Capitalismes politiques en guerre

Jake Sullivan : la guerre technologique entre Washington et Pékin

Avant l'annonce de nouvelles sanctions visant le secteur chinois des semi-conducteurs, le conseiller à la sécurité nationale américain, Jake Sullivan, a défini dans un discours clef prononcé le 16 septembre les grandes lignes de l'administration Biden en matière de souveraineté et de compétition technologique. Pour entrevoir la forme que prendra la rivalité sino-américaine dans les prochaines années, nous le traduisons pour la première fois en français — commenté ligne à ligne.

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Louis de Catheu
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© Susan Walsh/AP/SIPA

À l’occasion de la parution du rapport du Spécial Competitive Studies Project, Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale du Président des États-Unis, a prononcé un discours portant sur la prise en compte des questions technologiques dans la politique de l’administration Biden.

Ce discours constitue une nouvelle illustration de la place centrale acquise par la concurrence géopolitique avec la Chine dans les préoccupations des élites de Washington. Après avoir défini pendant plus d’un siècle la frontière technologique, les États-Unis craignent aujourd’hui de perdre cette place à la faveur des progrès technologiques chinois.

Afin d’empêcher une telle situation, l’administration Biden cherche, dans un même mouvement, à « courir plus vite » et à ralentir les avancées chinoises, ce qui se traduit par un renouveau de la politique industrielle avec une focalisation sur le financement de la recherche, les semi-conducteurs et les technologies vertes, ainsi que par un recours accru aux outils de contrôle des exportations et de sécurité économique. Conscient de l’avantage stratégique conféré par son vaste réseau d’alliances et de partenariats, l’administration cherche à relayer ces orientations au niveau international pour renforcer leurs effets.

Félicitations à toute l’équipe du SCSP pour la publication de votre rapport  !

Le Special Competitive Studies Project, créé en octobre 2021 par Eric Schmidt, ancien président directeur-général puis président exécutif de Google (2001-2018), est un think-tank qui se consacre aux sujets situés au croisement de la sécurité nationale et des questions technologiques. Il s’inscrit ainsi dans la suite des précédents engagements d’Eric Schmidt au sein du Conseil d’innovation du Département de la Défense et comme président de la Commission de sécurité nationale sur l’intelligence artificielle

Son premier rapport, Mid-Decade Challenges to National Competitiveness, « souligne les enjeux de la compétition technologique entre les États-Unis et la Chine ». Ses recommandations, très ambitieuses, visent à renforcer le dynamisme technologique des États-Unis, son influence internationale ainsi que la modernité de ses forces armées. Il suggère notamment d’accorder un plus grand rôle à l’État fédéral via une « stratégie techno-industrielle », plus de coopération public-privé et le recours à des outils coercitifs (notamment le contrôle des exportations.).

Il y a un peu plus d’un an, j’ai eu l’opportunité de partager quelques pensées sur la révolution numérique devant la Commission de sécurité nationale sur l’intelligence artificielle. 

J’avais alors soutenu qu’après la vague d’innovations libératrices des débuts de l’ère Internet et la contre-révolution autoritaire des années 2000, lors de laquelle nos concurrents et adversaires ont su tirer parti de notre complaisance et de notre ouverture, nous devons aujourd’hui provoquer une troisième vague de la révolution numérique afin de nous assurer que les technologies émergentes agissent en faveur, et non au détriment, de nos démocraties et de notre sécurité. 

Je n’ai pas besoin de vous rappeler que les avancées des sciences et technologies sont susceptibles de définir le paysage géopolitique du XXIe siècle. Elles feront naître des innovations radicales en matière de santé et de médecine, de sécurité alimentaire et d’énergie verte. 

Nous allons assister à des percées technologiques soudaines et à l’émergence de nouvelles industries qui s’avéreront cruciales pour notre prospérité. Et, bien sûr, à la naissance de nouvelles capacités en matière de défense et de renseignement qui façonneront notre sécurité nationale. 

La préservation de notre avance dans les sciences et les technologies ne constitue ni un simple « enjeu domestique », ni un « enjeu de sécurité nationale », mais bien les deux à la fois.

Le discours du conseiller à la sécurité nationale illustre les transformations dans les représentations des élites américaines relatives à la science, à la technologie et leur évolution vers le techno-nationalisme

La science et la technologie ne sont pas envisagées comme des biens publics auxquels chaque nation peut contribuer au bénéfice de tous (l’ouverture est ici rapprochée de la complaisance), mais comme un actif clé dans la concurrence internationale, appropriable, et donc à protéger. La technologie et la science deviennent, dans les représentations, intimement liées à la nation. 

On observe une sécurisation de la technologie, qui est systématiquement envisagée sous l’angle de la sécurité nationale. Les stratégies nationales sur les technologies émergentes accordent une grande place à leur contribution potentielle aux forces armées et à la sécurité. Réciproquement, les réflexions stratégiques telles que l’Integrated Review Britannique de 2021 ou la National Security Strategy américaine de 2022 accordent une grande attention aux questions technologiques et scientifiques. 

Sous l’autorité du président Biden, nous avons adopté une approche intégrée de la politique domestique et de la politique étrangère en portant une attention particulière aux sujets qui débordent de ces deux silos.

Dans ce cadre, nous poursuivons une stratégie industrielle et d’innovation moderne afin d’investir dans nos sources intérieures de puissance, qui sont également au fondement de notre puissance internationale. Nous avons conscience que la préservation de nos forces et de nos avantages comparatifs n’a rien d’inévitable. Ils doivent être renouvelés, revitalisés et entretenus. C’est tout particulièrement vrai en ce qui concerne le leadership technologique américain. 

En cohérence avec la vision que j’avais développée l’année dernière, nous considérons que notre stratégie comprend 4 principaux piliers :

Le premier, investir dans notre écosystème scientifique et technologique. 

Le second, faire émerger les meilleurs talents en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques. 

Le troisième, protéger notre avantage technologique. 

Le quatrième, approfondir et intégrer nos alliances et partenariats.  

Fondamentalement, nous pensons qu’un petit nombre de technologies devraient jouer un rôle crucial lors de la prochaine décennie. À l’instar du principe de Pareto, nous pouvons considérer que notre succès dépend à 80 % de ce que nous réalisons avec 20 % des technologies. 

Nous pensons que 3 domaines technologiques seront d’une importance particulière au cours de la prochaine décennie  :

Les technologies informatiques. 

Celles-ci incluent la microélectronique, les systèmes d’information quantiques et l’intelligence artificielle. Les avancées dans les équipements informatiques, le design algorithmique et des jeux de données de grande taille permettent de nouvelles découvertes dans la quasi-totalité des champs scientifiques. Il s’agit de nouvelles sources de croissance. Ils sont également instrumentaux dans les efforts de modernisation militaire. 

Les biotechnologies et la biofabrication.

Nous sommes aujourd’hui en mesure de lire, d’écrire et de modifier du code génétique, rendant le vivant programmable. Combiné avec les avancées en informatique, nous sommes à l’orée de percées dans tous les domaines, de la découverte de médicaments à la production de produits chimiques ou de matériaux. 

Et enfin les technologies vertes.

La transition mondiale vers les énergies vertes n’est pas seulement nécessaire pour la santé de notre planète, mais elle sera également dans les prochaines années une source majeure de croissance économique et de création d’emplois. À plus long-terme, elle viendra également assurer l’indépendance et la sécurité énergétiques des États-Unis. 

Il ne s’agit pas de dire que les autres initiatives technologiques sont insignifiantes, loin de là. Par exemple, ce matin même, notre administration a dévoilé d’importantes recommandations visant à préserver le leadership américain en matière d’actifs numériques. 

Mais les technologies informatiques, les biotechnologies, et les technologies vertes sont de véritables « multiplicateur de force » à travers l’écosystème technologique. Le leadership dans chacun de ces domaines constitue donc un impératif de sécurité nationale. 

Cela m’amène au premier pilier de notre stratégie technologique : ranimer le moteur du dynamisme américain en matière de technologie et d’innovation, en particulier dans ces secteurs  fondamentaux.

Au cours de la dernière année, l’administration Biden a réalisé des investissements historiques, et pas uniquement dans la recherche fondamentale. Nous investissons dans les industries du futur et nous cherchons à renforcer la résilience et la sécurité des chaînes d’approvisionnement qui les sous-tendent.

Le défi géopolitique chinois, les fragilités des chaînes d’approvisionnement révélés par le Covid-19 et la crise climatique ont provoqué un retour en grâce de la politique industrielle, abandonnée à partir des années Reagan. Elle est pleinement assumée par l’administration Biden. Le 13 octobre dernier, le directeur du National Economic Council, Brian Deese, décrivait ainsi le fonctionnement de leur « Stratégie industrielle moderne » : « Elle identifie les domaines dans lequel l’initiative privée, laissée à elle-même, ne mobilisera pas l’investissement nécessaire à l’atteinte de nos principaux intérêts économiques et de sécurité nationale. Elle utilise ensuite l’investissement public pour stimuler les investissements privés et l’innovation ».

Les principales mesures adoptées depuis 2020 sont :

Le décret présidentiel sur les chaînes d’approvisionnement de l’Amérique qui ordonne aux agences fédérales de mener des enquêtes sur 10 chaînes d’approvisionnement (semiconducteurs, énergies renouvelables, batteries électriques, agroalimentaire, etc.)

Le Chips and Science Act , qui alloue 52 milliards à un fonds chargé de distribuer des subventions pour l’installation d’usines de semi-conducteurs, la recherche et développement dans le domaine, et crée un nouveau crédit d’impôt pour la production manufacturière avancée. Il autorise également une forte augmentation des crédits accordés à la National Science Foundation et au Département de l’énergie.

L’Inflation Reduction Act crée de nombreux crédits d’impôts en faveur des énergies renouvelables, un accélérateur de banques publiques vertes et accroît massivement le programme de prêts garantis du Département de l’énergie .

Si les mesures en faveur de la recherche et des semi-conducteurs bénéficient d’un soutien bipartisan, justifié par la compétition avec la Chine — l’un des derniers sujets consensuels entre Républicains et Démocrates —, ce n’est pas le cas de l’Inflation Reduction Act. 

Au cours du seul mois passé, le président Biden a signé le Chips and Science Act, un décret présidentiel sur l’avancement de l’innovation dans les biotechnologies et la biofabrication ainsi que l’Inflation Reduction Act.

Le CHIPS Act investit 52 milliards de dollars pour restaurer le leadership américain dans la recherche, le développement et la production de semi-conducteurs et pour réduire notre dépendance excessive envers des puces produites à l’étranger.

Il s’agit d’un investissement supérieur au coût réel du projet Manhattan. Il autorise également la plus importante augmentation d’une année sur l’autre du financement fédéral en faveur de la recherche scientifique fondamentale en 70 ans. Il ne reste plus au Congrès qu’à allouer les fonds correspondants. 

Le Chips and Science Act crée de nouveaux programmes au sein des agences fédérales du secteur de la recherche (création d’une direction des technologies et de l’innovation au sein de la NSF, création d’une fondation pour la sécurité énergétique au sein du DOE, etc.). En conséquence leurs plafonds de dépenses autorisés sont largement revus à la hausse :

La fondation nationale pour les sciences (NSF) : 81 milliards de dollars sur 5 ans (+36 milliards)

Le bureau des sciences du département de l’énergie : 50 milliards de dollars sur 5 ans (+13 milliards)

L’Institut national des normes et des technologies (NIST) : 10 milliards de dollars sur 5 ans (+ 5 milliards)

Ces dépenses doivent encore faire l’objet d’une loi d’appropriation pour que les crédits soient définitivement alloués.

Le décret présidentiel sur les Biotech et la biofabrication assure non seulement que la prochaine génération de médicaments, de matériaux et de carburants sera conçue aux États-Unis, mais également que nous les produirons ici. Du laboratoire à l’usine, comme on dit. 

Je n’ai pas besoin de m’étendre sur l’impact de l’Inflation Reduction Act. Il s’agit du plus grand investissement en faveur du climat et des énergies vertes de l’histoire américaine. 

Avec chacun de ces investissements, notre but est de stimuler les capitaux privés, non de les remplacer, et d’attirer du « capital patient » pour assurer le passage à l’échelle de ces technologies. En particulier, concernant les technologies énergétiques de nouvelle génération tels que l’hydrogène vert ou la fusion, adopter aujourd’hui une stratégie d’investissement proactive revient à potentiellement nous faire économiser des milliards de dollars dans le futur. 

Nous sommes également en train d’ouvrir la voie à des projets d’infrastructure de grande envergure qui serviront d’actifs nationaux, à l’instar d’un potentiel National Artificial Intelligence Research Ressource, qui pourrait rendre disponible à tout chercheur aux États-Unis une infrastructure avancée d’intelligence artificielle et de calcul.

Le second pilier porte sur le développement, l’attraction et la rétention des meilleurs talents.  La voie la plus simple pour atteindre cet objectif consiste à nous assurer que les États-Unis restent la destination préférée de tous les meilleurs scientifiques de la planète. 

Ceci implique d’investir dans nos viviers domestiques de recherche et d’enseignement, et de  nous assurer que les plus grands talents étrangers puissent venir et s’installer aux États-Unis. La Chine redouble d’efforts pour accroître sa production de scientifiques, mais il n’appartient qu’à nous de conserver l’avantage que représente notre capacité à attirer et à retenir les plus grands talents scientifiques mondiaux.

Nous avons réalisé d’importants progrès dans ce domaine. Au début de cette année, nous avons annoncé une série de mesures pour simplifier les procédures d’immigration et ouvrir de nouvelles voies d’entrée aux chercheurs et aux étudiants scientifiques internationaux. 

Nous avons également produit de nouvelles lignes directrices éliminant l’obligation de disposer d’un employeur américain sponsor pour les individus les plus accomplis, détenteurs d’un diplôme supérieur dans un domaine scientifique jugé critique pour la sécurité nationale américaine. Ces derniers peuvent maintenant demander une dérogation pour motif d’intérêt national, et déposer eux-mêmes une demande de visa EB-2.

C’est une bonne chose. Mais nous devons faire plus. Nous sommes prêts à travailler avec l’industrie et le Congrès, de manière bipartisane, pour capitaliser sur ce qui constitue le vrai super-pouvoir de l’Amérique. 

Le troisième pilier consiste à protéger nos avantages technologiques et à empêcher nos concurrents de voler de la propriété intellectuelle américaine et d’utiliser nos technologies contre nous ou contre leurs propres citoyens. 

Nos concurrents ont recours à des méthodes de plus en plus sophistiquées pour acquérir des technologies, des informations et des savoirs-faire de manière illicite, et nous devons donc nous y adapter. 

En matière de contrôle des exportations, nous ne pouvons pas, pour certaines technologies clés, nous limiter au seul objectif de maintien des avantages relatifs sur nos concurrents. Nous avons longtemps adopté une approche par « échelle glissante », qui considère que nous devons garder quelques générations d’avance. Cela ne correspond plus à l’environnement stratégique dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. 

Compte tenu du caractère fondamental de certaines technologies telles que les puces logiques et mémoires avancées, nous devons chercher à préserver une avance aussi grande que possible. 

Les États-Unis, s’ils ne produisent sur leur sol que 12 % du total des semi-conducteurs, restent ultra-dominants si l’on envisage l’ensemble de la chaîne de valeur : 38 % de la valeur ajoutée du secteur est réalisée sur leur territoire.

Dans les phases amont (conception des puces, production d’équipements, de logiciel de conception assistée par ordinateur), les sociétés américains telles que Intel, Nvidia, Qualcomm ou même Apple (qui conçoit des puces pour ses propres besoins) réalisent, sur le sol américain, entre 50 % et 70 % de l’activité mondiale. En aval, ces mêmes sociétés effectuent 47 % des ventes mondiales de semi-conducteurs (entre les deux, une part importante de la production est sous-traitée à des fonderies, en premier lieu le géant Taiwanais TSMC). 

Cette position constitue un puissant levier géoéconomique, bien identifié par les administrations Trump puis Biden. Huawei a ainsi été inscrit sur l’Entity list du Département du commerce dès 2019, ce qui oblige les entreprises américaines à demander une licence d’exportation pour vendre des biens à l’entreprise. Ces mesures ont été renforcées en mai puis en août 2020 et concernent désormais les entreprises étrangères si plus de 25 % de la valeur du bien est américaine (règle de minimi), ou si le bien a été produit en employant certains produits ou logiciels américains contrôlés (foreign product direct rule)

Quelques semaines après ce discours de Jake Sullivan, le 7 octobre 2022, le Bureau de l’industrie et de la sécurité du département du commerce a très considérablement élargi ses mesures restrictives appliquées envers l’industrie chinoise des semi-conducteurs. De nouveaux biens utiles à la fabrication de supercalculateurs ont été inscrits sur la liste des produits contrôlés, la foreign product direct rules a été élargie à de nouveaux biens et les ressortissants américains se voient imposer l’obtention d’une licence pour  contribuer au développement de semi-conducteurs qui pourraient être utilisés pour les programmes militaires chinois. Ces mesures visent principalement à empêcher l’importation comme le développement autochtone de puces avancées, notamment utiles pour les applications d’intelligence artificielle.

En début d’année, nous avons infligé à la Russie, avec nos alliés et nos partenaires, les restrictions technologiques les plus sévères jamais imposées à une économie majeure. Ces mesures ont provoqué des dégâts élevés, forçant même la Russie à utiliser des puces provenant de machine à laver dans ses équipements militaires.

Cela a démontré que les contrôles des exportations ne constituent pas qu’un outil préventif. S’ils sont mis en œuvre d’une façon robuste, durable et exhaustive, ils peuvent devenir un nouvel actif stratégique dans la boîte à outils des États-Unis et des ses alliés pour imposer des coûts à nos adversaires et pour dégrader au cours du temps leurs capacités militaires.

L’administration a également pris une série de décisions visant à moderniser notre système de contrôle des investissements. Hier, le président Biden a ainsi publié un décret établissant les premières lignes directrices présidentielles de l’histoire du Comité sur les investissements étrangers aux États-Unis (CFIUS).

Le décret nous redonne une longueur d’avance. Il renforce la capacité du CFIUS à lutter contre des risques en évolution en demandant au Comité de prendre en considération, en relation avec la liste des pays préoccupants, un nouvel ensemble de facteurs de risque spécifiques, tels que le fait de savoir si une transaction peut affecter le leadership technologique américain dans des technologies pertinentes en matière de sécurité nationale, ou si elle présente des risques pour les données des ressortissants américains. 

Nous allons continuer d’examiner si des étapes additionnelles doivent être franchies pour que le CFIUS soit le mieux à même de protéger les investisseurs américains vis-à-vis d’investissements prédateurs étrangers. 

À l’avenir, nous allons avancer dans la formulation d’une approche visant à gérer les investissements sortants dans des technologies sensibles, en particulier les investissements qui ne sont pas soumis aux contrôles des exportations et qui seraient susceptibles d’accroître les capacités technologiques de nos concurrents dans les domaines les plus sensibles.

Le contrôle des investissements entrant constitue un outil relativement classique en matière de sécurité économique. Aux États-Unis, le CFIUS analyse depuis 1975 les achats d’entreprises par des investisseurs étrangers du point de vue de la sécurité nationale. En France, il existe depuis la loi du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l’étranger et a été rénové en 2014. Au niveau de l’Union européenne, une procédure d’alerte et d’échange d’information a été créée par le règlement sur le filtrage des investissements étrangers de 2019. 

Mais à Washington, on envisage aujourd’hui de créer des contrôles sur les IDE sortants, c’est-à-dire sur les décisions d’investissement à l’étranger des entreprises américaines. On passe d’une logique défensive à une volonté plus explicite de ralentir le progrès économique et technologique de certaines puissances étrangères jugées menaçantes. Le CHIPS and Science Act introduit déjà un tel mécanisme pour les entreprises qui choisissent de bénéficier des subventions prévues par cette loi. Et des réflexions ont lieu, au sein de l’administration, au Congrès comme dans les cercles de réflexion, en vue d’étendre le champ des contrôles des investissements sortants et de l’institutionnaliser. 

Nous avons également travaillé étroitement avec le Congrès pour nous assurer que le CHIPS Act contient des garde-fous robustes qui empêchent les entreprises recevant des subventions publiques de changer leurs plans et de réaliser des investissements en Chine qui puissent menacer notre sécurité nationale. 

Dans tous les cas, nous souhaitons donner l’opportunité aux industriels de fournir des contributions au moment le plus opportun, en agissant d’une manière claire pour les parties prenantes tout en répondant à nos préoccupations de sécurité nationale. 

La protection de nos innovations technologiques du vol et des abus requiert également de solides protections cyber. Au travers du décret présidentiel sur l’amélioration de la cybersécurité de la nation, et des directives subséquentes, nous avons pris de nombreuses décisions nécessaires pour défendre notre pays face à l’une des menaces les plus pressantes pour notre sécurité économique et nationale. 

Finalement, nous avons mis en œuvre des mesures pour assurer la protection de la propriété intellectuelle qui sous-tend nos technologies les plus innovantes. Le bureau des brevets et des marques a mis en œuvre un nouveau programme pilote visant à accélérer le dépôt de brevets pour les technologies qui réduisent les émissions polluantes afin que ces produits puissent être déployés rapidement, sans risque pour leur propriété intellectuelle. 

Le quatrième et dernier pilier, c’est l’approfondissement de notre coopération avec nos alliés et partenaires, vraie marque de fabrique de l’administration Biden.

De la transformation du G7 en un comité de pilotage du monde libre sur des sujets tels que les sanctions et la sécurité énergétique au lancement d’un partenariat de sécurité innovant et de grande envergure sur des technologies avancées dénommé AUKUS, nous sommes en train d’approfondir notre réseau unique d’alliances et de partenariats et de provoquer un alignement stratégique de l’Atlantique au Pacifique. 

Nous avons créé le Conseil du Commerce et des technologies US-UE pour contribuer à la définition des règles du jeu sur les technologies émergentes, y compris au sein des organisations de normalisation. 

Nous avons établi au sein du Quad de nouvelles initiatives sur l’énergie verte et sur les technologies émergentes et critiques. 

Au G7, nous avons lancé de nouveaux projets sur le cyber et le quantique, et nous sommes prêts à déployer, au travers du partenariat pour les investissements et les infrastructures globales, des dizaines de milliards de dollars pour le développement d’infrastructures technologiques.

La semaine dernière nous avons accueilli la première rencontre ministérielle physique du partenariat économique indo-pacifique, qui comprend des efforts dédiés aux énergies vertes et à la coopération numérique. 

Nous avons démarré de nouvelles initiatives bilatérales de haut niveau en matière de coopération technologique avec Israël, l’Inde, la Corée du Sud et le Japon. 

Nous avons annoncé des initiatives technologiques lors du Sommet pour la démocratie, incluant des efforts pour aligner les contrôles des exportations avec nos objectifs en matière de droits de l’homme, et pour promouvoir des technologies  qui renforcent la démocratie et protègent la vie privée. 

L’administration Biden a fait de la rupture avec l’approche « America First » de l’administration précédente le pilier de sa politique étrangère. Il s’agit d’abandonner le marchandage et la logique de jeux à somme nulle en faveur de la recherche de synergies. Le Conseil du commerce et des technologies cherche ainsi à renforcer la coopération transatlantique et à résoudre les points de désaccords. Ceci a notamment permis d’avancer sur le sujet des transferts transatlantiques de données, avec un accord politique intervenu en mars 2022, qui a commencé à se traduire en des mesures concrètes avec le décret présidentiel du 7 octobre 2022 qui vient encadrer les activités des services de renseignement américains

La place accordée aux questions technologiques dans les cénacles diplomatiques vient répondre à son repositionnement au cœur des questions de sécurité nationale. Pour les États-Unis, il s’agit d’utiliser leur avantage comparatif en terme de proximité politique avec des grands pôles d’innovation et d’industrie de pointe (Union européenne, Japon, Corée du Sud, etc.) pour maximiser leur influence sur l’évolution future du paysage technologique (coordination sur la normalisation, sur les contrôles des exportations et coopérations scientifiques) et contrer la Chine dans ce domaine.  

Mais la coopération n’exclut pas qu’une attention prééminente soit apportée aux intérêts américains. L’épisode AUKUS, ici présenté comme un succès, contrôle des exportations qui s’imposent aux partenaires via les règles sur les réexportations (Foreign Direct Product Rule) ou Open-RAN. 

Sur la 5G, nous travaillons avec nos alliés et partenaires dans des forums tels que le Quad et le Conseil du Commerce et des Technologies pour développer des infrastructures de télécommunication de confiance, pour inclure des solutions Open-RAN qui soient sûres, efficaces et qui promeuvent les avantages technologiques des États-Unis et de ses alliés. 

Open-RAN est un projet de norme qui vise à transformer l’architecture des équipements télécoms. Aujourd’hui, les fonctions logicielles et matérielles sont intégrées sur un même équipement, développé sous la responsabilité d’une seule entreprise, l’équipementier télécom (Huawei, ZTE, Nokia, Ericsson). Open-RAN vise à utiliser les technologies de virtualisation pour permettre de désagréger les divers composants d’une antenne 5G. Il serait alors possible pour un acteur du logiciel de proposer une brique particulière sans avoir à maîtriser l’ensemble des compétences et savoir-faire nécessaires à la production d’équipements télécoms. Cela constitue une forte opportunité pour les États-Unis, qui ne comptent plus d’équipementiers mais qui disposent d’une industrie du logiciel très dynamique, de reprendre pied sur ce marché stratégique. 

Nous avons renforcé les efforts menés avec nos alliés et partenaires pour partager des informations sur les menaces cyber et pour que les acteurs malveillants soient tenus responsables de leurs actes.

Nous cherchons à mettre en cohérence tous les efforts réalisés avec les pays affinitaires dans le cadre d’une grande stratégie, basée sur l’idée que nous sommes plus forts quand nous mobilisons les capacités des nos amis et alliés en vue d’un objectif commun.

Près de 2 ans après l’entrée en fonction de notre administration, nous avons réussi à renforcer les fondations sur lesquelles reposent le pouvoir et l’influence américaine. 

L’année dernière, je signalais l’énormité de la tâche à laquelle nous étions confrontés, c’est-à-dire de redéfinir le terrain sur lequel allait devoir se dérouler la compétition technologique. 

Car nous sommes confrontés à un concurrent qui est prêt à consacrer des ressources presque infinies en vue de renverser le leadership technologique des États-Unis.

Mais les 20 derniers mois — et plus particulièrement les dernières semaines — ont démontré que nous agissons et dirigeons de manière puissante et efficace. 

Nous avons effectué des investissements sans précédent, qui nous mettent en situation de dominer les industries du futur. Nous redoublons d’efforts afin d’attirer les meilleurs talents techniques. Nous avons adapté nos outils de protection de notre patrimoine technologique aux nouvelles réalités géopolitiques. 

Et, plus important encore, nous avons fait tout cela d’une manière qui soit inclusive, cohérente avec nos valeurs et qui démultiplie nos forces.

Parmi les efforts enclenchés, nombreux sont ceux qui ont reçu un soutien bipartisan à l’intérieur et qui, à l’extérieur, ont été conduits en lien étroit avec nos alliés et partenaires. 

Le travail qui nous attend reste important. Mais en faisant le point sur là où nous en sommes aujourd’hui, il apparaît clairement que l’Amérique se mobilise pour être à la hauteur du moment. Merci beaucoup.

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