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1 — Qui est Robert Francis Prevost, le 267e successeur de Pierre ?
Né d’un père d’origine française et italienne et d’une mère d’origine espagnole, il étudie au petit séminaire des religieux de Saint-Augustin, ordre auquel il restera attaché, et dans lequel il entre le 1er septembre 1977, prononce ses vœux l’année suivante, le 2 septembre 1978, et fait sa profession solennelle le 29 août 1981. Simultanément, il obtient une licence en mathématiques à la prestigieuse université Villanova (1977), et une en théologie à Chicago.
Ordonné prêtre à Rome le 19 juin 1982 par l’archevêque belge Jean Jadot, président du Secrétariat pour les non-chrétiens, c’est à Rome également qu’il prépare une licence (1984) puis un doctorat en droit canonique — avec une thèse sur le rôle du prieur des Augustins—, chez les dominicains de l’Angelicum (1987).
Il devient alors missionnaire augustin au Pérou, une expérience qui le marque profondément, comme chancelier d’une prélature territoriale reculée, Chulucanas. En 1988-1989, il est professeur et formateur pour une communauté religieuse après être rentré aux États-Unis où il était en 1987-1988 promoteur des vocations et responsable des missions dans la province augustine de Chicago.
Mais il retourne au Pérou pour les dix années suivantes, où il est professeur de droit canonique et directeur du séminaire diocésain de Trujillo, tout en exerçant d’autres fonctions en paroisse et comme official diocésain (juge canonique au nom de l’évêque).
En 1998, il est élu supérieur provincial des Augustins du Midwest (province Notre-Dame du Bon Conseil), et rentre à Chicago pour exercer sa charge.
Le 14 septembre 2001, le chapitre général des Augustins l’élit prieur général, supérieur de leur ordre au niveau mondial, au cours d’une élection de 20 minutes — la plus rapide de leur histoire… Il reste à ce poste pendant deux mandats jusqu’en septembre 2013, puis devient brièvement directeur des études du prieuré Saint-Augustin de Chicago.
En novembre 2014, il est nommé par François administrateur apostolique du diocèse de Chiclayo au Pérou pendant sa vacance et évêque titulaire de Sufar (un siège diocésain de l’Antiquité en Afrique du Nord, disparu). Il reçoit la consécration épiscopale des mains de l’archevêque James Green, nonce au service du Saint-Siège. C’est finalement lui qui est choisi comme nouvel évêque en titre de Chiclayo en 2015. Il hérite d’un territoire plutôt prospère économiquement, situé sur la fameuse route Panaméricaine. Devenu un des vices-présidents de la Conférence épiscopale du Pérou (2018-2015), et administrateur apostolique du diocèse voisin de Callao pour 2020-2021, il reçoit des fonctions à la Curie romaine comme membre des Dicastères pour le Clergé (2019) et pour les Évêques (2020). En janvier 2023, à la surprise générale, François, à qui il a fait très bonne impression en audience privée, l’élève au rang d’archevêque à titre personnel, et surtout le nomme préfet du Dicastère pour les Évêques, succédant au très puissant et controversé cardinal cananadien Marc Ouellet. Il a été le principal co-consécrateur, jusqu’à présent, de 4 évêques.
Cette nomination est d’autant plus inattendue que Robert Prevost, s’il a certes été supérieur général de son ordre, n’a jamais occupé un siège diocésain de grande importance. En juillet 2023, il est créé cardinal diacre (ordre réservé aux cardinaux de curie récemment nommés), très significativement avec une diaconie créée spécialement pour lui par François, du titre de Sainte-Monique, la mère d’Augustin le saint patron de son ordre, titre adossé sur une église du Borgo construite en 1941. Il est encore élevé au rang de cardinal-évêque du diocèse suburbicaire d’Albano en février 2025, rejoignant l’ordre le plus élevé des cardinaux après moins de deux ans de cardinalat. Le fait qu’il soit membre de 7 dicastères de la Curie (pour l’Évangélisation, pour la Doctrine de la Foi, pour les Eglises orientales, pour le Clergé, pour les Instituts de Vie consacrée, pour la Culture et l’Éducation, pour les Textes législatifs), comme de la Commission pour l’État du Vatican, montre assez la confiance que lui témoigne François.
2 — Pourquoi est-il connu à l’intérieur de l’Église ?
Robert Prevost, après une première carrière très honorable au sein de l’ordre des Augustins, a connu encore une ascension fulgurante par la faveur du pape François, puis par l’élection de ses « frères cardinaux », comme il les a appelés dans son premier discours à la loggia de Saint-Pierre.
Il n’est pas difficile de deviner que le défunt pape appréciait en lui son expérience de pasteur de terrain dans les périphéries de l’Église, auprès de populations pauvres et isolées, de même que le réseau relationnel tissé aux États-Unis dans la mouvance de son ordre. Son sens de l’écoute, sa maîtrise des dossiers et sa capacité de synthèse sont hautement loués par ses interlocuteurs.
Seul son relatif manque de notoriété empêchait de le considérer dans la short list comme papabile ; en revanche, par ses fonctions à la tête du Dicastère chargé de sélectionner les évêques, qui faisait de lui le véritable DRH de l’Église universelle — il est aussi, ex officio, à la tête de la très stratégique commission pontificale pour l’Amérique latine — il figurait d’ores et déjà comme un grand électeur du conclave.
La suite du conclave a montré qu’il était en puissance bien plus que cela, et il a été appelé aux plus hautes fonctions de l’Église. Il a été élu le 8 mai au soir 267e pape de l’Église catholique à l’âge de 69 ans et 6 mois.
Il se définit lui-même comme un « fils de saint Augustin ».
3 — Comment est-il positionné dans le collège cardinalice ?
Il s’agissait d’un papabile « tardif », qui montait en popularité, même si notre Observatoire le classait plutôt comme un « grand électeur », considérant qu’il était encore relativement peu connu au sein du Collège cardinalice.
Il s’agit également d’un cardinal central, à la faveur météoritique, qui était encore inconnu du pape François et de la Curie il y a dix ans. On peut le considérer comme un réformateur modéré qui ne s’est pas signalé par des prises de position progressistes, mais qui fait preuve d’une véritable préoccupation cruciale à l’égard des périphéries de l’Église.
Lors du synode sur la synodalité, il a pris position contre l’ordination des femmes comme diacres (ou diaconesses), au nom du fait que pour restituer du pouvoir aux femmes, il ne fallait pas les cléricaliser.
Quant à la déclaration Fiducia Supplicans qui ouvre la possibilité de bénir des couples de même sexe, il a déclaré qu’il fallait laisser une grande latitude aux Conférences épiscopales nationales. Il est résolument en faveur de la synodalité, tournant réformateur des structures ecclésiales dans le sens d’une plus grande participation du peuple de Dieu. Pour lui, la synodalité est le remède à la polarisation de l’Église. Il souhaite notamment y impliquer davantage les laïcs.
En revanche, il ne semble pas avoir pris de position publique quant à la messe traditionnelle en latin, on ne sait donc pas s’il souhaite l’autoriser plus largement, la restreindre, voire l’interdire. De même, on ignore s’il est en faveur d’une évolution de la discipline du célibat sacerdotal. Sur les grands évènements géopolitiques impliquant le Saint-Siège, comme l’accord secret sino-vatican de 2018, il est jusqu’à présent demeuré silencieux.
4 — Que signifie ce nom ?
Le pape a choisi le nom de Léon XIV pour renouer avec le pape Léon XIII (1878-1903), pape de la doctrine sociale de l’Eglise et d’une relative ouverture au monde, tout en maintenant la rigueur de la théologie thomiste remise au goût du jour dans les études ecclésiastiques. Léon XIII, également grand pape diplomate, avait fait un geste inédit en invitant les catholiques français, majoritairement de tradition monarchiste, au ralliement à la IIIe République. En revanche, sur la question romaine, il était resté sur la ligne intransigeante de son prédécesseur Pie IX, refusant de reconnaître l’unité italienne autour de la Maison de Savoie.
Il s’agit d’un nom de pape très porté, derrière Jean (22 occurences), Benoît et Grégoire (16 chacunes) et maintenant à égalité avec Clément (14), ce qui contribue à le réinscrire dans la tradition — par opposition à François.
Léon évoque également le grand pape de l’Antiquité Léon le Grand (440-461), docteur de l’Église, auteur de sermons spirituels souvent lus à l’office, pape de la résistance de Rome au Barbare Attila.
5 — Qu’ont voulu dire les cardinaux en l’élisant ?
Sa rapidité, avec 4 tours de scrutin, soit sensiblement le même nombre que pour Benoît XVI, cette élection se situe dans la norme. Son âge — 69 ans — est relativement jeune pour un pape, mais il est tout à fait proche de la moyenne du Collège cardinalice (70 ans). Il est cardinal depuis moins de deux ans.
Tout comme les deux précédents conclaves de 2013 (François) et 2005 (Benoît XIV), le conclave qui a conduit à l’élection de Léon XIV a duré deux jours.
Élu à 69 ans, Léon XIV est plus jeune que ses deux prédécesseurs, François étant âgé de 76 ans lors de son élection et Benoît XIV de 78 ans. Il est cependant légèrement plus âgé que la moyenne des souverains pontifes des XXe et XIXe siècles (de Pie X à François), qui se trouve à 67 ans.
Né à Chicago, Léon XIV se trouve relativement loin du « centre » géographique du Collège cardinalice, un indicateur calculé à partir des lieux de naissance des cardinaux électeurs ayant participé au conclave.
De la même manière, le nouveau pape est également « périphérique » par rapport au « centre de gravité » du catholicisme, dont la localisation sur la carte ci-dessous correspond à un barycentre pondéré calculé en fonction de la répartition de la population catholique à travers le monde.
6 — Comment pourrait-il se positionner vis-à-vis de l’option carolingienne ?
Dans une pièce de doctrine qui a fait le tour du monde — avec une partie du pic de visites localisée au Vatican dans les jours précédents le conclave — l’historien et subtil observateur de l’Église, Alberto Melloni a révélé l’ingérence de la Maison-Blanche dans l’élection du prochain souverain pontife.
« Cette option carolingienne pourrait se définir sous la forme d’un deal : la Maison-Blanche offrira au pontificat une protection — y compris contre ses propres attaques —, un droit de tribune et une amplification, trois choses que le pape François estimait sans intérêt, mais qui pourraient susciter quelque tentation au sein du Collège des cardinaux. »
Pour la première fois, l’improbable a eu lieu : l’élection d’un pape américain. Donald Trump vient d’ailleurs de le féliciter sur X, en ajoutant que c’était un grand honneur pour son pays, et soulignant le fait qu’il s’agit du premier pape issu des Etats-Unis d’Amérique.
Le premier pape né aux États-Unis a été salué par Donald Trump sur Truth social, avec une formule ambiguë. Le président américain considère : « an honor to realize that he is the first American Pope. What excitement, and what a Great Honor for our Country. I look forward to meeting Pope Leo XIV. It will be a very meaningful moment ! ».
Si ses positionnements passés sur l’environnement, sur les questions sociétales, sur la synodalité semblent divergents par rapport à la possibilité de ce deal, on rappelera que c’est un pape prénommé Léon, Léon III (795-816), d’ailleurs canonisé, qui a couronné empereur Charlemagne dans l’ancienne basilique Saint-Pierre le jour de Noël 800.