Caracas. Nicolás Maduro et Juan Guaidó sont d’accord sur un point : ils veulent tout les deux mettre à bas « l’usurpateur ». Or le référent visé par ce terme dénonciateur n’est pas le même dans un cas et dans l’autre, et l’accusation fonctionne en réalité comme un miroir, dans lequel chacun des deux « présidents » du Venezuela pointe du doigt son adversaire comme le responsable de la crise que vit le pays en ce moment. Ce langage manichéen, qui redessine constamment la dichotomie légitimité/imposture, contribue à rendre le dialogue entre les deux parties inaudible.

Ainsi, Guaidó a lancé, le 30 avril à l’aube, l’opération « Libertad » pour mettre fin à l’ « usurpation ». Il a ordonné la libération du leader de l’opposition Leopoldo López, qui a été ensuite conduit vers la base aérienne La Carlota ; les deux hommes sont apparus ensemble dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux où ils exhortent les forces armées et le peuple à se soulever contre le régime de Maduro et à descendre dans la rue. Les partisans de Maduro dénoncent alors une tentative de coup d’État et, tout en soulignant que les militaires soulevés ne constituent qu’un groupuscule nettement minoritaire, appellent l’armée à rester fidèle au chavisme1.

C’est que l’armée joue un rôle essentiel dans la politique vénézuélienne, et ce depuis plus d’un demi-siècle, bien que la politique chaviste ait, au cours des dernières décennies, contribué à renforcer sa place privilégiée. L’auto-proclamation de Guaidó avait d’ailleurs eu lieu à une date éminemment symbolique, l’anniversaire du coup d’État qui, en 1958, avait mis fin à la dictature de Pérez Jiménez. Chávez, qui était lui-même militaire, avait tenté en 1992 de destituer Andrés Pérez, avant d’arriver au pouvoir par les urnes en 1999 ; en 2002, une nouvelle tentative de coup d’État voyait le jour, cette fois-ci contre Chávez. Or, le président en était sorti renforcé : une des raisons de cela avait été le soutien que lui accordait une bonne partie de l’armée. Le chavisme a cherché à conforter les forces armées, et en particulier la haute-hiérarchie militaire, qui avait dès lors une influence directe sur les choix politiques. Leur nom, Fuerza Armada Nacional Bolivariana, est un indice de leur place dans le projet chaviste et un symptôme de leurs “politisation et partisanisation” progressives2. Ainsi, les choix d’une armée traditionnellement chaviste mais dont le soutien vis-à-vis de Maduro semble s’affaiblir risquent d’être déterminants dans la situation actuelle.

La réaction d’Iván Duque, président de la Colombie, qui, face à l’épisode du 30 avril, fait appel “aux militaires et au peuple du Venezuela pour qu’ils se placent du bon côté de l’histoire”3 acquiert ainsi tout son sens. Les leaders sud-américains tels que Mauricio Macri et Sebastián Piñera, qui avaient reconnu Guaidó comme président “en exercice” du pays, considèrent également qu’il s’agit là d’un pas vers la restauration de la démocratie ; c’est aussi la position des États-Unis, qui avait eu un rôle clef dans l’auto-proclamation de Guaidó, et dont le président a affirmé sur twitter “surveiller de très près” le déroulement des événements4. L’allié bolivarien Evo Morales, tout comme le chancelier cubain Bruno Rodríguez, condamne ce qu’il voit comme un coup d’État. Ces réactions rendent bien compte de l’opposition régionale entre les vestiges du socialisme du début du XXIème siècle et les protagonistes du “virage à droite” que connaît l’Amérique latine depuis le milieu des années 2010 -et particulièrement le groupe de Lima-, et perpétuent par ailleurs l’approche manichéenne de la question. L’Uruguay et le Mexique sont les deux pays qui, fin janvier, avaient émis un communiqué proposant un dialogue, avant toute chose, entre les deux parties ; leur potentielle médiation est un des facteurs qui permet d’espérer une sortie de crise non-violente5.

GEG | Cartographie pour Le Grand Continent.

Perspectives :

  • L’Union, qui avait émis en janvier une résolution non-contraignante en vue de la reconnaissance de Juan Guaidó comme président par intérim, a ici une deuxième chance pour affirmer son rôle dans le schéma international, et dans son rapport avec l’Amérique latine en particulier.
  • L’attitude des militaires haut-gradés est à suivre de près. Le ministre de la défense, Vladimir Padrino, a réitéré son soutien à Maduro en faisant référence aux événements de 2002. Jesús Suárez Chourio, le commandant en chef de l’armée, a aussi revendiqué l’héritage bolivarien6.
  • Face à la montée de la tension, Leopoldo López s’est réfugié dans l’ambassade du Chili à Caracas, puis serait entré dans celle de l’Espagne. Ce pays pourrait ainsi acquérir un rôle plus important dans le devenir de la crise7.
  • Guaidó a exhorté le peuple vénézuélien à poursuivre les manifestations le 1er mai – dans le cadre de la journée internationale du travail – en appelant à la “plus grande marche de l’histoire” du pays.