Les peuples d’Europe qui se défendent ne nous demandent pas de mener leur combat. Ils nous demandent le matériel de guerre, les avions, les chars, les canons, les cargos qui leur permettront de lutter pour leur liberté et pour notre sécurité. Nous devons absolument leur fournir ces armes, en quantité suffisante et assez rapidement, afin que nous et nos enfants puissions être épargnés de l’agonie et des souffrances de la guerre que d’autres ont dû endurer. (…) À mesure que des avions, des navires, des canons et des obus sont produits, notre gouvernement, avec ses experts en défense, peut alors déterminer la meilleure façon de les utiliser pour défendre cet hémisphère. La décision quant à la quantité qui sera envoyée à l’étranger et à la quantité qui restera au pays doit être prise sur la base de nos besoins militaires globaux. (…) Nous devons être le grand arsenal de la démocratie.

Franklin Roosevelt, 29 décembre 1940.

Nous ne cherchons pas à ce que les troupes américaines combattent en Russie ou contre la Russie. (…) C’est un investissement intelligent qui rapportera des dividendes pour la sécurité américaine pendant des générations, nous aidera à garder les troupes américaines hors de danger, nous aidera à construire un monde plus sûr, plus pacifique et plus prospère pour nos enfants et petits-enfants. (…) Et permettez-moi d’être clair sur quelque chose : nous envoyons à l’Ukraine du matériel stocké. Et lorsque nous utilisons l’argent alloué par le Congrès, nous l’utilisons pour reconstituer nos propres réserves – nos propres stocks de nouveaux équipements – des équipements qui défendent l’Amérique et qui sont fabriqués en Amérique : des missiles Patriot pour batteries de défense aérienne fabriqués en Arizona ; des obus d’artillerie fabriqués dans 12 États à travers le pays – en Pennsylvanie, dans l’Ohio et au Texas ; et bien plus. Vous savez, tout comme lors de la Seconde Guerre mondiale, aujourd’hui, les travailleurs américains patriotes construisent l’arsenal de la démocratie et servent la cause de la liberté.

Joe Biden, 19 octobre 2023.

De retour d’Israël, au 603ème jour depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, Joe Biden, pour la première fois, s’est adressé aux Américains pour souligner l’importance de l’aide apportée à l’Ukraine. Le Président des États-Unis a opté pour un discours empreint du lexique rooseveltien, s’appuyant sur un argument moral : la responsabilité de « l’arsenal de la démocratie » envers les États démocratiques. Comme Roosevelt, Biden reconnaît que la poursuite des intérêts nationaux doit être ancrée dans une perspective morale pour que celle-ci ne reste pas superficielle et incomplète. Tout comme son lointain prédécesseur, il est conscient de la nécessité de convaincre les partisans de l’isolationnisme. Dans son discours, il endosse une approche similaire à celle de Roosevelt en combinant des arguments à la fois centrés sur ses intérêts et sur la morale pour justifier son action.

Ce n’est pas la première fois que Biden s’inspire de Roosevelt. 

Le 24 février 2023, un an jour pour jour depuis le lancement de l’invasion russe, le New York Times publiait un article de Peter Baker et Andrew Kramer (les correspondants en chef à Washington et Kiev) relatant comment Zelensky et Biden ont réussi à construire un partenariat pendant la guerre. Selon ces deux journalistes, « si Zelensky est un Winston Churchill des temps modernes, comme le disent souvent ses admirateurs, alors M. Biden se voit confier le rôle de Franklin D. Roosevelt avant Pearl Harbor, rassemblant le soi-disant arsenal de la démocratie pour armer les alliés européens sans faire entrer les États-Unis directement dans la guerre ». Les journalistes rapportent également les propos de Michael McFaul, universitaire et ancien ambassadeur américain à Moscou, (qui aujourd’hui travaille dans l’administration du président ukrainien) que « M. Biden estime, à juste titre, qu’il a mobilisé le monde et l’Amérique et que le Pentagone a fait plus que ce qu’il n’a jamais fait auparavant, et il est frustré de ne pas recevoir plus d’éloges pour cela »1.

Tout comme son lointain prédécesseur, Joe Biden est conscient de la nécessité de convaincre les partisans de l’isolationnisme. 

Lasha Otkhmezuri

Est-il vrai que les Américains n’ont jamais fait autant pour leurs alliés ? Même pas lors du Prêt-Bail, que Churchill désignait comme « l’action financière la plus altruiste et la plus noble de n’importe quel pays de toute l’histoire du monde » ? Peut-on vraiment comparer l’aide apportée à celle d’aujourd’hui ? Comparons les chiffres.

Une comparaison historique : Roosevelt contre Biden

Si l’on se restreint à la période antérieure à Pearl Harbor, comme le souhaite Biden, l’aide américaine — à une époque où les États-Unis étaient un géant économique mais encore un nain relatif sur le plan militaire — envers son allié britannique était tellement généreuse qu’elle mit les États-Unis dans une situation très délicate. En mai 1940, les États-Unis ne possédaient que 160 chasseurs et 52 bombardiers lourds, soit 83 avions de moins que ce qui était jugé essentiel à la défense américaine2. Malgré cette fragilité, le 23 juillet 1940, Roosevelt octroyait à la Grande-Bretagne 14 000 des 27 000 avions qui devaient être fabriqués sur le sol américain avant avril 19413. En novembre 1940, Roosevelt décidait d’allouer à la Grande-Bretagne la moitié de toutes les munitions nouvellement produites, incluant les tous derniers bombardiers B-17. Lorsque Henry Lewis Stimson, secrétaire d’État à la Guerre, exprimait sa crainte que ces bombardiers soient vitaux pour la sécurité nationale, Roosevelt répliquait en affirmant que les Britanniques pourraient les mettre à l’épreuve dans des conditions de combat4

Face à la tâche difficile de préparer leurs propres forces pour la guerre, les militaires américains observaient avec horreur que Londres, puis Moscou, commençaient à réclamer de grandes quantités d’équipements déjà insuffisants pour les États-Unis. Le 11 avril 1941, l’amiral Emory Land, président de la Commission Maritime, se plaignait sarcastiquement à Roosevelt que « si les États-Unis ne faisaient pas attention, un matin ils se réveilleraient et verraient la Maison Blanche en route vers l’Angleterre avec le monument de Washington utilisé en figure de proue »5. À peine cent jours plus tard, Stimson, qui était moins disposé à l’ironie, déclarait au président « que toutes ces personnes qui sont déterminées à satisfaire une impulsion passagère pour aider d’autres nations à nos côtés » — il faisait référence à Harry Hopkins, envoyé spécial de Roosevelt, personnage clef dans l’aide aux alliés — « ne se soucient pas de savoir si oui ou non notre propre armée et nos propres forces vont être laissées désarmées »6.

En 1941, face à la tâche difficile de préparer leurs propres forces pour la guerre, les militaires américains observaient avec horreur que Londres, puis Moscou, commençaient à réclamer de grandes quantités d’équipements déjà insuffisants pour les États-Unis. 

Lasha Otkhmezuri

Au total, pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis fournirent à Londres environ 7,2 % de leur propre effort de guerre, sans inclure l’aide accordée à d’autres nations (pour un total de 14,2 %)7. En 2022 et 2023, l’assistance militaire de Washington à Kiev représente approximativement 5,4 % du budget militaire annuel américain8. Cependant, en appliquant le même mode de calcul utilisé durant la Seconde Guerre mondiale, ce chiffre doit être divisé au moins par deux : plus de 50 % de l’aide américaine à l’Ukraine était et est destinée au remplacement d’équipements, d’armes et de munitions qui se trouvaient dans les arsenaux américains. Contrairement à la Seconde Guerre mondiale, une telle dépense n’existait pas et n’aurait pas pu exister à cette époque9

On constate la même équation dans la demande de Biden (formulée dans son discours du 19 octobre et concrétisée dans sa lettre au Congrès du lendemain10) pour l’année 2024. La Maison Blanche a soumis au Congrès américain une demande de budget pour l’année 2024 prévoyant environ 105 milliards de dollars d’aide à l’Ukraine, à Israël et à d’autres partenaires des États-Unis. Concernant ce document, Oksana Markarova, l’ambassadrice d’Ukraine aux États-Unis nous a donné quelques détails, tout en soulignant que pour l’instant il ne s’agissait que de la « vision » du Président américain et qu’il serait utile d’analyser les chiffres plus en détail lorsque cette vision se transformerait en document budgétaire examiné par le Congrès.

Néanmoins, ces détails nous donnent quelque idées sur « la vision de Biden » : si l’on admet que le budget de la défense des États-Unis pour l’année fiscale 2024 se situera autour de 900 milliards de dollars, on peut supposer que l’aide militaire directe à l’Ukraine représentera entre 2 et 3 % du budget de Pentagone.

Un allié irrésolu

Ce ne sont pas seulement les chiffres, mais aussi la volonté et la détermination qui font la différence. À l’heure actuelle, toute livraison d’armes à l’Ukraine suit un cycle en quatre phases, décrit de manière exhaustive par Oleksiy Reznikov, ancien ministre de la Défense ukrainienne : initialement, c’est « non », puis « nous allons réfléchir », suivi de « commençons par l’entraînement des Ukrainiens », pour finalement aboutir à la quatrième et dernière phase : « accordons aux Ukrainiens ce qu’ils demandent ». Cependant, les Américains continuent d’imposer des restrictions : canons M777 sans GPS, chars ABRAMS sans armure moderne, lances-roquettes HIMARS sans ATACMS, etc. Pour comprendre la valeur de ces munitions et équipements, prenons un exemple : le 17 octobre, les forces ukrainiennes ont pour la première fois utilisé des missiles à longue portée (ATACMS) récemment fournis par les États-Unis en petite quantité (une vingtaine), après que Joe Biden a finalement surmonté sa réticence de longue date. Après une attaque des forces armées ukrainiennes contre les aérodromes de Berdiansk et de Lougansk (villes ukrainiennes occupées), vingt-quatre hélicoptères russes ont été détruits ou fortement endommagés, représentant plus de 10 % des pertes en hélicoptères de l’armée russe depuis le 24 février 202211.

Au cours du XXe siècle, le succès des opérations au sol était déterminé par le contrôle aérien, permettant ainsi de mener des opérations terrestres combinées avec des chars, des troupes au sol et de l’artillerie. Aujourd’hui, le débat majeur concerne les anciens modèles de F-16. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont construit 300 000 avions, dont 33 000 ont été transférés aux pays du Commonwealth (le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande)12. Le 30 janvier, Biden a catégoriquement refusé les livraisons, pour finalement lever son veto concernant le transfert des F-16 par les pays européens à l’Ukraine, annonçant sa participation dans la formation des pilotes 110 jours plus tard. Selon le New York Times, « Biden s’inquiète de provoquer le président Vladimir Poutine, redoutant qu’il ne fasse escalader le conflit au-delà des frontières de l’Ukraine ou qu’il ne le transforme en un conflit nucléaire »13. Ainsi, Washington établit continuellement de nouvelles lignes rouges pour lui-même, tandis que Poutine ne cesse de franchir ses propres Rubicons. Après plus de 600 jours de guerre, il est peut-être temps de prendre conscience que Poutine est peut-être davantage un simple joueur de roulette qu’un joueur de « roulette russe ». La « roulette poutinienne », profitant de la faiblesse occidentale, a élaboré une stratégie gagnante : doubler la mise à chaque perte.

Au cours du XXe siècle, le succès des opérations au sol était déterminé par le contrôle aérien, permettant ainsi de mener des opérations terrestres combinées avec des chars, des troupes au sol et de l’artillerie. 

Lasha Otkhmezuri

Dans cette guerre, il y a un aspect sur lequel on peut parier : Poutine n’aura jamais recours aux armes nucléaires pour plusieurs raisons

  1. Même si l’utilisation d’armes nucléaires tactiques est envisagée dans la doctrine russe, elle ne répond pas aux conditions nécessaires : l’absence de concentration significative des troupes ukrainiennes ou des sites de l’industrie militaire. Ainsi, Poutine sait que l’utilisation d’armes tactiques ne changerait en rien la situation sur le champ de bataille.
  2. Avant d’envisager l’usage d’armes nucléaires, Poutine n’a pas épuisé tous les moyens militaires conventionnels pour faire escalader le conflit. Depuis mars 2022, par exemple, il s’est par exemple abstenu d’attaquer « les centres de décision » ukrainiens avec des armes conventionnelles.
  3. Poutine est conscient que l’utilisation d’armes nucléaires serait suicidaire pour lui : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont ainsi envoyé un message conjoint à la Russie promettant de riposter avec des armes conventionnelles si Poutine décidait d’utiliser des armes nucléaires en Ukraine14.
  4. Il est important de rappeler qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale un tabou sur l’utilisation d’armes chimiques existait : tant les Alliés que les puissances de l’Axe possédaient des armes chimiques. Hitler disposait de 2 900 tonnes de gaz toxique et Staline en possédait encore plus, mais la crainte des représailles a joué un rôle majeur dans la réticence des deux camps à utiliser ces armes sur le champ de bataille. De plus, un accord commun entre Washington et Londres stipulait que la première utilisation devait être convenue entre les deux puissances, bien que l’une ou l’autre puisse riposter sans la permission de l’autre15.

Ainsi, après 600 jours, il est peut-être temps de comprendre que si Poutine adopte une attitude de mafieux, cela ne signifie pas nécessairement que nous devons en avoir peur…

[Lire plus : découvrez l’ensemble de nos publications sur la guerre d’Ukraine].

Un allié qui entrave

Fin octobre 2022, selon NBC News, lors d’une conversation téléphonique en juin dernier entre Zelensky et Biden, le Président américain aurait été contraint de hausser le ton et de s’exprimer avec véhémence, confronté à la frustration de Zelensky qui soulignait que ses besoins en aide supplémentaire n’étaient pas remplis16. En février 2023, le New York Times soulignait à nouveau que « l’hésitation de M. Biden à fournir des armements de pointe contrarie fortement M. Zelensky »17. On peut imaginer que cette situation de contrariété est augmentée depuis, car le résultat obtenu par l’utilisation des missiles ATACMS est une nouvelle preuve, parmi une dizaine d’autres, que Biden doit être plus attentif aux demandes de Zelensky. 

Faudrait-il rappeler à Biden comment Roosevelt écoutait Churchill ?

Après 600 jours, il est peut-être temps de comprendre que si Poutine adopte une attitude de mafieux, cela ne signifie pas nécessairement que nous devons en avoir peur…

Lasha Otkhmezuri

La première moitié de l’année 1942 représenta la période la plus ardue de la guerre pour Roosevelt et les États-Unis. Le Japon avait enregistré de nombreuses victoires sur les champs de bataille du Pacifique, s’assurant ainsi le contrôle des Philippines, de la Birmanie, de Singapour, des Indes orientales néerlandaises, des îles Salomon, Gilbert et de certaines parties de la Nouvelle-Guinée. Alors que l’amiral américain Ernest King, chef de la Flotte et des opérations navales, préconisait de donner la priorité à la guerre dans le Pacifique, le général George Marshall plaidait en faveur d’un débarquement en France dès l’automne de 1942, tandis que Churchill défendait l’idée d’un débarquement en Afrique du Nord. Malgré ses hésitations, Roosevelt empêcha d’abord Marshall de donner un ultimatum aux Britanniques avec la carte maîtresse du « Japon d’abord », pour finalement s’aligner sur la stratégie de débarquement en Afrique du Nord prônée par Churchill.

La Ligne de Sourovikine

À l’automne 2022, faute de moyens, après la libération de la partie ouest de l’oblast de Kherson, l’Ukraine était obligée d’arrêter sa contre-offensive au Sud. Cette occasion a permis aux forces russes de consolider leurs lignes de défense à l’est et d’établir une « ligne de Sourovikine ». 

Construite entre l’automne et le printemps 2022-2023, elle est souvent comparée aux plus grandes structures défensives de la Seconde Guerre mondiale. À partir de fin octobre 2022 et pendant six mois, les Russes ont érigé une ligne de défense multifacette comprenant : (1) des champs de mines (s’étendant bien au-delà que prévoit la doctrine militaire russe) ; (2) suivis par des premières tranchées, connues sous le nom de « trous de renard » ; (3) ensuite des fossés antichars, aboutissant (4) aux « dents de dragon » constituées de pyramides de béton alignées sur trois à cinq rangées, pour finalement aboutir (5) à une ligne de tranchées fortifiées derrière lesquelles est positionnée (6) l’artillerie. 

À cause du manque d’aviation de combat et des moyens pour percer — surtout les moyens du génie permettant de déminer et de franchir les obstacles — au début de l’offensive d’été dernier, les Ukrainiens ont perdu beaucoup d’hommes, sans gain territorial espéré. Dans ces conditions, ils ont été contraints de changer de tactique et ont commencé à utiliser des petits groupes d’infanterie (dix personnes chacun) se déplaçant d’une plantation forestière à une autre, explorant le chemin à travers les champs de mines, cherchant des détours, s’infiltrant dans le bois le plus proche, etc. Ils le font avec une grande habileté, un courage incroyable, et en utilisant les innovations et les capacités dont ils disposent : drones, systèmes à longue portée, etc. Cependant, tout cela se fait au prix de pertes énormes, sans les gains territoriaux espérés et ne peut pas durer éternellement.

[Lire plus: L’histoire immédiate de la guerre d’Ukraine, une conversation avec Michel Goya et Jean Lopez]. 

L’Ukraine ne donne aucun bilan officiel de ses morts à la guerre — les forces armées ukrainiennes ont toujours réitéré que le nombre de leurs pertes était un secret d’État. Si les estimations disponibles font état de pertes importantes, la ligne de front n’a bougé que marginalement pendant l’été 2023. Au 11 novembre 2022, les forces ukrainiennes avaient libéré un territoire d’une superficie de 74 443 km2 de l’occupation russe. Après deux mois de contre-offensive, leurs gains étaient de quelques dizaines de km2. Si on prend en compte que les Forces Armées Ukrainiennes ne disposent que de 400 bataillons, il n’est pas difficile de comprendre devant quel choix cornélien se retrouve la direction politico-militaire ukrainienne.

Il n’est pas anodin que le 25 octobre, Sergueï Rakhmanin, membre de la commission de la Sécurité nationale, défense et renseignement de Verkhovna Rada, dans un interview à Ukrainskaya Pravda ait déclaré la nécessité de réduire l’âge des conscrits « à la fois en raison des pertes de personnel, au cours des combats, mais aussi en raison de la nécessité de former de nouvelles formations et brigades »18.

L’Ukraine ne donne aucun bilan officiel de ses morts à la guerre — les forces armées ukrainiennes ont toujours réitéré que le nombre de leurs pertes était un secret d’État.

Lasha Otkhmezuri

Est-il possible de percer les lignes de défense de l’armée russe au sud, d’atteindre l’isthme de Perekop et de menacer la Crimée ? Tout dépendra de l’aide américaine, qui peut fortement augmenter la ténacité des attaquants et réduire la résilience des défenseurs.

Vers la Guerre « éternelle » ?

Poutine agit sans objectifs militaires clairs — quelle est la ligne finale que l’armée russe cherche à atteindre ? — ni politiques définies. Le président russe n’est pas un révisionniste mais un revanchard : plutôt que de chercher à instaurer une nouvelle architecture internationale, il veut simplement échanger de place avec les vainqueurs de la guerre froide. Les projets d’accords proposés aux États-Unis et à l’OTAN par le ministère russe des Affaires étrangères le 17 décembre 2021 sont davantage des projets revanchards que révisionnistes. Dans ce contexte, pour Poutine, « Moscou vaut bien une guerre », car cela lui permet de rester au pouvoir.

Si aujourd’hui la tactique du Kremlin consiste à « démobiliser » son arrière, après l’élection présidentielle de mars 2024 Poutine aura les mains libres pour déclarer la mobilisation générale ou partielle pour fournir « la chair à canon » à sa guerre de position. Et dans cette situation, il est difficile d’imaginer comme l’Ukraine pourrait gagner considérant les ressources presque illimitée d’armes d’artillerie dont la Russie dispose ainsi que sa facilité à sacrifier ses hommes.

Cependant, l’hémorragie ukrainienne ne peut perdurer indéfiniment, de même que l’assistance américaine au compte-gouttes qui conduit à une impasse. Ajoutons à cela que depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, les autorités américaines ont réduit de plus de 30 % la fourniture d’obus d’artillerie (munitions de 155mm) à l’Ukraine19. L’Ukraine ne peut réussir que si la guerre ne « s’éternise » pas en guerre de position. Pour que cela soit possible au printemps prochain, l’Ukraine doit recevoir les armes modernes en grande quantité. Sans une aide à la Roosevelt, c’est-à-dire sans un approvisionnement massif en armement moderne et en munitions, il est difficile d’imaginer comment la défense russe pourra un jour s’effondrer…

Après l’élection présidentielle de mars 2024 Poutine aura les mains libres pour déclarer la mobilisation générale ou partielle pour fournir « la chair à canon » à sa guerre de position.

Lasha Otkhmezuri

À Tel-Aviv le 18 octobre dernier, le président américain avait mentionné qu’Israël avait besoin de « la clarté sur les objectifs et d’une évaluation honnête de la question de savoir si la voie que vous suivez mènera à la réalisation de ces objectifs »20. Les Ukrainiens pourraient retourner la même question à Biden et à son administration.

Sources
  1. Peter Baker et Andrew Kramer, « ‘It’s Complicated’ : How Biden and Zelensky Forged a Wartime Partnership », New York Times, 24 février 2023.
  2. Robert Dallek, Franklin D. Roosevelt and American Foreign Policy, 1932-1945, Oxford, Oxford University Press, 1995 (1979), p. 222.
  3. Jean Lopez, Lasha Otkhmezuri, Barbarossa 1941. La guerre absolue, Paris, Passés Composés, 2019, p. 142.
  4. Robert Dallek Franklin D. Roosevelt and American Foreign Policy, 1932-1945, Oxford, Oxford University Press, 1995 (1979), p. 252.
  5. In George Herring, Aid to Russia 1941-1946 : Strategy, Diplomacy, The Origins of the Cold War, New York, Columbia University Press, p. 13.
  6. Ibid. p.13.
  7. I.C.B. Dear, M.R.D. Foot (dirs.), The Oxford Companion to World War II, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 1177-1182.
  8. Voir les chiffres donnés par le Congressional Research Service des États-Unis.
  9. Dans cet article, je n’essaie pas de comparer la logistique du Prêt-bail à celle d’aujourd’hui. En réalité, la logistique de livraison du programme Lend-Lease était bien plus difficile que la production de l’équipement. À titre d’exemple, le 17 octobre et le 1er novembre 1941, c’est-à-dire avant même Pearl Harbor, des sous-marins allemands ont torpillé deux destroyers d’escorte américains, causant la mort de plus de 120 marins.
  10. « Letter regarding critical national security funding needs for FY 2024 ».
  11. Oryx, sur la base des sources ouvertes, répertorie les pertes en matériel.
  12. I.C.B. Dear, M.R.D. Foot (dirs.), The Oxford Companion to World War II, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 1181.
  13. Peter Baker et Andrew Kramer, « ‘It’s Complicated’ : How Biden and Zelensky Forged a Wartime Partnership », The New York Times, 24 février 2023.
  14. Max Seddon, Christopher Miller, Felicia Schwartz, « How Putin blundered into Ukraine — then doubled down », The Financial Times, 23 février 2023.
  15. I.C.B. Dear, M.R.D. Foot (dirs.), The Oxford Companion to World War II, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 203.
  16. Carol E. Lee, Courtney Kube, Dan De Luce, « Biden lost temper with Zelensky in June phone call when Ukrainian leader asked for more aid », NBC News, 31 octobre 2022.
  17. Peter Baker et Andrew Kramer, « ‘It’s Complicated’ : How Biden and Zelensky Forged a Wartime Partnership », The New York Times, 24 février 2023.
  18. Cf. l’interview ici.
  19. Tom Soufi Burridge, Lauren Minore, Matthew Seyler, « Pentagon chief in Kyiv amid questions over future US arms supplies », ABC News, 21 novembre 2023.
  20. Helene Cooper, Adam Entous Eric Schmitt, « U.S. Raises Concerns About Israel’s Plan of Action in Gaza, Officials Say », The New York Times, 23 octobre 2023.