Rome. Dans la capitale italienne, il ne se passe pas un jour sans que le gouvernement « jaune-vert », surnom de la coalition entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles, semble sur le point de s’effondrer. Les deux partis s’affrontent en effet sur quasiment toutes les affaires délicates : de la TVA au revenu de base, en passant par le mémorandum d’accord avec la Chine, signé le 22 mars dernier (1).

C’est justement au sujet de la Chine que la dernière rupture grave a eu lieu. Après les critiques féroces émises par les États-Unis à l’encontre de cet accord, les deux partis semblent avoir adopté deux approches différentes : d’une part, le Mouvement 5 Étoiles, et en particulier le vice-Premier ministre Luigi di Maio et le Premier ministre Giuseppe Conte, ont pris fait et cause pour l’accord, en en louant les avantages économiques pour le pays. D’autres part, Matteo Salvini est d’un tout autre avis : « s’il s’agit d’aider les entreprises italiennes à investir à l’étranger, nous sommes disposés à parler avec tout le monde », a expliqué le chef de la Ligue. « Mais si le moindre doute existe sur le fait que certaines acquisitions puissent mettre en difficulté la sécurité nationale, en tant que ministre de l’Intérieur, j’émettrai un non définitif : l’Italie est fort attachée à une alliance qui justement requiert de l’attention » (3).

La position de Salvini est partagée par l’ensemble de la Ligue – bien que, immense paradoxe, le principal deus ex machina derrière l’accord avec la Chine soit le sous-secrétaire Michele Geraci, technocrate choisi justement par la Ligue. La fermeté de Salvini s’explique par le fait que, sur la question de la Chine, un axe commun entre la Ligue et les États-Unis s’est créé dès le début : les plaintes de Washington ont été reçues par le parti de Salvini, en particulier grâce au travail de ses deux meilleurs représentants, Giancarlo Giorgetti et Guglielmo Picchi, qui jouissent d’un entregent important et de bons rapports à l’intérieur du Parti républicain américain. Ce qui a contribué à une redimensionnement encore en cours du texte du mémorandum, mais surtout à l’immense isolement du Mouvement Cinq Étoiles dans l’affaire. De fait, de façon peu commune, le ministère des Affaires étrangères italien est allé jusqu’à se détacher de l’accord, et l’accueil de la délégation chinoise a été organisé par le ministère du Développement économique, tenu par Di Maio. En substance, le mémorandum est désormais vu à Rome comme l’œuvre solitaire du Mouvement Cinq Étoiles, qui aurait imprudemment pris de dangereuses décisions ayant une résonance politique et géopolitique et mettant en péril les alliances historiques (2).

La question du mémorandum d’accord avec la Chine met ainsi en lumière une importante évolution au long cours : face à l’inexpérience du Mouvement Cinq Étoiles, la Ligue se taille de plus en plus le rôle de parti représentatif des instances de l’establishment et des alliances traditionnelles. Si, sur le papier, Salvini continue à avoir un message extrémiste et conflictuel, en vérité, en pratique, la Ligue tend de plus en plus, grâce à ses vingt ans d’expérience de gouvernement, à devenir le véritable et authentique « parti de la nation ». Ainsi, en reléguant au second plan ses liens, multiples et prouvés, avec Poutine, Salvini rejoint désormais le bastion atlantiste. Il s’agit d’une évolution importante de laquelle il faut tenir compte, également au niveau européen avec les élections de mai, au cours desquelles la Ligue devrait devenir le premier parti du pays. Si Salvini réussissait à se présenter, même à Bruxelles, comme le parti de l’establishment, l’équilibre de la politique européenne s’en retrouverait fortement modifié.

Sources :

  1. GOLDSTEIN Andrea, Xi Jinping in Italia, 3 speranze e 3 timori per la visita del presidente cinese, Il Sole 24 Ore, 21 mars 2019.
  2. POMPILI Giulia, Così siamo arrivati a stare con i cinesi senza avere niente in cambio, Il Foglio, 21 mars 2019.
  3. Cina, Salvini : memorandum non è testo sacro, si può migliorare, Rai News, 14 mars 2019.