« Mondialisation : permettre à ses entreprises de faire des bénéfices à l’étranger et aux produits et services étrangers d’entrer dans son pays, sans porter atteinte à sa sécurité nationale et à ses avantages concurrentiels technologiques et économiques. »
Morris Chang
Le paradoxe de Greenspan et la primauté de la sécurité nationale
En 2007, alors que nous vivions dans un monde différent de celui d’aujourd’hui, un journal suisse a demandé à Alan Greenspan quelles étaient ses préférences politiques pour les prochaines élections présidentielles américaines. L’ancien président de la Réserve fédérale a répondu avec franchise : « nous avons la chance que, grâce à la mondialisation, les décisions politiques aux États-Unis aient été largement remplacées par les forces du marché mondial. La sécurité nationale mise à part, cela ne fait guère de différence de savoir qui sera le prochain président. Le monde est régi par les forces du marché »1.
Plusieurs chercheurs, dont Adam Tooze, Quinn Slobodian ou encore Wolfgang Streeck2 ont fait référence à l’aveu de Greenspan dans leurs travaux, comme une preuve du mantra de la mondialisation — où la politique est reléguée au second plan tandis que les marchés décident de tout. Mon point de vue — que j’ai expliqué en détail dans mon livre de 2020 sur le capitalisme politique3 — est fondamentalement différent : ce qui importait dans la réponse de Greenspan n’était pas la primauté du marché et la réalité de la politique condamnée à régner dans le vide4. Certes, c’était vrai, mais ce n’était guère nouveau. Ce qui importait bien plus, rétrospectivement, c’était sa référence presque involontaire à la sécurité nationale. Dans le monde de Greenspan, le domaine de la sécurité nationale existait, mais cet espace ennuyeux, peuplé de généraux, était loin de ce qui comptait vraiment : l’économie. Toutefois, cette vision de la sécurité nationale devenait de plus en plus superficielle, en particulier pour les États-Unis en tant que puissance mondiale, en dépit de ce que Greenspan lui-même pensait.
Dans Crashed, Tooze rappelle que l’analogie avec la sécurité nationale a été utilisée par Timothy Geithner pour expliquer la nécessité d’une réponse rapide et forte aux crises financières, lors d’un débat avec Lawrence Summers sur le pouvoir de renflouement : « Le président est investi de pouvoirs extraordinaires pour protéger le pays des menaces qui pèsent sur notre sécurité nationale. Ces pouvoirs sont assortis de contraintes soigneusement conçues, mais ils permettent au président d’agir rapidement in extremis. Le Congrès devrait donner au président et aux principaux acteurs financiers les pouvoirs nécessaires pour protéger le pays de la dévastation des crises financières »5.
Les analogies et les outils de la sécurité nationale ont été largement utilisés aux États-Unis, tant pour la guerre contre le terrorisme que pour la réponse aux crises financières, mais cela reposait sur une tradition de longue date, qui fait des États-Unis un système de capitalisme politique. Pour Branko Milanovic6, les États-Unis incarnent le capitalisme libéral, tandis que la Chine est un système de capitalisme politique. Cependant, cette vision ne nous aide pas à comprendre le rôle de la sécurité nationale dans les situations d’urgence du XXIe siècle — qui conduisent toutes à « l’urgence » par excellence, à savoir le défi lancé par la Chine à la puissance mondiale des États-Unis. Pour comprendre le conflit entre les États-Unis et la Chine, il faut plutôt considérer les États-Unis comme une variante démocratique de capitalisme politique.
Certes, les États-Unis sont une économie de marché forte, avec un secteur privé dynamique, les plus grands marchés financiers du monde et une influence décisive des entreprises sur la politique, la Cour suprême considérant les dépenses de campagne comme relevant du free speech (voir notamment l’arrêt Citizens United v. FEC qui interdit au gouvernement de limiter ces dépenses). Toutefois, d’autres questions doivent être examinées attentivement : il existe des centaines de bases militaires américaines dans le monde et la marine américaine est le principal fournisseur de sécurité pour le commerce mondial ; à date, l’accord sur le budget de la défense pour 2024 s’élève à 886 milliards de dollars et les dépenses de défense en matière de recherche et développement à environ 100 milliards de dollars.
En outre, les États-Unis disposent d’un État de sécurité nationale de grande envergure, grâce à la mise en place d’un vaste appareil de sécurité et d’une législation adéquate depuis l’administration Truman ; il existe une série d’outils de guerre économique toujours en place, approuvés au cours des guerres du XXe siècle, notamment le Trading with the Enemy Act de 1917 (Première Guerre mondiale) et le Defense Production Act de 1950 (Guerre de Corée). Sur la base de ces textes et du rôle mondial du dollar, les États-Unis possèdent le plus grand système de sanctions au monde, avec une extraterritorialité très étendue, ainsi qu’un système très intrusif de contrôle des investissements étrangers fondé sur une interprétation large de la sécurité nationale, qui repose sur l’affirmation de 1933 : « Personne ne dispose d’un droit acquis à faire du commerce extérieur avec les États-Unis »7.
La partie la plus importante de la boîte à outils de la guerre économique américaine est son mécanisme de contrôle des exportations, qui est désormais une méthode sophistiquée pour imposer des coûts aux entreprises américaines qui sont des points nodaux des chaînes d’approvisionnement, dans le but d’infliger des dommages beaucoup plus importants aux adversaires — en particulier à la République populaire de Chine. Pour en revenir à Greenspan, il s’agit là d’un renversement de la mondialisation : les forces du marché sont remplacées par des décisions politiques.
Les clefs d’un monde cassé.
Du centre du globe à ses frontières les plus lointaines, la guerre est là. L’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine nous a frappés, mais comprendre cet affrontement crucial n’est pas assez.
Notre ère est traversée par un phénomène occulte et structurant, nous proposons de l’appeler : guerre étendue.
La sécurité nationale est à notre monde ce que le rose est au monde de Barbie
Considérer les États-Unis comme un simple « système capitaliste libéral » ou comme le « berceau du néolibéralisme » n’est tout simplement pas utile pour comprendre ces outils et ces questions. Ils sont devenus beaucoup plus pertinents ces dernières années, étant donné la concurrence croissante entre les États-Unis et la Chine, en particulier sur les chaînes d’approvisionnement telles que les semi-conducteurs et les technologies propres8.
Bien entendu, la République populaire de Chine, en tant que société autoritaire singulière, possède un concept de sécurité nationale beaucoup plus large que celui des États-Unis, et ce concept s’est encore élargi sous le règne de Xi Jinping. Sous le Parti communiste chinois, le monopole wébérien sur l’utilisation légitime de la force physique doit être pris au pied de la lettre — les activistes et les entrepreneurs chinois en savent quelque chose. En outre, le secrétaire général Xi Jinping a constamment souligné le lien entre les technologies clefs et la sécurité nationale. En 2014, il a déclaré aux ingénieurs chinois : « Ce n’est qu’en maîtrisant de nos propres mains les technologies essentielles que nous pourrons vraiment prendre l’initiative en matière de concurrence et de développement, et sauvegarder fondamentalement notre sécurité économique nationale, notre sécurité nationale et notre sécurité dans d’autres domaines »9. La loi sur le renseignement national de 2017, qui a fait l’objet d’un vaste débat sur les responsabilités des ressortissants et des entreprises chinoises (par exemple, les entreprises dans le secteur des technologies de l’information et de la communication) en matière de transmission d’informations sensibles pour des raisons de sécurité, s’inscrit également dans le cadre de cet effort en faveur de la sécurité nationale.
La sécurité nationale est omniprésente, en particulier dans le débat actuel sur la concurrence technologique et les chaînes d’approvisionnement mondiales. En septembre 2022, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, Jake Sullivan, a déclaré : « Les technologies liées à l’informatique, les biotechnologies et les technologies propres sont de véritables « multiplicateurs de force » dans l’ensemble de l’écosystème technologique. Et le leadership dans chacun de ces domaines est un impératif de sécurité nationale »10. En avril 2023, la secrétaire au Trésor Janet Yellen a affirmé que les États-Unis avaient un « intérêt national vital » à maintenir certaines technologies hors de portée de l’appareil militaire et sécuritaire chinois. Après avoir décrit l’ensemble des outils de guerre économique américains, désormais appelés « résilience de la chaîne d’approvisionnement » — contrôles des exportations, sanctions, examen des investissements étrangers, un futur programme visant à restreindre les investissements à l’étranger — elle a déclaré : « Ces mesures de sécurité nationale ne sont pas conçues pour nous donner un avantage économique compétitif ou pour étouffer la modernisation économique et technologique de la Chine. Même si ces politiques peuvent avoir des répercussions économiques, elles sont motivées par des considérations directes de sécurité nationale. Nous ne ferons aucun compromis sur ces questions, même si elles nous obligent à faire des concessions par rapport à nos intérêts économiques »11.
Le concept global de sécurité ne se limite pas aux États-Unis. Lors de la présentation de la première stratégie de sécurité nationale allemande, le chancelier Olaf Scholz a mis l’accent sur un « concept large de sécurité » et la ministre des affaires étrangères Annalena Baerbock est allée plus loin, affirmant que la sécurité « signifie assurer notre chauffage », « être capable de trouver des médicaments pour nos enfants dans nos pharmacies », « avoir des smartphones qui fonctionnent parce que l’approvisionnement en puces électroniques nécessaires est fiable », « se rendre au travail en toute sécurité parce que nos trains ne sont pas paralysés par des cyberattaques », et « protéger les ressources naturelles dont toute vie dépend »12.
Rachel Reeves, Chancelière de l’Échiquier du shadow cabinet du Royaume-Uni, a récemment défendu l’idée de la « sécuronomie »13 — économie mettant fortement l’accent sur la sécurité économique — en faisant l’éloge de l’approche de l’administration Biden. Les principaux géants technologiques tels que TSMC, ASML et Samsung, recherchent désormais des analystes du risque géopolitique et mettent l’accent sur les risques de sécurité dans leurs rapports annuels, compte tenu également de leur vulnérabilité à l’espionnage industriel, en particulier de la part de la Chine. Rétrospectivement, Greenspan ressemble vraiment « au sorcier qui n’est plus capable de contrôler les puissances du monde souterrain qu’il a appelées par ses sortilèges »14.
L’escalade de la sécurité nationale ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Elle continuera d’être déterminée par le fait que les États-Unis sont un système capitaliste politique, engagé dans une compétition avec une Chine autoritaire désireuse d’obtenir à tout prix une position plus autonome sur plusieurs chaînes d’approvisionnement technologiques. Cette escalade n’a pas eu d’impact quantitatif sur le commerce — les échanges entre les États-Unis et la Chine ont atteint un niveau record en 2022 —, mais elle se concentre déjà sur les technologies qui permettent un développement à la fois industriel et militaire. Cependant, cette référence au développement militaire et à l’objectif de modernisation militaire de l’Armée populaire de libération, souvent considérée comme une base pour les actions américaines, telles que le contrôle des exportations de semi-conducteurs, est floue et très difficile à définir en termes clairs. Si les outils d’IA peuvent avoir une utilisation et un objectif militaires, cela signifie-t-il que tout ce qui est lié à l’IA relève de la sécurité nationale ? Nous nous engageons sur une voie où la sécurité nationale est à notre monde ce que le rose est au monde de Barbie — sommes-nous prêts à y faire face ?
Pour mieux comprendre ce processus et ses conséquences pour l’Europe, il faut se tourner vers l’Asie orientale.
Comment les journalistes de la Nikkei Asia nous aident à comprendre les semi-conducteurs et les chaînes d’approvisionnement technologiques
Dans le monde de la concurrence technologique, la montée en puissance de Cheng Ting-Fang et de Lauly Li est un événement clef et encore sous-estimé.
Si vous ne connaissez pas ces deux reporters taïwanais, qui travaillent pour la Nikkei Asia — Nikkei est également propriétaire du Financial Times — il faut lire tous leurs travaux. Depuis 2019, en particulier, ils ont fourni la meilleure couverture de tout ce qui se passe dans la fabrication technologique et dans l’industrie des semi-conducteurs. Ils ont expliqué la poussée de Foxconn sur le marché des plates-formes de voitures électriques, les mouvements d’Apple au Vietnam15, les stocks de Huawei16 et sa poussée pour la production de puces17, les ambitions de la Chine sur le marché de la mémoire18 et bien plus encore.
L’industrie des semi-conducteurs, fermement ancrée au centre de la concurrence entre les États-Unis et la Chine, a pu être appréhendée dans son long parcours depuis les années 1950 grâce à une série d’outils : histoire orale et conférences des principaux acteurs sur l’ingénierie et l’économie des semi-conducteurs, histoire commerciale des principales entreprises, rapports d’associations et de sociétés de conseil — qui sont souvent biaisés mais contiennent des données utiles —, grands livres récents tels que The Chip, The Intel Trinity, Fabless et, plus récemment, Chip War ou encore l’article de Chris Miller qui développe cette thèse dans les pages du Grand Continent. Mais les reportages de la Nikkei Asia seront considérés par les futurs historiens de la guerre des puces non seulement au même niveau que le meilleur journalisme de guerre du XXe siècle, mais aussi comme un outil clef pour comprendre la prise de décision et les dilemmes politiques.
Dans leur meilleur article sur 2021, Cheng Ting-Fang et Lauly Li décrivent les voyages de Wuhan à Pékin effectués par des cadres supérieurs de Yangtze Memory Technologies Co — le fleuron chinois en matière de puces mémoires. Ces dialogues avec le gouvernement central, expliquent les journalistes, sont axés sur un examen de la chaîne d’approvisionnement : depuis deux ans, des centaines de personnes travaillent au sein de l’entreprise pour la protéger des sanctions américaines et des contrôles à l’exportation, « cherchant à en apprendre le plus possible sur l’origine de tout ce qui entre dans la composition de ses produits, depuis les équipements de production et les produits chimiques jusqu’aux minuscules lentilles, vis, écrous et roulements des machines de fabrication de puces et des lignes de production », ont déclaré plusieurs sources au fait de l’affaire. L’audit porte non seulement sur les propres lignes de production de YMTC, mais aussi sur les fournisseurs, les fournisseurs des fournisseurs, et bien d’autres19.
Cheng Ting-Fang et Lauly Li montrent à l’aide d’un grand nombre de données et d’exemples la volonté de la Chine d’analyser les dépendances et de remplacer les opérateurs historiques étrangers par des acteurs chinois dans tous les segments de la chaîne d’approvisionnement en semi-conducteurs ; mais ils montrent également à quel point il est difficile d’atteindre ces objectifs.
Qu’est-ce que cela signifie ? Pour décider des contrôles à l’exportation visant à décapiter la Chine dans sa quête d’autosuffisance en 2022, le ministère américain du commerce n’avait pas besoin d’informations classifiées : il pouvait simplement s’appuyer sur les articles de la Nikkei Asia.
Le travail de Cheng Ting-Fang et Lauly Li, à travers d’autres études clefs de 202220 et la collaboration visuelle avec le Financial Times, est la meilleure boussole pour naviguer dans les dilemmes de la sécurité nationale : les États-Unis et la Chine s’efforcent de créer leurs « sphères de sécurité nationale », mais il est incroyablement difficile de modifier une chaîne d’approvisionnement complexe, qui comprend des centaines et parfois des milliers d’entreprises, dont beaucoup sont essentielles pour plusieurs processus.
Il est embarrassant d’entendre des soi-disant penseurs stratégiques américains proposer de « bombarder » TSMC comme acte de dissuasion alors qu’ils pourraient comprendre comment l’écosystème de TSMC fonctionne — et pourrait tout simplement ne pas fonctionner face à une invasion chinoise — simplement en lisant un article de la Nikkei Asia. C’est aussi un message à la culture dite occidentale : personne n’a été capable de fournir un travail sur nos entreprises, sur nos chaînes d’approvisionnement, sur nos forces, comparable à ce qu’ont fait ces deux journalistes asiatiques. Nous regardons encore l’Asie orientale avec complaisance, mais la guerre commerciale et la guerre des puces nous ont rappelé l’importance de Taïwan, de la Corée du Sud, du Japon, de Singapour et du Vietnam dans le tissu même de notre monde.
La prise de conscience des dépendances et des vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement est désormais un facteur clef dans le paradigme de la sécurité nationale. L’Europe devrait rappeler que la compréhension de la réalité des chaînes d’approvisionnement est bien plus importante que l’utilisation de termes tels que « autonomie stratégique » et « coercition économique ». C’est pourquoi, en ce qui concerne les différentes initiatives prises par l’administration Biden, nous ne devrions pas simplement nous concentrer sur le Chips & Science Act et sur l’Inflation Reduction Act de 2022, mais nous devrions examiner plus attentivement leur prémisse de 2021 : le rapport de juin 2021 « Building Resilient Supply Chains, Revitalizing American Manufacturing, and Fostering Broad-Based Growth » (Construire des chaînes d’approvisionnement résilientes, revitaliser l’industrie manufacturière américaine et encourager une croissance à grande échelle), par exemple.
Ce rapport a passé en revue les principales chaînes d’approvisionnement, sur la base du décret n° 14017 sur les chaînes d’approvisionnement américaines, signé par le président Biden le 24 février 2021. Le document fournit une analyse des chaînes d’approvisionnement à travers la contribution de différents départements : Semi-conducteurs et emballages avancés (Département du commerce) ; Batteries de grande capacité (Département de l’énergie) ; Minéraux et matériaux critiques (Département de la défense) et Produits pharmaceutiques et ingrédients pharmaceutiques actifs (Département de la santé et des services humains).
Supervisé par le directeur du Conseil économique national Brian Deese et le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, ce rapport a servi de base à la législation visant à s’attaquer à des vulnérabilités spécifiques par le biais du Chips & Science Act et de l’Inflation Reduction Act. Il a fourni des informations utiles sur la position des États-Unis dans ces chaînes d’approvisionnement et sur leurs trajectoires. Par exemple, le rapport contient des données et des jugements sur la domination de CATL et BYD sur le marché des batteries et des véhicules électriques, ainsi que des informations sur la position des États-Unis sur le marché des équipements de fabrication de semi-conducteurs, et met l’accent sur l’emballage avancé en tant que domaine prometteur pour l’avenir proche.
Le rapport met également en évidence une approche cohérente entre l’administration Trump et l’administration Biden, par exemple dans l’attitude du ministère de la Défense. En 2018, le ministère de la Défense avait déjà fourni des informations sur les vulnérabilités de la base industrielle de défense, en se concentrant sur la question de la résilience de la chaîne d’approvisionnement21 et en réponse à un décret du président Trump.
La lecture du rapport de 2021 est également utile pour identifier les dilemmes actuels en matière de sécurité nationale. Prenons l’exemple des semi-conducteurs nécessaires à la défense et à la sécurité nationale. Le rapport dit ouvertement : « En l’absence de fabricants de semi-conducteurs de pointe aux États-Unis ou dans d’autres pays membres de la base technologique et industrielle nationale, le ministère de la défense n’est actuellement pas en mesure de garantir son accès à des chaînes d’approvisionnement sûres. De même, le superordinateur Aurora prévu par le laboratoire national Argonne du ministère de l’énergie a dû passer d’Intel à TSMC en raison des retards d’Intel dans le lancement de la production en 7nm ». Cela signifie qu’il existe des vulnérabilités très concrètes au niveau des semi-conducteurs dans la base industrielle de défense des États-Unis, mais la remarque sur le supercalculateur Aurora semble davantage être un message adressé à une entreprise spécifique, Intel. Quelles sont les conséquences réelles de cette approche ? Tout le problème est là : on peut essayer de perturber une chaîne d’approvisionnement en raison de la primauté de la sécurité nationale, mais on ne peut pas modifier l’équilibre entre les marchés d’utilisateurs. Le secteur de la défense est considéré comme une très petite fraction du marché global des semi-conducteurs — moins de 1 % — et il faut donc équilibrer vos ressources et vos objectifs.
En outre, si les contrôles à l’exportation nuisent directement aux revenus de vos entreprises en Chine, vous devez d’abord analyser cette dépendance spécifique, puis proposer des alternatives ou laisser les entreprises américaines « ressentir la douleur » de leurs choix. Ainsi, le gouvernement américain se retrouve dans un processus de négociation cohérent où les entreprises de différents segments veulent avoir leur mot à dire et leur part du gâteau. C’est ce qui s’est passé récemment avec les remarques de Jensen Huang, le P.-D.G. de Nvidia sur les contrôles à l’exportation22 : la réussite de la vague d’IA dans le domaine des semi-conducteurs veut maintenir son accès au marché chinois, dans le respect des règles américaines. Compte tenu de son succès, sa voix deviendra probablement plus pertinente dans la conception de ces règles et dans leur processus d’apprentissage.
L’Europe et l’éléphant dans la pièce
Comment se porte l’Europe dans le nouveau monde de la sécurité nationale ? Comme nous l’avons expliqué, tout le monde doit désormais prendre en compte les nouvelles incertitudes et les nouvelles dépendances. Pas seulement l’Europe.
Mais, d’une part, la position de la Chine a changé. Pékin ne peut pas compter sur une progression sans contrainte de sa position dans les chaînes d’approvisionnement technologiques, compte tenu de la contre-attaque des États-Unis et de l’accent mis par l’Occident sur la coercition économique. Le monde confortable de Made in China 2025, où le Parti communiste chinois pouvait planifier la montée en puissance de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement clefs, telles que les semi-conducteurs et la robotique, et jouer un jeu de substitution des importations par le biais du pouvoir de marché, n’existe plus. En outre, l’arrogance de la Chine et la publicité faite autour de ses propres objectifs ont été critiquées par des personnalités éminentes telles que l’ancien directeur financier Lou Jiwei23.
D’autre part, même les États-Unis doivent trouver un équilibre entre les intérêts économiques, la volonté politique et la réalité politique. Le compte Twitter de la Maison Blanche postait ainsi le 11 juin : « Sous l’administration Biden-Harris, les entreprises privées ont annoncé plus de 470 milliards de dollars d’engagements pour investir dans les industries du XXIe siècle — en ramenant l’industrie manufacturière en Amérique et en créant des emplois bien rémunérés »24.
Il semble toutefois prématuré de se réjouir des engagements impressionnants pris dans le cadre de projets manufacturiers aux États-Unis si l’on n’est pas conscient à la fois du défi que représente la main-d’œuvre et des risques politiques. D’autres puissances, en particulier en Asie orientale, sont appelées à prendre parti ou à faire un choix, et elles se concentrent sur une nouvelle attitude stratégique (Japon) ou restent incertaines en raison de leur forte dépendance à l’égard de la Chine, à la fois pour le marché et pour la fabrication, même dans le domaine des semi-conducteurs (comme en Corée du Sud).
Dans le monde de la sécurité nationale, l’Europe se retrouve dans un dilemme particulier. Selon l’article 4 du traité sur l’Union européenne, « la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ». Par conséquent, les États membres se retrouvent seuls alors que le champ d’application de la sécurité nationale s’élargit inévitablement. Bien sûr, nous pourrions développer des mécanismes de coordination, comme c’est déjà le cas pour le contrôle des investissements étrangers, mais les intérêts divergents des États continueront à jouer un rôle dans l’Union. Par exemple, si nous développions un mécanisme de financement commun pour les technologies critiques, certains États pourraient se plaindre qu’ils ne possèdent pas de capacités ni d’entreprises dans ces domaines, et pour leur accord, ils demanderaient certainement quelque chose en retour. Par conséquent, les négociations politiques européennes, y compris au niveau budgétaire compte tenu de la position différente des États membres sur les règles fiscales de l’Union, devraient être considérées comme une contrainte supplémentaire pour nous — au même titre que l’équilibre entre la sécurité nationale et les intérêts économiques qui influencent également d’autres acteurs.
Dans le monde de la concurrence technologique, l’Europe s’est trop souvent payée de mots. Il suffit de penser à l’annonce, à l’été 2019, d’un fonds souverain européen, baptisé « European Future Fund »25. Ce fonds, doté de 100 milliards d’euros, était censé aider les entreprises européennes capables de rivaliser avec les géants du numérique que sont les États-Unis et la Chine, par le biais de prises de participation26. En 2023, nous nous retrouvons ainsi comme dans le film Un jour sans fin, avec, encore, de nouveaux débats autour d’un fonds souverain européen. Certes, le lancement du plan de relance a marqué la volonté des États membres de mettre en commun leurs ressources, mais le programme n’était pas aussi ciblé que l’exige la concurrence d’aujourd’hui et de demain autour des chaînes d’approvisionnement technologiques. Les ressources, la coordination et les résultats de l’Union dans des domaines tels que l’innovation en matière de défense sont encore très limités27 par rapport à l’environnement incertain et tumultueux dans lequel nous vivons.
Il est vrai que l’Europe, par l’intermédiaire de la présidente von der Leyen, a proposé avec le « de-risking » une meilleure formule que le « de-coupling » pour comprendre la relation avec la Chine. Mais ce n’est qu’un mot. Traduire cette formule dans la réalité est une autre histoire.
Une approche honnête de la réduction des risques devrait prendre en compte l’éléphant dans la pièce : à savoir la relation entre les grandes entreprises européennes et le marché chinois. Les acteurs industriels européens, dans plusieurs domaines, à commencer par l’automobile, ont eu une vision naïve de la Chine, qui est en contradiction avec le monde de la sécurité nationale. Selon cette vision, étant donné que la Chine est un grand marché — elle est devenue le premier marché automobile mondial en 2009 — l’accès au marché chinois est considéré comme une priorité vitale, par rapport à laquelle toutes les autres considérations sont secondaires. Cependant, tout investissement sur le marché chinois doit tenir compte du projet de la Chine de dominer les principales chaînes d’approvisionnement par l’intermédiaire de ses propres entreprises. Les entreprises de l’Union, dans des domaines tels que l’automobile, les semi-conducteurs, la robotique et les produits chimiques, ont souligné à juste titre l’importance du marché chinois pour leurs activités, mais elles ont cruellement sous-estimé l’objectif d’autosuffisance de la Chine et ses conséquences pour elles. Et elles continuent à le faire parce qu’elles se font l’illusion qu’elles pourront conserver une sorte d’« avantage » par rapport aux entreprises chinoises, même si elles continuent à transférer des technologies ou à créer des co-entreprises qui dépendent du marché chinois. Il ne s’agit pas de mesures de réduction des risques, mais plutôt de mesures d’autodestruction.
La montée en puissance de la Chine dans le domaine des batteries et des véhicules électriques, par le biais d’entreprises telles que CATL et BYD, a placé l’Union dans une position difficile. D’une part, on insiste beaucoup sur la nécessité de concurrencer la loi sur la réduction de l’inflation avec des incitations et des politiques similaires, mais ce débat doit tenir compte de la réalité industrielle de l’Europe afin d’éviter une plus grande confusion28. Il ne faut pas oublier que la loi sur la réduction de l’inflation est également un projet qui vise à modifier politiquement la géographie des chaînes d’approvisionnement. Quelle est la position de l’Europe à cet égard ? Peut-être que, dans un avenir proche, l’Europe appliquera des mesures protectionnistes pour défendre son industrie automobile sur le marché intérieur, en refusant l’accès aux acteurs chinois ; ou, dans un tout autre ordre d’idées, les États membres pourraient donner la priorité à l’attraction des investissements étrangers, y compris les investissements chinois, et donc accepter la domination d’entreprises telles que BYD en échange de l’emploi dans l’Union. Bien entendu, il serait difficile de mener les deux politiques. Par conséquent, un moment de réflexion sur la signification réelle du « de-risking » est inévitable.
Les clefs d’un monde cassé.
Du centre du globe à ses frontières les plus lointaines, la guerre est là. L’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine nous a frappés, mais comprendre cet affrontement crucial n’est pas assez.
Notre ère est traversée par un phénomène occulte et structurant, nous proposons de l’appeler : guerre étendue.
Pour des raisons politiques également — notamment la montée des idéologies et des politiques anti-environnementales — certaines réglementations européennes doivent être revues et modifiées à l’aune du nouveau paradigme de la sécurité nationale. Le principal exemple concerne l’industrie chimique de l’Union. La chimie est en effet un atout majeur de l’industrie européenne, récemment mis à mal à la fois par la baisse de la compétitivité due aux prix de l’énergie dans l’Union et par des réglementations qui ne tiennent pas compte du rôle central de la chimie dans les principales chaînes d’approvisionnement de la concurrence technologique, en particulier les semi-conducteurs et les batteries. Cette situation doit changer, à la fois à court et à moyen terme : si la chimie européenne est confrontée à un déclin durable, il n’y aura pas d’« autonomie stratégique ».
Trois domaines de recommandation
Quelle est donc la marche à suivre ?
Si les décideurs et les citoyens européens pensent qu’ils pourront naviguer dans le monde de la sécurité nationale et de la concurrence technologique en se contentant d’une forte pression réglementaire, ils sont condamnés. Réglementer les entreprises d’autres régions ne vous donnera jamais un avantage. Ce qui compte pour repenser les chaînes d’approvisionnement, c’est plutôt la technologie et la capacité industrielle. Pour cela, l’Europe a besoin de ressources plus ciblées, avec un budget plus important. Mais cela dépend d’un accord politique. Par ailleurs, pour justifier un investissement commun important, l’Europe a besoin d’une stratégie ambitieuse, en trois étapes.
Tout d’abord, l’Union européenne devrait se doter d’un comité ad hoc d’entrepreneurs — et pas seulement des cadres — et de chercheurs qui ont réussi à devenir entrepreneurs. Le comité devrait offrir une réponse réelle et factuelle à la question suivante : la réglementation européenne est-elle un fardeau excessif pour l’innovation ? Si la réponse est non, il est temps de dépasser ce stéréotype. Si la réponse est oui, les charges excessives doivent être levées.
Deuxièmement, l’Europe a besoin de plus de capital public-privé pour les chaînes d’approvisionnement technologiques. Dans le discours public de l’Union comme dans l’élaboration des politiques, il y a toujours un décalage entre la technologie et le pouvoir financier. Le capital-risque a suscité beaucoup d’intérêt ces dernières années, mais les entreprises européennes ont besoin de plus de ressources pour passer à l’échelle supérieure, et pas seulement d’un financement d’amorçage. Compte tenu de la structure et des tendances de croissance des chaînes d’approvisionnement technologique, les instruments et outils de l’Union, tels que la Banque européenne d’investissement et le Conseil européen de l’innovation, devraient être revus en fonction de leur capacité à soutenir le rôle de l’Europe dans le nouveau monde de la sécurité nationale, en sélectionnant les meilleures et les pires pratiques pour conduire une stratégie plus ambitieuse.
En outre, les capitaux privés européens devraient être mobilisés pour la compétitivité technologique de l’Union, notamment par une relance ciblée de l’union des marchés de capitaux et par une approche différente des investisseurs institutionnels européens et des entreprises européennes. Le capital-risque des entreprises chinoises, en particulier dans le domaine des TLC, cible déjà les start-ups européennes prometteuses. Il convient de rappeler qu’après tout, ASML est devenue la plus grande réussite technologique européenne grâce à des actions audacieuses sur les marchés financiers et des capitaux et à sa capacité à obtenir des capitaux privés à différents moments de son histoire29.
Troisièmement, l’Europe doit mettre davantage l’accent sur les compétences, en particulier à deux niveaux. Le premier niveau consiste à renforcer la capacité de l’Union et des États membres à comprendre les chaînes d’approvisionnement technologiques et la sécurité économique. Le nouveau monde de la sécurité nationale et de la concurrence entre les États-Unis et la Chine est l’environnement dans lequel nous vivons. Comme cela a été suggéré récemment30, l’Europe devrait élaborer une nouvelle doctrine technologique stratégique et moderniser sa politique de contrôle des exportations. Un examen de la chaîne d’approvisionnement des initiatives politiques permettra aux Européens de mieux comprendre leurs capacités et leurs vulnérabilités. Cependant, les politiques liées aux chaînes d’approvisionnement en technologies, comme nous l’avons souligné précédemment, ne sont pas des solutions uniques, mais plutôt un processus constant d’apprentissage. Cela nécessite un nouvel ensemble de compétences, y compris une implication plus étroite de l’expertise technique dans la politique publique et l’éducation ciblée des entreprises sur l’intelligence économique afin de leur fournir une compréhension plus profonde de leurs risques. Il est également essentiel, tant pour les fonctionnaires européens que pour les États membres, de comprendre les conséquences des effets involontaires des contrôles à l’exportation, tels que le renforcement du positionnement de la Chine dans les nœuds matures des semi-conducteurs, avec une concurrence accrue avec les entreprises européennes, à la suite des contrôles américains à l’exportation sur les nœuds avancés. La plupart des pays, y compris les États-Unis, s’efforcent de trouver des compétences capables de relever le défi des sanctions et des contrôles à l’exportation, précisément parce que le monde de la sécurité nationale exige un nouvel ensemble de compétences. Cela est d’autant plus important pour l’Europe que la politique industrielle actuelle et à venir suppose une attitude très différente à l’égard de la concurrence et des aides d’État.
La deuxième question, la plus importante, concerne les compétences techniques et scientifiques. Le président Macron a affirmé que « l’Europe a besoin de plus d’usines et de moins de dépendances » et que « le Made in Europe devrait être notre devise »31. Mais considérer le « Made in Europe » comme une réalité, et non comme une devise, pose un défi de taille en termes de compétences, dans trois domaines principaux : a) à court terme : attirer des compétences de l’étranger, grâce à un système de visas plus performant ; b) à moyen terme : requalifier (et motiver) les travailleurs des industries européennes en difficulté et en mutation ; c) à long terme : éduquer la population européenne à ce changement.
Les États-Unis ont également besoin d’une main-d’œuvre capable de soutenir les engagements de relance de l’industrie manufacturière approuvés par l’administration Biden. La question de la main-d’œuvre a toujours été au cœur du débat sur l’industrie manufacturière américaine, en particulier dans le domaine des semi-conducteurs. En 1989, Bob Noyce, cofondateur légendaire d’Intel, a déclaré au magazine Fortune que la principale chose dont l’Amérique avait besoin pour battre le Japon était « des mères qui disent fièrement : ‘Mon fils est ingénieur industriel’ »32. À la fin de sa carrière, au début des années 2010, l’ancien PDG d’Intel, Andy Grove, défendait sans ambages la relance de l’industrie manufacturière aux États-Unis en opposant l’inaction américaine à « un pays très efficace [la Chine] qui est en train de nous damer le pion ». Il suggérait d’« élaborer une politique qui atténue ou réduit les incitations à délocaliser tout le travail de mise à l’échelle à l’étranger, au lieu de suivre la main invisible », une seconde option qui, selon lui, signifierait que « les États-Unis suiv[raient] le vortex noir jusqu’à l’abîme »33.
Maintenant que des personnalités comme Joe Biden, Gina Raimondo et Jake Sullivan suivent le consensus d’Andy Grove plutôt que celui de Washington, le défi des compétences demeure, en particulier pour les techniciens et les ouvriers, étant donné que les États-Unis ont cherché à plusieurs reprises à imiter les succès autrichiens et allemands en matière de formation professionnelle. Pour l’Europe et sa population vieillissante, il n’y aura pas de rattrapage technologique sans compétences adéquates, comme nous l’a rappelé Lauly Li34.
À long terme, il serait essentiel de multiplier les initiatives ambitieuses pour les jeunes en matière de compétences technologiques et scientifiques.
L’Europe compte déjà des champions cachés dans ce domaine. J’en citerais deux. En Italie, l’association à but non lucratif Il Cielo Itinerante (Le ciel itinérant) vise à rapprocher les enfants confrontés à des difficultés sociales et à la pauvreté éducative des sujets liés aux compétences technologiques et scientifiques. Cette expérience, basée sur le rôle éducatif de l’astronomie, a été lancée par l’initiative africaine « The Travelling Telescope ». Il Cielo Itinérante a voulu remédier au manque de compétences scientifiques en Italie et encourager la pensée créative en utilisant l’astronomie et l’astrophysique, grâce à leurs outils, notamment les télescopes, et à des ateliers interactifs avec des éducateurs scientifiques. Les enfants peuvent ainsi « toucher » les outils et apprendre à regarder le ciel correctement. Cette initiative a impliqué jusqu’à présent plus de 2 000 enfants dans 60 communautés et a reçu le soutien durable de l’astronaute de l’ESA Samantha Cristoforetti, qui a également participé à ces événements depuis la Station spatiale internationale.
Un autre projet est né de l’imagination de Marian Velherst, professeur à la KU Leuven et directrice de recherche à l’Imec. Dans ses recherches, elle se concentre sur l’apprentissage automatique intégré, les accélérateurs matériels, la conception conjointe d’algorithmes HW et le traitement de pointe à faible consommation, mais pendant son temps libre, elle a lancé une initiative éducative très importante en Flandre. Selon le professeur Velherst, deux causes principales expliquent le faible nombre d’étudiants suivant des cours de sciences et de technologie — en particulier en microélectronique : a) les élèves du secondaire ne savent pas ce que font les ingénieurs, car cela semble trop abstrait par rapport, par exemple, aux médecins ; b) les élèves ne comprennent pas que les ingénieurs sont des sortes de héros « cachés » (il n’y a pas que les médecins qui sauvent des vies !) et qu’ils ont réellement un impact sur ce qui est important pour les jeunes, y compris la durabilité. Pour changer ces préjugés, elle a commencé à former gratuitement des enseignants, en leur fournissant du matériel spécifique pour souligner l’impact de l’ingénierie et de la science auprès de leurs élèves. Grâce à ce travail bénévole, qu’elle appelle « enthousiasme pour la science » plutôt que communication scientifique, elle a pu toucher 15 000 élèves.
Après tout, le rôle de l’Europe dans le monde de la sécurité nationale et de la concurrence autour des chaînes d’approvisionnement technologiques ne sera pas simplement déterminé par des subventions coûteuses ou par la difficile coordination des politiques industrielles. Il sera déterminé par la capacité à encourager une nouvelle vague d’esprit d’entreprise et, surtout, à susciter un intérêt nouveau et durable pour la science et la technologie chez les jeunes.
Sources
- « Interview mit A. Greenspan : Ich bin im falschen Jahrhundert geboren », Tages-Anzeiger, 19 septembre 2007.
- Wolfgang Streeck, Gekaufte Zeit. Die vertagte Krise des demokratischen Kapitalismus, Berlin, Suhrkamp Verlag,2013 ; Quinn Slobodian, Globalists. The End of Empire and the Birth of Neoliberalism, Cambridge MA, Harvard University Press, 2018 ; Adam Tooze, Crashed : How a decade of financial crises changed the world, Viking, New York, 2018.
- Alessandro Aresu, Le potenze del capitalismo politico. Stati Uniti e Cina, La Nave di Teseo, Milano, 2020.
- Peter Mair, Ruling the Void : The Hollowing of Western Democracy, Verso, London, 2013.
- Timothy Geithner, Stress Test : Reflections on Financial Crises, Crown, New York, 2014.
- Branko Milanovic, Capitalism, Alone. The Future of the System That Rules the World, The Belkap Press of Harvard University Press, Cambridge, 2019.
- Board of Trustees of University of Illinois v. United States, 289 US 48 (1933), quoted in the case Ralls Corp. v. Committee on Foreign Investment in the United States (2014).
- Sur l’émergence et les secteurs principaux de la compétition, voir Alessandro Aresu, Il dominio del XXI secolo. Cina, Stati Uniti e la guerra invisibile sulla tecnologia, Feltrinelli, Milano, 2022.
- Biennal Conference of the Chinese Academy of Sciences and the Chinese Academy of Engineering, 9 juin 2014.
- Remarks by National Security Advisor Jake Sullivan at the Special Competitive Studies Project Global Emerging Technologies Summit, 16 septembre 2022.
- Remarks by Secretary of the Treasury Janet L. Yellen on the U.S. – China Economic Relationship at Johns Hopkins School of Advanced International Studies, 20 avril 2023.
- Robust. Resilient. Sustainable. Integrated Security for Germany. National Security Strategy, German Federal Government, juin 2023, pp. 5-7.
- Rachel Reeves : « Securonomics », Peterson Institute, 24 mai 2023.
- La référence est à Marx et Engels, dans Le manifeste du parti communiste.
- Cheng Ting-Fang, Lauly Li, « Vietnam to make Apple Watch and MacBook for first time ever », Nikkei Asia, 17 août 2022.
- Cheng Ting-Fang, « Exclusive : Huawei stockpiles 12 months of parts ahead of US ban », Nikkei Asia, 19 mai 2019.
- Cheng Ting-Fang, « Huawei dives into chip production to battle U.S. clampdown », Nikkei Asia, 22 septembre 2022.
- Cheng Ting-Fang, « China set to produce first locally designed DRAM chip », Nikkei Asia, 12 juin 2019.
- Cheng Ting-Fang, Lauly Li, « US-China tech war : Beijing’s secret chipmaking champions », Nikkei Asia, 5 mai 2021.
- Cheng Ting-Fang, Lauly Li, « Chip industry’s expansion plans at risk as equipment delays grow », Nikkei Asia, 7 avril 2022 ; « From chemicals to gases, chip suppliers reel as materials prices surge », Nikkei Asia, 17 juin 2022, ; « The resilience myth : Fatal flaws in the push to secure chip supply chains », Nikkei Asia, 27 juillet 2022, « How Taiwan became the indispensable economy », Nikkei Asia, 31 mai 2023.
- « Assessing and Strengthening the Manufacturing and Defense Industrial Base and Supply Chain Resiliency of the United States », Report to President Donald J. Trump by the Interagency Task Force in Fulfillment of Executive Order 13806, septembre 2018.
- Madhumita Murgia, Tim Bradshaw, Richard Waters, « Chip wars with China risk ‘enormous damage’ to US tech, says Nvidia chief », Financial Times, 24 mai 2023.
- Kingling Lo, « Made in China 2025 all talk, no action and a waste of taxpayers’ money, says former finance minister Lou Jiwei », South China Morning Post, 7 mars 2019.
- Voir le tweet à cette adresse.
- Bjarke Smith-Meyer, Lili Bayer, Jakob Hanke Vela, « EU officials float €100B boost for European companies », Politico.eu, 25 août 2019.
- « The Europeans want their own Vision Fund to invest in tech », The Economist, 31 août 2019.
- Voir aussi Laura Kayali, Lili Bayer, Joshua Posaner, « Europe’s military buildup : More talk than action », Politico.eu, 14 juin 2023.
- Voir par exemple les études publiées par Bruegel et le CER, comme : Giovanni Sgaravatti, Simone Tagliapietra, Cecilia Trasi, Cleantech manufacturing : where does Europe really stand ? Bruegel, 17 mai 2023 ; John Springford, Sander Tordoir, Europe can withstand American and Chinese subsidies for green tech, Center for European Reform, juin 2023.
- Sur ASML, voir René Raaijmakers, Asml’s Architects, Techwatch Books, Nijmegen, 2019.
- Tobias Gehrke, Julian Ringhof, The Power of Control : How the EU can shape the new era of strategic export restrictions, European Council on Foreign Relations, Policy Brief, mai 2023.
- Emmanuel Macron, « Europe needs more factories and fewer dependencies », Financial Times, 12 mai 2023.
- « How the U.S. can compete globally », Fortune, 5 juin 1989.
- Pour lire les remarques de Grove, voir Brooke Crothers, « Intel’s Andy Grove on manufacturing in America », Cnet, 5 novembre 2010.
- Lauly Li, « The global microchip race : Europe’s bid to catch up », Financial Times, 13 décembre 2022.