Il y a une grande différence entre la bipolarité de la Guerre froide et la confrontation à double sens avec la Chine et la Russie dans laquelle les États-Unis et leurs alliés sont actuellement engagés. Les formes de cette confrontation sont cependant similaires : espionnage, représailles diplomatiques, propagande, arrestations de journalistes et d’hommes d’affaires, concurrence pour les ressources dans les pays tiers, censure des dissidents, critiques de Washington, Pékin et Moscou pour délégitimer les systèmes politiques et les choix diplomatiques de leurs adversaires. 

La première différence cruciale tient au fait que la confrontation n’oppose pas le capitalisme et le communisme, comme c’était le cas pendant la Guerre froide. Les soi-disant « grandes puissances » et les puissances intermédiaires opèrent au sein du même système capitaliste. Sur le plan politique, l’administration de Joe Biden indique qu’il existe une lutte existentielle entre la démocratie et l’autoritarisme, dans le cadre d’un ordre international fondé sur des règles. Mais il existe de nombreuses zones d’ombre. 

La démocratie affronte de graves problèmes : les dirigeants autoritaires accèdent au pouvoir par la voie électorale (Italie, Suède, Hongrie, États-Unis, entre autres) et les gouvernements semi-démocratiques (Inde et Turquie) ou répressifs (Chine et Russie) bénéficient d’un large soutien au sein de leurs propres sociétés. Quant à l’ordre libéral international, il est en partie délégitimé pour avoir servi les intérêts des pays du Nord pendant des décennies, tandis que les pays du Sud, ainsi que la Chine et la Russie, multipliaient les critiques et les propositions de réformes et d’alternatives. 

La deuxième différence est que, pendant la Guerre froide, les États-Unis étaient à l’apogée de leur puissance mondiale. Aujourd’hui, ils traversent une grave crise interne, leur influence a diminué et la Chine leur conteste en partie leur hégémonie. Parmi les exemples récents : malgré le soutien diplomatique et militaire massif de Joe Biden à l’offensive israélienne sur Gaza en réponse à l’attaque du Hamas du 7 octobre, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a rejeté les demandes de la Maison Blanche d’autoriser un plus grand accès humanitaire et de cesser les attaques contre des cibles civiles.

La troisième différence est que la bipolarité a été remplacée par un monde composé de multiples acteurs étatiques, dotés de pouvoirs et de capacités différents, mais dans lequel aucun n’est en mesure d’imposer pleinement sa volonté aux autres. Les alignements, les loyautés et les pactes ne sont pas idéologiques mais pragmatiques, fluides et flexibles. D’autres acteurs non étatiques exercent aussi une plus grande influence qu’à l’époque de la Guerre froide. 

Un champ de bataille : le système multilatéral

Lorsque l’Assemblée générale de l’ONU s’est ouverte en septembre 2023, le rôle du Conseil de sécurité a suscité le scepticisme. Pour certains observateurs, la situation rappelait les pires moments de la Guerre froide. De fait, durant la période allant de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la chute de l’Union soviétique, l’adoption de résolutions au sein du Conseil était très difficile. Aujourd’hui, il en va de même pour les questions de sécurité, les mandats pour les opérations de maintien de la paix et les opérations humanitaires, ainsi que les accords sur le changement climatique, la numérisation, les droits de l’homme et les réfugiés. 

Personne, aujourd’hui, n’est en mesure d’imposer pleinement sa volonté aux autres. 

Mariano Aguirre

Alors que les désaccords affaiblissent le système multilatéral et renforcent la faible capacité de prise de décision de l’ONU, « la Chine et les États-Unis intensifient leur guerre d’espionnage dans l’ombre » afin de recueillir des renseignements sur leurs « dirigeants » et leurs « capacités militaires »1. Récemment, le théoricien John Mearsheimer, tenant de l’école réaliste des relations internationales et vivement critiqué pour ses positions récentes sur la guerre d’Ukraine dont il impute la responsabilité aux États-Unis, écrivait : « La politique des grandes puissances se caractérise par une compétition sécuritaire incessante dans laquelle chaque État cherche non seulement à acquérir une influence relative, mais aussi à empêcher l’équilibre des forces de basculer en sa défaveur. Cet objectif, connu sous le nom d’“équilibre”, peut être atteint soit en augmentant sa puissance, soit en formant une alliance avec d’autres États qui sont également menacés. »2

Pendant la Guerre froide, les conflits à l’ONU et l’espionnage furent de puissants leviers pour les États-Unis et l’URSS. C’était un moyen de déchiffrer les équilibres politiques, les stratégies et les progrès technologiques et militaires de l’adversaire (notamment dans le domaine nucléaire). Ces tactiques n’ont pas disparu avec la chute de l’Union soviétique. 

Rechercher des alliés

Pendant un demi-siècle, l’URSS et les États-Unis se sont disputés la loyauté des gouvernements du monde entier. Washington cherchait à contenir l’expansion du communisme soviétique. Moscou cherchait à élargir sa liste d’alliés afin de briser l’encerclement occidental. 

Pendant un demi-siècle, l’URSS et les États-Unis se sont disputés la loyauté des gouvernements du monde entier.

Mariano Aguirre

Dans le même ordre d’idées, mais dans le contexte de la confrontation géopolitique avec la Chine, et dans la continuité du « pivot Indo-Pacifique » initié par Barack Obama, Joe Biden s’est rendu aux Philippines l’année dernière pour renouveler des accords militaires, et au Vietnam dans le but d’attirer ce pays dans son orbite. Il a également élargi la coopération militaire avec l’Australie, renforcé l’alliance avec l’Inde et encouragé le rapprochement entre la Corée du Sud et le Japon. L’administration Biden sait que, contrairement à la Guerre froide, où la cooptation des alliés était un jeu de tout ou rien, elle ne peut pas totalement gagner le Vietnam, qui entretient des relations étroites avec la Chine et la Russie. Mais elle se positionne pour être l’un des acteurs influents de la région Asie-Pacifique. 

La Chine, pour sa part, a tissé au cours des dernières décennies des liens avec les pays du Sud, s’adaptant à chaque continent et à chaque contexte par des investissements dans les infrastructures, des crédits inconditionnels et une aide au développement, mais aussi l’intégration dans les chaînes de production chinoises à des fins d’exportation, et des accords commerciaux et l’achat de produits primaires.

En tissant ses liens diplomatiques, la Chine s’adapte à chaque continent et à chaque contexte. 

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La Russie a moins de capacités que la Chine, les États-Unis et l’Europe, mais les votes à l’ONU sur la guerre en Ukraine ont montré qu’un nombre considérable de gouvernements ne la condamnent pas parce qu’elle leur vend de l’énergie, des métaux, des produits agricoles et des armes, dont elle est le deuxième exportateur mondial. Dans le même temps, le souvenir du soutien de l’URSS à des causes telles que le mouvement anti-apartheid pèse lourd. 

Des guerres par procuration aux opérations clandestines

Au cours de la Guerre froide, Washington et Moscou ont encouragé et financé des guerres dans les pays du Sud — soit lorsqu’ils luttaient contre les empires coloniaux européens en déclin, soit dans le moment complexe qui suivit les indépendances. Leur influence a faussé ces luttes, les transformant en guerres par procuration entre le communisme et le capitalisme. Ils ont ainsi contribué à favoriser les divisions politiques au sein des mouvements anticoloniaux et à aggraver les dysfonctionnements des ex-colonies, en entravant les processus de construction de l’État. L’héritage de cette époque pèse encore sur la cinquantaine d’États fragiles que nous connaissons aujourd’hui. 

Le terme de « Guerre froide » décrit une période de fortes tensions entre des puissances qui ne s’affrontaient pas directement sur le plan militaire. L’ingérence dans les luttes de libération nationale vient compléter ce tableau : d’un côté, des tensions entre les puissances nucléaires, de l’autre, les véritables combats se déroulaient à la périphérie.3 

Aujourd’hui, cette situation a partiellement changé. Les États-Unis ont renoncé à financer ouvertement des groupes d’insurgés contre des gouvernements perçus comme ennemis et, après les échecs du Vietnam, de l’Irak et de l’Afghanistan, ils évitent d’engager massivement des troupes. Ils s’appuient plutôt sur des opérations secrètes, avec des effectifs limités dans 154 pays. Rien qu’en Afrique, les forces spéciales disposent de 29 bases pour leurs opérations4. Selon la doctrine militaire américaine, la « concurrence entre grandes puissances » doit être complétée par une « guerre non conventionnelle » — celle-là même que mènent ces unités5

Pendant la Guerre froide, l’influence soviétique et américaine a faussé les luttes coloniales et post-coloniales, les transformant en guerres par procuration entre le communisme et le capitalisme.

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Les troupes d’élite américaines, comme leurs équivalents britanniques et français, sont expertes en matière de contre-insurrection, de contre-terrorisme, de formation et d’assistance à leurs propres forces de sécurité et à celles d’autres pays, de guerre non conventionnelle et d’« action directe » (assassinats de terroristes). Les accords conclus avec des gouvernements ou des milices étrangers ne tiennent pas compte de leurs éventuelles violations des droits de l’homme, ce qui constitue un parallèle avec l’aide militaire apportée aux dictatures et aux guérillas anticommunistes (comme les Contras au Nicaragua et l’UNITA en Angola) pendant la Guerre froide.6

Quant aux forces spéciales russes, elles ont participé à l’occupation de la Crimée dans l’Est de l’Ukraine (2014), à la guerre en Syrie à partir de 2015 et à l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022. Leurs actions sont complétées par des groupes armés para-étatiques tels que la milice Wagner qui ont été ou sont présents en Ukraine, en Libye, en République centrafricaine, au Mali, au Soudan et en Syrie. Ces groupes officiellement ou semi-officiellement russes soutiennent des gouvernements alliés, tout en s’engageant dans des guerres civiles et des trafics illicites en Afrique

Le cas de Wagner illustre la tendance globale à utiliser des groupes mercenaires ou para-étatiques, qu’il s’agisse de la Russie et des États-Unis (en Irak et en Afghanistan), mais aussi de puissances moyennes. La Turquie a financé des mercenaires syriens pour soutenir le général Khalifa Haftar de l’Armée nationale de libération (ANL) en Libye7. Moscou a transporté des miliciens du Soudan et du Tchad vers la Libye dans le même but. La Colombie est un important exportateur de mercenaires, qui ont auparavant été formés dans son armée. Pendant la Guerre froide, le Royaume-Uni, la France, la Belgique, les États-Unis et l’Afrique du Sud ont aussi utilisé des mercenaires pour s’ingérer dans ce que l’on appelait alors le tiers-monde. Par la suite, des groupes de sécurité privés ont été actifs, par exemple en Sierra Leone et au Liberia dans les années 2000. De son côté, la Chine a développé ses forces d’opérations spéciales dans le cadre de la réorganisation de ses forces armées, mais elles ne sont déployées dans aucun pays étranger.

Détente ou menace nucléaire

S’affronter mais éviter la guerre : tel était en substance le comportement des grandes puissances au cours de la Guerre froide. Son expression ultime a été la diplomatie de maîtrise des armements concernant les arsenaux nucléaires, chimiques-bactériologiques et conventionnels. Contrairement au désarmement, la maîtrise des armements englobe « toutes les formes de coopération militaire entre des adversaires militaires potentiels dans le but de réduire la possibilité d’une guerre, son ampleur et sa violence si elle se produisait, ainsi que les coûts politiques et économiques de la préparation à cette guerre »8. Les périodes de baisse de tension pendant la Guerre froide, qui survenaient grâce à des négociations, étaient appelées détente ou dégel, des concepts qui reviennent en force.  

Le cas de Wagner illustre la tendance globale à utiliser des groupes mercenaires ou para-étatiques, qu’il s’agisse de la Russie et des États-Unis (en Irak et en Afghanistan), mais aussi de puissances moyennes.

Mariano Aguirre

Aujourd’hui, les traités sur la réduction des arsenaux nucléaires stratégiques et sur les missiles antibalistiques (ABM) ont été gelés par Washington et Moscou. La Chine n’est partie prenante à aucune négociation sur les armements, ce qui s’explique par le fait que tous les traités ont été conclus pendant la Guerre froide. Quant au traité de non-prolifération nucléaire (TNP), il est au point mort. 

Cette absence de négociations, associée à l’innovation technologique en matière d’armes conventionnelles et nucléaires et à la guerre en Ukraine, a ravivé les craintes d’une guerre nucléaire9. « La Guerre froide est de retour, mais avec une différence », a déclaré le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres : « Les mécanismes et les garanties qui existaient dans le passé pour gérer les risques d’escalade n’existent plus ».10

[Lire plus : découvrez notre série sur les capitalismes politiques en guerre]. 

L’adjectif « froide » décrit donc un état de tensions diffus dans de multiples domaines dans lesquels il faut maintenir un équilibre délicat, malgré les incertitudes. Ce sont en effet des variables qui s’articulent autour de Taïwan et de la guerre en Ukraine11. Dans le premier cas, le recouvrement de la souveraineté de l’île est existentiel pour la Chine tandis que les États-Unis indiquent qu’ils défendront militairement son indépendance. Mais une confrontation militaire entraînerait des pertes humaines, infrastructurelles, économiques, technologiques et commerciales qui ne sont dans l’intérêt d’aucun des trois pays.   

Le concept de détente revient en force aujourd’hui. 

Mariano Aguirre

Dans le cas de l’Ukraine, Washington et les alliés de l’OTAN tentent de trouver un équilibre entre l’armement de Kiev, qui demande des armes de plus en plus sophistiquées, la prévention de leur utilisation contre la Russie (comme c’est déjà le cas depuis le début de la guerre) et l’assurance que Moscou ne considère pas que l’OTAN l’attaque. Il n’est guère  surprenant que le débat se développe aux États-Unis et au sein de l’OTAN sur la nécessité de négociations et que l’on spécule sur la manière dont cette guerre pourrait être « gelée ».12

Pendant ce temps, certains faucons américains pensent qu’en plus de défendre la souveraineté de l’Ukraine, il faudrait « vaincre » la Russie, ce qui rappellerait les guerres par procuration de la Guerre froide. Par exemple, Eliot A. Cohen affirme que « nous devons voir des masses de Russes fuir, faire défection, tirer sur leurs officiers, être faits prisonniers ou tués. La défaite russe doit être un désastre incontestable par son ampleur. »13

Un autre changement géopolitique important est que la (dangereuse) « confrontation sans guerre nucléaire » s’est également déplacée vers le Sud. L’Inde et le Pakistan sont des puissances nucléaires qui se disputent des territoires et des minorités. Dans le même temps, l’Inde et la Chine ont des différends territoriaux et des ambitions de leadership régional en Asie et dans le cadre des BRICS. Dans les deux cas, il y a eu des confrontations militaires.

Au Moyen-Orient, la prolifération nucléaire constitue un véritable danger. Israël possède un arsenal nucléaire (bien qu’il ne l’admette pas officiellement). L’Iran a un programme nucléaire civil qui pourrait devenir militaire si les difficiles négociations actuelles avec les États-Unis et l’Europe pour revenir à l’accord que l’administration Trump avait anéanti échouent. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) négocient avec Washington la technologie nucléaire pour des programmes civils mais aussi potentiellement militaires comme condition à l’établissement de relations diplomatiques avec Israël. Et le gouvernement israélien menace cycliquement d’attaquer l’Iran.  

La violente crise entre Israël et le Hamas depuis le 7 octobre, qui pourrait déboucher sur une confrontation entre l’Iran et Israël, a mis les pays de la région en état d’alerte, Bruxelles et Washington se trouvant déjà en état d’alerte maximale. Pendant la Guerre froide, on craignait qu’une confrontation locale ne débouche sur un affrontement entre grandes puissances dotées de l’arme nucléaire. Aujourd’hui, un conflit local pourrait dégénérer en conflit régional, l’un des acteurs menaçant d’utiliser des armes nucléaires.14

L’impossible divorce

Au cours de l’année 2022, les États-Unis ont lancé l’idée que leur économie, et en particulier le secteur des technologies productives, devait « se détacher » de la Chine. Les entreprises américaines et européennes ont rejeté cette idée. Le coût de la fermeture des usines de production de biens en Chine ; l’arrêt de tout ou partie des programmes technologiques conjoints ; la perturbation des chaînes d’approvisionnement ; les fermetures de marchés et les représailles qui en résulteraient : tout cela aurait un coût très élevé pour la Chine, mais aussi pour l’Occident. 

Aujourd’hui, un conflit local pourrait dégénérer en conflit régional, l’un des acteurs menaçant d’utiliser des armes nucléaires.

Mariano Aguirre

Pour Jean-Michel Bezat, le remodelage de « cette reconfiguration de la géographie des chaînes d’approvisionnement entraînera un surcoût pour les entreprises et les consommateurs se fournissant dans des pays plus chers — le prix à payer pour assurer la sécurité des États-Unis. Surtout, la politique de relocalisation dans des pays amis ou proches est loin d’avoir isolé la puissante industrie chinoise, qui représente 29 % de la base installée dans le monde, soit un gros tiers de plus que dix ans auparavant »15. De nombreux biens importés aujourd’hui aux États-Unis depuis ces pays tiers sont par exemple fabriqués avec des licences et des technologies chinoises. 

Les États-Unis ont également besoin de « terres rares », dont 60 % sont extraites et 90 % raffinées en Chine. Les Américains achètent moins à la Chine qu’auparavant, mais importent davantage de pays ayant des liens industriels étroits avec Pékin. Quant au FMI, il a mis en garde contre le risque de fragmentation géoéconomique, et un nouvel élan protectionniste est susceptible de ralentir l’activité mondiale à moyen terme ».16

Autrement dit, les États-Unis et la Chine « sont si bien assortis qu’il ne peut y avoir de gagnants cette fois-ci, mais seulement des perdants. Par conséquent, le premier signe d’un véritable dégel viendra lorsque les deux pays reconnaîtront qu’aucun ne peut dominer l’autre »17. Certaines entreprises occidentales ont quitté la Chine, d’autres y restent et réorientent leur production vers le marché intérieur, et six sur dix n’ont pas pris de décision18.

En septembre, le conseiller à la sécurité nationale américain, Jake Sullivan, a rencontré le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, à Malte, dans le but de « relancer la diplomatie de haut niveau entre les deux pays, de maintenir les lignes de communication ouvertes et de gérer les relations de manière responsable »19. En novembre, les présidents Xi Jinping et Joe Biden se sont rencontrés à San Francisco pour tenter d’apaiser les tensions.

À la fin du mois d’août 2023, de hauts représentants de la Chine et des États-Unis ont exprimé leur volonté de rétablir de bonnes relations économiques (dont le volume est actuellement évalué à environ 700 milliards de dollars par an)20. Autant de démarches qui rappellent les périodes de crise et de détente de la Guerre froide.

Un avenir en deux questions

Les tendances actuelles soulèvent deux questions pour l’avenir. 

Premièrement, les avantages de la coopération de la Chine avec les États-Unis et l’Europe permettront-ils d’atténuer les tensions politiques, de soutenir la concurrence économique et technologique et d’établir des mécanismes de sécurité entre ces trois acteurs ? Le pragmatisme et la recherche du profit le recommandent. Cependant, la logique militariste, les intérêts de l’industrie de défense et les diverses manifestations de nationalisme extrémiste pourraient conduire à un affrontement armé. Il n’est pas non plus exclu qu’un enchaînement d’événements en Ukraine ou à Taïwan conduise à un affrontement militaire entre grandes puissances qu’aucun des deux gouvernements ne souhaite. Ou encore les conséquences imprévisibles d’un conflit régional, comme au Moyen-Orient.

Pour les États-Unis, la confrontation avec la Chine et la guerre (par procuration) avec la Russie en Ukraine servent à relancer leur rôle de leader de l’OTAN alors que leur crise institutionnelle et politique intérieure est immense. Dans le même temps, leur soutien à Israël et leur déploiement militaire en Méditerranée orientale constituent une démonstration de force. Mais l’hégémonie mondiale qu’elle détenait n’existe plus. Le retour de Trump au pouvoir en 2024 aurait de graves conséquences sur la poursuite de la guerre en Ukraine, tout en posant des questions sur le futur de l’Europe. Comme pendant la Guerre froide, celle-ci se retrouverait au cœur de la tempête, entre les États-Unis et la Russie, et peut-être sans le soutien et le leadership d’un allié sur lequel elle s’est appuyée pendant trop longtemps.

Il y aura également des incertitudes quant à l’avenir de l’OTAN et des dangers pour les négociations internationales sur le changement climatique, les réfugiés, les pandémies et les voies possibles vers un système multilatéral réformé. Et même si les républicains n’accèdent pas à la Maison Blanche, la diplomatie américaine, que ce soit en Ukraine ou au Moyen-Orient, ne semble pas avoir d’idées nouvelles au-delà de la fourniture massive d’armes. À titre d’exemple, la proposition du secrétaire d’État Antony Blinken de relancer la solution à deux États pour Israël et la Palestine alors que Netanyahou ravage Gaza est à la fois cynique et absurde. 

Le système international est en proie à de graves tensions, qui se déploient à toutes les échelles : qu’elles soient mondiales, régionales ou locales, les puissances ne cessent de se préparer à l’affrontement. Si l’époque actuelle présente des différences substantielles par rapport à l’organisation de la Guerre froide, nombre de ses formes présentent des similitudes d’autant plus dangereuses que les instruments qui permettaient de limiter l’escalade sont aujourd’hui enrayés.

Sources
  1. Julian E. Barnes y Edward Wong, « In Risky Hunt for Secrets, U.S. and China Expand Global Spy Operations », The New York Times, 17 septembre 2023.
  2. John Mearsheimer, « Pourquoi les grandes puissances se font la guerre », Le Monde diplomatique, août 2023.
  3. Pour une discussion sur le concept de Guerre froide, voir le chapitre 1 de Michael Doyle, Cold Peace. Avoiding the New Cold War, Liveright  Publication Corporation, New York, 2023.
  4. Nick Turce, Alice Speri, « How the Pentagon Uses a Secretive Program to Wage Proxy Wars »,  The Intercept, 1 juillet 2022.
  5. Nick Turce, « Will the Biden Administration Shine Light on Shadowy Special OPS Programs ? », The Intercept, 20 mars 2021.
  6. Charlie Savage, Eric Schmitt, « Rules for Pentagon Use of Proxy Forces Shed Light on a Shadowy War Power », The New York Times, 14 mai 2023.
  7.  Alia Brahimi, « Libya has a mercenaries problem. It’s time for the international community to step up », The Atlantic Council, 21 mai 2021.
  8. Cité dans Patrick M. Morgan, « Arms Control », in Joel Krieger (dir.), The Oxford Companion to Politics of the World, Second Edition,  New York, Oxford University Press, 2001, p. 47.
  9. « A new nuclear arms race looms », The Economist, 29 août 2023.
  10. Ewen MacAskill, « Syria crisis has brought cold war back with a vengeance – UN », The Guardian, 13 avril 2018.
  11. Sur la logique réaliste et les grandes puissances appliquées aux questions actuelles, voir John J. Mearsheimer, « Great power rivalries : the case for realism », Le Monde diplomatique, English edition, août 2023.
  12. Steven Erlanger, « As Ukraine’s Fight Grinds On, Talk of Negotiations Becomes Nearly Taboo », The New York Times, 1er septembre 2023. Cristian Segura, « Ucrania teme que la guerra acabe en una división del país como en la península de Corea », El País, 24 septembre 2023.
  13. Eliot A. Cohen, « It’s Not Enough for Ukraine to Win. Russia Has to Lose », The Atlantic, 19 mai 2023. Cf. Katrina vanden Heuvel, « The War Party Is Back », The Nation, 7  septembre 2023.
  14. « China, Iran, Arab nations condemn Israeli minister’s statement about dropping a nuclear bomb on Gaza », Associated Press, 14 novembre 2023.
  15. Jean-Michel Bezat, « Les économistes craignent les effets d’un découplage des deux premières économies mondiales, catastrophique pour la sécurité et la croissance », Le Monde, 28 août 2023.
  16. Idem.
  17. Andrew Browne et al. « Biden wants a ‘thaw’ with China. What would that take ? », The Washington Post, 16 janvier 2023.
  18. Yuan Yang, Patricia Nilsson, « Western companies take slow steps towards China ‘de-risking’ », Financial Times, 25 septembre 2023.
  19. Demetri Sevastopulo, « US and China Officials Meet in Malta Ahead of Possible Bidden Xi-summit », Financial Times, 17 septembre 2023.
  20. Joe Leahy, « Raimondo maintains red lines on national security in Beijing visit », Financial Times, 28 août 2023.