Le 23 janvier 2019, le président de l’Assemblée nationale vénézuélienne Juan Guaidó s’auto-proclame président de la République par intérim après une élection présidentielle contestée, remportée par le président sortant Nicolás Maduro. Cet événement a ouvert une crise politique inédite au Venezuela qui a conduit à de multiples affrontements entre les soutiens de Maduro et une opposition au pouvoir en place, essentiellement structurée autour de Juan Guaidó. Un an après la mise en place d’une gouvernance bicéphale, le pays ne parvient pas à sortir de cette crise politique. Tandis que l’avenir du Venezuela se fait plus incertain, les conséquences économiques, sociales et humanitaires sont dramatiques, conduisant de nombreux Vénézuéliens à quitter le pays. 

En mai dernier, nous nous étions entretenus avec Temir Porras, ancien directeur de cabinet de Nicolás Maduro, qui proposait une troisième voie – celle d’une « coexistence démocratique » – pour sortir de la crise et faire dialoguer les deux camps qui s’opposent au Venezuela. Avec ce même objectif d’analyser les représentations géopolitiques des différents acteurs de la scène politique vénézuélienne, lieu de visibilité de la tectonique des plaques d’un monde en pleine transformation, nous avons rencontré Juan Guaidó qui vient d’achever une tournée internationale, notamment en Europe

Un an après votre auto-proclamation comme président du Venezuela, comment analysez-vous votre parcours, les résultats, les réussites et les échecs de la mobilisation contre Nicolás Maduro ?

Tout d’abord, nous n’avons pas encore réalisé notre proposition initiale. Je souhaite souligner le « pas encore », car notre détermination est de persister dans l’objectif de re-démocratiser le Venezuela et de retrouver le plein exercice de ses institutions libres. Le chemin n’a pas été facile, nous pensions tous que les délais seraient plus courts. Mais cela ne peut pas être une raison pour abandonner. Au contraire. 

Tout au long de ces mois, nous avons réussi à maintenir l’Assemblée nationale comme la seule institution légitime du pays et à maintenir le mouvement démocratique au Venezuela, malgré la répression systématique. Notre principale victoire a été de résister. Cela est inestimable pour la construction de la transition démocratique.

Le Venezuela a deux présidents et maintenant deux présidents de l’Assemblée : comment peut-on gouverner dans un tel contexte sans paralyser le système et le pays tout entier ? Comment la prise de décision fonctionne-t-elle dans de telles conditions ?

Au Venezuela, il n’y a qu’une seule Assemblée nationale. Il n’y en a ni deux ni trois comme le prétend la dictature. Avec un président qui a été élu à la majorité absolue de 100 députés. Cette Assemblée a été élue par les Vénézuéliens et constitue le seul pouvoir légitime dont dispose le pays, et est reconnue comme telle par l’écrasante majorité des démocraties du monde. Maduro usurpe la fonction de Président, et notre Constitution établit la norme pour procéder dans ce cas et délègue à l’Assemblée la responsabilité d’agir. C’est ce que nous avons fait. 

« Notre principale victoire a été de résister. »

Juan Guaidó

Comment répondez-vous aux critiques selon lesquelles vous manquez de légitimité en vous proclamant président ? Cette critique de manque de légitimité est-elle un obstacle à la sortie de crise ?

Le 23 janvier 2019, j’ai pris mes responsabilités dans le cadre de notre Constitution et de l’article 233. Précisément pour trouver une issue pacifique, démocratique et institutionnelle à la crise politique, économique et humanitaire que les violations répétées de la Constitution par Maduro ont provoquées.

Alors que la crise semble stagner et qu’une partie de l’opposition (à Maduro) est déçue, désenchantée, comment pensez-vous donner un nouvel élan à la contestation ?

C’est pour cela que nous sommes revenus dans le pays. Pour poursuivre la tâche d’organisation et de mobilisation.

Pourriez-vous décider de faire marche arrière ou de vous mettre en retrait face à la polarité qui gouverne le pays pour faciliter la sortie de crise et trouver ainsi précisément une autre solution ?

Je n’ai aucune objection à cela. C’est la raison pour laquelle, en octobre dernier, j’ai proposé officiellement et publiquement au parti PSUV un accord politique qui consistait à ce que Maduro et moi-même démissionnions de nos postes pour former ensuite un gouvernement de transition qui convoquerait des élections présidentielles libres.

« Nous sommes revenus dans le pays. Pour poursuivre la tâche d’organisation et de mobilisation. »

Juan Guaidó

La réponse de Maduro n’a été que mépris. Cela démontre, entre autres, que ce qui se passe au Venezuela n’est pas le produit d’une polarisation politique mais d’un régime dictatorial qui s’oppose à la volonté du peuple vénézuélien.  

Compte tenu de l’échec apparent du processus Oslo-Barbade et de votre décision de ne pas recevoir la délégation norvégienne, excluez-vous définitivement une sortie de crise par le dialogue ?

En politique, rien ne doit jamais être exclu. Mais un dialogue doit avoir un objet, sinon il n’a aucun sens. Le Venezuela a besoin d’une solution politique. Pas des tactiques qui prolongent l’agonie. Nous ne pouvons plus nous permettre de faire cela.

En mai 2019, nous avons interviewé Temir Porras qui proposait une troisième voie de sortie de la crise : « la coexistence démocratique qui requiert un dialogue entre les différentes parties pour construire une stabilité démocratique durable au Venezuela ». Que pensez-vous de cette solution ?

En théorie, elle est parfaite. La question est de savoir comment la mettre en pratique. Nous ne nions pas l’existence du chavisme en tant que réalité politique. Mais les chavistes doivent admettre qu’il y a un pays qui s’y oppose pour des raisons légitimes.

Le Haut représentant, Josep Borrell, alors qu’il était encore ministre espagnol des Affaires étrangères, a proposé une sorte de médiation pour sortir de la crise. Quel pourrait être le rôle de l’Union européenne dans la crise ?

Nous pensons que l’Europe doit agir de manière unie. Elle doit peser de tout son poids politique et diplomatique pour faciliter une transition au Venezuela. Les hommes de main et les partenaires du régime dirigés par Maduro se sentent aujourd’hui à l’aise pour déplacer leur argent du trafic de drogue et de la corruption à travers les différentes villes européennes. De cette façon, ils n’ont aucune incitation à négocier ou à céder.

Au Venezuela, Guaido gang ela bataille diplomatique

Quelles seraient les autres solutions pour sortir de la crise ? Quelle sortie de crise imaginez-vous actuellement ? Pensez-vous que vous pouvez encore être la solution à la crise vénézuélienne ?

Des élections présidentielles libres. Les Vénézuéliens devraient être consultés sur leur volonté majoritaire, dans le cadre d’un processus électoral transparent, libre, équitable et contrôlé par la communauté internationale.

Si l’on suit votre point de vue, comment expliquez-vous que Maduro, contrairement à Morales par exemple, soit toujours au pouvoir et soutenu par une partie de la population ?

Selon les derniers sondages d’opinion, il n’y a pas plus de 14 % des Vénézuéliens qui le soutiennent. Ce chiffre est constant depuis de nombreux mois1. Cela indiquerait même qu’il y a une partie du chavisme qui ne le soutient pas. Maduro est répudié par la grande majorité des Vénézuéliens. Il est soutenu par un formidable appareil de répression qui comprend deux polices : une politique et d’espionnage, une autre de répression à grande échelle qui est la FAES. Et à tout cela, ajoutez la faim comme mécanisme de contrôle social.

Depuis le début de la crise vénézuélienne, un acteur clé est l’armée. Comment gérez-vous cet acteur central ? Pensez-vous donc que Maduro se maintient au pouvoir uniquement grâce à la loyauté de l’armée ?

Les forces armées nationales, les FAN, sont divisées en quatre composantes : Armée, Marine, Aviation et Garde nationale. L’institution dans son ensemble n’a pas échappé à la débâcle du Venezuela ni au malaise de la population civile. Les professionnels militaires font également partie du pays. Parmi eux, il y a aussi un haut degré de mécontentement, mais logiquement, ils ne l’expriment pas comme nous, les civils, le faisons.

« La définition de l’issue politique vénézuélienne se fera sur le plan national, au Venezuela. »

Juan Guaidó

Néanmoins, il y a aujourd’hui plus de prisonniers militaires pour des raisons politiques que de civils. Ils ont été soumis à toutes sortes de tortures, de traitements cruels et de persécutions contre leur famille. Il est évident qu’une partie des hauts dirigeants semble manifestement très engagée aux côtés de Maduro. Mais ce dernier ne peut pas tous les inclure , même la majorité.

Pensez-vous que si des élections avaient lieu bientôt, vous pourriez battre Maduro ? En d’autres termes, pensez-vous que la droite puisse être la solution au chavisme ?

Le Venezuela n’est pas une question de droite ou de gauche, mais de dictature ou de démocratie. Ce n’est pas non plus une question d’aspiration ou de caprice personnel. C’est le désir d’un peuple de pouvoir respirer librement.

On a pensé à un moment donné que le Venezuela allait être l’espace d’un conflit entre les Etats-Unis et la Russie. Mais au-delà du soutien international que chaque acteur a pu recevoir, la situation n’a pas changé : les défis ne se trouvent-ils pas en réalité plus sur la scène nationale qu’internationale ?

Bien entendu, la définition de l’issue politique vénézuélienne se fera sur le plan national, au Venezuela. Mais depuis de nombreuses années, nous faisons l’objet de l’intervention de facteurs internationaux tels que la dictature cubaine, l’extrémisme islamique ou les narco-guérillas de l’ELN et des FARC que le régime de Maduro a cherché comme alliés. Il s’appuie désormais fortement sur le gouvernement russe. Mais la capacité d’action de ce dernier est limitée. Nous ne voulons pas que la solution politique passe par la pression et la contrainte des démocraties du reste du monde. 

Peut-on dire que si vous avez plus de soutien international, Maduro a plus de soutien national ? Que voulez-vous proposer au peuple vénézuélien ?

Nous bénéficions d’un plus grand soutien international et national. Il y a des faits qui le prouvent. Sinon, Maduro aurait déjà organisé des élections libres. C’est cela dont a besoin le peuple vénézuélien, du plein exercice de sa démocratie.

« Maduro a fait toutes sortes de tentatives pour se rapprocher de l’administration Trump. Tout a échoué. »

Juan Guaidó

Vous avez reçu le soutien des États-Unis : comment gérez-vous ce soutien alors que Trump impose des sanctions à votre pays et que nous connaissons l’intérêt américain pour le Venezuela ?

L’administration Trump n’a pas imposé de sanctions au Venezuela. Il les a imposées au régime de Maduro pour limiter sa capacité à détourner des ressources produites par le pillage de mon pays et par son appareil de répression. Il s’agit de mécanismes de pression visant à forcer le régime à négocier.

Maduro ouvre la porte à un éventuel dialogue avec Trump : si cela se réalise, pensez-vous que Maduro aura définitivement gagné la confrontation avec vous ?

Cela n’est pas nouveau. Des canaux de dialogue ont existé et existent encore. La question de savoir si cela mènera à quelque chose de concret est une autre question.

En janvier 2017, la filiale de PDVSA aux Etats-Unis, Citgo, a fait un don de 500 000 dollars au comité d’organisation de l’investiture du président Trump. 500 000 dollars appartenant aux Vénézuéliens. Avec quel objectif ? Pour obtenir l’approbation de la Maison Blanche. Depuis lors, Maduro a fait toutes sortes de tentatives pour se rapprocher de l’administration Trump. Tout a échoué. Pourquoi penser qu’il réussira maintenant ? 

« En tout cas, il ne s’agit pas de ma personne. Ce n’est pas moi que Maduro battrait, il éliminerait la défense de la démocratie et les aspirations légitimes du peuple vénézuélien à la liberté. »

Juan Guaidó

Mais dans le cadre de cet entretien, imaginons le scénario où cela fonctionnerait : les problèmes du Venezuela seraient-ils pour autant résolus ? Notre crise cesserait-elle ? Maduro démantèlerait-il son appareil répressif qui a jusqu’à présent exécuté et fait disparaître 18 000 Vénézuéliens ? Empêcherait-il son régime de voler et de piller les ressources du Venezuela ? Le régime chaviste cesserait-il d’abriter des groupes terroristes et d’être le centre de gigantesques opérations de blanchiment d’argent ? Cesserait-il d’être une menace pour la paix, la stabilité et la démocratie de la région ?

Les réponses sont évidentes et c’est pourquoi le gouvernement américain soutient notre politique depuis plus d’un an : une transition politique n’est pas possible au Venezuela tant que Maduro usurpera la fonction de président. 

En tout cas, il ne s’agit pas de ma personne. Ce n’est pas moi que Maduro battrait, il éliminerait la défense de la démocratie et les aspirations légitimes du peuple vénézuélien à la liberté.

Sources
  1. Selon un sondage de Datanalisis réalisé entre le 13 et le 29 juillet 2019, 82,2 % de vénézueliens souhaitait que Maduro quitte le pouvoir avant la fin de 2019. Selon le même sondage, Maduro bénéficierait d’un soutien populaire qui s’arrêterait à 12,9 % des personnes interrogées.