Budapest. La relocalisation de la banque russe International Investment Bank à Budapest sert les intérêts du Kremlin dans son projet d’établir un système financier capable de lutter contre l’Occident. Les justifications apportées par le gouvernement de Viktor Orban ne permettent pas d’expliquer les raisons ayant motivées la Hongrie à garantir diverses immunités et exemptions à la banque.

La banque IIB a été fondée en 1970 en URSS pour promouvoir la coopération économique entre les pays membres du Conseil d’assistance économique mutuelle (COMECON). Elle a été ressuscitée au début des années 2010 sous l’impulsion de Vladimir Poutine et comprend neuf membres dont la République Tchèque, la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie. La Russie est l’actionnaire principal de la banque avec 46 % des parts, et elle est inscrite au sein des organes officiels de la Fédération de Russie. IIB est donc partie intégrante de l’administration étatique de la Russie.

Selon la loi adoptée par le parlement hongrois, le siège social de IBB est sous le control total de la banque russe. Elle ne peut-être visée par des procédures de confiscation de biens ou d’expropriations. Les actifs de IBB sont immunisés de « toutes restrictions, régulations, contrôles et moratoires » (2). Les transactions de la banque et ses opérations ne peuvent être surveillées par un organe de contrôle et par des régulateurs financiers. L’immunité diplomatique offerte à IBB interdit les autorités hongroises de pénétrer dans le bâtiment et d’y effectuer des fonctions officielles sans que IBB ne fournisse une autorisation.

Le gouvernement hongrois est tenu de fournir l’immunité parlementaire aux employés et dirigeants de IIB, leurs familles et aux « invités » de la Banque. La Hongrie est obligée de faciliter l’entrée sur le territoire d’individus invité par IIB en fournissant les documents nécessaires, sans considération de leur citoyenneté. La loi régissant les conditions de relocalisation de la banque russe ne fixe également aucune limite sur le nombre maximum d’employés ou d’invités pouvant se rendre en Hongrie.

Le gouvernement hongrois a tenté de justifier ces autorisations en déclarant que l’ouverture du siège social de IIB à Budapest stimulera l’économie et fera de la capitale un « centre financier international ». Pourtant, IIB sera seulement la 17ème banque la plus importante en Hongrie et la seule à disposer de telles autorisations. En outre, la Hongrie est le 3ème pays ayant le plus contribué à IIB mais n’a reçu que 5 % du total des prêts conférés par la banque, soit la plus petite partie de tous les pays actionnaires (4).

La relocalisation de la banque permettra à la Hongrie de bénéficier de prêts pour des projets que l’Union Européenne (UE) refuse de financer. En effet, la banque pourra fournir des prêts à des oligarques hongrois proches du gouvernement et favorables aux intérêts de la Russie. Par le passé, IIB a déjà fourni un prêt de 15 millions d’euros à MET group, une compagnie gazière possédée en partie par un actionnaire hongrois proche d’Orban, afin de financer l’acquisition d’un fournisseur régional de gaz (4).

En outre, la libre-circulation des invités de IIB soulève des inquiétudes au sein de l’UE. La banque pourra potentiellement accueillir plusieurs dizaines d’individus libres de circuler sur la totalité de l’espace Schengen. Alors que les pays membres ont décidé l’expulsion de plusieurs diplomates russes suite à l’empoisonnement de Sergueï Skripal, le siège de la banque pourra servir de « pied-à-terre » à des espions envoyés par le Kremlin. Le président de la banque, Nicolai Kosov, est lui-même soupçonné d’avoir été membre du KGB (1). Par le passé, la Hongrie a déjà fait face à des critiques des pays occidentaux pour avoir accordé des permis de résidence à des membre de la famille du directeur du service des renseignements extérieurs de Russie (SVR), Sergueï Narychkine (3).

Par le biais de IIB, la Russie tente de jouer sur les divisions au sein de l’UE en fournissant un système de finance alternatif à celui de l’Occident. En tant qu’institution multilatérale, la banque ne sera pas sous le coup des sanctions adoptées par l’UE contre la Russie.

Les États-Unis ont exprimé leur inquiétude concernant les liens grandissants entre la Russie et la Hongrie. La décision d’offrir l’immunité à IIB a été publiée seulement quelques jours après la visite de Mike Pompeo à Budapest. À cette occasion, le secrétaire d’État américain avait alerté Viktor Orban sur les dangers d’un rapprochement avec le Kremlin (1). L’autorisation offerte par la Hongrie à la banque russe intervient quelques semaines après que la Hongrie a refusé de renouveler un traité militaire avec les États-Unis en invoquant la nécessité de défendre sa souveraineté nationale.

L’établissement du siège social de IIB à Budapest est donc une preuve de plus des relations entre Orban et Poutine, et amène à s’interroger sur les risques liés aux possibilités offertes par ce « cheval de Troie » dirigé depuis le Kremlin.

Perspectives :

  • Le siège social de International Investment Bank ouvrira dans la seconde partie de l’année 2019.

Sources :

  1. APUZZO Mat et NOVAK Benjamin, Hungary Rolls Out Red Carpet for Obscure Russian Bank, Stoking Spy Fears, New York Times, Mars 18, 2019.
  2. BIRO Marianna et KOVACS Zoltan, Putin’s bank moves to Budapest, gets all conceivable privileges and immunities, Index, 20 février 2019.
  3. Say hello to the director of Russia’s Foreign Intelligence Service, Meduza, 10 septembre 2018.
  4. RÁCZ András, A foot in the door ? Russia’s International Investment Bank moves to Hungary, European Council of Foreign Relations, 18 mars 2019.

Milàn Czerny