En ce 24 février, nous continuons notre série de publications sur l’Ukraine en guerre, deux ans après la tentative d’invasion à grande échelle de la Russie. Vous pouvez retrouver toutes nos publications sur cette guerre ici et vous abonner pour recevoir nos dernières cartes et analyses par ici

1 — Les armes anti-char

Les armes anti-char regroupent tous les missiles dont le rôle est de détruire des engins blindés. Ici, il est plus spécifiquement question des systèmes portables légers, tirables à l’épaule. Le Javelin est l’arme anti-char la plus répandue en Ukraine. Celui-ci peut atteindre des cibles jusqu’à 4 kilomètres, pour un coût unitaire de missile estimé en moyenne à 168 000 $1.

Dès les premiers jours de l’invasion du 24 février 2022, la guerre en Ukraine a été marquée par l’utilisation des armes anti-char. François Heisbourg considère notamment que « c’est clairement les armes anti-chars qui ont permis à l’Ukraine de sauver Kiev » et de repousser l’attaque russe dès la fin du mois de mars. Les missiles antichar portables — NLAW, Javelins, AT4, Panzerfaust… —, principalement livrées par les Américains (plus de 10 000 unités depuis février 20222), les Britanniques ainsi que subsidiairement par les Français, se sont révélés être décisifs contre les colonnes de blindés russes.

Après l’échec de la prise de Kiev, les combattants ukrainiens ont harcelé les longues colonnes de véhicules russes avec des armes anti-chars lors d’embuscades et d’attaques à répétition. Le Javelin américain a par la suite été érigé en semi-divinité via la figure de « Sainte Javelin », représentant une figure de Madone tenant l’arme dans ses mains. Par son utilisation « fire-and-forget », le Javelin permet au tireur de de verrouiller sa cible grâce à un curseur, tirer, puis se mettre à l’abri avant que le missile n’atteigne l’objectif. Ayant été produit en grande quantité par les industriels Raytheon et Lockheed Martin pour les réserves de l’armée américaine, Washington a été en mesure d’en envoyer plusieurs milliers dans les premiers mois du conflit3.

Blueprint d’un Javelin

2 — Les drones

Un drone est une plateforme dite « sans humain à bord » pilotable automatiquement ou à distance via un casque, manette, télécommande… Leur taille varie de quelques centimètres à plusieurs mètres d’envergure, comme le Reaper américain. Un petit drone pilotable à distance, soit les plus répandus en Ukraine, peut se trouver dans le commerce pour quelques centaines de dollars seulement, contre environ 100 000 $ pour un obus d’artillerie de précision. Ils sont utilisés pour de la reconnaissance ou d’une manière offensive, en y attachant une charge explosive dirigée vers de l’infanterie dans les tranchées, un véhicule blindé… 

Les drones turcs Bayraktar ainsi que d’autres modèles similaires ont joué un rôle central dès la deuxième phase de la guerre au printemps 2022, contre les colonnes russes. D’une manière globale, les drones sont essentiels pour l’artillerie en matière d’acquisition des objectifs et de renseignement tactique. François Heisbourg considère que « les drones « tueurs » (first-person view, ou FPV) ont quant à eux pratiquement remplacé les mitrailleuses et les mortiers sur le champ de bataille ». Ces derniers, essentiellement d’origine ukrainienne, sont produits en grande quantité.

Selon Ulrike Franke, « la surveillance et la reconnaissance sont les utilisations les plus naturelles des drones. Tous les drones sont équipés de capteurs photo, vidéo ou d’autres capteurs de données qui permettent aux forces de localiser les bases ennemies, d’observer les mouvements de troupes et de choisir des cibles. Les drones ont également documenté la destruction de villes par les forces russes, l’inondation du territoire ukrainien à la suite de la rupture du barrage de Kakhovka et les attaques contre les navires, les chars, les troupes et le matériel russes. Enfin, les drones sont utilisés pour aider à diriger et à mener des frappes »4.

Tandis que l’armée ukrainienne fait face à une diminution de ses réserves d’obus et de systèmes occidentaux disponibles, elle a de plus en plus recours aux drones pour frapper les forces russes en Ukraine et au-delà de la ligne de front. Début février, le président ukrainien annonçait la création d’une nouvelle force de l’armée entièrement dédiée aux drones. En décembre, Volodymyr Zelensky fixait l’objectif de production à un million de drones en 2024 — soit presque le double des capacités actuelles, estimées à 50 000 par mois5.

Blueprint d’un drone Bayraktar

3 — L’artillerie

Une arme d’artillerie sert à envoyer un projectile sur une cible. On peut distinguer deux principales manières d’amener une pièce d’artillerie sur le front : tractée, le canon est dans ce cas attaché derrière un véhicule, ou « automoteur », monté sur des roues ou des chenilles. Plusieurs types d’artillerie sont présents sur le front en Ukraine : canons, obusiers, mortiers… Leur point commun est qu’ils sont généralement des pièces de plusieurs tonnes dont le coût unitaire varie de quelques centaines de milliers à plusieurs millions de dollars, comme pour le M777 howitzer américain.

L’artillerie est devenue centrale dans la guerre en Ukraine dès la guerre du Donbass — qualifiée de « phase 2 » par les Russes —, à partir de fin avril jusqu’à fin août 2022. Les Russes s’en servaient alors défensivement, tandis que les Ukrainiens faisaient principalement de la contre-batterie.

Avec la livraison de pièces occidentales, l’armée ukrainienne est passée d’obus de 152mm — utilisée dans les canons soviétiques — à des calibres otaniens de 155mm. Cette « occidentalisation » de l’artillerie ukrainienne a été amorcée par la France, dont le président Emmanuel Macron avait annoncé dès la fin du mois d’avril 2022 la livraison de canons Caesar à Kiev. Là encore, ces derniers ont permis de sauver la situation, alors terrible pour l’armée ukrainienne qui accusait des pertes d’environ 500 soldats par jour.

Les canons Caesar français sont particulièrement appréciés par les Ukrainiens car ils sont plus agiles que leurs équivalents chenillés allemands ou les canons tractés américains, qui nécessitent plus de temps pour les déployer et deviennent ainsi des cibles plus faciles pour l’artillerie russe, explique Heisbourg.

Il est important de souligner qu’au-delà du matériel lui-même, les Ukrainiens ont fait preuve d’une formidable capacité d’adaptation — que ce soit d’un point de vue logistique, de maintenance, d’entretien, d’emploi etc. — à un matériel nouveau alors qu’ils étaient en plein conflit. Le principal problème aujourd’hui réside dans la capacité de production occidentale d’obus de 155mm, qui est largement insuffisante pour soutenir les besoins défensifs et offensifs de l’armée ukrainienne. Sur certains secteurs du front, on estime que l’armée russe tire cinq fois plus d’obus par jour que les Ukrainiens.

Blueprint d’un Abrams

4 — Les chars d’assaut

Il existe des controverses quant à la définition exacte de ce que peut constituer ou non un « char d’assaut ». Ici, on s’intéressera surtout au « char de combat », appelé aussi « main battle tank ». Ces derniers sont des systèmes d’armes mobiles généralement chenillés, qui disposent d’un canon et éventuellement d’une mitrailleuse. Un char moderne se chiffre en moyenne à plusieurs millions voire dizaines de millions d’euros pour un poids d’une cinquantaine de tonnes, et un gabarit d’environ 10 mètres de long (avec le canon) sur 3 à 4 mètres de large. Leur épais blindage en fait des systèmes redoutables face à l’infanterie et d’autres véhicules blindés, bien qu’ils demeurent fragiles lorsqu’exposés à des attaques aériennes (drones, missiles) ou d’armes anti-chars.

L’année 2023 a été en partie marquée du côté du soutien occidental par la question de la livraison de chars d’assaut modernes à l’Ukraine. Kiev a notamment reçu des Leopard de plusieurs pays dont le Canada, l’Allemagne, la Pologne, les Pays-Bas…, des chars Abrams américains ainsi que des Challenger britanniques. La France n’a quant à elle finalement pas envoyé de chars Leclerc à l’Ukraine, mais a ouvert la voie dès janvier 2023 avec la livraison de « chars légers » AMX-10 RC — quatre fois moins lourds que les Leopard.

Ces derniers n’ont finalement pas joué de rôle décisif lors de la contre-offensive de l’été/automne 2023. Michel Goya considère que « les chars de bataille ont souffert dans la guerre en Ukraine. On estime que les Russes en ont perdu définitivement 2 300 et les Ukrainiens moitié moins. C’est beaucoup si on les compare aux maigres parcs des armées occidentales, c’est peu si on les compare à celles de la guerre du Kippour en octobre 1973, assez proches mais sur seulement 19 jours ».

Blueprint d’un AMX-10 RC

Après une première phase du conflit s’étalant de février à mars 2022 au cours de laquelle les chars ont été éprouvés par le « dense réseau antichar » auquel ils faisaient face. Goya estime que l’intérêt des modèles soviétiques a plus décru que celui des modèles occidentaux dans la « guerre de position » qui a émergé après une première phase dynamique : « C’est peut-être là qu’il faut voir une nouveauté dans le retour à une dissociation entre le char lourd, lent mais très protégé destiné à évoluer dans les espaces denses et défendus et le char léger, très mobile pour les espaces ouverts ».

5 — Les missiles

Un missile est un projectile qui dispose d’une propulsion. Celui-ci peut être lancé depuis les airs, la mer ou la terre, à partir de différents systèmes (depuis un avion, un lance-missiles terrestre, un sous-marin…) Dans le cadre de cet article, il est avant tout question des missiles dits « de croisière » ou « balistiques », dont la portée peut aller jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres selon les conditions de tir. Que ce soit pour un tir offensif ou de défense anti-aérienne, le coût unitaire d’un missile peut s’élever à plusieurs millions de dollars la pièce.

Le missile de croisière franco-britannique SCALP / Storm Shadow a réellement été une arme décisive dans le conflit depuis leur livraison en amont de la contre-offensive de l’été/automne 2023. Ils ont notamment permis de réaliser cette « extraordinaire performance stratégique qui est d’avoir brisé le blocus russe en mer Noire », explique François Heisbourg, permettant ainsi l’exportation de 23 millions de tonnes de céréales depuis le mois de juillet, comme l’a récemment rappelé Volodymyr Zelensky lors de la Conférence sur la sécurité de Munich.

Ces derniers ne sont pas les seuls à avoir contribué à cet exploit, l’Ukraine développant elle aussi d’excellents missiles de croisière ayant contribué à réduire les capacités russes en Crimée, notamment la fameuse bulle antiaérienne A2/AD. Par ces frappes de missiles et la situation extrêmement inconfortable dans laquelle elles mettaient l’armée russe, la Crimée a été sortie de la guerre en tant que plateforme de contrôle de la mer Noire. « Le port de Sébastopol, qui était l’un des principaux objectifs russes visé par l’invasion de 2014, est désormais largement hors service », détaille Heisbourg.

6 — Lances-roquettes multiples

Les MLRS (multiple launch rocket system), ou lance-roquettes multiples, sont des systèmes d’artillerie mobile qui permettent de tirer plusieurs roquettes — de divers types — en l’espace d’une courte fenêtre de temps. Ils sont capables de créer en quelques secondes des dégâts dévastateurs sur une zone de plusieurs kilomètres de large. Ces systèmes sont généralement montés sur des camions, pour un gabarit d’une dizaine de tonnes, jusqu’à 40 pour le BM-30 Smertch soviétique. 

L’Ukraine disposait de de ces systèmes avant l’invasion russe à grande échelle de février 2022, notamment des BM-21 Grad, développé par l’Union soviétique dans les années 1960. Bien qu’archaïque, le Grad est utilisé par l’Ukraine et la Russie depuis le début du conflit. Il est notamment capable de tirer jusqu’à 40 roquettes en l’espace de 20 secondes à une portée allant de 20 à 40 kilomètres environ. S’il est principalement utilisé sur la ligne de front pour fournir une couverture ou bien tirer sur des cibles d’artillerie et d’infanterie, l’armée russe s’en est également servie pour frapper des cibles civiles, comme à Kharkiv ou Kherson.

Les pays occidentaux ont fourni à l’Ukraine au cours des derniers mois des systèmes plus modernes de lance-roquettes multiples. Les plus populaires sont probablement les Himars (M142 High Mobility Artillery Rocket System) et les M270 MLRS. Ces derniers fournissent des frappes beaucoup plus précises et une portée plus importante, ce qui a permis aux forces ukrainiennes d’attaquer des nœuds logistiques, des centres de commandement et de contrôle ainsi que des concentrations de moyens russes.

Comme pour tous les systèmes d’armes, la létalité et l’efficacité de ces MLRS dépendent largement de la capacité à localiser et à acquérir des cibles. À ce titre, des analystes suggèrent que la portée et la mobilité fournie par les systèmes occidentaux combinée aux difficultés russes à générer des informations de ciblage expliquent en partie la bonne survivabilité des lanceurs ukrainiens6.

7 — Le matériel du génie

Le génie militaire correspond à un ensemble de techniques visant à mettre en place ou construire des infrastructures sur un champ de bataille pour servir un but opérationnel (construction de base, creusement de tranchée, érection de lignes défensives…). Il occupe une place centrale dans la guerre en Ukraine en raison des presque 1 000 kilomètres de ligne de front.

Les moyens du génie constituent probablement ce qui a le plus manqué à l’Ukraine lors de sa contre-offensive de l’été/automne 2023. Sans matériel permettant le franchissement et la destruction d’obstacles, le déminage, le remblaiement de tranchées… la cavalerie, l’infanterie et l’artillerie dont disposait l’armée ukrainienne se sont révélés être beaucoup moins efficaces, estime Jean-Dominique Merchet.

Une des raisons permettant d’expliquer l’absence d’une quantité suffisante de moyens du génie est la déplétion de ces derniers au sein des armées occidentales, en Europe comme aux États-Unis. Au cours des « trente paresseuses » de l’après-guerre froide, qui ont pris fin le 24 février 2022, le génie a été sacrifié car il ne correspondait pas aux guerres menées jusqu’alors (projection de force, parachutistes…) S’il y a eu une re-spécialisation du génie, notamment en France, « les moyens dont disposent le génie ne correspondent pas à l’amplitude de la guerre en Ukraine et de ses besoins ». On considère désormais l’Ukraine comme le pays le plus miné au monde. 

Blueprint d’un IRIS-T allemand

8 — La défense anti-aérienne

La défense anti-aérienne regroupe tous les systèmes visant à repérer et éliminer une menace venant des airs (avion, hélicoptère, missile, drone…) Généralement, celle-ci consiste en l’interception d’un objet ou d’un projectile par un missile ou un canon antiaérien. Il existe divers types de défense anti-aérienne, allant de véhicules d’artillerie à des systèmes modernes de missile sol-air comme le Patriot américain ou le S-300 russe. Le CSIS estime que le coût d’une batterie de Patriot s’élève à 1,1 milliard de dollars, répartis entre le système lui-même et les missiles7.

Les systèmes d’interception de missiles que les Occidentaux ont envoyés à l’Ukraine — Patriot américains, IRIS-T allemands, SAMP/T franco-italiens… — se sont révélés être particulièrement efficaces pour créer des « bulles » de protection au-dessus des villes ukrainiennes. Grâce à ces derniers, « les campagnes aériennes russes avec des missiles présentés comme inarrêtables n’ont pas eu les effets dévastateurs annoncés dès octobre 2022 », selon Jean-Dominique Merchet. « Les deux hivers depuis l’invasion de février 2022 ont été durs, ont coûté cher, mais les campagnes aériennes russes n’ont pas réussi à mettre l’Ukraine à genoux ».

« La structuration de la DSA depuis son balbutiement à la fin de la Première Guerre mondiale a reposé sur une approche d’intégration « multicouches » d’un commandement, des capteurs détectant les menaces aériennes (principalement radars, mais aussi moyens de guet visuel, interceptions électromagnétiques, infrarouges, …etc) et des effecteurs (canons et mitrailleuses, puis missiles) », explique Stéphane Audrand. « L’avènement du missile a permis à la fois une considérable économie de moyens par rapport à l’artillerie antiaérienne, mais aussi une augmentation radicale de l’efficacité de la défense, aérienne ou sol-air (accroissement de la portée et du taux de succès). Avec une bonne intégration du commandement, des capteurs et des effecteurs, une DSA moderne est ainsi en capacité, comme l’Ukraine le fait depuis février 2022, d’inhiber une grande partie des capacités de frappe aériennes adverses dans la profondeur ».

Pour Audrand, la défense aérienne de l’Ukraine, et particulièrement sa défense sol-air (DSA), « revêt un caractère crucial dans le conflit. La prolongation de la guerre crée une situation inédite depuis le début du XXe siècle : la possibilité que la défense antiaérienne d’un pays finisse par s’épuiser par manque de munitions, en l’occurrence de missiles ».

« Or, le recours massif par la Russie à des drones et munitions téléopérées, notamment dérivés du Shahed iranien, pose un problème de taille aux soutiens de l’Ukraine, qui pour la plupart ont des capacités de production de missiles très réduites. Dit simplement, on ne peut pas « tenir » dans la durée avec des missiles à un million d’euros contre des drones qui en coûtent vingt fois moins ».

Cette question de la survie de la défense aérienne ukrainienne se pose de manière urgente en ce début d’année 2024, estime Stéphane Audrand. « Son effondrement par manque de missiles serait une première dans la guerre aérienne moderne et ouvrirait largement son espace aérien aux forces russes, qui se retrouveraient « désinhibées », avec un potentiel de destruction important sur les forces ukrainiennes, leur logistique et les arrières civils. Outre la livraison urgente de missiles disponibles, c’est dans le segment de la chasse aérienne qu’existe un espoir pour tenir en 2024, le temps que des fabrications nouvelles soient relancées. Dans tous les cas, la survie de la défense aérienne ukrainienne sera absolument cruciale pour l’avenir du conflit ».

9 — L’appui aérien

L’appui aérien regroupe tous les moyens déployés depuis les airs (avions, hélicoptères) pour appuyer des troupes déployées au sol. On peut distinguer plusieurs utilisations de l’appui aérien visant à répondre à plusieurs objectifs : le transport, le renseignement, la guerre électronique, l’appui-feu…8

L’appui aérien est, aux côtés des moyens du génie, « l’élément ayant le plus manqué aux Ukrainiens au cours de leur contre-offensive, que ce soit des hélicoptères de combat ou bien des chasseurs », selon Jean-Dominique Merchet. Ces derniers disposaient de l‘artillerie et de la cavalerie, mais il leur manquait la troisième dimension. D’une manière globale, l’aviation joue un rôle largement effacé depuis le début de la guerre en Ukraine, une situation illustrée par les délais de livraison d’avions de chasse américains F-16 à l’Ukraine dont le déploiement a encore été repoussé au mois de mai ou juin 2024 — notamment en raison de la réticence des États-Unis.

Blueprint d’un F-16

Heisbourg relève néanmoins que l’aviation a récemment joué un rôle significatif durant le siège d’Avdiivka, village de l’oblast de Donetsk tombé aux mains des Russes il y a quelques jours, lorsque l’armée russe a été en mesure de faire du soutien aérien d’appui feu (close air support). Moscou y a néanmoins perdu quelques appareils. Selon Stéphane Audrand, c’est principalement « l’environnement risqué pour les plateformes pilotées (hélicoptères, avions) russes qui a contraint Moscou à n’avoir recours dans la profondeur qu’à des armes à longue portée non pilotées (missiles de croisière et balistiques, drones) ». 

Si les Ukrainiens ont manifesté un intérêt significatif pour les F-16 américains, ils n’ont pas été intéressés par les Mirage 2000 français, qui ont pourtant très tôt été mis sur la table9.

10 — La guerre électronique

La « guerre électronique » recouvre toutes les applications d’utilisation du spectre électromagnétique — infrarouge, radars, ondes radioélectriques… — dans un contexte de conflit. Celle-ci peut servir à la fois des buts défensifs et offensifs : communication, détection, protection, perturbation, brouillage…

Dès les premiers jours du conflit, les Ukrainiens ont eu un recours massif à la guerre électronique via leurs téléphones portables. À partir de l’application Diia, initialement créée comme une plateforme hébergeant entre autres des documents administratifs, chaque personne disposant de réseau peut soumettre la position de troupes russes présentes sur le territoire à travers la fonctionnalité « e-Enemy ». L’armée ukrainienne peut par la suite vérifier et éventuellement utiliser ces données pour des frappes ou d’autres opérations.

La guerre électronique peut également revêtir des formes beaucoup plus sophistiquées, comme des systèmes permettant de neutraliser voire de détourner les trajectoires de drones et de missiles guidés (dont les roquettes tirées par les Himars). En ce sens, les Russes bénéficient d’un avantage « significatif » depuis le début du conflit.

Cet avantage russe sur le terrain s’est développé progressivement depuis février 2022. Comme le note François Heisbourg, « la guerre est un jeu entièrement interactif, les adversaires changeant eux-mêmes au fur et à mesure du combat ». L’usage « systématique » de la guerre électronique fait partie de cette adaptation russe, qui s’est matérialisée par le passage de version d’équipements soviétiques modernisés à des systèmes plus modernes comme le Pole-21, un système de suppression de guidage capable de brouiller une zone de 150 km2, qui sont utilisés comme des « systèmes jetables afin de fournir une protection à grande échelle contre les frappes de drones »10.

Sources
  1. Wes Rumbaugh, Cost and Value in Air and Missile Defense Intercepts, CSIS, 13 février 2024.
  2. U.S. Security Cooperation with Ukraine, Département d’État américain, 27 décembre 2023.
  3. « Why weapons crucial to the war in Ukraine are in short supply », The Economist, 3 mai 2022.
  4. Ulrike Franke, « Drones in Ukraine and beyond : Everything you need to know », ECFR, 11 août 2023.
  5. Viktoriia Stepanenko, « Zelensky’s Year-End Press Conference », Kyiv Post, 21 décembre 2023.
  6. Morgan Douro, « MLRS and the Totality of the Battlefield », RUSI, 21 février 2023.
  7. PATRIOT Air and Missile Defense System for Ukraine, CRS, 18 janvier 2023.
  8. Olivier Zajec, « L’appui aérien dans le cadre de la guerre irrégulière », Stratégique, vol. 93-94-95-96, no. 1-2-3-4, 2009, pp. 477-490.
  9. Rapport d’information n°1840, Assemblée nationale française, 8 novembre 2023.
  10. Jack Watling et Nick Reynolds, « Stormbreak : Fighting Through Russian Defences in Ukraine’s 2023 Offensive », RUSI, septembre 2023.