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1 – Les effets économiques de cette séquence inédite 

En décembre 2019, la presse a commencé à évoquer des cas d’infection par un nouveau virus dans la ville de Wuhan. En janvier, des cas sont apparus en Italie, puis dans le reste de l’Europe. En février, l’épidémie était arrivée aux États-Unis.

La crise économique elle-même n’a pas été provoquée par le nombre de morts — les décès, certes douloureux et inquiétants, sont restés en nombre relativement faible en proportion de la population — mais par la décision politique de confiner l’économie pour éviter une augmentation potentiellement catastrophique des contaminations et des décès.

Les chiffres du PIB sont désormais disponibles pour les deux premiers trimestres de 20201 et démontrent à quel point la chute de l’activité a été importante depuis le début de la pandémie : le PIB du deuxième trimestre 2020 se situe, suivant les pays, entre 81 % et 90 % de son niveau d’avant la crise2. En guise de comparaison, le PIB à la fin de la crise financière de 2007-2008 se situait à 96 % de son niveau pré-crise.

Au moins trois questions se posent, auxquelles cet article se propose de donner un aperçu de réponse : pourquoi la production a-t-elle autant diminué ? Quelles politiques économiques ont-elles été adoptées ? Et qu’est-ce qui nous attend ?

Le premier choc qui s’est produit est un choc d’offre majeur provoqué par les mesures de restriction destinées à endiguer la circulation du virus. Le confinement a forcé les entreprises d’un certain nombre de secteurs directement affectés — des restaurants et hôtels aux compagnies aériennes — à cesser (ou, au moins, à réduire drastiquement) leurs activités. Contrairement à d’autres types de chocs d’offre — comme une hausse du prix du pétrole, que les entreprises peuvent répercuter sur leurs prix afin de continuer à exercer leur activité — beaucoup d’entreprises n’ont pas eu d’autre choix que d’arrêter ou diminuer leur production.

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À cause de la baisse du niveau de production, provoquant une baisse des revenus, et à cause de la hausse de l’incertitude, ce choc a eu un effet majeur sur la demande, non seulement dans les secteurs directement affectés mais aussi dans les secteurs non affectés. Le résultat a ainsi été la combinaison d’un choc d’offre et d’une nette réaction de la demande. 

À cause de la baisse du niveau de production, provoquant une baisse des revenus, et à cause de la hausse de l’incertitude, ce choc a eu un effet majeur sur la demande, non seulement dans les secteurs directement affectés mais aussi dans les secteurs non affectés.

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Dans ce contexte, la politique macroéconomique a eu un rôle double. Premièrement, dans les secteurs affectés, alors qu’elle ne pouvait pas faire grand chose pour augmenter la production, elle devait protéger les entreprises de la faillite et protéger les travailleurs qui se retrouvaient sans emploi. Deuxièmement, elle devait limiter les conséquences de la baisse de la demande dans les secteurs non affectés. Elle a agi sur les deux fronts, par le biais d’une combinaison de mesures budgétaires et monétaires. La chute de la production a été considérable mais, en l’absence de réponse macroéconomique, elle aurait été bien pire.

2 – Le rôle de la politique macroéconomique

Lorsque les pays ont été mis en quarantaine, les réponses tant en matière de politique budgétaire que monétaire ont été rapides et fortes.

Commençons par la politique budgétaire. Les subventions aux travailleurs et aux entreprises, ainsi que les reports d’impôt, ont représenté 7,8 % du PIB aux États-Unis, 5,9 % en France, 11,3 % en Allemagne, des montants extrêmement importants par rapport à ce que l’Histoire a connu. En outre, afin de réduire les risques pour les banques, les États se sont engagés à garantir partiellement les prêts accordés par les banques aux entreprises en difficulté. Les prêts bancaires garantis ont représenté jusqu’à 5,2 % du PIB aux États-Unis, 13,4 % en France, 30,3 % en Allemagne3. Ces garanties ne sont pas des dépenses directes, mais comme certaines entreprises vont effectivement faire défaut, l’État devra en honorer certaines, qui finiront par s’ajouter au total des dépenses budgétaires4.

Tournons-nous vers la politique monétaire. Les taux d’intérêt étaient déjà très bas avant la crise du Covid-19. Pourtant, les banques centrales ont pris d’autres mesures. À la suite des actions de la Fed, le taux des bons du Trésor à 3 mois est passé de 1,5 % en février à 0,3 % en mars, et à 0,1 % en avril. Dans la zone euro, le taux d’intérêt était déjà très bas lorsque la crise du Covid-19 a frappé ; il y avait donc peu de marge pour le baisser encore. Les deux banques centrales ont toutefois fait davantage, allant au-delà de l’utilisation du taux directeur, en intervenant sur un certain nombre de marchés financiers et en fournissant des fonds à certains emprunteurs spécifiques, afin de réduire le coût du crédit.

Ces mesures ont permis d’éviter ce qui aurait été une chute catastrophique de la production, non seulement dans le secteur touché, mais aussi dans le secteur non touché. Néanmoins, la diminution de l’activité demeure spectaculaire.

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Ensemble, ces mesures ont permis d’éviter ce qui aurait été une chute catastrophique de la production, non seulement dans le secteur touché, mais aussi dans le secteur non touché. Néanmoins, la diminution de l’activité demeure spectaculaire. Comme nous l’avons vu dans le tableau 1, la production au deuxième trimestre de 2020 a chuté de 10 à 20 % par rapport à son niveau du quatrième trimestre de 2019. Et, comme le montre le graphique ci-dessous pour les États-Unis, le chômage a explosé, le taux de chômage passant de 4,4 % en mars à 14,7 % en avril. En ce qui concerne les chiffres plutôt que les pourcentages, le nombre de travailleurs sans emploi est passé de 7 millions en mars à 23 millions en avril.

Comme on peut s’y attendre à la lumière de l’analyse ci-dessus, derrière ces chiffres agrégés, il y a de grandes différences entre les secteurs, comme le souligne le tableau 2. Ce tableau montre l’emploi dans différents secteurs américains en avril et en août, normalisé par l’emploi dans chaque secteur en février. (Pour l’instant, il convient de se concentrer sur les chiffres d’avril, c’est-à-dire ceux qui se situent vers la fin de la période de confinement, et de laisser de côté les chiffres d’août. Nous y reviendrons plus tard).

Le tableau donne les chiffres pour trois groupes de secteurs. Tout d’abord, il y a ceux qui ont été directement affectés par le confinement, comme les restaurants et les compagnies aériennes, pour lesquels (à l’exception des compagnies aériennes) l’emploi a généralement diminué de moitié. Deuxièmement, il y a ceux qui n’ont pas été directement affectés par le confinement, mais qui ont été affectés par la baisse de la demande, comme l’ameublement, l’électronique ou l’automobile. Pour ces derniers, l’emploi a également diminué de manière substantielle. Troisièmement, il y a les secteurs qui ont été affectés positivement par le confinement, tels que l’alimentation, l’équipement de jardinage et les services de livraison où l’emploi a à peine diminué (et a même augmenté depuis).

3 – France ou États-Unis, qui a le mieux dépensé ?

Lorsque le confinement a été déclaré, les priorités budgétaires étaient claires et similaires dans les deux pays : protéger les travailleurs et les entreprises dans les secteurs affectés, limiter la baisse de la demande dans les secteurs non affectés. Mais les deux pays ont agi différemment.

Prenons l’aide aux travailleurs.

Aux États-Unis, l’État a utilisé deux outils principaux5. Le premier a consisté à permettre aux entreprises de licencier des travailleurs, à reposer sur les bureaux distribuant les allocations chômage pour qu’ils donnent aux travailleurs licenciés des chèques de chômage et, pour couronner le tout, à augmenter les prestations usuelles de 600 dollars par semaine (pendant quatre mois)6. Cela ne s’est pas fait sans heurts. Compte tenu de l’augmentation gigantesque du nombre de nouveaux chômeurs en avril, les bureaux du chômage ont été débordés et de nombreux travailleurs licenciés ont attendu des semaines avant de recevoir leur premier chèque. Le second outil a été l’émission de chèques de 1 200 dollars à tous les contribuables (jusqu’à un niveau de revenu élevé, par exemple 150 000 dollars pour les co-déclarants). C’était généreux, mais comme aucune distinction n’était faite en fonction du statut d’emploi, de nombreux chèques ont été distribués à des personnes qui n’étaient pas au chômage et n’avaient pas besoin de ces sommes. En augmentant les revenus, cet outil a stimulé la demande globale (voir la section infra “Comment les ménages ont-ils utilisé l’argent du stimulus ?”), mais elle n’a pas particulièrement aidé les travailleurs les plus dans le besoin.

Lorsque le confinement a été déclaré, les priorités budgétaires étaient claires et similaires aux États-Unis et en France : protéger les travailleurs et les entreprises dans les secteurs affectés, limiter la baisse de la demande dans les secteurs non affectés.

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En France (et dans la plupart des pays européens), l’approche a été différente. Au lieu de laisser les entreprises licencier, l’État a permis aux travailleurs de rester dans l’entreprise pendant qu’ils ne travaillaient pas, en leur versant des allocations chômage. Plus précisément, il demandait aux entreprises de payer à leurs employés qui ne travaillaient pas 84 % de leur salaire normal jusqu’à 4,5 fois le salaire minimum, et remboursait le montant correspondant aux entreprises.

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Cette approche s’est avérée meilleure, à deux égards. Premièrement, comme les entreprises savaient qui étaient leurs employés, elles pouvaient rapidement envoyer des chèques à tous ceux qui ne travaillaient pas. Elles devaient parfois attendre le remboursement de l’État, mais celui-ci disposait des informations pertinentes sur les entreprises et pouvait le faire rapidement. Deuxièmement, cela a permis de maintenir le lien entre les travailleurs et les entreprises, un lien utile si de nombreuses entreprises doivent revenir à la normale quand un vaccin sera disponible. Du point de vue des travailleurs, cela les a aidés psychologiquement à sentir qu’ils n’étaient pas au chômage mais seulement en congé, avec l’espoir de retourner tôt ou tard dans l’entreprise. Du point de vue des entreprises, elles n’ont pas eu à verser d’indemnités de licenciement (qui peuvent être élevées en France) et ont pu garder leurs travailleurs pour le moment où l’activité reprendra.

Les deux régimes auraient-ils pu être mieux conçus ? Oui. Vu l’urgence, les gouvernements ont dû agir rapidement et prendre des mesures brutales. Avec le recul, les mêmes objectifs auraient pu être atteints à moindre coût. Aux États-Unis, on estime que le ménage médian a en fait reçu plus de revenus pendant le confinement qu’auparavant. En France, la générosité des indemnités pour non-travail a conduit certains travailleurs à hésiter à reprendre le travail lorsque leur entreprise leur demandait de le faire. Toutefois, des décisions ont dû être prises en temps réel, et la plupart des travailleurs ont ainsi été largement protégés financièrement.

Vu l’urgence, les gouvernements ont dû agir rapidement et prendre des mesures brutales. Avec le recul, les mêmes objectifs auraient pu être atteints à moindre coût.

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Prenons l’aide aux entreprises.

Là encore, les deux pays ont adopté des approches différentes. Aux États-Unis, le gouvernement a utilisé trois outils principaux dans des proportions à peu près égales. Premièrement, les reports d’impôts ; deuxièmement, l’aide à des industries spécifiques, en particulier aux compagnies aériennes ; troisièmement, les prêts aux petites et moyennes entreprises, accordés soit directement par la Fed, avec le soutien financier de l’État si les prêts deviennent irrécouvrables, soit par les banques elles-mêmes avec le soutien financier de la banque centrale (les banques pouvaient utiliser les prêts comme collatéral pour emprunter auprès de la Fed).

Les prêts ont été accordés à un taux d’intérêt très bas et, surtout, doivent être annulés si l’entreprise conserve le même nombre de travailleurs qu’avant le Covid-19. Ainsi, il est probable que la plupart des entreprises qui prennent ces prêts satisferont à cette condition, ce qui rendra les prêts plus proches des subventions que des prêts ordinaires. Cela incite les entreprises à conserver leurs travailleurs. Toutefois, ce n’est pas un moyen efficace de créer de telles incitations. De nombreuses entreprises, qui n’auraient de toute façon pas licencié de travailleurs et qui n’ont pas besoin d’aide, ont bénéficié du programme.

La France a utilisé les trois mêmes outils : reports d’impôts, subventions à des secteurs spécifiques (par exemple, l’automobile, le tourisme, l’aéronautique et les activités culturelles) et prêts. L’approche des prêts a été différente de celle des États-Unis. En France, les prêts ont été accordés par les banques, avec une garantie de l’État à 90 % et à un taux d’intérêt peu élevé. Le taux de garantie élevé implique que, si les prêts venaient à faire défaut, la plupart des pertes seraient absorbées par l’État. En évitant d’offrir une garantie de 100 %, l’État s’est assuré que les banques aient un rôle à jouer et ne fassent pas de prêts sans discernement. Il n’est pas prévu, à ce stade, de transformer les prêts en subventions. Les incitations à contracter un tel prêt par une entreprise qui n’est pas en difficulté sont donc beaucoup plus faibles qu’aux États-Unis.

4 – Comment les ménages ont-ils utilisé l’argent du stimulus ?

L’une des composantes du paquet budgétaire américain était l’envoi de chèques aux ménages d’un montant de de 1 200 dollars par personne, plus 500 dollars pour tout enfant à charge. Il y avait un plafond de revenu au-delà duquel les ménages ne pouvaient pas prétendre au chèque, mais il était élevé, 150 000 dollars pour les co-déclarants.

L’objectif était double. D’une part, aider les ménages directement touchés par la crise, par exemple parce qu’un ou plusieurs de leurs membres étaient sans travail ou travaillaient moins longtemps. D’autre part, soutenir la demande globale afin d’éviter une trop forte baisse de la production dans les secteurs non affectés.

L’objectif du stimulus était double. D’une part, aider les ménages directement touchés par la crise, par exemple parce qu’un ou plusieurs de leurs membres étaient sans travail ou travaillaient moins longtemps. D’autre part, soutenir la demande globale afin d’éviter une trop forte baisse de la production dans les secteurs non affectés.

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Les recherches de Coibion, Gorodnichenko et Weber7, fondées sur une enquête auprès des ménages, indiquent ce qui s’est passé. Les trois auteurs ont utilisé le panel Nielsen-Homescan, un panel de 80 000 à 90 000 individus. Pour leur enquête, les auteurs ont envoyé le questionnaire à 46 000 personnes, et ont reçu 12 000 réponses (un taux de réponse élevé pour ce type d’enquête). Ils en tirent des connaissances sur ce que les personnes ont fait des revenus supplémentaires, selon leur niveau de revenu.

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Il y a au moins deux leçons à tirer. 

Premièrement, les ménages ont consacré une partie des fonds à la nourriture et aux produits de première nécessité, 30 % pour les personnes se situant dans la tranche de revenu la plus basse, 12 % pour celles se situant dans la tranche de revenu la plus élevée. Ce chiffre est étonnamment élevé : on aurait pu penser ou espérer que tous les ménages auraient assez pour acheter de la nourriture même en l’absence de chèque et n’utiliseraient pas les fonds pour en acheter davantage. Les faits (confirmés par des preuves provenant d’autres sources) montrent qu’une part importante des ménages aux États-Unis vit de chèque en chèque et aurait effectivement été limitée dans ses achats de nourriture, en l’absence de cette aide.

Deuxièmement, les ménages ont utilisé une fraction substantielle des fonds pour épargner, soit sous forme de remboursement de dettes, soit sous forme d’épargne réelle, l’épargne représentant 35 % des fonds pour les personnes se situant dans la tranche de revenu la plus basse, jusqu’à 65 % pour celles se situant dans la tranche de revenu la plus élevée.

Les faits montrent qu’une part importante des ménages aux États-Unis vit de chèque en chèque et aurait effectivement été limitée dans ses achats de nourriture, en l’absence de cette aide.

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Ainsi, du point de vue de la politique macroéconomique, la propension marginale à consommer a été  assez faible, environ 0,4 en moyenne. L’effet sur la demande globale a donc été relativement limité.

Pourquoi les gens ont-ils économisé autant ? On peut penser à au moins deux raisons, avec des implications de politique économique très différentes.

Les personnes qui ne pouvaient pas acheter de voiture ou partir en croisière, ont décidé d’épargner dans l’intention de dépenser plus tard. Cela semble indiquer qu’il y a ce que les économistes appellent « une demande latente » en raison du confinement, et que nous assisterons à une augmentation potentiellement importante des dépenses lorsque les contraintes liées au Covid-19 seront assouplies.

Ou alors les gens étaient vraiment inquiets pour l’avenir et ont décidé d’économiser par anticipation. Si tel le cas, ce qu’ils feront à l’avenir dépend de l’inquiétude qu’ils continueront à avoir. Si, par exemple, le taux d’infection augmente à nouveau, ou s’il faut plus de temps que prévu pour développer et distribuer un vaccin, ils peuvent continuer à épargner davantage, auquel cas les dépenses de consommation peuvent rester déprimées pendant longtemps.

Il est essentiel de comprendre pourquoi une si grande partie de la relance a été consacrée à l’épargne pour concevoir les politiques dans la phase post-confinement.

Il est essentiel de comprendre pourquoi une si grande partie de la relance a été consacrée à l’épargne pour concevoir les politiques dans la phase post-confinement.

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5 – L’état de l’économie après le confinement

Dans la majorité des pays, le confinement national a été levé avant la fin du mois de mai. Depuis, les restrictions ont été assouplies, mais pas supprimées. De nombreux commerces ont rouvert, au moins partiellement. L’activité a donc connu une reprise majeure. Les chiffres agrégés pour le troisième trimestre 2020 ne sont pas encore disponibles, mais l’évolution de l’emploi et du chômage8 donne une bonne idée de la dynamique que suit l’économie. D’avril à août, l’indice des emplois a connu une augmentation de 85 à 92 (comparé au 100 du mois de février), environ à mi-chemin d’une reprise complète (avec cependant des différences substantielles entre sous-secteurs, à la fois dans les secteurs directement affectés et les secteurs non-affectés. Par exemple, l’emploi dans le secteur «  loisirs et hospitalité » est remonté de 51 à 75, mais l’emploi dans le secteur aérien a connu une nouvelle diminution). Le taux de chômage a également diminué, passant de 14,7 % à 8,9 %.

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Il y a cependant de bonnes raisons de penser que la reprise ne continuera pas à ce rythme9.

  • Le gros de la reprise pour l’instant a été le résultat mécanique de la réouverture des entreprises. Même si la demande était plus faible qu’avant la pandémie, les entreprises ont réengagé leurs employés et ont recommencé à produire. Cet effet mécanique touche à sa fin.
  • Il y a encore beaucoup d’incertitude sur la progression de la pandémie, c’est-à-dire sur l’introduction d’un nouveau traitement, sur le moment où un vaccin pourrait être disponible à grande échelle et sur son efficacité. L’espoir était qu’après le confinement les États parviendraient à contenir la pandémie en maintenant un faible taux de contamination. Cependant, dans certains pays – notamment aux États-Unis – le niveau et les dynamiques de contamination sont inquiétantes. Dans un sondage Gallup réalisé aux États-Unis en mars, 97 % des personnes sondées s’attendaient à ce que la situation s’améliore avant la fin de l’année 2020 ; en août, cette proportion avait chuté à 50 %10. Il est probable que cette incertitude pèse sur les dépenses de consommation et sur l’investissement.
  • De nombreuses entreprises ayant survécu au confinement en empruntant ont accumulé de la dette à un niveau qui pourrait les mener à la faillite, ce qui aboutirait à davantage de chômage. Beaucoup d’entreprises sont en train de se rendre compte qu’elles pourraient ne pas survivre. Même si elle ne font pas faillite, elles risquent de se retrouver à court de fonds et dans l’impossibilité d’investir. De nombreux employés sont en train de se rendre compte qu’ils pourraient ne pas récupérer leur ancien emploi. En avril, aux Etats Unis, sur 23 millions de chômeurs, 90 % se déclaraient en situation de congé temporaire. En août, beaucoup d’entre eux avaient en effet été rappelés et le nombre de chômeurs était revenu à 10 millions, mais parmi les chômeurs restants, seuls 60 % se déclaraient en situation de congé temporaire11. Alors que de plus en plus d’employés se rendent compte qu’ils devront trouver un nouvel emploi et pourraient faire face à une longue période de chômage, une diminution drastique de leur consommation est probable.

Beaucoup d’entreprises sont en train de se rendre compte qu’elles pourraient ne pas survivre. Même si elle ne font pas faillite, elles risquent de se retrouver à court de fonds et dans l’impossibilité d’investir. De nombreux employés sont en train de se rendre compte qu’ils pourraient ne pas récupérer leur ancien emploi.

Olivier Blanchard

6 – Quelle politique macroéconomique pour la reprise ?

Dans ce contexte, que devrait faire la politique macroéconomique ? 

D’abord, elle devrait distinguer entre deux phases de la crise : la phase « post-confinement mais pré-vaccin » que nous traversons en ce moment, et la phase « post-vaccin »12. D’autre part, elle devrait distinguer entre deux types d’entreprises à l’intérieur du secteur affecté : celles qui devraient globalement revenir à la normale dans la période post-vaccin, par exemple les restaurants et les hôtels ; et celles susceptibles d’être affectées de manière permanente, comme les compagnies aériennes – qui pourraient par exemple connaître une diminution permanente de la demande pour des voyages d’affaires, qui constituent aujourd’hui une source majeure de revenus.

Cependant, beaucoup des entreprises qui pourraient revenir à un niveau normal d’activité dans la phase post-vaccin pourraient ne pas être capables de survivre jusque là ; et laisser, par exemple, les restaurants et les hôtels faire faillite à grande échelle avant d’en avoir à nouveau besoin une fois la pandémie passée a peu de sens, autant économiquement qu’humainement. Ainsi, la politique budgétaire doit continuer à soutenir ces entreprises. Le défi auquel fait face la politique économique est de savoir quelles entreprises cibler et comment le faire au mieux, à travers davantage de report ou de remises d’impôts ou encore de prêts partiellement garantis par l’État.

La politique macroéconomique devrait distinguer entre deux phases de la crise : la phase « post-confinement mais pré-vaccin » que nous traversons en ce moment, et la phase « post-vaccin »

Olivier Blanchard

Même avec l’aide de l’État, il semble probable que la crise mène à un taux inhabituellement élevé de faillites parmi les petites et moyennes entreprises. L’épisode du Covid-19 aura rendu certaines entreprises non viables et celles-ci devraient en effet fermer. Beaucoup, cependant, seront peut-être viables après la crise du Covid-19, mais lourdement endettées et insolvables. D’un point de vue économique, ces entreprises ne devraient pas fermer, mais leur dette devrait être restructurée pour qu’elles puissent survivre. Le défi de la politique économique est ici de s’assurer que le processus de faillite sera capable de prendre en charge le flux bien plus élevé que d’ordinaire tout en évitant les faillites économiquement inefficaces. 

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Les entreprises pour qui la crise du Covid-19 a engendré des transformations durables font face à des questions d’un autre ordre, non seulement maintenant, mais aussi en vue de la phase post-vaccin. Les entreprises qui ont bénéficié de la crise, comme Amazon, Netflix ou encore Zoom, n’ont pas besoin d’aide. Mais celles qui font face à un choc adverse permanent, comme les compagnies aériennes ou l’industrie aéronautique, pourraient être trop endettées et rendues incapables de s’adapter. Le défi de la politique économique est alors d’offrir à ces entreprises la bonne combinaison de protection et d’incitations à s’adapter et à se transformer. 

Enfin, le taux de chômage est susceptible de rester à un niveau élevé pendant un certain temps. Pour beaucoup de travailleurs, il restera probablement difficile de trouver un emploi. Le défi de la politique économique est ici encore de combiner protection et incitations à changer pour ceux qui ont peu de chance de récupérer leur ancien emploi.

Le taux de chômage est susceptible de rester à un niveau élevé pendant un certain temps. Pour beaucoup de travailleurs, il restera probablement difficile de trouver un emploi.

Olivier BLanchard

7 – L’économie post-vaccin : trois héritages de la séquence Covid-19

Dans la phase post-vaccin, les gouvernements feront face à au moins trois héritages de la crise du Covid-19. 

Le premier est le processus de réallocation économique. On ne sait pas encore à quel point la crise du Covid-19 transformera l’économie. On peut être sceptique sur le fait qu’elle mènera à des changements majeurs, mais au moins un changement semble très probable : le télétravail est parti pour durer. En juin, 42 % des travailleurs américains travaillaient depuis leur domicile, beaucoup ont trouvé cette situation désirable et les entreprises devront s’y adapter13. Ce phénomène a des implications potentielles majeures pour l’organisation des entreprises, pour la productivité, pour l’organisation des villes et des banlieues, pour les transports et pour les inégalités. Une anecdote qui le suggère est le fait les loyers à New York aient déjà diminué, à cause du désir de vivre désormais plus loin des centre-villes exprimé par ceux qui peuvent télétravailler.

Le deuxième est l’importante augmentation de la dette publique, conséquence de l’importante augmentation des dépenses publiques et du déficit liés au Covid-19. Le bureau du budget du Congrès américain prévoit une augmentation de la dette publique de 79,2 % du PIB à la fin 2019 à 98 % à la fin 2020 et 104 % à la fin 202114. Est-ce une raison de s’inquiéter ? Pas nécessairement, dans la mesure où les taux d’intérêt sont extrêmement bas et susceptibles de le rester pendant un certain temps.

On ne sait pas encore à quel point la crise du Covid-19 transformera l’économie. On peut être sceptique sur le fait qu’elle mènera à des changements majeurs, mais au moins un changement semble très probable : le télétravail est parti pour durer.

Olivier Blanchard

Le troisième est la forte augmentation du bilan des banques centrales. Pendant la première phase de la crise du COVID-19, les banques ont non seulement diminué leur taux directeur, mais sont aussi intervenues sur les marchés financiers en achetant des actifs pour y stabiliser les taux. En échange, elles ont émis du passif monétaire, détenu en majorité par des banques sous forme de réserves à la banque centrale. Le passif de la Fed est passé de 4 100 milliards de dollars en février à 7 000 milliards en septembre ; le passif de la BCE est passé de 4 600 milliards en février à 6 500 milliards en septembre15. Certains observateurs se sont inquiétés du fait que ces larges augmentations de l’offre de monnaie mènent à une forte inflation dans le futur. Cela est improbable. L’augmentation de la masse monétaire a pris essentiellement la forme de réserves bancaires rémunérées, et la masse monétaire non rémunérée, qui pourrait etre éventuellement la source d’une inflation plus élevée, est restée largement stable.

Sources
  1. Le tableau 1 donne le niveau du PIB réel pour chaque trimestre, relativement au PIB du dernier trimestre de 2019.
  2. La différence entre la baisse de la mobilité (jusqu’à 70 %) et la baisse du PIB (entre 10 et 20 % au plus) est frappante : l’économie peut largement fonctionner avec moins de mobilité.
  3. Source : OECD (2020), OECD Economic Outlook, Interim Report September 2020.
  4. On trouvera plus de détails sur les mesures spécifiques et sur les différences entre les États-Unis et la France dans la rubrique infra “France ou États-Unis, qui a le mieux dépensé ?”
  5. Pour plus de détails et de chiffres, voir l’étude Bruegel “The fiscal response to the economic fallout from the coronavirus”, août 2020, Julia Anderson, Enrico Bergamini, Sybrand Brekelmans, Aliénor Cameron, Zsolt Darvas, Marta Domínguez Jíménez, Catarina Midões.
  6. Les prestations usuelles varient selon les Etats et peuvent être très faibles dans certains Etats. Les allocations maximum par semaine vont de 275 dollars en Alabama à 823 dollars dans le Massachusetts.
  7. “How Did U.S. Consumers Use Their Stimulus Payments ?”, Coibion, Gorodnichenko et Weber, 2020
  8. Illustrée dans le tableau 2
  9. Le débat parmi les journalistes économiques a été de savoir si la reprise allait prendre la forme d’un V, c’est-à-dire une chute nette puis une reprise nette, d’un U, c’est-à-dire une chute nette et une reprise plus lente, d’un W, une première chute, une reprise suivie d’une nouvelle chute et enfin une reprise, ou encore la forme du logo Nike, c’est-à-dire une reprise très lente. À ce stade, elle ressemble davantage à une racine carrée inversée, √, c’est-à-dire une chute nette suivie d’une reprise d’abord nette, puis plate.
  10. Gallup, Lydia Saad, Roundup of Gallup COVID-19 Coverage, Aug 19 2020.
  11. US Bureau of Labor Statistics, Labor Force Statistics.
  12. La phase « post-vaccin » a pour but de désigner un état de l’économie dans lequel la contrainte du Covid-19 est entièrement relâchée. Il est possible que l’amélioration vienne davantage du développement d’un traitement contre l’infection plutôt que de la mise à disposition d’un vaccin pour la prévenir.
  13. Voir Nick Bloom, Jose Barrero, and Steve Davis, The Future of working from home, Juillet 2020
  14. Prévisions de septembre 2020.
  15. Ces chiffres sont élevés. Rappelons qu’en 2019 le PIB des Etats-Unis était de 21 400 milliards de dollars et celui de la zone euro de 13 300 milliards de dollars.
Crédits
Cet article est une traduction adaptée du chapitre supplémentaire “The COVID economic crisis”, de l’ouvrage Macroeconomics, 8th Edition, publié chez Pearson. Nous le publions avec l'aimable accord de l’auteur.