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Jeudi 21 mars à 19h00 Paris, selon nos calculs, les gouvernements ayant exprimé leurs félicitations au Kremlin couvrent une population de 4,3 milliards de personnes (53 % de la population mondiale) contre 1,3 milliard seulement pour les pays qui ont condamné le processus électoral — la position de leurs gouvernements ne représentant bien sûr pas nécessairement la position de leurs habitants.

Le rapport est cependant inversé concernant la richesse respective des deux groupes, le PIB total des pays qui ont félicité Poutine atteignant 28 629 milliards de dollars (environ 27 % du PIB mondial), contre 61 924 milliards pour ses critiques (59 %)1.

Qui soutient la réélection de Vladimir Poutine ? 

Pour le moment, 48 chefs d’État et de gouvernement ont adressé leurs félicitations à Vladimir Poutine pour sa réélection.

Ils peuvent être rassemblé en trois catégories : 

  • La totalité des républiques d’Asie centrale ;
  • Des alliés de Moscou de taille petite ou moyenne qui ont soutenu avec constance la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine aux Nations Unies : Belarus, Syrie, Venezuela, Corée du Nord, Nicaragua, les Émirats arabes unis…
  • Plusieurs puissances géopolitiques majeures : l’Iran, la Chine et l’Inde.

On remarquera que tous les États membres de l’Organisation de Shanghai convergent, en félicitant Poutine.

Le cas indien

Le Premier ministre indien Narendra Modi a félicité le président russe Vladimir Poutine pour sa réélection : « Nous nous réjouissons de travailler ensemble pour renforcer le partenariat stratégique spécial et privilégié entre l’Inde et la Russie, qui a fait ses preuves, dans les années à venir »2.

Modi est l’un des rares dirigeants démocratiquement élus à soutenir explicitement la réélection de Poutine, ce qui affaiblit un peu plus un présupposé de la doctrine Biden qui a fait de la lutte entre démocraties et autocraties la pierre angulaire de sa politique étrangère — alors que s’ouvre le troisième Sommet pour la démocratie en Corée du Sud. 

Depuis le 24 février 2022, l’Inde maintient une position de neutralité stratégique, refusant de condamner l’agression militaire de Moscou ou de se joindre à l’Occident pour isoler la Russie. 

Trois éléments peuvent expliquer ce positionnement :

  • Une dynamique politique interne : les sondages montrent qu’une bonne partie des Indiens ont une opinion très positive de la Russie (57 %) et « font confiance » au président Poutine (59 %)3. L’opposition libérale n’a d’ailleurs pas manqué de noter que le style de leadership de Modi rappelait celui de Poutine.
  • Une dynamique économique : depuis le début de la guerre en Ukraine, les échanges commerciaux entre l’Inde et la Russie ont augmenté de manière substantielle. Le maintien de l’accès aux réserves de pétrole et de gaz de la Russie est ainsi majoritairement perçu comme plus important que la fermeté à l’égard de la Russie sur l’Ukraine.
  • Une dynamique géopolitique : le positionnement multipolaire de l’Inde présuppose une Russie forte qui, avant la guerre d’Ukraine, était son premier fournisseur d’armement. Lors de son dernier voyage à Moscou, le ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, avait déclaré que les liens entre l’Inde et la Russie étaient « très forts ». Comme l’a montré Isabelle Saint-Mézard, « l’Inde redoute que la Russie devienne de plus en plus dépendante de la Chine », l’une des principales ennemies de l’Inde.

Le cas chinois

Le président chinois Xi a personnellement félicité Poutine pour sa victoire. Selon l’agence de presse Xinhua, il lui aurait dit : « Ta réélection est une démonstration définitive du soutien du peuple russe à ton égard. »

Les liens déjà très étroits entre Xi et Poutine — qui se sont désormais rencontrés plus de quarante fois — ont été renforcés depuis le 24 février 2022, bien que la Chine ait à plusieurs reprises joué un rôle d’ambiguïté stratégique dans la guerre en Ukraine, en reconnaissant par exemple l’agression russe dans un vote aux Nations Unies le 26 avril 2023

  • Le 4 février, quelques jours avant l’invasion, Poutine avait rendu visite à Xi Jinping à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver de Pékin. Les deux pays avaient déclaré un partenariat « sans limites ». 
  • Le montant mensuel des échanges commerciaux entre la Chine et la Russie a clairement augmenté.
  • L’année 2024 marque par ailleurs le 75ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et la Russie. Selon la porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, plusieurs rencontres entre Poutine et Xi Jinping devraient jalonner cette année.

Le cas iranien

À ce stade, les réactions iraniennes à l’élection de Vladimir Poutine sont assez limitées bien que positives. L’ambassade iranienne à Moscou a publié sur son site Internet un très bref article expliquant que le Président de la République iranienne Ebrahim Raissi avait félicité « sincèrement » Vladimir Poutine pour sa réélection « décisive », et qu’il se réjouissait par ailleurs du développement des relations entre les deux pays4. Cette brève publication est la seule source des articles d’agences de presse officielles qui annoncent la victoire de Vladimir Poutine et le message de félicitations du Président Iranien.

  • L’apparente discrétion de ces félicitations pourrait s’expliquer par le fait que les dirigeants de la République islamique d’Iran ne souhaitent pas insister outre-mesure sur la ressemblance des systèmes électoraux iranien et russe, après les élections iraniennes législatives du 1er mars, qui ont connu, malgré la manipulation des chiffres électoraux, le taux de participation le plus bas de l’histoire de la République islamique, en raison notamment de la disqualification de tout candidat modéré
  • Si certains en Iran, comme Hassan Abbasi — surnommé le « Kissinger persan » — appellent de leur voeux une alliance anti-occidentale entre la Chine, la Russie et l’Iran, les dirigeants au pouvoir ne semblent pas souhaiter mettre en avant les proximités de systèmes politiques ayant progressivement abandonné toute prétention démocratique. 

Contre Poutine : l’Occident reste uni — sans la Hongrie

En prévoyant la fabrication d’un triomphe électoral, ce vendredi 15 mars, 56 pays se joignaient à l’Ukraine pour condamner « avec la plus grande fermeté les tentatives illégitimes de la Fédération de Russie d’organiser une élection présidentielle dans des zones temporairement occupées sur le territoire internationalement reconnu de l’Ukraine »5.

Une partie de ces pays, notamment de l’Union européenne, ont également condamné l’absence de pluralité ainsi que la connaissance du résultat en amont du scrutin.

  • Le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères a dénoncé un « contexte de répression accrue à l’encontre de la société civile et de toute forme d’opposition au régime, de restrictions toujours plus fortes à la liberté d’expression et de l’interdiction de fonctionnement des médias indépendants »6.
  • Le ministère fédéral des Affaires étrangères allemand a qualifié l’élection de simulacre « ni libre ni équitable » dont le résultat « ne surprendra personne. Le régime de Poutine est autoritaire, il s’appuie sur la censure, la répression et la violence. Les « élections » dans les territoires occupés de l’Ukraine sont nulles et non avenues et constituent une nouvelle violation du droit international »7.
  • Le contexte italien est plus mouvant. Alors qu’Antonio Tajani, ministre des Affaires étrangères et également vice-président du conseil et secrétaire de Forza Italia, avait adhéré à la ligne européenne en condamnant « un vote marqué par des pressions et des violences », le ministre des Transports Matteo Salvini (Secrétaire fédéral de la Ligue) a toutefois déclaré dans la matinée du lundi 18 mars : « Les élections sont toujours positives, que l’on gagne ou que l’on perde… lorsqu’un peuple s’exprime, il a toujours raison ». Tajani s’est dissocié de sa prise de position en déclarant que « la politique étrangère est définie par le ministre des Affaires étrangères ».
  • Avant le conseil des affaires étrangères qui s’est tenue ce lundi matin à Bruxelles, le ministre espagnol José Manuel Albares a déclaré que le processus électoral russe était « très loin, pour le dire diplomatiquement, de ce que nous considérons dans l’Union et en Espagne comme des élections démocratiques avec les garanties nécessaires »8. Albares a notamment insisté sur le fait que les votes qui ont eu lieu dans les territoires ukrainiens occupés militairement sont dépourvus de toute légitimité.
  • Le 21 mars, en plein Conseil européen, le porte-parole de Viktor Orbán a signifié sur X (ex-Twitter) que le Premier ministre hongrois avait félicité Vladimir Poutine pour sa réélection, en faisant ainsi le seul dirigeant européen à le soutenir si explicitement.

Israël-Palestine : après le virage Netanyahou, la guerre s’étend et le front s’unit

En étant parmi les 56 signataires de la déclaration qui condamnait « avec la plus grande fermeté les tentatives illégitimes de la Fédération de Russie d’organiser des élections présidentielles russes dans les zones temporairement occupées du territoire internationalement reconnu de l’Ukraine », le gouvernement de Benjamin Netanyahou (qui en 2018 avait été parmi les premiers à féliciter Poutine pour sa « réélection ») marque une rupture par rapport à son ambiguïté stratégique et se rallie pleinement à la position des États-Unis et de l’Union européenne à l’égard de la Russie.

L’Autorité palestinienne a quant à elle félicité lundi Vladimir Poutine : dans un communiqué, Mahmoud Abbas a exprimé sa « profonde gratitude » à Moscou pour « son soutien aux droits du peuple palestinien ».

En milieu d’après-midi mardi, le Hamas a également félicité le président russe pour sa réélection selon l’agence TASS.

OTAN et Turquie

  • La Turquie était jusqu’à lundi soir le seul pays de l’OTAN qui n’avait 1) pas signé la déclaration conjointe sur la condamnation de l’élection présidentielle russe ou 2) qui n’avait pas critiqué ou condamné unilatéralement le scrutin. Désormais, Erdogan est le seul leader de l’OTAN à avoir félicité Poutine au téléphone pour sa réélection.

L’espace, silencieux, du milieu

Pour le moment, plus de 120 chefs d’État et de gouvernement ont choisi de ne pas prendre position. Ce non-alignement dont la nature et la direction font l’objet d’un débat intense reste une tendance fondamentale de l’interrègne.

Nous identifions trois régions à ce stade :

  • La plupart des pays africains n’ont pour le moment pas communiqué sur l’élection – le Libéria est le seul pays africain à avoir signé la déclaration ukrainienne portant sur l’élection russe.
  • Une partie de l’Amérique latine – y compris le Brésil de Lula, pourtant soutien fréquent de Poutine et le Mexique – ne s’est pas encore positionnée.
  • Une partie de l’Asie du Sud-Est, y compris l’Indonésie, ne s’est pas encore positionnée et de l’Océanie.

BRICS

Six pays membres des BRICS (Afrique du Sud, Inde, Chine, Iran, Émirats arabes unis et Égypte) ont félicité publiquement Poutine pour sa ré-élection. Les autres (Brésil et Éthiopie) n’ont pas encore publié de communiqué sur le sujet.

Toutefois, selon plusieurs médias, Lula aurait félicité Poutine par voie de lettre, une information confirmée à CNN Brasil par son conseiller Celso Amorim9. Aucune communication publique sur les réseaux sociaux n’est pour l’instant à relever.

OPEP +

Au sein de l’OPEP +, la plupart des États n’ont pas encore réagi officiellement, notamment l’Arabie saoudite, l’Irak, le Brésil et le Mexique, tandis que sept États ont félicité Vladimir Poutine pour sa réélection. Parmi eux, on retrouve à la fois des États très proches de la Russie (Kazakhstan,  Azerbaïdjan, Iran), des pays non-alignés anti-occidentaux (Algérie, Venezuela), et les Émirats arabes unis, qui sont, depuis l’invasion de l’Ukraine, des soutiens ambigus de la Russie, revendiquant une forme de neutralité dans le conflit tout en accueillant des oligarques russes exilés, et en servant de plateforme de contournement des sanctions pour Moscou. 

ASEAN

Parmi les pays de l’ASEAN, le Myanmar est le seul pays dont le Premier ministre, Min Aung Hlaing, a formellement félicité Vladimir Poutine pour sa réélection lors d’un entretien avec l’agence de presse officielle russe TASS10.

Il se peut que certaines déclarations nous aient échappé. N’hésitez pas à nous écrire pour nous aider à mettre à jour la carte, par mail à contact[at]legrandcontinent.eu ou sur nos réseaux sociaux.

Sources
  1. En l’absence de déclaration officielle de Lula, ces chiffres ne prennent pas encore en compte le Brésil, dont la position demeure peu claire (voir infra).
  2. Publication de Narendra Modi sur X (Twitter), 18 mars 2024.
  3. Christine Huang, Moira Fagan et Sneha Gubbala, Views of India Lean Positive Across 23 Countries, Pew Research Center, 29 août 2023.
  4. “پیام تبریک رئیس جمهور اسلامی ایران به رئیس جمهور فدراسیون روسیه” (“Message de félicitations du Président de la République islamique d’Iran au Président de la République de la Fédération de Russie”), Site de l’Ambassade iranienne à Moscou, 18 mars 2024.
  5. Joint Press Stakeout in Response to the Russian Federation’s Organization of Presidential Elections in the Temporarily Occupied Territories of Ukraine, 15 mars 2024.
  6. Russie – Résultats de l’élection présidentielle (18 mars 2024), Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères.
  7. Publication du ministère fédéral des Affaires étrangères allemand sur X (twitter), 17 mars 2024.
  8. « Albares dice que las elecciones en Rusia no han sido « democráticas » y niega legitimidad en zonas ucranianas ocupadas »
  9. Raquel Landim, « Lula envia carta a Putin cumprimentando pela vitória », CNN Brasil, 20 mars 2024.
  10. « Премьер Мьянмы поздравил Путина с убедительной победой на выборах », TASS, 18 mars 2024.