pression différenciés sur les ressources considérées et révèlent que les métaux communs, comme le cuivre, peuvent aussi être soumis à des risques significatifs. Dans des scénarios climatiques contraints, sans mise en œuvre de politiques publiques et sans découverte de nouveaux gisements majeurs, il ressort que près de 90 % des ressources en cuivre connues aujourd’hui pourraient être consommées d’ici 2050. Le cuivre pourrait ainsi être le métal le plus contraint dans la dynamique de transition énergétique. Ce scénario s’explique par une consommation de cuivre appelée à croître significativement dans les décennies à venir dans les secteurs du transport, de la génération d’électricité, des biens de consommation, de l’industrie et de la construction.

Dans des scénarios climatiques contraints, sans mise en œuvre de politiques publiques et sans découverte de nouveaux gisements majeurs, il ressort que près de 90 % des ressources en cuivre connues aujourd’hui pourraient être consommées d’ici 2050.

Emmanuel Hache et Valérie Mignon

De con côté, le cobalt présente un niveau de criticité géologique élevé, qui doit être relativisé selon le type de batteries utilisé dans le secteur du transport. Le principal risque afférent au cobalt concerne l’approvisionnement ; il est d’ordre géopolitique. Comme nous l’avons mentionné, la production minière est concentrée en République démocratique du Congo, un pays très instable politiquement. Dans le scénario 2°C, le modèle TIAM révèle que le ratio consommation cumulée de cobalt/ressources connues actuellement varie de 64,7 % à 83,2 %, selon le taux de pénétration des batteries à faible contenu en cobalt.

Le lithium a, pour sa part, une criticité géologique faible, puisque près de 70 % des ressources seraient encore disponibles à l’horizon 2050 dans un scénario 2°C. La criticité économique est en revanche tout autre. La forte concentration des réserves de lithium et des acteurs sur le marché, les stratégies différenciées des producteurs (Argentine, Australie, Bolivie et Chili), la faible profondeur du marché financier ou encore l’absence de transparence des prix pourraient, dans le futur, nuire à la sécurité d’approvisionnement en lithium.

S’agissant du nickel, il présente une criticité géologique moyenne, avec environ 40 % de ressources encore disponibles à l’horizon 2050 dans un scénario 2°C.

Rappelons que l’ensemble des métaux mentionnés ci-dessus sont de grands consommateurs d’eau, impliquant un fort stress environnemental.

8 — Pourquoi n’existe-t-il pas de cartel des métaux  ?

L’histoire des matières premières regorge de tentatives d’organisation des marchés ou de cartellisation, à l’instar de l’OPEP créée en septembre 1960. Certaines organisations intergouvernementales, dans le cadre des grands accords internationaux de produits, ont ainsi tenté de structurer le marché du café (Conseil international sur le café en 1963, puis Association des pays producteurs de café en 1993), celui du cacao avec l’ICCO (International Cocoa Organization) en 1973, ou encore celui du caoutchouc naturel avec l’IRSG (International Rubber Study Group) dès 1978. Les matières premières agricoles ou agro-industrielles, plus affectées par les crises de surproduction et la volatilité des prix du fait de leur dépendance aux facteurs climatiques, étaient plus susceptibles d’être encadrées dès les années 1950. Des accords internationaux, organisés dans le cadre de l’ONU, puis de la CNUCED dès sa création en 1964, avaient pour objectifs de stabiliser les prix sur les marchés – à travers la mise en place de stocks ou de quotas de production – et d’offrir des espaces de coopération entre pays producteurs. Certaines de ces organisations existent encore aujourd’hui, mais sont plutôt devenues des lieux d’échange d’informations et de discussion.

Sur les marchés des minerais ou des métaux, des initiatives plus offensives ont également vu le jour afin de coordonner les politiques de production et d’assurer une hausse des recettes d’exportations pour les pays producteurs. Créé en 1967, le Conseil intergouvernemental des pays exportateurs de cuivre (CIPEC) – dont les statuts ne faisaient aucunement mention de la volonté des pays membres d’influencer les prix – rassemblait les principaux pays producteurs (35 %) et exportateurs (environ 60 %) de cuivre de l’époque (Chili, Pérou, Zaïre et Zambie), mais le Canada, exportateur majeur à cette période, refusa de le rejoindre. L’hétérogénéité des pays membres – le cuivre représentait près de 80 % des revenus d’exportations du Chili et de la Zambie, environ 50 % du Zaïre et 30 % du Pérou –, ainsi que l’incapacité du CIPEC à gérer la chute de 40 % des prix entre 1974 et 1975, ne lui ont pas permis de peser sur les marchés. Si de nouveaux membres furent intégrés à l’organisation en 1975 (Australie, Indonésie, Papouasie Nouvelle-Guinée et Yougoslavie), le CIPEC disparut en 1988. 

D’autres tentatives de cartellisation vont suivre, notamment sur les marchés de l’étain, de l’uranium et du phosphate. La plus emblématique reste celle observée sur le marché de la bauxite en 1974. Pensée dès le début des années 1960, l’Association internationale de la bauxite (IBA) rassemblait un ensemble de pays représentant près de 60 % de la production mondiale de bauxite (Jamaïque, Surinam, Guinée, Australie, Sierra Leone, Yougoslavie), auxquels se joindront dans un deuxième temps la République dominicaine, le Ghana, l’Indonésie et Haïti. L’IBA souhaitait surtout peser sur les négociations avec les principaux producteurs d’aluminium (consommateurs de bauxite), notamment en Amérique du Nord, en imposant des taxes à l’exportation très élevées. Si certains pays comme la Jamaïque suivirent cette politique, d’autres (Australie, Guinée) profitèrent de l’occasion pour ne pas augmenter leurs taxes et accroître leurs parts de marché respectives. Ce comportement de « passager clandestin » ne permit pas à l’IBA de continuer à agir sur le marché, sonnant le glas de l’organisation.

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Ces exemples témoignent de la difficulté à maintenir dans le temps des organisations souhaitant influencer les prix sur les marchés. Elles font généralement face à deux difficultés. La première tient aux outils utilisés, comme les quotas de production ou d’exportations ou les taxes à l’exportation. Sans la mise en place d’une instance de contrôle, il est très difficile de s’assurer à court terme de la réalisation des objectifs assignés pour chacun des pays membres d’un cartel. Cela incite certains pays producteurs à profiter des réductions de production des autres partenaires sans s’y associer et à se positionner en passager clandestin. La seconde difficulté tient à l’hétérogénéité des pays membres de l’organisation. L’incitation à entrer dans une organisation et à respecter les accords dépend de variables en rapport avec le marché (poids dans la production et dans les exportations, part dans les recettes d’exportations globales d’un pays), des réserves estimées, mais également d’autres facteurs économiques et sociaux (niveau de diversification et positionnement dans la chaîne de valeur, niveau du PIB, taille de la population). Une trop grande hétérogénéité des membres suscite généralement des comportements déviants au sein des organisations. Les structures nées des années 1960-1970 n’ont en outre jamais intégré un fond commun financier fondé sur la mise en épargne d’une partie des recettes d’exportations pour assurer une forme de redistribution en période de prix bas sur les marchés. Si un tel outil est de nature à favoriser la cohésion entre pays membres, il nécessite l’élaboration d’une règle de financement, source d’intenses discussions et de divergences entre les pays. 

Sans la mise en place d’une instance de contrôle, il est très difficile de s’assurer à court terme de la réalisation des objectifs assignés pour chacun des pays membres d’un cartel. Cela incite certains pays producteurs à profiter des réductions de production des autres partenaires sans s’y associer.

Emmanuel Hache et Valérie Mignon

9 — Un cartel du lithium est-il réaliste  ?

Comme l’expliquent Bucciarelli et al.9, une cartellisation régionale sur le marché du lithium entre l’Argentine, la Bolivie et le Chili (rassemblant près de 55 % des ressources potentielles en 2021), appelés le triangle du lithium, pourrait sembler attractive. Toutefois, elle semble peu probable aujourd’hui. En effet, le Chili – deuxième producteur mondial – et l’Argentine – au quatrième rang mondial – représentent plus de 30 % de la production mondiale et plus de 50 % des réserves, mais la Bolivie – premier pays détenteur de ressources localisées principalement dans le Salar d’Uyuni – produit actuellement très peu de lithium. 

Le rapport qu’entretient la Bolivie avec le lithium est un sujet politique depuis près de trois décennies. Nationalisme des ressources et fermeture du pays depuis 2005, résistance des populations de la région du Potosi, volonté d’un meilleur partage des retombées des exploitations minières sur les populations locales et droits miniers peu définis ont bridé le développement des activités sur le lithium. En outre, l’objectif de La Paz n’est pas tant de développer du lithium à court terme que de produire des batteries à l’horizon 2025. Toutefois, certains administrateurs de la région n’envisagent pas de production à grande échelle avant 2030, malgré l’appétit des acteurs (argentins, allemands, chinois, américains et russes) pour la richesse minière du pays. Les fabricants de batteries comme CATL (Chine) ou les producteurs automobiles comme BMW s’y intéressent fortement. De manière plus globale, investir dans un pays qui, par le passé, a nationalisé certaines sociétés énergétiques sur son territoire, fait peser un risque important pour les nations qui souhaiteraient y investir. 

Pour le Chili et l’Argentine, la principale difficulté à se coaliser réside dans le rapport qu’entretiennent les différents gouvernements aux investisseurs étrangers et aux compagnies minières internationales sur leur territoire. S’il existe une société minière publique d’envergure au Chili (SQM) qui exploite le lithium (aux côtés d’une compagnie chinoise et d’une compagnie américaine), ce ne sont que des compagnies privées qui opèrent en Argentine. Ainsi, sauf à envisager là encore une nationalisation des actifs miniers dont les conséquences sur les autres secteurs seraient potentiellement très dommageables, une cartellisation régionale reste peu envisageable. Il en est de même au niveau international avec, notamment, le premier producteur mondial australien (52 % de la production en 2021). En effet, le marché du lithium est structuré depuis plusieurs années par d’importantes majors intégrées verticalement, qui se diversifient à la fois géographiquement et technologiquement (lithium de salar et lithium de roches). Ainsi, le risque n’est pas tant un processus de cartellisation par des pays que le développement d’un important pouvoir de marché de certaines entreprises. Albemarle (compagnie américaine présente en Australie, au Chili et aux États-Unis), Livent (présente en Argentine, en Australie et aux États-Unis), les deux compagnies chinoises Tianqi Lithium et Jiangxi Ganfeng Lithium (présentes sur l’ensemble des régions productrices) et la compagnie chilienne SQM (présente au Chili et en Australie) représentent plus de 80 % de la production mondiale en 2021, ce qui nécessite de dépasser la simple approche géographique de production nationale. En outre, ces compagnies ont de multiples participations croisées sur de nombreux territoires. Au total, l’incertitude principale sur le marché du lithium ne réside pas tant sur la création d’un cartel de pays que sur le pouvoir de marché des majors qui pourraient brider l’entrée ou la montée en puissance de nouveaux acteurs sur le marché en influençant les processus de formation des prix.

L’incertitude principale sur le marché du lithium ne réside pas tant sur la création d’un cartel de pays que sur le pouvoir de marché des majors qui pourraient brider l’entrée ou la montée en puissance de nouveaux acteurs sur le marché.

Emmanuel Hache et Valérie Mignon

10 — Demande de métaux stratégiques  : une source de conflits entre les deux premières puissances économiques mondiales ?

Le développement des technologies bas-carbone et leur caractère indispensable à la transition énergétique ont pour conséquence des enjeux géopolitiques considérables autour des métaux stratégiques. La croissance de la demande pour les métaux, appelée à se renforcer, est en effet à même de transformer l’équilibre des marchés de matières premières.

Cette demande en hausse risque d’exacerber les tensions entre les différents pays consommateurs de métaux, au premier rang desquels les États-Unis et la Chine10. Ainsi, la Chine dépend à hauteur de 45 % des principaux matériaux stratégiques nécessaires aux secteurs de la défense, de l’énergie et du numérique  ; ce pourcentage s’élevant à 57 % pour les États-Unis. 

La croissance de la demande pour les métaux, appelée à se renforcer, est en effet à même de transformer l’équilibre des marchés de matières premières.

Emmanuel Hache et Valérie Mignon

Les deux premières puissances économiques mondiales partagent donc une dépendance commune aux minerais et métaux stratégiques, source de possibles conflits entre les deux nations. En outre, les États-Unis seraient dépendants de la Chine pour une dizaine de métaux, notamment pour les terres rares.

En conséquence, des transformations voire des conflits sont à attendre, en particulier si les États-Unis décident d’initier des projets concurrents à ceux lancés par la Chine dans le cadre des nouvelles routes de la soie.

Sources
  1. E. Hache, « Les métaux dans la transition énergétique », IFPEN, 2021.
  2. T.E. Graedel et P. Nuss, « Employing Considerations of Criticality in Product Design », JOM 66, 2014, pp. 2360-2366.
  3. C. Bonnet, E. Hache, G. Sokhna Seck et M. Simoën « Pourquoi parle-t-on de « criticité » des matériaux ? », The Conversation, 23 octobre 2018.
  4. T. Bonnet, C. Grekou, E. Hache et V. Mignon « Métaux stratégiques  : la clairvoyance chinoise », Lettre du CEPII, n°428, juin 2022.
  5. « 2022 Final List of Critical Material », Federal Register, Vol. 87, No. 37, 24 février 2022.
  6. « Proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council, establishing a framework for ensuring a secure and sustainable supply of critical raw materials », Commission européenne, 16 mars 2023.
  7.  E. Hache « Chine, l’insertion commerciale comme catalyseur du développement ? », Revue Internationale et Stratégique, n°108, 2017, pp. 77-87.
  8. « La Chine hors les murs »,  Lettre DU CNCCEF, n°46, février 2022.
  9. P. Bucciarelli, E. Hache et V. Mignon « Métaux stratégiques : et si les pays producteurs se regroupaient en cartel du type OPEP ? », The Conversation, 25 novembre 2022.
  10. E. Hache, Géopolitique des énergies, tensions d’un monde en mutation, Eyrolles, septembre 2022.