Seattle. Le 13 février, l’ITEP (Institute for Taxation and Economic Policy) rapportait qu’Amazon avait battu deux records en 2018 : celui des profits mais aussi celui du nombre d’impôts payés (1). Grâce à des placements judicieux et plusieurs niches fiscales, Amazon a déclaré 11.2 milliards $ de profits aux Etats-Unis (le double de l’année dernière) tout en demandant au fisc américain un remboursement d’impôt ( !) de 129 millions d’euros. Le taux de taxation effectif du profit d’Amazon aux Etats-Unis a donc été de -1 % en 2018.

Que l’une des plus grandes entreprises du monde ne paie pas d’impôt peut sembler étonnant. Rappelons toutefois que l’impôt sur le profit n’est qu’un impôt parmi d’autres payés directement ou indirectement par Amazon. Par exemple, Amazon paie des contributions sociales sur les salaires versés à ses employés mais aussi une taxe similaire à la TVA sur tous ces biens vendus. Deux impôts dont le revenu va à l’État fédéral américain.

Toutefois, la situation exceptionnelle d’Amazon aux États-Unis est révélatrice. D’abord, elle n’est pas due à une quelconque tricherie de la part de l’entreprise de Jeff Bezos mais à des stratégies fiscales tout à fait légales (5). Premièrement, Amazon réinvestit une part importante de ses profits dans la R&D et bénéficie donc du Research & Development Tax Credit, un crédit d’impôt plutôt ancien. Deuxièmement, l’entreprise de Seattle a profité d’une déduction totale temporaire d’impôt pour tous les profits réinvestis dans les équipements, une mesure du fameux Tax Cuts and Jobs Act de 2017 de Trump. Enfin, Amazon a surtout profité en 2018 d’une autre mesure du Tax Cuts and Jobs Act  : l’exemption du coût de la rémunération à base d’actions de leurs bénéfices imposables. C’est le dispositif le plus intéressant : l’exemption est telle que si le prix de l’action d’Amazon augmente alors la réduction d’impôt augmente. Grâce à cela, à taux de rémunération à base d’action égal, plus les profits augmentent moins Amazon paie d’impôts dessus.

Mais la source du problème est plus ancienne : la taxation des profits des multinationales est de plus en plus difficile. Ce n’est pas un fait nouveau, mais l’internalisation des flux des capitaux et la complexification des échanges permet aux entreprises d’échapper à l’impôt plus facilement que jamais. D’abord, les entreprises utilisent de nombreux procédés pour déplacer les profits là où ils sont les moins taxés. Un rapport du NBER (3) remarque que les entreprises étrangères sont beaucoup plus productives que les entreprises locales dans les paradis fiscaux mais moins productives dans les autres pays. Cela ne peut être expliqué que par une relocalisation des profits dans les paradis fiscaux : en se servant de ce différentiel de profitabilité, ils estiment que cela concerne environ 40 % des profits mondiaux chaque année.

Le problème est d’autant plus grave que les pays développés ont abandonné la lutte contre l’évasion fiscale et se sont engagés au contraire dans une concurrence fiscale de plus en plus forte pour tenter de relocaliser les profits. Depuis les années 2000, le taux nominal moyen d’imposition des profits moyen a baissé.

Mais surtout ce taux nominal cache des variations encore plus importantes dans les taux effectif de taxation comme le montre le cas d’Amazon : les niches fiscales de diverses natures (on peut penser au CICE en France) se sont multipliées. Ils permettent aujourd’hui aux États de se faire une guerre fiscale qui profite aux multinationales et érodent la solidarité entre eux.

L’esprit de 2008, quand les dirigeants mondiaux semblaient prêts à moraliser le capitalisme et Nicolas Sarkozy déclarait “Les paradis fiscaux, c’est terminé !” (2), semble bien loin.

Perspectives :

  • On attend toujours le moment où les États réussiront enfin à coopérer afin de trouver une solution globale à la taxation des profits.
  • La tendance est plutôt au contraire à une multiplication des niches fiscales pour les entreprises. Cela marche en parti : les profits déclarés en 2018 aux États-Unis n’ont jamais été aussi élevés. Les recettes fiscales de la taxation des profits n’ont cependant pas augmentées pour autant. Selon le dernier rapport (décembre 2018) du Trésor Américain : elles ont même baissé de 17 % (4).

Sources :

  1. GARDNER Matthew, Amazon in Its Prime : Doubles Profits, Pays $0 in Federal Income Taxes, ITEP, 13 février 2019.
  2. SARKOZY Nicolas, “Les paradis fiscaux, c’est terminé !”, TFI, 23 septembre 2009.
  3. TORSLOV Thomas R., WIER Ludvig S., ZUCMAN Gabriel, The Missing Profits of Nations, NBER Working Paper No. 24701, juin 2018.
  4. US Tresory, Monthly Treasury Statement, décembre 2018.
  5. YGLESIAS Matthew, Amazon’s $0 corporate income tax bill last year, explained, vox.com, 20 février 2019.

Cyprien Batut