Politique

Post-libéralisme : le monde de Viktor Orbán

Viktor Orbán dit toujours clairement les choses. Samedi 23 juillet, le Premier ministre hongrois, dans l’un de ses discours les plus construits, a présenté rien de moins que sa vision globale — d’une possible renaissance de la Grande Hongrie jusqu’à la position de l’Europe face à la Chine. À un an des élections européennes, il semble plus déterminé que jamais. Il faut le lire pour comprendre sa stratégie. Nous le traduisons, l’introduisons et le commentons longuement.

Auteur
Baptiste Roger-Lacan
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© Benko Vivien Cher

Le 23 juillet 2023, Viktor Orbán a prononcé un long discours devant des milliers de soutiens. Pourtant, ce n’était pas un meeting comme les autres : le Premier ministre hongrois s’exprimait en territoire roumain. En effet, il était l’invité de marque de l’université d’été de Bálványos, organisée chaque année en Transylvanie depuis 1990. C’est là qu’en 2014, il avait repris le concept de « démocratie illibérale » au politologue américain Fareed Zakaria, affirmant notamment que « ce n'[était] pas parce qu’un État n'[était] pas libéral qu’il ne [pouvait] pas être une démocratie ». L’an dernier, il y avait fustigé le « mélange des races », provoquant une réprobation unanime en Europe.

Cette université d’été est une tribune qui permet à Viktor Orbán de s’adresser non seulement aux Hongrois, mais aussi au reste du continent européen. Dans un contexte relativement informel — il s’exprimait sans cravate —, il peut éprouver les limites de sa radicalité et voir si ces nouveaux mots d’ordre trouvent une résonance.

Un an et demi après l’agression de Vladimir Poutine contre l’Ukraine, Viktor Orbán est toujours très isolé au sein de l’Union européenne, où il est le seul dirigeant à avoir exprimé une forme d’indulgence pour le Président russe. Mais la Russie n’occupe qu’une infime portion de ce discours qui peut se lire à trois échelles : régionale, continentale et globale.

À l’échelle régionale, Viktor Orbán ne cesse de filer l’imaginaire culturel de la Grande Hongrie. Ces références lui permettent d’envoyer quelques signaux au gouvernement roumain alors que s’annoncent des négociations cruciales. Faut-il comprendre que le leader du Fidesz s’apprête à complètement embrasser l’irrédentisme hongrois ?  Il est trop tôt pour le dire, mais il est certain que ces références ont aussi pour fonction de donner du corps à la politique historique de Viktor Orbán. Celui-ci entend inscrire son action politique dans le temps long. Il est tourné vers l’avenir, bien sûr, détaillant ses objectifs et ses réussites économiques. Mais il regarde aussi vers le passé puisqu’il entend résorber deux fractures historiques : l’ère communiste, évoquée par allusion, comme un épouvantail ultime et la pensée des Lumières, dont il entend combattre les effets sociaux, politiques et spirituels.

Dans ce cadre, il ne peut que s’opposer à la politique actuelle de l’Union européenne. Comme dans d’autres discours, il présente Bruxelles comme l’incarnation d’une forme de totalitarisme cosmopolite qui chercherait à briser les nations et les cultures européennes, à commencer par la plus essentielle d’entre elles, le christianisme. À l’échelle continentale, Viktor Orbán prend donc clairement rendez-vous pour les élections européennes de 2024. La dynamique actuelle des droites européennes, seulement ralentie en Espagne, lui fait sans doute espérer de retrouver un rôle plus central dans le jeu politique continental. Dans ce contexte, il revendique notamment l’héritage du Royaume-Uni : pour lui, le Brexit est une catastrophe parce qu’il aurait privé l’Union européenne d’une puissance souverainiste absolument essentielle pour empêcher la France et l’Allemagne d’avancer leur agenda fédéraliste. Tout au long de son discours, il va s’employer à démontrer pourquoi le fédéralisme a été un échec, à commencer par sa première réalisation — l’euro — qui n’aurait jamais permis aux Européens de devenir les égaux des États-Unis.

À l’échelle globale, en effet, Viktor Orbán propose une forme de non-alignement qui ne dit pas son nom. D’abord, il pointe du doigt les fautes répétées des États-Unis qui auraient ressuscité la Chine pour mieux combattre l’URSS dans les années 1970 avant de se rendre compte qu’ils avaient créé un rival formidable. Ensuite, par petites touches, il souligne que les États-Unis seraient un piètre allié pour les Européens. Enfin, il reprend à son compte le piège de Thucydide pour suggérer, d’une part, que les chances d’un conflit mondial sont élevées et, d’autre part, que les États-Unis auraient peu de chances de le remporter. Dans ce contexte, les Européens devraient essayer d’éviter une guerre qui les emporterait à coup sûr. Pour cela, ils devraient être capables d’échanger avec tout le monde, à commencer par les Chinois et, implicitement, les Russes. Cela implique bien sûr de s’éloigner des États-Unis ; cela induit aussi de retrouver ce qui constituerait le cœur millénaire de la civilisation européenne : le christianisme. Dans le discours de Viktor Orbán, celui-ci a une triple fonction : identitaire, puisqu’il serait le dénominateur commun à tous les Européens ; spirituel, car il permettrait d’animer l’idéal anti-individualiste et communautaire qui permettrait de renforcer l’Europe affaiblie par deux siècles de libéralisme ; social, car il permettrait d’encadrer la population.

À certains égards, ce discours constitue une évolution ou, du moins, un approfondissement de la ligne de Viktor Orbán depuis qu’il est revenu au pouvoir en 2010. Il est clair aujourd’hui que ce dernier embrasse le post-libéralisme — ce courant conservateur américain qui est notamment promu par Patrick Deneen (Notre Dame), Chad Pecknold (The Catholic University of America), ou Adrian Vermeule (Harvard) dans leurs ouvrages et sur leur newsletter The Post-Liberal Order. À leurs côtés, Gladden Pappin, qui fut employé par l’Université de Dallas, a récemment sauté le pas : après avoir été un visiting fellow du Mathias Corvinus Collegium, une université généralement présentée comme le cœur intellectuel du Fidesz, il est devenu en 2023 le Président du Hungarian Institute for Foreign Affairs and Trade, un think tank récemment rattaché aux bureaux du Premier ministre. Il est censé y développer la pensée politique et géopolitique de Viktor Orbán. Les deux hommes ont beaucoup en commun : ce sont des conservateurs étatistes, notamment dans le domaine de la politique familiale. Gladden Pappin a plusieurs fois loué le « modèle hongrois » en la matière, regrettant que les républicains américains se soient uniquement concentrés sur l’interdiction de l’avortement sans proposer des incitations financières à faire des enfants. En matière géopolitique, les post-libéraux ne croient pas que l’Empire libéral américain ait un futur. Face à une réalité multipolaire, ils affirment rechercher de nouvelles ententes. Dix-huit mois après l’invasion de la Russie, il semblerait que Viktor Orbán ait embrassé cette vision du monde. Reste à savoir si elle peut avoir un écho autant d’écho en Europe que dans une certaine frange du conservatisme américain ? 

Bonjour Mesdames et Messieurs, Cher camp d’été. 

Nous sommes arrivés ici après avoir traversé les troupes roumaines. Mais nous préférons les voir comme un comité d’accueil, et pour de bonnes raisons : dans notre lutte européenne pour la chrétienté, nous, chrétiens latins affaiblis, aurons besoin de l’orthodoxie roumaine. Nous souhaitons donc la bienvenue aux Roumains intéressés qui se trouvent dans l’assistance.

Le camp et l’université d’été de Bálványo sont organisés chaque année depuis 1990. Créé dans le sillage de la chute des régimes communistes, il avait d’abord été pensé comme un camp d’été, entendu comme une plateforme informelle pour que des dirigeants politiques roumain et hongrois puissent se rencontrer et échanger en Transylvanie, dans la ville thermale de Bálványos (jusqu’en 1997) puis à Băile Tușnad, où Viktor Orbán s’est exprimé samedi dernier. Au début des années 2000, une université d’été s’ajouta aux rencontres existantes, ouvrant l’événement à de nombreux étudiants. L’arrivée au pouvoir de Viktor Orbán en 2010 transforme encore l’événement. Celui-ci commence à l’utiliser pour promouvoir sa politique et la ligne politique de son parti, le Fidesz. Le choix de cette tribune n’a rien d’anodin. Depuis la signature du Traité de Trianon entre la Hongrie et les alliés en juin 1920, la Transylvanie roumaine est l’une des principales revendications de l’irrédentisme hongrois, dont l’amiral Horthy, régent de Hongrie entre 1920 et 1944, fut l’un des plus virulents portes-paroles, défendant la renaissance de la Grande Hongrie — qui aurait intégré tous les territoires d’Europe centrale où il y avait des magyarophones.

Étouffées pendant la période communiste, ces revendications ont ressurgi depuis quelques décennies. Entre 2003 et 2014, le Jobbik, qui se situait alors à l’extrême droite du champ politique hongrois, en fut le principal interprète. Viktor Orbán, quant à lui, choisit de ne pas faire de revendications territoriales tout en affichant constamment son soutien et sa défense des droits des Magyars d’outre-frontières — ce qu’il fait implicitement dans la première partie de son discours. Il y revient beaucoup plus explicitement à la fin.

Ceci dit, il ne s’agit pas de s’opposer frontalement au gouvernement roumain : tout en multipliant les provocations dans la première partie de son discours, Orbán rappelle aussi que toutes les églises chrétiennes doivent s’unir pour défendre la civilisation européenne menacée par l’arrivée de vagues migratoires. 

Chaque année, nous nous demandons ce dont nous devrions parler. Nous savons bien sûr ce par quoi nous allons terminer, la question étant de savoir comment nous y parviendrons. Cette année, j’ai reçu des éléments utiles à cet égard, car le ministère roumain des Affaires étrangères — qui, si j’ai bien compris, dépend plutôt du pouvoir présidentiel — m’a apporté son aide et m’a envoyé un memorandum. Il m’a indiqué ce dont je ne devais pas parler, ce dont je pouvais parler — et comment — et les sujets que je devais éviter. Il s’agit d’un document officiel. Je vais vous faire part de son contenu. Il nous est conseillé de ne pas parler de ce qui pourrait heurter la sensibilité des Roumains. Voici donc la liste. Les symboles nationaux. Très bien, je pense que nous sommes d’accord sur ce point. Je n’en parlerai pas, mais je salue nos amis qui sont venus avec des drapeaux hongrois et szekler. 

Les Szeklers — aussi connu comme les Sicules — sont un sous-groupe magyar. L’essentiel de population vit en Roumanie, essentiellement en Transylvanie. Ils constituent la moitié de la communauté hongroise présente sur le territoire roumain, au sein de laquelle ils revendiquent une identité propre, qui s’incarne notamment dans un drapeau spécifique. Ce groupe exprime notamment de fortes revendications régionalistes en Roumanie. 

Nous ne devrions pas parler des droits collectifs des minorités. Je n’en parlerai pas non plus, mais je me contenterai d’affirmer qu’ils existent et qu’ils sont dus aux Hongrois qui vivent ici. On dit qu’il ne faut pas parler des régions administratives inexistantes en Roumanie. J’ai bien réfléchi à ce qu’ils entendaient par là. Je pense qu’ils veulent parler de la Transylvanie/Erdély et du Szeklerland, mais nous n’avons jamais prétendu qu’il s’agissait de régions administratives roumaines. Ils précisent ensuite les sujets dont nous pouvons parler, mais seulement si nous ne les présentons pas sous un mauvais jour. Par exemple, les valeurs occidentales. Si l’on est impliqué dans la politique européenne, comme je le suis, les « valeurs occidentales » signifient aujourd’hui trois choses : l’immigration, les LGBTQ et la guerre. Mes chers amis roumains, ces valeurs n’ont pas besoin d’être présentées sous un mauvais jour, car elles se présentent d’elles-mêmes sous un mauvais jour. Enfin, il y a une dernière perle qui fait référence à ce qui doit être laissé de côté : « les connotations xénophobes liées à une approche révisionniste de la migration ». Cela s’apparente à un voyage dans le temps communiste. Cela me rappelle les blagues de Hofi, qui consistaient à savoir qui était capable de dire, dans un seul souffle, « impérialiste, révisionniste, bourgeois, clérical, chauvin, fasciste ». On en frémirait presque. Nous éviterons donc ces sujets.

Géza Hofi (1936-2002) est un comédien hongrois, actif des années 1960 au début des années 2000. Il est notamment connu pour ses talents de parodiste et d’imitateur. Pendant la période communiste, Hofi fut étroitement surveillé, en grande partie à cause de ses critiques du système politique, et parfois emprisonné. Il faisait régulièrement allusion à la dictature dans ses spectacles, s’adressant en plaisantant aux membres du parti, aux agents secrets et aux mouchards du gouvernement qui se trouvaient dans le public. En outre, il était également surveillé par la Sécurité d’État (StB). Bien qu’il ait critiqué le gouvernement, et que János Kádár, alors chef de l’État/gouvernement, ait souvent fait l’objet de ses parodies — Hofi était connu pour son imitation parfaite de ses discours — il fut parfois distingué. Dans les années qui ont suivi la terrible répression de l’insurrection de 1956, il semble que Hofi ait constitué une forme de respiration politique soigneusement encadrée par le régime. En faire mention n’est évidemment pas neutre pour Orbán : d’un côté, il joue d’une référence populaire ; de l’autre, il rappelle son anticommunisme viscéral et il continue de faire un lien quasi-généalogique entre le totalitarisme communiste et le cosmopolitisme de l’Union européenne.

Viktor Orban lors de son meeting à l’université d’été de Bálványos le 23 juillet 2023. © Benko Vivien Cher

En retour, après une telle démarche, qu’allons-nous offrir à nos amis roumains ? Tout d’abord, si le président roumain vient en Hongrie et prononce un discours, ce à quoi nous l’invitons, nous ne lui dicterons pas les sujets qu’il pourra aborder, ni la manière dont il pourrait le faire. Nous recommandons également à nos frères et sœurs roumains de prendre note du fait que la Hongrie soutient pleinement la principale ambition nationale de la Roumanie à l’heure actuelle : l’adhésion à l’espace Schengen. Nous aimerions attirer leur attention sur le fait qu’à partir du 1er juillet 2024, la Hongrie assurera la présidence de l’Union européenne et que l’objectif principal de notre programme est l’adhésion de la Roumanie à l’espace Schengen. En attendant, tout ce que nous pouvons dire, c’est que la Roumanie a un nouveau premier ministre. Que Dieu le bénisse ! Un nouveau premier ministre, une nouvelle chance, et peut-être qu’il en sortira quelque chose de bon pour nous deux. Depuis que je suis premier ministre, il est mon vingtième homologue roumain, et nous espérons donc que cette vingtième occasion sera couronnée de succès. Maintenant, après le memorandum, voyons de quoi nous devrions parler. 

Il faut d’abord souligner que Viktor Orbán fait une exagération colossale : entre 1989 et 2023, la Roumanie a connu dix-neuf Premiers ministres. Ce faisant, il rappelle sa longévité. En plus de son premier passage à la tête du gouvernement, entre 1998 et 2002, il a réussi à se maintenir au pouvoir depuis 2010, obtenant sa réélection à trois reprises en 2014, 2018 et 2022. Au cours des dernières élections, il a obtenu une victoire écrasante sur ses adversaires, une coalition de six partis, allant du Jobbik, parti de droite radicale, aux Verts et aux socialistes. L’ampleur de cette victoire était inattendue, soulignant la popularité persistante du Premier ministre dans certains territoires — souvent les plus éloignés des centre-villes — et surtout sa capacité à transformer la carte électorale pour mieux favoriser ses candidats. Quoi qu’il en soit, devant ce public acquis, Viktor Orbán se présente à plusieurs reprises comme un dirigeant d’expérience, ce qui donne d’autant plus d’écho à la réflexion sur les trois temporalités de l’action politique qu’il élabore dans les paragraphes suivants.

Ce passage est également caractéristique de la tactique du Premier ministre hongrois à l’échelle européenne. Dans la mesure où il est a priori hostile à toute initiative — ce qu’il qualifiera plus loin dans le texte d’approche « souverainiste » —, il peut facilement entrer dans une logique de troc : en échange de la levée de son blocage sur une question donnée, il demande un autre avantage. En affirmant qu’il soutient l’entrée de la Roumanie dans Schengen, il cherche manifestement à désarmer les critiques roumaines après ce discours très offensif. En réalité, il est difficile de voir ce qu’il pourrait faire sur ce dossier spécifique : c’est l’Autriche qui bloque l’entrée de la Roumanie dans l’espace Schengen. C’est une question d’autant plus compliquée que l’entrée de la Roumanie est liée à celle de la Bulgarie. 

On peut néanmoins proposer une autre analyse de ce que dit Orbán : indiquer qu’il soutient l’entrée de la Roumanie, c’est aussi suggérer qu’il pourrait changer d’avis. Alors qu’en janvier 2023, 442 députés européens ont exprimé leur inquiétude quant à la possibilité d’une présidence hongroise de l’Union quelques semaines après les élections européennes, Orbán, dont la position en Europe est fragilisée depuis 2022, montre qu’il reste un interlocuteur avec lequel il faut compter. 

Chers amis, nous vivons une période particulièrement dangereuse dans l’histoire de l’humanité. Nous vivons des années de grands changements. Ces changements touchent tous les coins du globe et tous les pays. Si nous voulons dire quelque chose de valable sur la Hongrie et sur les Hongrois du bassin des Carpates, nous devons d’abord parler du monde. L’essence de mon message est que l’équilibre des pouvoirs dans le monde a changé et que nous en subissons aujourd’hui les graves conséquences. Si nous regardons en arrière, nous constatons que pendant les quatre-vingts années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, il y a eu un équilibre des pouvoirs dans le monde. Pour nous, Hongrois, cette période s’est déroulée en deux temps. Il y a eu les quarante-cinq premières années, lorsque les Anglo-Saxons nous ont livrés aux communistes soviétiques — et, soit dit en passant, ils n’étaient pas aussi dégoûtés par les Russes à l’époque qu’ils le sont aujourd’hui. Puis il y a eu la deuxième période, de trente-trois ans, au cours de laquelle nous avons pu vivre en liberté, sans occupation militaire, sans Union soviétique et sans communistes. Bien qu’il s’agisse d’un changement considérable en quatre-vingts ans, l’équilibre du monde n’a pas été bouleversé, car nous avons réussi à sortir l’Union soviétique de l’histoire sans qu’il y ait de guerre. Mais aujourd’hui, la Chine a modifié l’équilibre du monde. C’est l’une des vieilles craintes du monde occidental. Même Napoléon avait dit : « Laissons la Chine dormir. Car quand elle se réveillera, le monde tremblera ». La manière dont cette situation s’est produite est instructive. 

Cette citation de Napoléon est parfaitement apocryphe. Il semblerait qu’elle soit apparue pour la première fois dans le film Les 55 jours de Pékin, réalisé par Nicholas Ray en 1963. Dans ce drame historique, situé pendant la révolte des Boxers en 1900, c’est l’ambassadeur de Grande-Bretagne, incarné par David Niven, qui cite Napoléon — en réalité, les historiens Peter Hicks et Jean Tulard considèrent que la phrase est du scénariste du film. En France, elle a notamment été rendue célèbre par Alain Peyrefitte qui publie Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera, en 1973, un essai vendu à plus de 800 000 exemplaires. Avec les années, cette citation incorrecte est devenue une sorte de truisme sur la Chine.

Je ferai une brève digression, une digression méthodologique. D’après mon expérience, lorsqu’on prend une décision politique, il faut visualiser simultanément trois temporalités. La question à trancher doit d’abord être classée dans l’une de ces temporalités, et ce n’est qu’après l’avoir classée que l’on doit prendre une décision concrète. La politique s’inscrit donc dans trois temps : le temps tactique, le temps stratégique et le temps historique. Si vous vous trompez dans la classification, votre décision aura des conséquences inattendues. Permettez-moi de vous donner deux exemples. Lorsque la chancelière Merkel a été confrontée à l’invasion migratoire en 2015, elle a classé le problème dans le temps tactique et a dit « Wir schaffen das », ou « Nous pouvons gérer cela ». Aujourd’hui, il est clair qu’en réalité, le problème relevait du temps stratégique, car les conséquences de sa décision allaient transformer toute la culture allemande. Venons-en maintenant à la Chine. Le deuxième exemple est celui des États-Unis au début des années 1970. À l’époque, les États-Unis ont décidé de sortir la Chine de son isolement, manifestement pour pouvoir traiter plus facilement avec les Russes ; ils ont donc inscrit cette question dans le calendrier stratégique. Mais il s’est avéré que cette question, la libération de la Chine, appartient en fait à la période historique, parce qu’à la suite de cette libération, les États-Unis — et nous tous — sommes maintenant confrontés à une force plus grande que celle que nous voulions vaincre. 

Le choix de ces exemples n’a rien d’anodin. En visant l’Allemagne et les États-Unis, Viktor Orbán s’attaque aux deux premières puissances économiques de l’alliance atlantique. Un peu plus loin dans le texte, il tourne également en dérision le sens que les Français auraient de leur propre « gloire ». En creux, il faut sans doute y voir un aspect saillant de la pensée géopolitique rénovée de Viktor Orbán. C’est parce que la Hongrie est un petit pays, qui ne peut peser directement sur les affaires du monde qu’elle a développé un mélange de perspicacité et d’habileté qui lui permet de voir ce que ses partenaires ne voient pas.

Mauvaise classification, conséquences inattendues. Mais ce qui est arrivé est arrivé, et le fait est qu’il n’y a jamais eu de changement aussi rapide et tectonique dans l’équilibre mondial des pouvoirs que celui que nous vivons aujourd’hui. N’oubliez pas — ou notez bien — que la montée en puissance de la Chine est différente de celle des États-Unis : les États-Unis ont émergé, la Chine a été et est. En d’autres termes, nous parlons vraiment d’un retour : nous parlons du retour d’une civilisation vieille de 5 000 ans et comptant 1,4 milliard d’habitants. C’est un problème qu’il faut résoudre, car il ne se résoudra pas tout seul. La Chine est devenue une puissance productive. En fait, elle a déjà dépassé les États-Unis — ou est en train de les dépasser en ce moment même : construction automobile, ordinateurs, semi-conducteurs, produits pharmaceutiques, systèmes d’information ; dans le monde d’aujourd’hui, elle est la plus forte dans tous ces domaines. Ce qui s’est passé, c’est que la Chine a parcouru, en trente ans seulement, le voyage d’environ trois cents ans qui nous a menés de la révolution industrielle occidentale à la révolution mondiale de l’information. Elle a ainsi sorti des centaines de millions de personnes de la pauvreté et, aujourd’hui, la prospérité et les connaissances combinées de l’humanité sont supérieures à ce qu’elles étaient. Mais si tel est le cas, quel est le danger ? La raison pour laquelle la situation est dangereuse, chers amis, c’est que la médaille d’or a déjà un propriétaire : après leur guerre civile, les États-Unis sont devenus, à partir des années 1870, le pays prééminent, et leur droit inaliénable à la suprématie économique mondiale fait partie de leur identité nationale et constitue une sorte d’article de foi. Et chaque fois que cette position a été remise en cause, les États-Unis ont toujours réussi à repousser le défi. Ils ont repoussé l’Union soviétique. Et, rappelons-le, ils ont également repoussé l’Union européenne. Il y a quelques décennies, le projet de l’Union européenne était de promouvoir l’euro comme monnaie mondiale aux côtés du dollar. On peut voir où en est l’euro aujourd’hui. Et nous avions aussi un projet, que nous exprimions par la nécessité de créer une grande zone de libre-échange s’étendant de Lisbonne à Vladivostok. Qu’en est-il aujourd’hui ? Aujourd’hui, la zone de libre-échange s’étend de Lisbonne à la périphérie de Donetsk au maximum. En 2010, les États-Unis et l’Union européenne représentaient 22 et 23 % de la production mondiale totale ; aujourd’hui, les États-Unis représentent 25 % et l’Union européenne 17 %. En d’autres termes, les États-Unis ont réussi à repousser les tentatives de l’Union européenne de se rapprocher d’eux, voire de les devancer.

L’échec de l’euro est un autre échec pour les fédéralistes européens, qu’il attaque violemment dans la suite de son discours. En creux, il s’agit aussi de rappeler aux Européens que les États-Unis sont un allié toxique, plus occupé à brider ses partenaires qu’à les soutenir.

Cher camp d’été, en politique internationale, il existe une corrélation simple : plus votre PIB est élevé, plus vous avez d’influence sur les affaires internationales. En d’autres termes, nous assistons aujourd’hui à un déclin constant de la domination américaine sur la scène mondiale. Et aucune puissance mondiale prééminente n’acceptera ce genre de choses. Leur raisonnement est simple. Il peut se résumer comme suit : « Nous sommes au sommet du monde. Nous y sommes montés pour y rester à jamais. Bien sûr, il y a cette chose qui s’appelle l’histoire, qui est désagréable, mais le fait est que ce qui est toujours arrivé aux autres pays et aux autres peuples s’est terminé avec nous, et nous resterons ici au sommet du monde pour toujours. » C’est une pensée tentante, mais la vérité désagréable de notre monde contemporain est qu’en politique mondiale, il n’y a pas de gagnants éternels ni de perdants éternels. Une vérité encore plus désagréable est que les tendances actuelles favorisent l’Asie et la Chine — que ce soit en matière d’économie, de développement technologique ou de puissance militaire. Une vérité encore plus désagréable est que des changements se produisent également dans les institutions internationales. Nous connaissons tous la corrélation qui montre que celui qui crée des institutions internationales en tire un avantage. La Chine a donc tout simplement créé les siennes : nous voyons les BRICS et l’initiative « One Belt One Road »  ; nous voyons également la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, dont les ressources de développement sont plusieurs fois supérieures aux ressources de développement de tous les pays occidentaux.

En d’autres termes, l’Asie, ou la Chine, se dresse devant nous en tant que grande puissance. Elle a un credo civilisationnel : elle est le centre de l’univers, ce qui libère de l’énergie intérieure, de la fierté, de l’estime de soi et de l’ambition. Elle a un plan à long terme, qui s’exprime par « Mettre fin au siècle d’humiliation » ou, pour paraphraser les Américains, « Make China Great Again ». Elle a un programme à moyen terme : rétablir sa domination en Asie telle qu’elle existait avant l’arrivée de l’Occident. Et elle peut neutraliser la principale arme américaine — la principale arme de puissance américaine — que nous appelons « valeurs universelles ». Les Chinois s’en moquent, ils les qualifient de mythe occidental et notent que ce discours sur les valeurs universelles est en fait une philosophie hostile aux autres civilisations, non occidentales. Et, vu de là-bas, ce point de vue contient une part de vérité.

En d’autres termes, Mesdames et Messieurs, cher camp d’été, la situation que nous vivons aujourd’hui est une situation dans laquelle nous nous dirigeons chaque jour vers un conflit. La question — la question à un million de dollars — est de savoir si ce conflit peut être évité. Il existe de plus en plus d’études et de livres sur ce sujet, et je m’en inspire également. Un ouvrage remarquable indique qu’au cours des trois cents dernières années, il y a eu seize occasions où un nouveau « champion » s’est hissé aux côtés de la première puissance mondiale, ou l’a dépassée. La mauvaise nouvelle, c’est que sur les seize cas ainsi identifiés, douze se sont terminés par une guerre et quatre seulement ont été résolus pacifiquement. En d’autres termes, chers amis, nous nous trouvons aujourd’hui au moment le plus dangereux de la politique mondiale, lorsque la grande puissance dominante se voit sombrer en seconde position. L’expérience montre que la grande puissance dominante a tendance à se considérer comme plus bienveillante et mieux intentionnée qu’elle ne l’est en réalité, et qu’elle attribue à son adversaire des intentions malveillantes plus souvent que cela ne se justifie. Par conséquent, le point de départ pour chaque partie adverse ne sont pas les intentions de la contrepartie, mais ses capacités : non pas ce que la contrepartie veut faire, mais ce qu’elle est capable de faire. La guerre est donc déjà en gestation. C’est ce qu’on appelle le « piège de Thucydide », du nom de l’homme qui a écrit l’histoire de la guerre du Péloponnèse entre Sparte et Athènes, et qui a été le premier à identifier le problème.

Mesdames et Messieurs, l’implication pour nos vies est qu’un affrontement entre les deux grandes puissances — y compris militaire — est plus probable que ce que nous pouvons voir d’ici à Tusnádfürdő aujourd’hui. 

Tusnádfürdő est le nom hongrois de Băile Tușnad.

La bonne nouvelle — ou du moins une lueur d’espoir — est que la guerre n’est pas inévitable. L’éviter dépend de notre capacité à trouver un nouvel équilibre pour remplacer celui qui se déploie actuellement. La question est de savoir comment y parvenir. La vérité est qu’il s’agit d’une tâche pour les « grands ». Nous ne jouons pas cette partie de carte. Ne nous méprenons pas sur notre rôle. Tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il faut maintenant faire quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant : les grands doivent accepter qu’il y a deux soleils dans le ciel. Cette mentalité est radicalement différente de celle avec laquelle nous avons vécu au cours des derniers siècles. Quel que soit le rapport de force actuel, les parties en présence doivent se reconnaître comme égales. Vous pouvez voir qu’il y a une file de hauts fonctionnaires américains qui se rendent à Pékin, ce qui est un signe qu’aux États-Unis, ils voient le danger et les problèmes. Le Secrétaire d’État s’y est rendu, le secrétaire au Trésor aussi et, plus récemment, l’ancien conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger. Et si vous avez lu les nouvelles, vous aurez vu qu’il y a quelques jours, les Japonais ont annoncé qu’ils doublaient leurs dépenses militaires et qu’ils allaient mettre sur pied l’une des armées les plus puissantes du monde. 

Alors, à partir de cette analyse de la situation, que devons-nous faire ? Ce qu’il faut comprendre, chers amis, c’est que l’établissement du nouvel équilibre ne se fera pas du jour au lendemain, ni même d’un mois à l’autre. L’établissement de ce nouvel équilibre prendra toute une génération. Cela signifie que non seulement nous vivrons notre vie dans ce système global de relations, dans cette ère mondiale, dans ce zeitgeist, mais nos enfants aussi. Et nous, Hongrois, devons évoluer dans cette situation mondiale et ce zeitgeist, et nous devons élaborer nos projets nationaux hongrois en gardant cela à l’esprit. 

Faisons un pas de plus vers Tusnádfürdő et disons quelques mots sur l’Union européenne. Lorsque l’on observe l’Union européenne aujourd’hui, on peut avoir l’impression qu’elle est en proie à l’anxiété et qu’elle étouffe. Il y a de bonnes raisons à cela. L’Unino compte environ 400 millions d’habitants ; et si j’ajoute le reste du monde occidental, cela fait 400 millions de plus. Cela fait donc 800 millions de personnes, entourées par sept milliards d’autres. L’Union européenne a une vision juste d’elle-même : c’est une union riche, mais faible. C’est une union riche et faible qui voit autour d’elle un monde en révolte, un monde dans un tumulte confus dans lequel on trouve de vieux griefs, de nombreuses bouches affamées, un développement effréné, une consommation colossale et des millions de personnes sur le point de partir pour l’Europe. Il voit une vague de millions de personnes se rassembler au Sahel qui, si nous ne sommes pas capables de la contenir, pourrait se déverser sur la rive européenne de la Méditerranée. En début de semaine, un sommet Amérique latine-UE s’est tenu à Bruxelles, où j’ai vu et entendu tout cela de mes propres yeux et de mes propres oreilles. Dans le vocabulaire des dirigeants latino-américains, les termes les plus courants étaient les suivants : « génocide indigène », qui signifie, je pense, l’extermination des peuples indigènes ; l’esclavage et la traite des esclaves ; et « justice réparatrice », c’est-à-dire la réparation des injustices. C’est en ces termes qu’ils réfléchissent. Il n’est donc pas étonnant que l’Union européenne étouffe. 

Ici, Viktor Orbán fait référence à la question des réparations qui se pose depuis quelques décennies pour les descendants d’esclaves et pour les communautés amérindiennes. Le concept de réparations a émergé dans la philosophie du droit ; on le retrouve aussi dans la pratique de la justice transitionnelle. Les réparations peuvent prendre de nombreuses formes, notamment une assistance pratique aux descendants des personnes réduites en esclavage, des reconnaissances ou des excuses aux peuples ou aux nations affectés par l’esclavage, ou l’hommage rendu à la mémoire des personnes réduites en esclavage en donnant leur nom à des objets.

Dans les années 2010, malgré de nombreux appels à la réparation, les exemples de réparations internationales pour l’esclavage consistent en une reconnaissance des crimes qui ont pu être commis, sans compensations matérielles. Depuis le début des années 2010, aux États-Unis, la question des réparations est l’un des aspects les plus débattus des guerres culturelles, certaines figures républicaines accusant les démocrates de vouloir organiser d’importants transferts de richesses vers les communautés afro-américaines. Comme souvent, Viktor Orbán sait adapter au contexte européen des controverses venues d’Amérique afin de mieux se présenter comme le défenseur d’une Europe essentiellement menacée par le reste du monde, des migrations venues d’Afrique subsaharienne aux demandes mémorielles de certains États d’Amérique latine.

Et si nous examinons la liste du Fonds monétaire international classant les pays en fonction de la taille de leur économie, de leur PIB national, nous constatons qu’en 2030, la Grande-Bretagne, l’Italie et la France auront quitté les dix premiers rangs, où elles se trouvent encore aujourd’hui, et que l’Allemagne, aujourd’hui quatrième, aura glissé à la dixième place. Voici la réalité. Aujourd’hui, cette peur, ce sentiment d’enfermement, conduit notre Union européenne vers l’enfermement. Elle a peur de la concurrence, comme un champion de boxe vieillissant qui exhibe ses ceintures de champion, mais qui ne veut plus jamais monter sur le ring. D’où l’enfermement dans un ghetto économique, politique et culturel. Ils ont développé un langage pour cela, ce qui est un de leurs points forts : ils sont encore plus forts pour formuler et décrire brièvement des situations complexes. Ils appellent cet isolement le « découplage » ou, plus subtilement, le derisking, qui est une forme de réduction des risques. De ce point de vue, la politique à l’égard de la Russie est également un découplage : une tentative de découpler la Russie de l’économie européenne par le biais de sanctions en temps de guerre. Bien sûr, l’Europe peut être coupée de l’énergie russe, mais c’est en fait inefficace et illusoire, car la Russie ne peut pas être coupée du reste du monde. Les matières premières russes seront achetées par d’autres, tandis que nous souffrirons de l’inflation de guerre et perdrons notre compétitivité. Je vous citerai deux chiffres. Le montant des importations de gaz et de pétrole de l’Union européenne était de 300 milliards d’euros avant la guerre en Russie, et de 653 milliards d’euros l’année dernière. Ainsi, la façon dont l’économie européenne fonctionne aujourd’hui — la façon dont nous voulons être compétitifs aujourd’hui — est que l’énergie coûte deux fois plus cher qu’avant, alors que dans de nombreuses parties du monde, elle est encore disponible au prix de la période précédente. C’est le grand débat de l’Europe pour les années à venir. C’est à cela que nous, Hongrois, devons nous préparer : soit nous découpler, soit participer à la concurrence internationale. Comme on le dit à Bruxelles, « le découplage ou la connectivité ».

Je ferai ici une parenthèse informative. Les grandes entreprises européennes ne veulent pas se découpler. Elles ne veulent même pas quitter la Russie. J’ai consulté les statistiques correspondantes. Sur les 1 400 plus grandes entreprises occidentales, 8,5 % se sont retirées de Russie — 8,5 ! Dans l’industrie pharmaceutique, 84 % sont restées ; 79 % de l’industrie minière européenne est encore en Russie, tout comme 70 % des entreprises énergétiques et 77 % des entreprises manufacturières. 

Ce chiffre de 8,5 % se rapproche de celui proposé dans une étude disponible en prépublication, qui est parue en janvier : les auteurs y avançaient que moins de 9 % des entreprises occidentales s’étaient désengagées de Russie. Plus récemment, une étude publiée par la Yale School of Management a noté de A à F, 1585 multinationales — pas spécifiquement occidentales — pour savoir si elles s’étaient désengagées de Russie : seule une petite minorité (222) ne s’est absolument pas détournée de Russie alors que 1033 entreprises obtenaient la note de A ou de B.

Et vous ne le devinerez jamais : l’année dernière, les entreprises occidentales qui sont restées ont versé un total de 3,5 milliards de dollars au budget central russe. Vu sous cet angle, l’attaque que les Ukrainiens lancent contre notre pauvre petite banque hongroise OTP n’est rien d’autre qu’une manifestation de hungarophobie. Nous devons donc la rejeter. Je ne parlerai même pas des petites astuces européennes comme le doublement soudain — en une seule année — du volume des marchandises exportées d’Allemagne vers le Kazakhstan. Je me demande bien pourquoi. 

OTP est une banque hongroise, ayant son siège à Budapest. Elle n’est pas une petite banque, puisqu’elle est le premier établissement bancaire du pays, avec une forte présence en Europe centrale et orientale. Le 5 mai 2023, les autorités ukrainiennes ont ajouté la banque OTP à leur liste de sponsors internationaux de la guerre russo-ukrainienne. La banque réfute ces allégations, tout en continuant à opérer en Russie, employant 13 300 personnes sur 135 sites. Le gouvernement hongrois a alors déclaré qu’il bloquerait toute nouvelle aide de l’Union à l’Ukraine jusqu’à ce que la banque soit retirée de la liste. Il a réaffirmé cette position le 20 juillet, bloquant une tentative de l’Union de créer un fonds à long terme d’un montant maximal de 20 milliards d’euros pour approvisionner l’armée ukrainienne.

Une autre évolution européenne par rapport à laquelle les Hongrois devront se positionner dans les années à venir est la lutte entre fédéralistes et souverainistes. Empire ou nations ? Sur ce point, nous avons reçu un sérieux coup au plexus, lorsque le Brexit a poussé nos amis britanniques à quitter l’Union européenne. Cela a bouleversé l’équilibre entre souverainistes et fédéralistes au sein de l’UE. La configuration antérieure était la suivante : les Français et les Allemands en tant que fédéralistes d’un côté, et les Britanniques et nous — le V4 — de l’autre. Si les Britanniques faisaient partie de l’Union européenne aujourd’hui, nous n’aurions même pas à apprendre des termes tels que « mécanisme de l’État de droit », « conditionnalité » ou « gouvernance économique », car ils n’existeraient pas. Ces termes n’ont pu être introduits dans l’Union européenne que parce que les Britanniques sont partis et que nous, les membres du V4, n’avons pas pu les empêcher — et le V4 a d’ailleurs été attaqué par les fédéralistes. Nous pouvons tous constater le résultat. Les Tchèques ont pratiquement changé de camp, la Slovaquie vacille et seuls les Polonais et les Hongrois résistent. Bien sûr, nous avons une chance d’augmenter le nombre de souverainistes. Je vois cette chance, puisqu’un tel gouvernement a été formé en Italie, qu’il y a aussi un mouvement dans ce sens en Autriche, et que demain il y aura des élections en Espagne. Ne nous faisons pas d’illusions : les fédéralistes tentent de nous évincer ; ils ont ouvertement déclaré qu’ils voulaient un changement de gouvernement en Hongrie. Ils ont utilisé tous les moyens de corruption politique pour financer l’opposition hongroise. Ils font la même chose en Pologne, et rappelez-vous comment ils ont essayé d’empêcher la droite de Meloni de gagner en Italie. Toutes ces tentatives ont échoué et j’espère que les élections européennes de juin 2024 et la redistribution des pouvoirs qui s’ensuivra aboutiront à un équilibre des pouvoirs en Europe plus favorable que celui que nous connaissons aujourd’hui. Cela nous amène à la Hongrie, Mesdames et Messieurs.

La dynamique récente des droites européennes explique la confiance qu’affiche Viktor Orbán en son futur : l’affaiblissement du PPE et la montée en puissance des néonationalistes partout sur le continent s’est traduite par plusieurs coalitions dans lesquels le centre-droit et des partis classés à l’extrême droite constituent des coalitions pour gouverner. Même la droite allemande paraît hésiter : Friedrich Merz, qui préside la CDU, a ouvert la porte à des alliances locales avec l’AfD avant de la refermer rapidement devant les réactions outragées d’un certain nombre de poids lourds de son parti. Si cette volte-face et les résultats en demi-teinte des droites espagnoles (au regard de la victoire qui leur était annoncée) montrent que les néonationalistes n’ont pas partie gagnée sur le continent, il semble néanmoins que leur dynamique demeure favorable à l’échelle continentale : pour l’instant, la question qui se pose à moins d’un an des élections européennes est celle de savoir quelle droite gouvernera l’Europe. Viktor Orbán compte sur ce succès pour retrouver une place plus centrale dans le jeu politique continental et ce discours doit aussi être lu comme une première intervention dans la campagne. Il y en aura sans doute beaucoup d’autres.

Que peut — et que doit — faire la Hongrie dans cette situation internationale, dans cet environnement européen, au milieu de cette grande fracture ? La chose la plus importante est de nous connaître nous-mêmes. Je ne parle pas ici de nos onze siècles d’histoire, ni même de la brillante synthèse donnée par la RMDSZ [Alliance démocratique des Hongrois de Roumanie] : « Mille ans en Transylvanie/Erdély, cent ans en Roumanie ». Ce que nous devons maintenant garder à l’esprit, c’est le chemin sur lequel nous nous sommes finalement engagés en 2010, après les vingt années chaotiques de la transition du communisme. En 2010, nous avons ouvert une nouvelle ère, et nous ne devons pas perdre cela de vue, quelles que soient les difficultés auxquelles nous sommes confrontés, quelles que soient les tempêtes, les éclairs et les orages qui nous attendent. Nous vivons une ère nouvelle, qui repose sur des fondements spirituels et économiques.

Rappelons d’abord brièvement les fondements spirituels de cette ère. Ils sont résumés dans la Constitution. La nouvelle Constitution hongroise est le document qui nous distingue le plus clairement des autres pays de l’Union européenne. Si vous lisez les constitutions des autres pays européens, qui sont des constitutions libérales, vous verrez qu’au cœur de ces constitutions se trouve le « je ». Si vous lisez la Constitution hongroise, vous verrez qu’elle est centrée sur le « nous ». L’essence de la Constitution hongroise, son principe fondateur, est qu’il existe un lieu qui nous appartient : notre maison. Il y a une communauté qui est la nôtre : c’est notre nation. Et il y a un mode de vie — ou peut-être plus précisément un ordre de vie — qui est le nôtre : notre culture et notre langue. C’est pourquoi, dans la Constitution, notre point de départ spirituel est que les choses les plus importantes dans la vie humaine sont celles que l’on ne peut pas obtenir seul. C’est pourquoi le « nous » est au cœur de la Constitution. La paix, la famille, l’amitié, le droit et l’esprit communautaire ne peuvent être obtenus seuls. Et, cher camp d’été, même la liberté ne s’obtient pas seule : la personne qui est seule n’est pas libre, mais solitaire. Toutes les bonnes choses de la vie sont essentiellement basées sur la coopération avec autrui, et si ce sont les choses les plus importantes de notre vie, dit la Constitution hongroise, alors ce sont ces choses que la société et le système juridique doivent protéger. En tant que fondement conceptuel de notre nouvelle ère, cette reconnaissance et ces choses partagées se manifestent dans la vie de l’individu sous la forme de liens avec les autres. Par conséquent, la Constitution hongroise est une constitution de liens communautaires, qui cherche à renforcer ces liens, et qui repose donc sur une culture de renforcement. Les constitutions libérales ne décrivent pas un monde d’attachement, mais de détachement ; et elles ne cherchent pas à affirmer quelque chose, mais à rejeter quelque chose — au nom de la liberté individuelle. Notre Constitution, en revanche, affirme que le lieu où vivront nos enfants est notre patrie. Elle affirme nos identités en tant qu’hommes et femmes, car c’est ce que nous appelons la famille. Elle affirme également nos frontières, car c’est ainsi que nous pouvons dire avec qui nous voulons vivre. Lorsqu’en 2011 nous avons créé la nouvelle Constitution — une constitution hongroise, nationale et chrétienne, différente des autres constitutions européennes — nous n’avons pas pris une mauvaise décision. En fait, disons que nous n’avons pas pris une mauvaise décision, mais plutôt la bonne, car depuis lors, nous avons été assaillis par la crise migratoire, qui ne peut manifestement pas être traitée sur une base libérale. Et puis nous avons une offensive LGBTQ, une offensive de genre, qui s’avère ne pouvoir être repoussée que sur la base de la communauté et de la protection de l’enfance.

Viktor Orban lors de son meeting à l’université d’été de Bálványos le 23 juillet 2023. © Benko Vivien Cher

L’échec des pays d’inspiration libérale est qu’ils pensaient que leurs anciennes communautés seraient remplacées par de nouvelles ; au lieu de cela, tout ce qui s’est passé, c’est qu’une étrange aliénation est apparue partout. Bien sûr, la France, qui en souffre, est une grande nation, elle a « la gloire » [en français dans le texte], et elle trouvera sûrement une solution. Mais, en gardant à l’esprit les fondements spirituels, et en creusant un peu plus, il convient également de dire qu’à la base de la Constitution hongroise et des fondements intellectuels de la nouvelle ère, il y a une intuition anthropologique. Il y a 240 ans, à l’époque des Lumières, des intellectuels et des dirigeants politiques de gauche, internationalistes et libéraux pensaient que le rejet de la religion et du christianisme serait suivi par l’émergence d’une communauté idéale et éclairée, fondée sur une compréhension du bien et du bien commun, menant une vie libre et supérieure selon des vérités sociétales reconnues et fondées sur la sociologie. C’est ce qu’ils espéraient du rejet du christianisme et de la religion. À l’époque, il y a deux cents ans, ce n’était pas exclu. Cela aurait pu être une possibilité. Mais deux cents ans ont passé, et aujourd’hui nous pouvons constater que c’est une pure illusion : en rejetant le christianisme, nous sommes en fait devenus des païens hédonistes. Voilà la réalité ! C’est pourquoi, à mes yeux, il était prédestiné que notre Constitution 2011 soit proclamée à Pâques et que son nom de naissance soit la Constitution de Pâques.

La notion d’anti-Lumières ou de contre-Lumières a été élaborée par des historiens comme Zeev Sternhell ou Darrin McMahon pour désigner un courant de pensée apparu au cours du XVIIIe siècle pour s’opposer aux différents courants de philosophie et d’économie politique qui sont réunis sous le terme de Lumières. Si certains aspects de leur raisonnement ont pu être critiqués — notamment leur tendance à présenter une interprétation quelque peu monolithique des Lumière —, ils ont néanmoins démontré que la critique radicale de l’individualisme, du libéralisme politique et économique, ou de la démocratie représentative avait émergé longtemps avant la Révolution française. Dans ce discours, Viktor Orbán se présente clairement comme l’héritier de cette tradition des anti-Lumières. Son raisonnement historique a ici un profond écho biographique : en disant qu’il y a deux cents ans, il n’était pas « exclu » d’adhérer à ces idées, cela fait directement écho à son propre engagement politique dans les années qui ont suivi la chute du communisme. Du libéralisme politique au conservatisme antilibéral, Viktor Orbán a parcouru le chemin sur lequel il aimerait que l’Europe s’engage.

En liant explicitement son antilibéralisme à sa défense spirituelle et identitaire du christianisme, il rejoint les thèses des post-libéraux américains dont il s’est récemment rapproché. D’un point de vue idéologique, l’objectif de Viktor Orbán est de promouvoir une Europe alternative dans laquelle se refermerait la fracture ouverte au XVIIIe siècle. Peut-être faut-il relire la longue et admirative digression qu’il consacre à la Chine à cette aune : dans la Guerre froide qui s’annonce, il y aurait d’un côté les États-Unis, un État jeune, défini par son attachement au libéralisme, et de l’autre, une puissance millénaire qui à terme aurait toutes les chances de l’emporter — pour des raisons quasiment arithmétiques. Dans ce contexte, l’Europe n’aurait-elle pas intérêt à renouer avec sa propre civilisation millénaire — le christianisme — pour mieux comprendre la résurgence chinoise ? 

Mesdames et Messieurs, c’est aussi le cœur des conflits entre l’Union européenne et la Hongrie. L’Union européenne rejette l’héritage chrétien, elle gère le remplacement de la population par l’immigration et elle mène une offensive LGBTQ contre les nations européennes favorables à la famille. Il y a quelques jours, nous avons assisté à la chute de la Lituanie, qui disposait d’une loi sur la protection de l’enfance remarquable et excellente, dont nous nous sommes inspirés pour élaborer la nôtre. Et je vois que, sous une forte pression, les Lituaniens ont retiré et annulé les lois de protection de l’enfance qu’ils avaient adoptées en 2012. « Je crains les Grecs, même porteurs cadeaux… » Voilà où mène l’amitié des États-Unis, chers amis !

Eh bien, force est de constater que l’Europe d’aujourd’hui a créé sa propre classe politique, qui n’est plus responsable et qui n’a plus de convictions chrétiennes ou démocratiques. Et nous devons dire que la gouvernance fédéraliste en Europe a conduit à un empire qui n’a pas de comptes à rendre. Nous n’avons pas d’autre choix. Pour tout l’amour que nous portons à l’Europe, pour tout ce qu’elle est, nous devons nous battre. Notre position est claire : nous ne voulons pas que tout le monde partage la même foi, ni que tout le monde ait la même vie de famille ou célèbre les mêmes jours fériés ; mais nous insistons sur le fait que nous avons notre maison commune, notre langue commune, notre sphère publique commune et notre culture commune, et que c’est la base de la sécurité, de la liberté et de la prospérité des Hongrois. C’est pourquoi il faut les protéger à tout prix. C’est pourquoi nous ne ferons aucun compromis. Nous ne reculerons pas. En Europe, nous insisterons sur nos droits. Nous ne céderons pas au chantage politique ou financier. Le marchandage est possible sur des questions liées au temps tactique, voire stratégique, mais jamais sur des questions qui relèvent du temps historique.

Mesdames et Messieurs, enfin, si Zsolt [Semjén] me le permet, je dirai quelques mots sur les fondements économiques de la nouvelle ère. Cela fait treize ans que nous construisons notre nouveau système économique. Au cours de cette période, il a été très bien construit et a donné de bons résultats. Nous avions prévu que, jusqu’en 2030, il servirait la Hongrie sans changement majeur : il en résulterait une Hongrie sûre et prospère et une population hongroise dans le bassin des Carpates. Nous sommes en bonne voie pour atteindre nos objectifs. En treize ans, les performances globales de l’économie hongroise ont triplé : elles sont passées de 27 000 milliards de forints à 80 000 milliards de forints. Et bien que les écoles politiques enseignent qu’il ne faut jamais mettre un chiffre et une date dans la même phrase, notre objectif est d’atteindre un PIB de 160 000 milliards de forints d’ici à 2030. Si nous regardons nos objectifs de développement, je peux vous dire qu’en 2010 nous étions à 66 % de la moyenne européenne, en 2022 nous étions à 78 %, et en 2030 nous voulons être entre 85 et 90 %. Si l’on considère la compétitivité de l’économie hongroise, c’est-à-dire ses exportations, je peux dire qu’en treize ans, nous les avons doublées et que la part des produits hongrois — des produits d’entreprises hongroises — a augmenté. Notre dépendance énergétique s’est réduite comme prévu : l’électricité importée couvre actuellement 28 % de la consommation, et d’ici 2030 — avec Paks II [expansion de la centrale nucléaire], l’énergie solaire et le développement des réseaux — nous voulons atteindre zéro. Nous construisons nos centrales électriques en conséquence, et nous y consacrerons 11,5 milliards de forints. En 2010, le taux d’emploi était de 62 %, aujourd’hui il est de 77 % et d’ici 2030, nous voulons le porter à 85 %. Nous avons mis en place un vaste programme de développement universitaire. En 2010, aucune université hongroise ne figurait parmi les 5 % les plus performants au monde ; l’année dernière, onze universités hongroises figuraient parmi les 5 % les plus performants. En ce qui concerne le soutien aux familles, nous avions un taux de natalité de 1,2, mais nous l’avons porté à 1,5. C’est ce qu’on appelle le taux de fertilité ou de reproduction, qui n’est pas un terme agréable ; mais il était de 1,2, et il est maintenant de 1,5. Or, pour que notre population cesse de diminuer, il faut qu’elle soit de 2,1. Cela montre que nous sommes en grande difficulté et que nous devons continuer à mobiliser toutes nos forces, notre énergie et nos ressources — les ressources budgétaires de l’État — en faveur de la politique familiale. La défense commence également à se redresser. Nous avons, ou commençons à avoir, une armée efficace. Nous aurons des guerriers à la place d’employés en uniforme. Nous disposons également d’une industrie nationale de la défense. Nous sommes l’un des rares pays membres de l’OTAN à pouvoir y consacrer au moins 2 % de son PIB annuel. Et nous ne sommes pas loin de notre programme d’unification nationale à l’horizon 2030. Nous avons multiplié par dix le niveau de financement de l’unification nationale au-delà des frontières par rapport à 2010, et cette année — alors que nous sommes confrontés à toutes sortes de difficultés — nous multiplions par cinq le soutien à l’éducation et à la formation : de 500 %. Je peux dire que nous en voyons les résultats. Je voudrais féliciter les Szeklers et les Transylvaniens qui ont participé à la collecte de signatures pour l’initiative Minority SafePack et l’initiative citoyenne européenne sur les régions nationales, qui ont pu recueillir plus d’un million de signatures sur chaque question. Cela demande de la force — des gens et de la force. C’est une grande réussite. Félicitations !

« Minority SafePack — one million signatures for diversity in Europe » est une Initiative citoyenne européenne en cours sur le droit des minorités nationales dans l’Union européenne. Elle est issue d’un litige : en 2013, la Commission européenne, soutenue par la Slovaquie et la Roumanie, a refusé d’enregistrer une première initiative. À partir de 2017 a commencé une collecte de signatures au niveau européen pour promouvoir ce projet, qui a trouvé un écho particulier dans les territoires magyarophones de Roumanie et en Hongrie.

Dans cette portion de son discours, Viktor Orbán reprend le fil initial. En l’occurrence, il lie explicitement le renforcement économique de son pays à son programme d’unification nationale, c’est-à-dire de soutien aux Magyars d’outre-frontières.

Ce n’est pas pour rien qu’il évoque son vice-Premier ministre, Zsolt Semjén — il est aussi à la tête du  Parti populaire démocrate-chrétien, qui est le principal partenaire de coalition du Fidesz. Au cours du camp d’été, ce dernier a annoncé une importante initiative : le gouvernement construit un « espace national virtuel » qui permettrait à chaque Magyar d’outre-frontières d’accéder à l’ensemble des médias publics et des services publics de l’État. Selon Semjén, l’objectif est de permettre l’accès aux programmes culturels des médias publics hongrois dans les pays voisins, à partir du 1er janvier de l’année prochaine. Il a également ajouté que pour assurer la survie des communautés ethniques hongroises, il fallait « une Hongrie forte ». Bref, à bas bruit et en partie adapté au contexte européen, l’imaginaire de la Grande Hongrie survit bien dans les prises de parole d’Orbán et Semjén. Celle-ci s’inscrit dans le temps long — ce que souligne la référence qu’il fait un peu plus tôt dans le texte au slogan de la RMDSZ [Alliance démocratique des Hongrois de Roumanie]. 

Enfin, ces fondements économiques — les fondements économiques de la nouvelle ère — sont bons, et ils sonnent bien ; mais il y a un hic, et c’est sur cela que je voudrais terminer. Le hic, c’est qu’en l’espace de trois ans, nous avons été frappés par deux météorites. La première était le COVID, en 2020. Nous avons réussi à nous en défendre et, assez rapidement, nous avons retrouvé la voie que nous nous étions fixée, celle que nous prévoyons pour 2030. Mais en 2022, une autre météorite nous a frappés ; il s’agissait d’une guerre, et c’est un problème plus difficile à résoudre. Cette météorite nous a fait dévier de notre trajectoire. Et je peux vous dire qu’aujourd’hui, la Hongrie, le peuple hongrois et le gouvernement hongrois luttent et se battent pour sortir de cette déviation et retrouver la voie normale qui nous mènera à 2030. Je pense que la date la plus proche pour un retour sur cette voie se situe aux alentours de juillet 2024. C’est à cette date que j’espère pouvoir vous annoncer que la croissance économique en Hongrie est à nouveau significative, que les prêts bancaires sont à nouveau élevés et que nous retrouvons un rythme de croissance bien supérieur à la moyenne européenne. 

La période la plus difficile est désormais derrière nous. L’inflation était galopante, mais nous sommes en train de la faire reculer et nous avons toutes les chances de la ramener en dessous de 10 % d’ici à la fin de l’année, c’est-à-dire à un seul chiffre. Le premier semestre a été très difficile, car l’inflation en Hongrie a augmenté plus vite que les salaires. Cela ne s’était pas produit depuis très longtemps, peut-être plus de dix ans. Mais au cours du second semestre, nous allons redresser la barre et, si le Bon Dieu nous aide, nous pourrons annuler la dépréciation des salaires sur l’ensemble de l’année, pour 2023. Les taux d’intérêt des prêts en Hongrie sont également très élevés, mais je pense que nous pourrons les normaliser et les ramener à un niveau acceptable au plus tôt au cours du deuxième trimestre de l’année prochaine. Cela signifie que si nous faisons tout ce qu’il faut, si nous avons de la chance et si Dieu nous aide, d’ici les élections européennes et locales de 2024, nous serons de nouveau sur la voie qui nous mènera à 2030. Et alors, au camp Tusványos de 2024, je pourrai parler calmement des projets pour les années 2030 à 2040.

En résumé, Mesdames et Messieurs, je peux vous dire qu’il faut être rusé dans les grandes affaires mondiales, tisser des liens dans l’économie mondiale, se battre dans les litiges européens, persévérer dans les questions spirituelles et rester inébranlable sur la question de l’unification nationale.

Dieu avant tout, la Hongrie avant tout ! 

Vive la Hongrie, vive les Hongrois !

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