Politique

La tactique Orban

Le 5 avril 2019, Viktor Orban lançait depuis Budapest la campagne de son parti, Fidesz, aux élections européennes. Derrière les formules coups de poing et les diatribes anti-bruxelloises, entre un appel à une européanisation du politique et l'exaltation d'une « culture chrétienne », Olivier Roy et Ramona Bloj mettent au jour les instruments avec lesquels Orban entend gagner les élections.

Auteur
Olivier Roy
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© European People's Party (modifié)
La tactique Orban

Le précédent discours de Viktor Orban traduit par le Grand Continent articulait d’une manière complexe des éléments d’une doctrine. Nous essayons ici de percer à jour une pièce de campagne du Premier ministre hongrois, dont la structure rhétorique est beaucoup plus simple, linéaire ; où la composition théorique est beaucoup moins articulée. Le fond du texte est entièrement résumé autour de cette idée : pour gagner la campagne européenne, le Fidesz doit être en mesure de constituer une nouvelle opposition politique autour d’une articulation décisive entre « des dirigeants pro-immigration ou des dirigeants anti-immigration », ce qui conduit par une série d’inductions à recomposer le spectre politique autour d’une lutte civilisationnelle reconstruite autour de l’imaginaire d’une Europe chrétienne.

Il convient de déconstruire cette illusion : l’Église est loin de soutenir cette démarche, les néonationalistes sont loin d’adopter des valeurs chrétiennes.

Pourtant on ne doit pas négliger la force politique d’Orban qui vient de sa capacité à articuler des idées et un imaginaire immédiatement disponible à l’échelle continentale. Il faut parvenir à opposer quelque chose à ce syntagme, l’Europe blanche et chrétienne, et au vecteur de sa diffusion, la crainte irrationnelle des nouveaux nomades.

Bonjour à tous !

Si je vois bien, je suis ici l’œuf du coucou. Tous ceux qui ont pris la parole avant moi étaient des experts dans les sujets qu’ils ont abordés, et même notre ministre de la Justice n’était qu’une exception apparente puisqu’il a été pendant de nombreuses années ambassadeur à Bruxelles, il peut donc être considéré comme un expert en politique étrangère. József Szájer préside notre groupe parlementaire à Bruxelles, et Péter [Szijjártó] est notre ministre des Affaires étrangères. Je suis le seul à me singulariser. Alors, pourquoi ai-je reçu la parole ?

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Viktor Orban s’exprime ici à l’occasion du lancement de la campagne pour les élections européennes. Le lieu choisit pour cadre de ce discours est hautement symbolique : il s’agit du centre de conférence Bálna, au bord du Danube, où Fidesz, le pari de Viktor Orban au pouvoir en Hongrie, a organisé le lancement des élections. L’audience se composait d’une centaine de personnes : des politiques liés à Fidesz, des universitaires et des personnalités publiques.

J’ai reçu la parole parce que c’est l’usage au début d’une campagne : la revue des troupes, la réunion, le lancement de la campagne, l’exposé des objectifs. Si nous regardons autour de nous – pas seulement dans cette salle, mais dans le pays tout entier –, nous pouvons dire avec assurance que notre communauté politique est sûre d’elle, forte et de bonne humeur. Mais il faut se garder d’un excès de confiance : nous sommes tout de même face à une compétition. Nous avons eu la fin de semaine dernière les championnats de Hongrie de natation, qui pour certaines épreuves a plutôt été un championnat d’Europe, et Katinka Hosszú a pu dire, après l’une d’entre elles, qu’il est bel et bon d’avoir quelques médailles d’or olympiques – nous aussi, nous avons bien quelques victoires électorales derrière nous – il est bel est bon d’avoir confiance en soi (nous n’en manquons pas), mais lorsque l’on se présente pour la compétition suivante, lorsque l’on monte sur le socle de départ, alors ce qui s’est passé avant ne compte plus.

Une seule chose compte : ce qui va se passer après, l’épreuve qui nous attend. C’est pour cela que j’ai reçu la parole, pour que je vous rappelle cette vérité. Je suis heureux de vous retrouver. Nous devrions parler de beaucoup de choses aujourd’hui sur le thème de l’Europe, mais nous n’aurons peut-être pas le temps de tout couvrir, la campagne ne fait que commencer. Nous ne pouvons pas parler de tout aujourd’hui, et c’est pourquoi je me bornerai à indiquer, en ce début de campagne, ce qu’est l’enjeu des élections du 26 mai. Nous pourrions pourtant évoquer des sujets d’actualité brûlants, comme par exemple la relation entre le Fidesz et le Parti populaire européen (PPE). Je ne voudrais pas m’y attarder aujourd’hui, et je me limiterai à souligner devant vous que c’est nous, et pas le PPE qui décidons de notre avenir. Nous verrons, après les élections, la direction que prendra le PPE. Il semble aujourd’hui qu’il prenne celle de la gauche libérale, de la constitution d’un empire européen libéral et d’une Europe des immigrés. Si c’est cette direction qu’il prendra, vous pouvez être sûrs que nous ne l’y suivrons pas. Il y a bien sûr les humeurs et les irritantes déclarations de M. Weber sur le sentiment national.

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On appréciera ici une référence sarcastique à la suspension du PPE du Fidesz. Le Parti populaire européen (PPE), le plus grand groupe parlementaire européen (217 députés sur 751), a voté à une écrasante majorité (190 pour, 3 contre), le 20 mars la suspension du Fidesz de Viktor Orban, le parti qui gouverne la Hongrie depuis 2010.

Le Fidesz ne peut donc plus présenter des candidats à des postes au sein du PPE. Il ne peut plus voter et il n’est plus autorisé à participer aux réunions du groupe. Il faut toutefois remarquer que nous sommes à la fin d’une législature et que, par conséquent, le poids politique de la suspension est relatif : on remarquera aussi qu’Orban n’a pas hésité à voter pour sa propre suspension. Comme l’avait confié à la Lettre du lundi une personne proche du dossier : « Cette suspension, pour l’instant, suspend surtout la procédure d’expulsion d’Orban. »

Il n’est donc pas étonnant que l’on prononce et écrive de plus en plus souvent en Hongrie ce seul mot : dehors !

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Új szövetséget ! (dehors) est l’allusion transparente au titre d’un article anonyme publié le 7 mars par Magyar Nemzet un quotidien appartenant à des personnalités liées au premier cercle d’Orban.

Il paraît peu probable que ce papier n’ait pas été conçu en étroite collaboration avec Orban. La recherche de nouvelles alliances, une formule qui reprend par ailleurs les éléments de langage lancés par Berlusconi dans sa propre campagne électorale, est une réponse interne aux conditions données par le PPE à la permanence de Fidezs à l’intérieur du groupe.

« Pour nous, l’intérêt national est la priorité. » Orban n’a jamais hésité à tirer profit de son accès au marché unique, sans tenir compte des problèmes que cela pouvait poser aux autres membres de l’Union – comme le montrent son rapport à la Chine (la Hongrie était considérée comme le cheval de Troie de la Chine par Michele Geraci, l’auteur du rapprochement récent entre l’Italie et la Chine) et plus récemment à la Russie, avec la relocalisation du siège social de la banque russe International Investment Bank (IIB) depuis Moscou vers Budapest, à ce sujet lire notre brève.

Avouons-le, les élections européennes précédentes n’avaient pas de grands enjeux. En gros, leur fonction était de déterminer si le président de la Commission européenne sera de droite ou de gauche. Cela non plus n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. Voici par exemple un certain Jean-Claude Juncker : nous avons cru qu’il était de droite, et au lieu de cela nous avons reçu un socialiste européen bon teint, dont la responsabilité est déterminante dans le Brexit, dans l’invasion migratoire et dans le conflit de plus en plus vif entre l’Europe centrale et l’Europe occidentale. Aujourd’hui en revanche, il s’agit de davantage que du choix d’une seule personne. Fin mai, c’est son avenir que l’Europe choisira. L’enjeu n’est pas de savoir si ce sont les socialistes ou les conservateurs qui enverront le plus de députés à Bruxelles. Cette fois-ci, plusieurs centaines de millions d’Européens se prononceront sur des sujets plus importants que la politique partisane.

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L’attachement à l’européanisation du politique peut surprendre. Pourtant, Orban a été l’un des rares dirigeants de l’Europe centrale à saluer la Lettre aux Européens d’Emmanuel Macron, en affirmant que la tribune du Président français marquait « le début d’un débat européen sérieux […] dans les détails, bien sûr, nous avons des divergences de vues, mais ce qui est bien plus important que ces opinions divergentes est que cette initiative soit un bon point de départ pour un dialogue sérieux et constructif sur la question de l’avenir de l’Europe. »

L’enjeu sera de déterminer si l’Union aura des dirigeants pro-immigration ou des dirigeants anti-immigration. Nous nous prononcerons sur le destin de l’Europe : si elle devra continuer d’appartenir aux Européens, ou si nous devrons céder la place à des masses venues d’autres cultures, d’autres civilisations. Remplacement des populations, disent les Français.

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Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), entre 2001 et 2011, le nombre de citoyens étrangers résidant en Hongrie est passé de 110 028 à 206 909. Cependant, au cours des dernières années, ce nombre a fortement diminué – 151 132 en 2017. De plus, la majorité (66 %) de la population étrangère totale vient des pays européens, la Roumanie et l’Allemagne comptant le plus grand nombre de citoyens étrangers résidant en Hongrie.

Malgré cela, l’opinion publique reste négative à l’égard des immigrés. Le dernier sondage Eurobaromètre indique que 65 % des Hongrois considèrent l’immigration comme le problème le plus important auquel l’Union est confrontée, 81 % des Hongrois ont répondu qu’ils s’opposaient à l’immigration en provenance de pays tiers et 94 % souhaiteraient des mesures supplémentaires contre la migration irrégulière.

Si nous continuerons de protéger notre culture chrétienne, européenne, ou si nous nous effacerons devant le multiculturalisme. Tout cela fait qu’il n’est pas non plus surprenant que la ligne de fracture entre les parties en présence ne corresponde plus à l’ordre de valeurs classique entre la gauche et la droite. Voyez par exemple les quatre États membres du groupe de Visegrád et les chefs de gouvernement de ces États. Nous siégeons chacun dans des groupes différents au sein du Parlement européen, et je ne peux même pas dire que nous soyons tous du même bord idéologique. Il y a parmi nous des libéraux, des socialistes, des membres du PPE et des conservateurs – la liste doit s’arrêter là, car nous ne sommes que quatre –, et pourtant nous sommes d’accord sur l’essentiel : nous voulons que nos pays et l’Europe restent tels que nous les avons connus. Selon le vieil adage : unité sur l’essentiel, liberté sur le reste, mais empathie sur le tout. Le 26 mai, mes chers amis, nous voterons sur l’essentiel : l’enjeu est notre civilisation chrétienne.

Olivier Roy

Pour Orban, le christianisme est conçu en termes purement culturels et identitaires, comme un mode de vie propre à l’Europe. Rien n’est dit sur le christianisme comme religion, ni même comme système de valeurs (où le « droit à la vie » c’est-à-dire le refus de l’avortement côtoie aussi l’amour du prochain et l’hospitalité). De plus l’universalité du christianisme est niée ; Orban fait comme si les immigrés étaient par définition musulmans : si c’est vrai en ce qui concerne la grande vague d’immigration du travail des années 1960 et 1970, c’est plus complexe aujourd’hui en particulier avec l’immigration africaine. On peut supposer, à lire le texte, qu’Orban n’accepterait pas plus une immigration africaine chrétienne qu’une immigration arabe musulmane.

Souvenons-nous : lorsque l’Union a été fondée – rappelons-nous nos lectures d’alors –, elle avait une grande âme et un petit corps. Aujourd’hui, c’est l’inverse : son âme se rétrécit et son corps grandit. Comment donc en sommes-nous arrivés là ? Comment avons-nous pu arriver à une situation où il soit devenu possible d’avoir à mener un combat, sur notre propre continent, pour la préservation de notre mode d’existence, de notre mode de vie, de notre cadre de vie naturel ?

Nous en sommes arrivés là parce qu’un défaut s’est glissé dans l’appareil de l’élite bruxelloise. Il y a à Bruxelles une bulle, le monde virtuel de l’élite européenne privilégiée, décalée de la réalité, décalée de la vraie vie, de celle qui se déroule non pas à Bruxelles, mais dans les États-membres. Cette élite européenne ne veut pas comprendre l’avertissement du général de Gaulle, qui avait dit ceci : « La politique doit reposer sur la réalité, et la politique est justement l’art de savoir défendre un idéal sur la base des réalités ». Et ces réalités, mes chers amis, ce sont les réalités historiques, culturelles, démographiques et géographiques.

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Le néonationalisme est porteur de transnationalisation : les auteurs, les références mythiques et mêmes les dictons circulent parfois beaucoup plus que chez leurs adversaires.

Ce sont précisément ces réalités-là, la réalité de la vie des États-nations, que l’élite qui vit dans la bulle bruxelloise ne veut pas prendre en considération.

Peut-être d’ailleurs ne les connaît-elle même plus. C’est ainsi qu’il peut se produire qu’un catholique comme Weber offense régulièrement les Hongrois. Un Bavarois de Bruxelles peut le faire, mais un Bavarois de Munich ne le ferait sûrement jamais. Tandis que l’élite bruxelloise ne cesse de s’en prendre à nos nations d’Europe centrale, la réalité est que l’attachement à adhésion à l’Union européenne n’est nulle part en Europe aussi fort qu’en Hongrie et en Pologne. Nous pouvons dire modestement que nos gouvernements y sont pour quelque chose. Nous avons beaucoup fait, au cours des dernières années, pour que les Hongrois croient en une Europe forte et performante, et ils y croient. Le résultat des élections passées le montre clairement : le Fidesz et le Parti chrétien-démocrate ont obtenu 47 % des voix à nos premières élections européennes en 2004, 56 % en 2009 et 51,5 % en 2014, soit le premier rang en Europe en termes de soutien populaire.

La conclusion de ce qui précède est que les Hongrois, qui défendent l’Europe depuis mille ans, veulent l’Union européenne, mais qu’ils en ont assez de la manière dont les choses sont gérées à Bruxelles et qu’ils veulent un changement.

Voilà bientôt neuf ans que les Hongrois ont des controverses avec Bruxelles. Ces controverses sont apparemment chaque fois différentes, mais si nous creusons un peu, nous voyons qu’elles portent toujours sur la même chose. Elles portent sur le fait que nous ne sommes pas disposés à faire ce que dicte Bruxelles si cela n’est pas bon pour les Hongrois. Ils ont exigé des mesures d’austérité en 2010, lorsque notre gouvernement venait à peine de se former, mais au lieu de cela nous avons renvoyé le FMI et réduit nos impôts. Ils ont voulu que les banques encaissent au centuple sur les gens leurs prêts en devises étrangères, mais nous avons imposé une taxe aux banques, nous avons converti les prêts en monnaie nationale et nous avons exigé que les banques rectifient leurs comptes avec leurs emprunteurs. Ils ont voulu que les Hongrois paient les tarifs énergétiques les plus élevés – au profit des entreprises occidentales, soit dit en passant –, mais nous avons imposé la réduction des prix de l’énergie. Ils ont voulu que nous laissions passer les migrants à nos frontières, mais au lieu de cela nous avons érigé une clôture. Ils ont voulu que nous reprenions des migrants depuis l’Europe occidentale, mais nous avons tenu bon dans notre refus du système des quotas obligatoires. Voilà la situation. Nous menons depuis neuf ans un combat difficile, mais si nous voulons apprécier à l’aune de la situation actuelle de la Hongrie s’il a valu la peine que le gouvernement mène ce combat, je ne peux que dire : oui, cela en vaut la peine. Si nous jetons un œil sur l’économie hongroise, nous voyons que de plus en plus de Hongrois ont un travail, la performance de l’économie hongroise ne cesse de progresser, il vaut la peine de travailler, et chacun peut faire, chaque année, un nouveau pas en avant. Un pas peut-être pas aussi grand qu’il le souhaiterait, mais un pas tout de même, et vers l’avant. Il n’y a aucune comparaison entre l’image de la Hongrie aujourd’hui et la situation qui régnait en 2009, à la fin des gouvernements socialistes. Qu’il est loin le temps où ils sont partis, en nous laissant en héritage le FMI et l’endettement, et en laissant au pauvre Hongrois le soin de s’en débrouiller, si déjà il n’avait pas eu suffisamment de force pour les faire dégager quand il en était encore temps !

Quant aux dirigeants de l’Union européenne, ils ne nous ont pas beaucoup aidés au cours des cinq dernières années. Loin de la renforcer, ils ont affaibli notre maison commune, cette Europe qui abrite aussi la Hongrie. Le bilan des cinq années écoulées depuis 2014 est que l’un des États-membres les plus puissants de l’Union européenne, le Royaume Uni, se prépare en ce moment à quitter l’Europe, pendant que des millions de migrants ont pénétré illégalement sur le territoire de l’Union et peuvent, comme nous l’avons entendu, présenter un danger – et en présentent effectivement un, comme nous avons pu le voir de nos propres yeux – pour la sécurité des Européens et l’identité culturelle chrétienne de l’Europe. Les Anglais s’en vont, et les migrants sont entrés : voilà le bilan de la Commission Juncker.

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Les Hongrois de Roumanie représente la plus grande minorité ethnique du pays (un peu plus d’un million, soit 6,5 % de la population). lls sont concentrés surtout au centre du pays, au pays Sicule (territoire qui demande l’autonomie), où ils dépassent 70 % des habitants.

Depuis son ascension au pouvoir, Orban mène une politique plus active en faveur des minorités magyares, en facilitant l’accès à la citoyenneté hongroise, le droit de vote aux législatives en en multipliant les attaques contre Bucarest. Présent en Roumanie à Băile Tuşnad en juillet 2018 il déclara : « Nous demandons aussi de prendre en compte le fait que la Roumanie moderne ne sait pas, depuis cent ans, comment aborder la réalité concrète de la présence de plus d’un million et demi de Hongrois sur son sol. Nous savons que l’on prétend à Bucarest que le Pays Sicule n’existe même pas. Pour ma part, je suis d’accord avec le slogan adopté par le RMDSZ4 (l’Union démocrate magyare de Roumanie – parti politique) affirmant que le Pays sicule existait avant même que n’existe la Roumanie moderne. »

Depuis que la Roumanie s’attire les critique de Bruxelles à cause des multiples réforme controversées du système judiciaire, les deux pays se trouve du même côté de la barrière. De plus, la Roumanie a participé en octobre passé à une réunion du Groupe de Visegrad.

L’institut Századvég effectue depuis des années des sondages d’opinion dans chacun des 28 États-membres de l’Union européenne, sur les sujets les plus divers. J’ai pu prendre connaissance de la synthèse du dernier sondage, que le grand public connaîtra aussi bientôt. Il en ressort clairement que la population de l’Union a aujourd’hui perdu confiance dans la perspective que la vie des générations futures sera meilleure que celle de maintenant.

Le rêve européen s’est brisé, ou plutôt – soyons prudents – s’est au moins cabossé. Le camp des pessimistes est aujourd’hui beaucoup plus nombreux dans les pays occidentaux que dans les pays d’Europe centrale. La proportion de ceux qui pensent que les générations futures vivront moins bien que celles d’aujourd’hui est de 68 % en France, 57 % en Autriche, 59 % en Italie, 52 % en Allemagne. Plus de la moitié en Allemagne ! Face à cela, en Hongrie – je n’évoque pas ici les autres pays d’Europe centrale – cette proportion est de 26 %, et près de la moitié des Hongrois – je pourrais dire seulement encore la moitié – pensent que leurs enfants, leurs petits-enfants vivront mieux que leurs parents aujourd’hui. Je crois qu’ils ne se trompent pas. La situation actuelle est que les enfants hongrois vivront bel et bien mieux que leurs parents ne vivent aujourd’hui. Toutefois, la source principale de l’insatisfaction vis-à-vis des élites européennes n’est pas la précarisation croissante de la classe moyenne des pays d’Europe occidentale – bien qu’elle y ait joué un rôle –, mais plutôt la gestion de la migration. Dans ce même sondage, 70 % des citoyens européens trouvent tout simplement faible la performance de l’Union sur ce terrain. 61 % des Européens interrogés estiment que l’immigration exerce plutôt un effet de ralentissement sur l’économie européenne, et un cinquième seulement – 20 % – pensent qu’elle la renforce. Nous évoquons souvent avec amertume la force gigantesque que représente ce qu’on appelle le « soft power », qui avec les universités, les instituts de recherche, les ONG, les organisations de la société civile, les médias entoure le « hard power » de la politique et qui bénéficie d’après moi, en Europe occidentale, d’une suprématie de plus de 80 % : eh bien, si je regarde les chiffres de l’immigration, je vois que leurs biceps auront beau être trois fois plus gros qu’aujourd’hui, ils n’auront que très peu de chances de déboulonner le simple bon sens.

La majorité de la population de l’Union craint toujours qu’au cours des prochaines décennies des migrants continueront d’arriver massivement en Europe à partir de l’Afrique. Les Européens considèrent comme une véritable menace que l’Europe puisse cesser d’être européenne, et en viennent à dire des choses qui surprennent à première vue, car une majorité n’hésite pas à déclarer que nous devons préserver notre culture chrétienne et nos traditions. Il est vrai qu’en Europe occidentale ils ne sont que 55 % à l’affirmer, mais les migrants y sont déjà comptés. Face à cela, en Europe centrale et orientale, la proportion de ceux qui estiment que la préservation de la culture chrétienne est importante est de 70 %, et en Hongrie, s’il vous plaît, de 80 %. Dans un pays comme la Hongrie, que nous connaissons bien, où le degré de sécularisation de la société est particulièrement avancé – nous connaissons parfaitement le taux de fréquentation des églises – plus de 80 % des personnes interrogées, indépendamment de leur appartenance personnelle à une religion, affirment qu’il convient de préserver la culture chrétienne. C’est là un mandat incontestable et très clair à l’attention du gouvernement.

Olivier Roy

Orban prétend défendre un mode de vie « européen », « naturel », « chrétien ». Mais quel mode de vie ? Comme tous les Papes le répètent depuis Humanae Vitae (1968) le mode de vie « européen » contemporain s’éloigne de plus en plus non seulement des valeurs chrétiennes mais même du modèle anthropologique chrétien. (À ce propos on peut lire le développement de la pièce de doctrine, parue ici.) Bien sûr on peut supposer que les populistes, obsédés par la dénatalité veulent multiplier les obstacles à l’avortement et interdire le mariage homosexuel, rejoignant ainsi en apparence les revendications politiques de l’Eglise catholique (mais pas celles de la majorité des églises protestantes).

Cependant l’Église est consciente du piège : soutenir les populistes sur la seule partie de leur programme qui coïncide avec celui de l’Eglise d’une part fait de l’Église un simple compagnon de route des populistes et d’autre part vide l’enseignement de l’Eglise de sa dimension spirituelle et croyante, à moins de recentrer comme le font les évangéliques américains, le message de la foi sur la seule question du salut individuel. Mais contrairement aux calvinistes, l’Église catholique a toujours eu une vision globale de la société (même si elle maintient bien sûr le principe des « deux cités »). La contradiction ne pourrait être résolue que si la politique populiste s’accompagnait d’un retour à la foi. Or on en est très loin. La société hongroise est une des plus déchristianisée d’Europe (avec les Tchèques et les Français). Si bien qu’Orbàn ne peut compter que sur des appareils cléricaux coupés de toute base vivante et qui trouveraient dans leur association avec le pouvoir un moyen de survivre institutionnellement. Mais pour une Église vivante, cette alliance politique est le baiser de la mort.

Une seule conclusion résulte de tout cela : les Européens ne veulent tout simplement pas d’immigration. En revanche, un certain Timmermans en veut, comme il l’a affirmé textuellement : « Partout dans le monde, les sociétés sont appelées à devenir diverses, c’est l’avenir du monde. C’est pourquoi les pays d’Europe centrale devront s’y habituer ». Un véritable discours marxiste et socialiste pur et dur, et il n’est pas étonnant que Juncker et Timmermans s’entendent comme larrons en foire. La seule question est celle-ci : comment Manfred Weber, membre du PPE, fait-il pour s’acoquiner avec un tel individu ?

L’Europe est aujourd’hui menacée par une migration de masse, parce que lorsque de telles masses humaines se mettent en route et quittent leur terre natale pour gagner d’autres contrées, ce n’est pas simplement une crise migratoire, mais un mouvement de population planétaire. L’on peut même prendre le risque d’affirmer que jamais une masse comparable d’hommes et de femmes n’a pris la route dans l’histoire du monde.

Que cela nous plaise ou pas, nous devons aussi réaliser que les grandes migrations n’ont jamais été de nature pacifique. Lorsque de grandes masses partent à la recherche de nouvelles patries, il en résulte inévitablement des conflits, parce qu’elles souhaitent en général occuper des territoires où d’autres vivent déjà, où d’autres se sont installés et qui sont également en mesure de défendre leur territoire, leur culture et leur mode de vie. Dans notre cas particulier d’aujourd’hui, l’objectif de la migration de masse est le monde occidental, et en son sein l’Europe occidentale, notre continent, considérée comme la destination la plus vulnérable. Cependant, Mesdames et Messieurs, devenir un objectif vulnérable n’est pas le fruit du hasard. Toute migration a ses causes propres, et dans le cas présent beaucoup se plaisent à évoquer les causes extérieures que sont la pauvreté, la faim, la pénurie d’eau, le changement climatique, la guerre, la persécution. Ce sont des causes évidentes, mais nous devons admettre qu’elles ne sont pas nouvelles. La cause principale, pour moi, est tout autre. La cause principale est la douloureuse constatation que bien plus d’enfants naissent hors d’Europe qu’en Europe, et c’est cela qui permet de comprendre que la cause première de la migration de masse, avec la crise migratoire européenne qui en découle, doit être recherchée non pas à l’extérieur, mais à l’intérieur. Si des enfants ne naissent pas en plus grand nombre en Europe, c’est parce que notre continent est aux prises avec un trouble de conscience doublé d’un trouble d’identité.

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Un élément omniprésent dans la rhétorique orbanienne : la superposition de l’Union à l’URSS.

L’immigration est comme la goutte d’eau de mer : tous les problèmes de l’Europe y sont contenus : la crise identitaire, la crise de la gouvernance politique, les problèmes démographiques, le déclin de la compétitivité de l’Europe et aussi l’opposition entre l’Europe occidentale et l’Europe centrale. Mais ce qui s’y montre plus que tout, c’est la véritable nature de la bulle bruxelloise, ou bien – comme l’a dit Péter Szijjártó – sa véritable intention.

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La stratégie d’Orban pour cette campagne est simple : jouer sur la crainte de la migration et sur son aspect plus profondément troublant – « l’invasion » de nomades venus d’ailleurs contre des populations sédentaires en dépression démographique et culturelle.

L’Europe est une communauté d’un demi-milliard d’êtres humains, nous sommes plus nombreux que les Russes et les Américains réunis. Si elle le voulait, l’Europe pourrait arrêter la migration de masse qui se dirige sur elle, mais la vérité est qu’elle ne s’y essaie même pas, elle fait même plutôt le contraire. Les dirigeants actuels de l’Europe encouragent et incitent à la migration, et n’hésitent pas à vouer aux gémonies ceux qui, comme moi-même ou Salvini, le ministre de l’Intérieur italien, s’efforcent de l’arrêter.

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On retrouve ici le coeur de l’argumentation néonationaliste et paradoxalement son aspect plus transnational (la référence à Salvini) et européen : en comparaison avec l’Europe, la Hongrie est un petit pays. Comme le disait en juin Orban : « Nous n’oublions pas la réalité : dix millions de citoyens, un PIB de 114 milliards d’euros, moins de vingt mille soldats. » Or, la petite Hongrie de Orban peut directement infléchir l’orientation générale de l’Union à condition, notamment, de demeurer dans le plus grand parti européen, le PPE, auquel il a donné 12 parlementaires et dont il se propose de transformer la ligne politique : « Nous nous attellerons à la tâche, plus difficile, de renouveler le Parti populaire européen et de l’aider à retrouver ses racines démocrates-chrétiennes. »

Comment ? Par l’articulation de valeurs clairement réactionnaires. « Chaque pays d’Europe a le droit de protéger sa culture chrétienne, il a le droit de rejeter l’idéologie du multiculturalisme. » Le projet d’Union d’Orban repose sur une organisation transnationale façonnée par le plus grand marché du monde autour d’ensembles régionaux : « L’ambition hongroise est de permettre à la Hongrie d’exister dans une région d’Europe centrale forte, composée de pays qui coopèrent étroitement et qui s’entraident. »

L’on ne peut pas considérer autrement que comme des incitations à l’immigration les mesures que Bruxelles a préconisées au cours de la période récente et qu’elle préconise toujours. Ces mesures affaiblissent des droits des États-membres à la protection de leurs frontières. Le Parlement européen vote l’introduction du visa migratoire. Le Parlement européen a approuvé une augmentation significative des sommes allouées aux organisations favorisant l’immigration et aux groupes d’activistes politiques. Ils offrent aussi des cartes bancaires pré-approvisionnées et lancent des programmes expérimentaux d’immigration avec des pays africains. Et enfin, pour casser l’opposition, ils exercent un chantage ou au moins essaient de le faire sur les pays qui font de la résistance en proposant des sanctions financières contre les récalcitrants. Voilà à quoi se prépare Bruxelles. Observez bien : dès qu’il s’agit de migration, ils en arrivent toujours au même point. Ils ont beau tordre le sujet dans tous les sens, il en sortira toujours à la fin une manière ou une autre de favoriser l’immigration. C’est comme la vieille blague que nous avons héritée de l’ancien régime sur les pièces détachées de l’usine de bicyclettes soviétique : quelle que soit la manière dont on les assemble, il en sortira toujours une mitrailleuse.

Bruxelles, mes chers amis, veut davantage de pouvoirs, davantage de pouvoirs par-dessus la tête des nations européennes. C’est l’objectif que sert le super-État supranational, le projet des États-Unis d’Europe. Il représente l’aspiration au pouvoir de l’élite bruxelloise contre les États-nations qui forment l’Europe. Et ce sont les États-nations, avec leur culture chrétienne européenne, qui barrent la route à ce projet. Il est de fait que dans la bulle bruxelloise les postes de direction sont occupés par les forces politiques et les groupements d’intérêts qui veulent mettre fin à la priorité de la culture européenne chrétienne, sur la base de l’analyse pleinement assumée selon laquelle si l’arrivée en masse d’immigrants d’autres cultures permet de repousser le christianisme, il sera possible de mettre fin non seulement au christianisme, mais avec lui également aux nations. Les démographes ont calculé à Bruxelles – pas seulement à Budapest – que si la tendance actuelle se poursuit, le nombre des musulmans en Europe passera des 43 millions de 2010 à 70 millions en 2050, et la population chrétienne diminuera de 99 millions. Les plans de la bulle bruxelloise ne prévoient aucune action visant au ralentissement de ce processus, et se préoccupent au contraire de savoir comment l’accélérer. C’est pour cela que nous n’entendons rien à Bruxelles en matière de politique familiale, et que l’on nous abreuve au contraire quotidiennement de considérations sur l’importance de la migration légale. Le commissaire chargé de l’immigration a déclaré voici trois jours que Bruxelles ne souhaite pas porter l’aide là où se trouvent ceux qui en ont besoin, mais au contraire faire venir les migrants en Europe, qui plus est – comme il l’a dit –, légalement, sur de nombreuses années et par centaines de milliers. Son programme d’immigration légale n’est autre que la couverture d’un programme de changement de la population de l’Europe. C’est à cela que nous aurons affaire pour les élections.

Sans aucune emphase, sans considération de l’ambiance classique d’une réunion électorale, je voudrais quand même affirmer sereinement que nous autres Hongrois vivons ici depuis mille ans, au cœur du Bassin des Carpates. Nous avons plusieurs niveaux d’ambition, mais nous avons au moins celle de vouloir y rester pendant au moins mille autres années, de conserver nos frontières et de laisser quelque chose à la génération qui nous suit. Je sais que les bureaucrates bruxellois s’en étranglent, s’indignent et préparent le banc d’infamie pour nos rencontres de demain, mais je voudrais tout de même rappeler que nous avons déjà l’expérience d’un empire qui a commencé avec l’attribution de davantage de pouvoirs aux Soviétiques. C’est pourquoi, chez nous, « donner davantage de pouvoirs à Bruxelles » sonne mal. Ce que nous voudrions, c’est que les nouvelles générations, nos enfants, nos petits-enfants puissent décider librement de leur vie, de la même manière que nous le faisons aujourd’hui pour la nôtre. Si toutefois l’Europe devient un continent d’immigration, les nouvelles générations n’auront pas la possibilité de choisir elles-mêmes leur forme de vie. Elles n’auront ni le droit, ni la possibilité d’en décider librement. En luttant aujourd’hui, nous luttons pour ces droits et pour ces possibilités, nous voulons que ces droits et ces possibilités soient également les leurs.

C’est pourquoi la crise de l’Europe doit être traitée à la racine. Il faut freiner les aspirations au pouvoir de l’élite bruxelloise. Quant à l’immigration, elle doit tout simplement être arrêtée. J’ai résumé en sept points ce que doivent être les mesures d’urgence qui devront être prises en Europe immédiatement après les élections dans le but d’arrêter l’immigration :

  1. Retirer la gestion de l’immigration aux bureaucrates bruxellois et la rendre aux gouvernements nationaux
  2. Déclarer ouvertement qu’aucun pays ne pourra être contraint à accueillir des migrants contre sa volonté
  3. Déclarer que personne ne devra être admis en Europe sans papiers d’identité en règle
  4. Supprimer d’un geste simple la carte bancaire migratoire et le visa migratoire
  5. Le plus important, et qui tombe le mieux : que Bruxelles ne donne pas davantage d’argent aux organisations de George Soros qui favorisent l’immigration, et que les fonds ainsi économisés soient affectés à la compensation des dépenses de protection des frontières
  6. Personne ne devra faire l’objet de discrimination négative en Europe pour s’être affirmé chrétien
  7. Que les instances compétentes – essentiellement le Parlement européen et le Conseil européen – placent des dirigeants opposés à l’immigration à la tête des institutions de l’Union

Ce sont là, Mesdames et Messieurs, les points essentiels pour nous permettre d’arrêter l’immigration et préserver notre culture chrétienne.

Je pense que nous nous sommes réunis ici aujourd’hui parce que nous croyons que dans une démocratie la décision est entre les mains des gens. Il en résulte qu’il n’est pas correct de voir le PPE s’associer à l’avance avec la gauche et les libéraux, sans même attendre la décision des électeurs.

le grand continent

Le pari d’Orban est ici le même que celui de Macron : attendre le résultat pour voir le rapport de force du prochain parlement.

Pour ma part, je demande aux Hongrois, je demande à nous tous de souscrire au programme présenté ici et d’aller voter le 26 mai. Allez voter, et montrons à Bruxelles le 26 mai que ce ne sont ni les ONG-Soros, ni les bureaucrates de Bruxelles dans leurs opaques bureaux qui auront le dernier mot, mais toujours les électeurs, dans le secret des isoloirs.

Allez la Hongrie, allez les Hongrois !

Crédits
Traduction par l’International Communication Office du Cabinet du Premier ministre.
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