Rome. Lors de l’Assemblée générale de Forza Italia (Fi), le 31 mars, le président du parti et ancien Premier ministre, Silvio Berlusconi, a lancé l’un de ses tours connus. Célébrant son expérience de gouvernement, Berlusconi a rappelé que « sans Fi, le centre-droit ne gagne pas » et a critiqué l’alliance au pouvoir entre la Ligue et le Mouvement Cinq étoiles, avant de tendre la main à Salvini : “En Europe, nous devons beaucoup changer, il y a trop de choses qui ne fonctionnent pas. Nous devons changer l’alliance du PPE avec la gauche et établir une nouvelle alliance avec ceux qui professent la souveraineté et les conservateurs de droite. (…) Nous devrions faire alliance avec les souverainistes pour les éduquer. Une alliance qui peut faire de l’Europe un continent véritablement souverain : souverainiste non pas au sens national, mais souverainiste européen, une Europe qui réponde à la menace de la Chine”. Berlusconi semble espérer que le prochain Parlement européen sera un Parlement de droite 1.

Une position plutôt audacieuse au niveau européen : en effet, bien que certains pans du PPE, y compris le candidat à la Commission européenne Manfred Weber, ont parfois considéré la possibilité d’un approche à la droite, la possibilité d’une alliance a rarement été si ouvertement évoquée. Et en tout cas, l’enthousiasme, du moins en public, semble s’être calmé après la « suspension » prononcée à l’encontre du Fidesz d’Orban, l’un des principaux représentants de cette ligne “à la droite de la droite” 2.

La position de Berlusconi n’est cependant pas nouvelle. Elle est liée au désir de recréer l’alliance de centre-droit avec la Ligue, qui s’est effondrée après les élections – alors qu’elle est pourtant encore très vivante au niveau local. Cette situation explique les insultes constantes adressées au Mouvement Cinq étoiles : pour Berlusconi, l’alliance du centre et de la droite est le seul gouvernement de coalition “naturel”. Sa proposition européenne, dans ce contexte, peut être expliquée par une opportunité d’effectuer un échange de bons procédés : s’ouvrir à Matteo Salvini signifierait sortir la Ligue de l’isolement européen auquel elle est pour le moment réduite dans le groupe eurosceptique ENF, achevant ainsi la « romanisation de Salvini » déjà lancée dans les palais romains 3. En conséquence, Forza Italia serait capable de retrouver un rôle de premier plan et de revenir au gouvernement à Rome bien que, pour le moment,le parti de Berlusconi semble voué à rester un parti insignifiant : selon les derniers sondages, le parti serait crédité d’environ 5 % des intentions de vote aux prochaines élections 4.

Il ne faut donc pas exagérer la portée européenne de la proposition de Berlusconi : il s’agit d’une démarche qui concerne avant tout l’Italie et la campagne électorale italienne. Berlusconi utilise sa rhétorique traditionnelle séduire les électeurs de droite, montrant qu’il parle le même langage que Salvini, tout en adoptant la posture d’un bon “père de la patrie”, un homme capable de promouvoir un gouvernement de droite, en Italie et en Europe, contre les dangers des populistes et de la gauche. Néanmoins, la référence à l’Europe et à la souveraineté européenne est une nouveauté importante dans le discours de Berlusconi, tout comme l’identification de l’ennemi à combattre à la Chine.

Berlusconi fait un pari : regagner du terrain dans les cercles de droite en se plaçant en médiateur entre les souverainistes. Cette tentative, au niveau européen, est loin d’être un succès : Berlusconi est désormais isolé du PPE et Forza Italia risque d’avoir un poids résiduel dans le nouveau Parlement européen, où de nombreuses voix plus fortes peuvent espérer former des alliances avec les souverainistes – de Manfred Weber à Sebastian Kurz. Ainsi, le prochain Parlement européen pourrait pencher à droite – mais le mérite n’en reviendra pas à Berlusconi. Et pourtant, au niveau italien, le poids de Berlusconi semble beaucoup propice à bouleverser les alliances : les crises constantes de la coalition Ligue-M5S pourraient conduire à une alliance de droite entre la Ligue et Forza Italia en tant que partenaire junior, Ramenant ainsi l’Italie vers le centre de l’échiquier politique européen. Comme va l’Italie, ainsi va l’Europe ?

Sources
  1. FRIGNANI Filippo, Berlusconi vuole un’alleanza tra popolari e sovranisti in Europa, Agi, 31 mars 2019.
  2. MENNERAT Pierre, ROSPARS Theophile, Suspension du Fidesz par le PPE : une décision qui ne règle rien, Le Grand Continent, 24 mars 2019.
  3. COLLOT Giovanni, L’accord sur la Chine montre comment la Ligue est devenue le nouveau parti de l’establishment, Le Grand Continent, 24 mars 2019.
  4. Poll of polls – Italy, 2 avril 2019.