Caracas. Clé pour le redressement économique du pays, outil de négociation sur le plan international, il n’est pas étonnant que le contrôle du pétrole soit éminemment stratégique sur le plan de la politique intérieure. Il fait l’objet d’une bataille politique entre Nicolás Maduro et Juan Guaidó depuis plusieurs semaines, ce dernier ayant modifié la direction de Citgo, la filiale aux États-Unis de la compagnie nationale pétrolière PDVSA. La riposte de Maduro a été rapide puisque la Cour suprême, proche du pouvoir, a entamé des poursuites pénales contre les nouveaux dirigeants de la filiale. La société PDVSA reste très proche du régime de Maduro, en témoigne la nomination en 2017 de Manuel Quevedo, militaire et fidèle de Maduro, à la direction de la compagnie et comme ministre du pétrole.

La politique pétrolière que veut mener Guaidó concorde globalement avec les souhaits américains. Il a émis le 6 février dernier le vœu de privatiser une partie de la société. Pour y parvenir, il lui faudrait modifier la loi qui assure la détention d’un minimum de 51 % du capital de l’entreprise par l’État. Les États-Unis sont tout à fait favorables à cette ouverture aux investisseurs étrangers. À ce sujet, John Bolton, conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, a déclaré le 24 janvier que « l’investissement dans les capacités pétrolières du Venezuela » ferait « une grande différence économiquement pour les États-Unis » (1).

Les États-Unis ne sont cependant pas dans l’expectative, puisqu’ils ont déjà formulé des sanctions contre la compagnie pétrolière le 28 janvier dernier, avec pour clair objectif de fragiliser le régime de Maduro. Ce n’est pas la première fois que les États-Unis brandissent la menace d’un embargo pétrolier sur le Venezuela. Par ailleurs, celui qui entrera en vigueur le 28 avril n’en est pas un, stricto sensu : le commerce pétrolier ne sera pas interrompu. Les entreprises en aval dans la chaîne de production devront payer aux États-Unis sur un compte qui restera bloqué tant que Maduro est au pouvoir. Néanmoins, cet embargo pourrait être extrêmement déstabilisateur tant pour l’économie vénézuélienne que pour le cours international du pétrole. Les États-Unis sont le principal acheteur du pétrole vénézuélien (41 % des exportations en 2017) et le Venezuela va devoir trouver rapidement d’autres clients. La Chine et la Russie apparaissent comme les candidats naturels sur le court terme puisqu’ils soutiennent le gouvernement Maduro et sont déjà d’importants clients du Venezuela.

Réussir à redresser les exportations pétrolières en baisse constante et menacées par l’embargo américain est le principal enjeu pour le Venezuela, dont l’économie traverse une des plus graves crises de son histoire. Mais comment le pays, possédant parmi les plus importantes réserves pétrolières du monde (plus de 17 % des réserves mondiales), peut-il présenter un taux d’inflation de 1.370.000 % en 2018 (6) et une dette publique de 159 % du PIB (5) ? Le paradoxe n’est qu’apparent, puisque le pétrole provoque la « déformation » de l’économie fondée sur la monoproduction. Les réserves pétrolières ont encouragé une surspécialisation du pays : l’économie fonctionne par l’importation de la quasi-totalité des biens, compensée par des exportations massives de pétrole. Cela favorise un manque crucial d’investissements dans les secteurs industriels. Mais sur le court terme, c’est justement la baisse de la production de pétrole qui entretient la crise puisqu’elle prive le pays de son principal apport de revenus : la production est passée de 3.4 millions de barils par jour en 1998 à 1.3 millions aujourd’hui. La baisse de la production pétrolière est en partie due au mauvais entretien des infrastructures pétrolières, au manque d’investissements et à la mauvaise gestion de l’entreprise nationale, qui avait été déclarée dès fin 2017 en défaut partiel par des agences de notation.

Perspectives :

  • À l’échelle nationale, le pétrole et sa gestion seront déterminants pour la santé économique du pays. Guaidó a annoncé que « le pétrole doit être un moyen d’émancipation » pour le Venezuela et que la production de pétrole était « un véritable défi » (4).
  • L’urgence sociale au Venezuela impose de miser à nouveau sur le pétrole pour sortir de la crise en retrouvant des niveaux d’exportations soutenant l’économie, mais l’enjeu à plus long terme restera la diversification de l’économie.
  • L’embargo américain pourrait faire monter les cours du pétrole. Il est néanmoins difficile d’isoler l’impact de la réduction de la production vénézuélienne alors que l’OPEP est parvenue à un accord de réduction des quantités produites. Après le nouvel accord de Vienne, les marchés croient également en l’ajustement des quantités avec d’autres régions riches en pétrole.
  • Les relations avec la Chine vont être décisives dans les mois à venir puisque le principal créancier du Venezuela (la Chine a prêté 62 milliards de dollars au Venezuela entre 2007 et 2017 (10)) craint un défaut sur toute ou partie de la dette en cas de changement de régime. Guaidó se veut rassurant et a déclaré souhaiter « une relation constructive et un dialogue avec la Chine dès que possible » lors d’une interview au South China Morning Post (7). La Chine surveille ainsi elle aussi de très près la production pétrolière vénézuélienne, étant donné que le Venezuela a commencé à rembourser sa dette en barils de pétrole.

Sources :

  1. BOLTON John, Interview, Fox Business, 28 janvier 2019.
  2. COLLEN Vincent, Pourquoi la crise au Venezuela ne fait pas flamber les cours du pétrole, Les Echos, 30 janvier 2019.
  3. Venezuela : Maduro contre-attaque après l’offensive de Guaido sur le pétrole, Courrier International, 15 février 2019.
  4. Au Venezuela, Juan Guaido mise sur le pétrole, Euronews, 16 février 2019.
  5. Fonds Monétaire International, General government gross debt, World Economic Outlook, octobre 2018.
  6. Fonds Monétaire International, Inflation rate, average consumer prices, World Economic Outlook, octobre 2018.
  7. GUAIDÓ Juan interviewé par LAU Stuart, Juan Guaido on Venezuela’s ties with China, South China Morning Post, 2 février 2019.
  8. International Energy Agency, World Oil Demand, Oil Market Report, 13 février 2019.
  9. ROSSI Carlos A., Oil Wealth and the Resource Curse in Venezuela, International Association for Energy Economics, 2011.
  10. The Dialogue, China-Latin America Finance Database.

Juliette Sagot