1 – Comment développe-t-on un vaccin ?
La vaccination repose sur un principe simple : on expose le système immunitaire à tout ou une partie du pathogène contre lequel on souhaite vacciner, en association avec des facteurs d’activation. Ceci permet d’engendrer une réponse immunitaire neutralisante et puissante (efficace pour de faibles concentrations en anticorps dans le sang) ciblée contre ce pathogène. Le pathogène peut être une bactérie, un virus, un champignon pathogène, et il est même à terme envisageable de vacciner directement contre certains types de cellules cancéreuses.
Pour y parvenir, il existe plusieurs stratégies, dont l’utilisation en fonction des situations dépend de considérations historiques, des propriétés des différents pathogènes, et parfois du choix fait par les équipes scientifiques en fonction d’un certain nombre de critères complexes.
On peut classer les stratégies en trois grandes familles : les vaccins vivants atténués, les vaccins inactivés, et les vaccins sous-unitaires.
A – Les vaccins vivants atténués
Une première approche historique a ainsi consisté à suffisamment atténuer ou inactiver le pathogène pour que celui-ci soit reconnu et active le système immunitaire qui monte ainsi une réponse dirigée contre lui, sans pour autant provoquer la maladie. Cette approche a plusieurs avantages : elle fait l’économie de l’ajout d’adjuvant car le pathogène reste vivant et suffisamment actif pour stimuler le système immunitaire à lui seul ; elle mime de manière plus fidèle une véritable infection, et permet donc d’engendrer une réponse plus forte, plus efficace, plus durable et ne nécessitant la plupart du temps pas de rappels. Mais elle comporte l’inconvénient de nécessiter un niveau de précaution et une quantité de tests préalables supérieure aux autres méthodes. En effet le passage par un vaccin vivant atténué présente le risque ne pas avoir suffisamment atténué le pathogène et d’avoir un pathogène toujours susceptible de provoquer la maladie chez certains. Car cette méthode repose sur l’obtention d’un équilibre extrêmement subtil : si le pathogène n’est pas assez atténué il sera susceptible de provoquer la maladie, mais si il est trop atténué et n’est plus vivant il ne sera plus assez actif pour activer le système immunitaire, et n’induira peu ou pas assez d’immunité. Enfin les vaccins de ce type ne peuvent logiquement pas être administrés aux personnes immunodéprimées ou particulièrement fragiles. Celles-ci ne pouvant pas se vacciner contre ces maladies, leur protection repose sur l’immunité de groupe obtenue grâce à la vaccination de ceux qui le peuvent. C’est le sens de la formule : « se vacciner est également un acte de civisme et de solidarité. »
B – Les vaccins inactivés
Une seconde approche repose sur l’inactivation pure et simple du pathogène. Cette inactivation est le plus souvent réalisée par une combinaison de chaleur et de traitement chimique qui « tue » définitivement le pathogène. Le vaccin inactivé contiendra ce pathogène inactivé, associé à des adjuvants qui vont servir de signal activant le système immunitaire, le pathogène n’étant plus actif et en mesure de le faire.
C – Les vaccins sous-immunitaires
Enfin la troisième approche, développée récemment et encore améliorée de nos jours, est l’approche sous-unitaire. Il s’agit ici de choisir une ou plusieurs parties du pathogène, qui feront office de cibles, et de les combiner directement à des adjuvants ou d’associer le tout au sein d’un vecteur. Les cibles peuvent être directement présentes sous forme de protéines mais aussi sous forme de génome. C’est ce que l’on appelle les « vaccins génétiques », où le vaccin contient l’ADN ou l’ARN d’une partie du pathogène, dont les protéines seront ainsi produites directement chez l’hôte, et induiront contre elles une réponse immunitaire.
Enfin la troisième approche, développée récemment et encore améliorée de nos jours, est l’approche sous-unitaire. Il s’agit ici de choisir une ou plusieurs parties du pathogène, qui feront office de cibles, et de les combiner directement à des adjuvants ou d’associer le tout au sein d’un vecteur. Les cibles peuvent être directement présentes sous forme de protéines mais aussi sous forme de génome. C’est ce que l’on appelle les « vaccins génétiques », où le vaccin contient l’ADN ou l’ARN d’une partie du pathogène, dont les protéines seront ainsi produites directement chez l’hôte, et induiront contre elles une réponse immunitaire.
Le vecteur vaccinal repose souvent sur des pathogènes existants et modifiés. Par exemple le projet de vaccin contre le SARS-Cov2 développé par l’Institut Pasteur est un projet de vaccin sous-unitaire ou les séquences génétiques d’une ou plusieurs cibles du SARS-Cov2 sont intégrées dans le virus vivant atténué de la rougeole, qui sert ainsi à la fois de vecteur et d’adjuvant. Les approches inactivées et sous-unitaires ont l’avantage de ne pas présenter le risque que le pathogène ne soit pas suffisamment inactivé, mais sont porteuses d’autres défis très complexes, dans le choix des cibles comme des adjuvants, afin d’induire une réponse immunitaire suffisamment forte et efficace. Aussi ce type de vaccin nécessite-t-il souvent des rappels.
2 – Quelles sont les grandes étapes de recherche et développement en infectiologie ?
Le développement d’un vaccin est un processus long et laborieux, qui se divise en deux grandes phases.
La première phase préclinique consiste en l’identification des cibles antigéniques. Cette phase peut durer plusieurs années, et l’efficacité des antigènes est testée exclusivement in vitro et in vivo sur l’animal. Dans le cas du Covid-19, un antigène du virus SARS-Cov-2 concentre toute l’attention : la protéine Spike, essentielle à l’intégration du virus dans les cellules1. Une réponse immunitaire dirigée contre la protéine Spike permettrait ainsi de bloquer cette phase clé du processus infectieux.
Les études chez l’homme commencent lorsque la preuve de concept a été établie. La phase I sur un petit nombre de volontaires sains (10 à 100) permet une première exploration de l’innocuité du vaccin et de son immunogénicité (i.e. la création d’une réaction immunitaire par le système immunitaire de l’hôte lors de l’exposition au vaccin).
Une seconde phase sur 100 à 1000 sujets, permet une étude plus approfondie de l’immunogénicité et de l’innocuité, ainsi que la détermination des posologies et schémas d’injection.
Enfin, la troisième phase portant sur grand nombre de volontaires (1000 à 10 000) permet de confirmer l’efficacité à large échelle et d’identifier des effets indésirables moins fréquents. Au total, cette phase clinique peut durer une dizaine d’années.
3 – Où en est-on dans le développement du vaccin contre le SARS-Cov-2 ?
La situation de recherche et développement du vaccin contre le SARS-Cov-2 est inédite par son ampleur et sa rapidité. À l’heure actuelle, à l’échelle mondiale, on dénombre 180 études en phase préclinique, 21 en phases I et I/II, 2 en phases II et II/III (AstraZeneca/Oxford) et 1 en phase III (Sinovac)2.
Bien que les stratégies classiques soient encore majoritaires dans le paysage de la recherche vaccinale contre le SARS-Cov-2, on retrouve tout de même un nombre important d’études travaillant sur le développement d’un vaccin génétique à ARN et ADN (40), dont 5 ont dépassé la phase préclinique.
4 – Le développement d’un vaccin, un exercice difficile en contexte d’urgence
On demande aux laboratoires de produire en un temps record un vaccin qui soit à la fois efficace et fiable. La course aux vaccins contre le SARS-Cov-2 est à ce titre une véritable course contre la montre. Or, les chercheurs avancent en terre inconnue : il leur faut mettre au point un vaccin alors même que des inconnues persistent sur les mécanismes d’infection. Si cette limite peut être partiellement surmontée en dédoublant les capacités de recherche, d’autres éléments ne peuvent tout simplement pas être accélérées.
La phase III du processus de développement permet de confirmer l’efficacité du vaccin dans un grand échantillon. Pour cela, on divise l’échantillon en deux bras : un bras expérimental recevant le vaccin, et un bras contrôle recevant un placebo. Après un certain délai, on regarde le nombre d’infections dans chaque groupe : un vaccin est efficace si les infections ont lieu essentiellement dans le bras ayant reçu le placebo. Mais de fait, il faut parfois attendre des mois avant qu’il y ait suffisamment d’infections spontanées pour arriver à une conclusion significative – délai qui peut être considérablement allongé en cas de faible circulation virale.
Dans ce cadre, les laboratoires multiplient les essais dans des pays de forte circulation virale comme au Brésil. Mais qui sait comment la situation évoluera ?
Certains défendent le recours au « challenge infectieux » qui consiste à injecter directement le virus chez des volontaires jeunes et en bonne santé lors de la phase III, et ce dans l’intérêt du « bien commun ». Cette approche manque non seulement de représentativité par l’exclusion des populations les plus à risque, mais elle va à l’encontre de tous les principes éthiques de la recherche moderne.
Enfin, même si on parvient à développer un vaccin fiable et bien toléré à court terme, il faudra attendre des années avant d’avoir connaissance des éventuels effets indésirables survenant à long terme. Il en est de même pour l’efficacité : avec des vaccins mis sur le marché un an après leur conception, il est impossible de savoir si l’immunité persistera dans le temps.
5 – Une bataille technologique
Dans cette course aux vaccins, le premier laboratoire qui parviendra à mettre au point un vaccin commercialisable remportera largement la bataille, et les industriels se sont tous mis en quête de ce gros lot. Ainsi, les laboratoires de R&D adoptent une double stratégie pour augmenter leurs chances de réussite : ils misent sur les technologies qu’ils maîtrisent, sur les stratégies qu’ils ont déjà employées auparavant avec succès. Par exemple, Merck se base sur leur vaccin contre Ebola pour développer un vaccin dirigé contre le SARS-Cov2, alors que Sanofi part de son vaccin contre la grippe.
En parallèle de cette voie traditionnelle, une nouvelle voie émerge : celle des biotechnologies. Ces start-ups, qui ne pèsent actuellement pas lourd dans l’industrie pharmaceutique, développent des technologies qui ont le potentiel de bouleverser le marché. Afin de capturer cette opportunité, les géants pharmaceutiques investissent massivement dans les biotechnologies. Là où Pfeizer a fait le choix d’investir dans la technologie allemande en misant sur la start-up BioNtech, Sanofi développe les collaborations avec la biotechnologie américaine Regeneron et AstraZeneca s’est associée avec la biotechnologie lyonnaise Novasep.
Enfin un nouveau front technologique s’est récemment ouvert : le front de la cyber guerre. Le 16 juillet, plusieurs pays occidentaux dont les États-Unis, le Canada et surtout le Royaume Uni par la voix de son Foreign Secretary Dominic Raab accusent directement la Russie d’essayer de voler des données concernant la recherche sur le vaccin à des institutions académiques et industrielles. L’accusation, particulièrement grave, est notable pour plusieurs raisons. Tout d’abord il est particulièrement rare d’avoir comme cela a ici été le cas un communiqué de presse commun à la NSA, au National Cyber Security Center britannique, à la Communications Security Establishment canadienne, et à la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency américaine portant des accusations aussi directes. Et ensuite de par la double précision de ces accusations : est précisé le groupe de hackers qui serait responsable, le groupe de hackers russe APT 29 aussi connu sous le nom de Cozy Bear, déjà accusé d’être responsable des attaques sur le parti démocrate lors des élections présidentielles américaines de 2016, mais aussi les vulnérabilités que les hackers ont tentés d’exploiter ainsi que les logiciels concernés. On peut voir ici la poursuite sur le terrain sanitaire d’une approche déjà utilisée par la Fédération de Russie sur le terrain militaire et du renseignement : contourner un manque de moyens matériels et un retard technologique et scientifique par une force de frappe cyber informatique de pointe permettant de mener des actions coup d’éclat très ciblées et à fort impact. Faute d’avoir un écosystème de laboratoires de recherche et d’entreprises pharmaceutiques suffisamment avancé pour prendre part à la course au développement d’un vaccin, pourquoi ne pas simplement essayer de siphoner les recherches des autres ? On pourrait donc voir ici en creux une forme d’aveu d’impuissance sur le plan strict de la recherche biomédicale3.
6 – Une bataille diplomatique
La concurrence économique est inhérente à tout processus de développement pharmaceutique. Mais aujourd’hui, la course aux vaccins contre le SARS-Cov-2 prend des allures de bataille diplomatique, chaque État cherchant à s’assurer un accès prioritaire aux doses de vaccins. Cette forme d’intervention gouvernementale dans les dynamiques de marché a été particulièrement bien illustrée par le cas CureVac, une biotech de pointe spécialisée dans le développement de vaccins génétiques. Berlin aurait pesé de tout son poids pour éviter un rachat de l’entreprise par les Américains, allant jusqu’à débloquer 75 millions d’euros auprès de l’UE pour lui permettre de se développer au profit des Européens4.
Trois pôles géopolitiques se dessinent dans cette bataille diplomatique.
Les États-Unis ont fait le choix précoce d’adopter une stratégie unilatérale : America First. Sous l’autorité de l’agence de R&D Biomédicale Américaine (BARDA), ils ont lancé l’opération Warp Speed (vitesse de l’éclair)5, pilotée par un général militaire, qui assure un soutien financier massif aux laboratoires privés en échange d’accords sur l’accès prioritaire aux doses.
De l’autre côté du spectre, l’Europe – via les voix du président français et de la chancelière allemande – mise plutôt sur la coopération internationale, avec pour vocation de fournir à tous un accès égal au vaccin. L’accent est mis sur la transparence de la recherche, l’accès facilité aux données, le transfert de technologies, l’encadrement du prix de vente, etc.
Cependant, depuis les annonces d’un deal entre Sanofi et les États-Unis qui auraient la « priorité » sur le vaccin développé par le laboratoire français, la question de l’accès aux vaccins est devenue une vraie source d’inquiétudes faisant émerger la tentation de réflexes de « priorisation nationale ».
L’inquiétude pourrait alors naître de voir cette « course aux vaccins » devenir un avatar de la compétition économique mondiale, où l’Europe serait « le grand naïf du village mondial », ouvrant volontiers ses frontières quand ses concurrents et rivaux mettent tout en oeuvre pour préserver au mieux leurs intérêts. Ainsi, face à ce qui est perçu comme une stratégie agressive de priorisation nationale aux dépends des autres, les gouvernements européens ont tout de même cherché à assurer leurs arrières en passant des accords individuels avec des gros laboratoires.
Enfin, le dernier pôle est représenté par la Chine, dont la stratégie est moins facile à cerner. Aucune enveloppe officielle accordée au développement vaccinal contre le SARS-Cov-2 n’a été communiquée, mais leur implication est massive. La mise au point d’un vaccin a été érigée en priorité absolue, mobilisant les acteurs universitaires, privés mais aussi militaires ; si bien que c’est actuellement la Chine qui est en tête dans la course aux vaccins, avec une étude en phase III par la société Sinovac.
7 – Faut-il craindre une accès inégal aux stocks de vaccins ?
Quelle réalité faut-il voir derrière cette compétition affichée entre États dans la course aux vaccins ? Quelles en seraient les conséquences pour ceux qui ne parviendraient pas à prendre part à cette compétition, ou qui n’en sortiraient pas victorieux ?
On peut considérer que la compétition est bien réelle, mais qu’il s’agit avant tout d’une compétition économique et de prestige, plus qu’une véritable « compétition pour la survie » entre États. Ainsi ce qu’il y a la clef pour ceux qui parviendront à développer le « premier » ou le « meilleur » vaccin consistera essentiellement en un retour financier conséquent et un apport aux équipes de recherche, à l’entreprise pharmaceutique, ainsi qu’à l’État concerné d’un gain de prestige considérable. Il s’agira également d’un élément de fierté nationale pour le ou les pays concernés, qui s’appuieront sur ce succès pour vanter la qualité de leur recherche scientifique de pointe.
Mais quelles conséquences pour les autres ?
Malgré un accès qui sera forcément inégal, les risques de pénurie prononcée semblent modérés. Car il faut avoir à l’esprit que les campagnes de vaccination qui seront menées dans le cadre du Covid-19 dépendent d’un certain nombre de paramètres.
Le premier est bien sûr la capacité de production. Il s’agit d’un facteur complexe à apprécier et sujet à un certain nombre d’adaptations potentielles, mais il est en effet très probable que la production à court terme soit limitée et limitante, et que les pays ayant développé un vaccin bénéficient les premiers de cette production initiale.
Cependant il faut garder à l’esprit que toute campagne de vaccination repose fortement sur des facteurs sociétaux et logistiques. Quand on voit le délai et la complexité de la mise en place des systèmes et campagnes de dépistage et la situation encore très chaotique dans de nombreux pays, on peut raisonnablement penser que, quand bien même ils recevraient demain assez de doses pour traiter l’ensemble de leur population, la mise en place d’une campagne de vaccination à grande échelle serait loin d’aller de soi et d’être en mesure de se faire du jour au lendemain. La vaccination ne peut être réalisée que par des professionnels de santé, et, cela va sans dire, dans le respect des consignes sanitaires. Or il y aurait ainsi un travail considérable à réaliser de mise en place de centres de vaccination, de distribution des doses, mais aussi et surtout « d’appel » des personnes à vacciner par petits groupes dans un ordre précis afin d’éviter d’interminables files d’attente à l’extérieur de centres de vaccination simplement ouverts avec l’appel à tous de venir s’y vacciner quand il le souhaite. Travail qui pourrait entraîner des conflits entre pouvoirs central et élus locaux chargés de mettre en œuvre la vaccination.
Là où la pandémie bat son plein, où les hôpitaux sont saturés et les professionnels de santé mobilisés en permanence, cela serait non seulement très compliqué à mettre en place d’un point de vue logistique mais cela poserait aussi d’autres questions venant encore compliquer les choses.
Dans quelle mesure peut-on prendre le risque de vacciner des personnes en phase pathologique du Covid-19 (c’est-à-dire infectées et n’ayant pas encore développé de réponse immunitaire et éliminé le virus) ? Cela dépendra du type de vaccin, mais un très grand nombre des complications et dommages corporels induits lors du Covid-19 étant dûs à une suractivation du système immunitaire, on voit aisément le risque représenté par la vaccination qui ne viendrait que l’accentuer. Dans ces zones très touchées, il serait alors optimal de ne vacciner qu’après avoir dépisté…
Sans parler de la question, devenue malheureusement politique, de la vaccination elle-même. Quand on voit le décalage entre le consensus scientifique sur la très faible ou inexistante efficacité de l’hydroxychloroquine et les prises de position très contrastées des dirigeants politiques français sur le sujet, quand on voit la recrudescence de défiance vis-à-vis du monde scientifique et médical et la progression d’une opposition claire et nette à la vaccination, on peut prévoir qu’il est non seulement probable qu’un certain nombre de dirigeants politiques locaux souhaitant surfer sur le populisme médical prennent des positions sceptiques ou hostiles à la vaccination, voire parfois freinent carrément sa mise en place sur leurs territoires dans le but de devenir des icônes d’une lutte contre « les diktats venus de Paris à la solde des lobbys pharmaceutiques ». Quand bien même tous les obstacles logistiques seraient levés, combien de gens se présenteraient vraiment pour être vaccinés ?
Tous ces facteurs viennent nuancer le risque d’une pénurie de vaccins : le temps nécessaire pour surmonter l’ensemble des obstacles logistiques pourrait bien être suffisant pour contrebalancer la limite initiale de production.
Vient s’ajouter à cela le fait que les capacités de production sont sujettes à un grand nombre d’adaptations potentielles, comme cela a pu être observé pour les masques et gels hydroalcooliques. On peut ainsi raisonnablement penser que si un vaccin était développé, quand bien même l’entreprise pharmaceutique à l’origine ne serait pas en mesure de le livrer dans des délais raisonnables, un certain nombre d’arrangements permettraient de démultiplier les capacités de production : en vendant le droit d’accès à la formule vaccinale, les États et autres laboratoires pourraient produire eux-même le vaccin grâce à des instructions précises et nécessaires.
Ce type d’adaptation n’est bien sûr pas possible de façon globale – on peut se dire qu’un certain nombre d’États n’auront pas les moyens de payer ou les infrastructures nécessaires à la production.
Mais la crise ayant encore une fois mis en lumière l’ampleur de l’interdépendance des économies, et tout le monde ayant pris conscience qu’il suffit que le virus soit encore présent quelque part pour qu’il soit potentiellement partout, l’argent nécessaire à la distribution du vaccin à tous devrait pouvoir être trouvé, soit par le biais d’agences internationales comme la Banque mondiale ou le FMI, soit directement via l’action des États dont certains (à l’instar de la France ou de la Chine en Afrique) pourraient y voir une manière très efficace d’étendre leur influence, soit via des organismes philanthropes déjà coutumiers de campagnes similaires comme la fondation Bill & Melinda Gates…
8 – Le risque de la politisation du discours dans le développement des vaccins
Un nouvel élément de cette crise sanitaire par rapport aux précédentes repose dans la manière dont des questions jusqu’ici scientifiques et médicales se sont politisées, parfois de façon très virulentes.
Jusqu’ici, la problématique liée aux campagnes de vaccination tournait essentiellement autour de questions scientifiques, médicales, et logistiques. Dès lors qu’un vaccin était jugé efficace et sûr, et que les circuits de vaccination étaient mis en place, les gens allaient se faire vacciner – à des degrés divers – et le niveau de vaccination dépendant essentiellement du risque perçu associé à la maladie et de l’usage culturel.
Historiquement, la France fait partie des pays les plus réticents à la vaccination, avec une importante communauté anti-vax. Tout vaccin ou médicament est sujet à une très forte présomption de toxicité, d’inutilité, et de présence dûe uniquement à la cupidité des lobbys pharmaceutiques. Aux débuts de la vaccination, lorsque les populations vivaient ou étaient baignées dans les souvenirs de leurs aînés qui vivaient avec la variole, la tuberculose, ou la polio, les vaccins se « vendaient tous seuls » car il n’y avait pas à convaincre sur le danger représenté par ces maladies. Aujourd’hui une part non négligeable de la population considère les vaccins comme plus dangereux que les maladies infectieuses dont ils protègent.
Cette conception gagne du terrain, et le Dr Anthony Fauci s’est publiquement inquiété devant le Congrès américain de la manière dont la défiance croissante envers les vaccins risquait d’interférer avec l’obtention d’un seuil d’immunité collective suffisant6. Aujourd’hui, et plus que jamais, l’enjeu est aussi de convaincre de la pertinence et de la sûreté des mesures de santé publique prises pour lutter contre la pandémie7, y compris la vaccination.
Plusieurs aspects seront ainsi déterminants. Tout d’abord la volonté politique de « faire campagne » pour le vaccin. Quel positionnement adopteront des leaders populistes comme Trump ou Boris Johnson à cet égard ? Mettront-ils tout leur poids derrière le vaccin sous la pression de leurs responsables de santé publique, ou bien préfèreront-ils promouvoir la « liberté de conscience », et déclarer que ceux qui le veulent pourront se vacciner mais que le choix appartient à chacun, qu’il n’y a pas de « bonne » ou « mauvaise » décision et qu’il est hors de question d’inciter et encore moins de contraindre ?
Ensuite, dans l’hypothèse d’un investissement massif des responsables politiques en faveur de la vaccination, se posera la question des moyens.
Conscients que les seules recommandations étaient insuffisantes, les États, et notamment l’État français, ont décidé de passer à la coercition et ont développé rapidement tout un arsenal juridique répressif pour appuyer les mesures de distanciation sociale et de confinement.
Mais quel niveau de coercition peut-on concevoir pour la vaccination ? À l’heure actuelle il existe déjà un certain nombre de vaccins obligatoires pour scolariser son enfant dans des établissements publics, un vaccin contre le SARS-Cov-2 sera-t-il inclus dans cette liste ? Et si oui, avec quels effets ? Combien de parents accepteraient finalement de faire vacciner leur enfant ? Combien refuseraient, tenteraient d’organiser des réseaux d’éducation et de scolarisation parallèles animés par des parents aux convictions similaires ? Ces débats promettent d’être particulièrement passionnés et parfois violents tant la virulence des anti-vaccins d’un côté trouve en face d’elle une passion des professionnels de santé qui poussera probablement pour une certaine forme d’incitation et de contrainte.
Il s’agira de trouver le bon équilibre entre les bénéfices d’une couverture vaccinale suffisante, et les risques et dégâts d’une fracturation violente de la société autour de ces débats.
9 – Potentielle disruption dans l’industrie de l’anticipation du risque
L’industrie pharmaceutique est un secteur pour lequel la question du positionnement, de la stratégie et de la vision sont particulièrement essentiels. Elle doit faire face à des choix, que d’aucuns jugent immoraux, ayant notamment trait aux pathologies pour lesquelles la recherche d’un traitement sera poursuivie et celles pour lesquelles il est estimé qu’un investissement dans un traitement ne serait pas en mesure d’être couvert par la suite. Ce rationnel très complexe a une grande influence sur les traitements qui seront in fine développés ou non et sur les pathologies concernées. Ces traitements s’appuient abondamment sur les résultats de la recherche fondamentale, elle-même largement le fruit de financements publics non liés par un quelconque besoin de rentabilité et de retour sur investissement. Mais l’investissement nécessaire pour développer des médicaments dont autant l’efficacité que la sûreté a été démontrée selon les standards actuels est tellement important (notamment pour les essais cliniques de phase III) qu’il est jusqu’ici resté presque exclusivement réalisé par le privé avec intention de retour sur investissement.
Dans le contexte des maladies infectieuses, cela a notamment compliqué le développement d’un vaccin contre les coronavirus déjà responsables d’épidémies par le passé, comme le SRAS et le MERS. D’un point de vue scientifique et médical, il aurait été pertinent de développer des vaccins contre ces coronavirus, étant donné la probabilité significative qu’ils soient, eux ou un nouveau coronavirus proche, responsables d’une nouvelle épidémie. Mais faute de visibilité sur la survenue d’une telle épidémie, et faute d’engagement de la part des États à acheter et financer de tels vaccins coûte que coûte, les premiers essais lancés en urgence sur de tels vaccins ont été interrompus aussitôt les épidémies maîtrisées.
La crise actuelle pourrait venir changer les choses et modifier durablement et de façon significative la vision et la doctrine guidant tout ce qui a trait à la prévention contre les épidémies et les pandémies, y compris la conception des vaccins. De la même manière que les États ont assumé l’injection massive d’argent dans l’économie, et la prise en charge d’une partie des salaires de ceux qui ne pouvaient plus travailler à cause de la crise sanitaire, on pourrait envisager qu’ils assument l’investissement massif dans la prévention contre épidémies et pandémies, y compris le risque que cela « ne serve à rien ». Et un tel engagement de la part des États donnant aux industriels la visibilité nécessaire ouvrirait la voie aux développement préventif de divers technologies, traitements, et notamment vaccins.
On pourrait même envisager une approche encore plus disruptive dans laquelle certains États créeraient des entités publiques, et financeraient via celles-ci le développement de vaccins et/ou de traitements anti maladies infectieuses qui ne s’inscriraient pas dans un objectif de rentabilité et de retour sur investissement mais simplement d’efficacité. En comparant ce qui est comparable, la France dispose bien d’une Direction Générale de l’Armement, considérant la question de la qualité technologique de l’équipement de ses forces armées suffisamment essentielle et vitale pour qu’elle soit tout du moins supervisée et pilotée par un grand corps d’état dédié. Il ne serait pas ainsi forcément complètement absurde d’imaginer demain une structure similaire et avec également un rôle et des moyens conséquents existant sous l’égide du ministère de la santé, une « Direction Générale de la Prévention Sanitaire » avec pour mission explicite la préparation aux futures crises sanitaires, notamment via le développement de technologies, traitements, et vaccins.
Aurait-on pu déjà disposer de vaccins contre le SARS-Cov-2 si d’autres choix avaient été faits par le passé, et notamment lorsque les épidémies de SRAS et MERS ont été maîtrisées ? Il est très difficile de répondre avec certitude et précision à cette question. Il semble probable que l’on n’aurait pas eu de vaccin directement utilisable et efficace contre le SARS-Cov 2, mais qu’un vaccin déjà existant contre un coronavirus proche aurait très fortement accéléré les travaux actuels.
Il est par définition impossible de savoir quelle crise sanitaire, due à quelle cause, surviendra quand – mais l’urgence est un métier, la médecine d’urgence est bien une spécialité à part entière, et une structure dédiée pourrait ainsi à défaut de pouvoir parfaitement anticiper, réagir efficacement.
10 – Qu’en est-il des potentiels vaccins dits « universels » ?
L’impact titanesque de la crise augmente considérablement les enjeux en termes de prévention des maladies infectieuses, et remet sur le devant de la scène un concept qui n’est pas nouveau mais prend aujourd’hui une toute autre importance : celui des vaccins dits « universels ».
Le terme « universel » est bien sûr à relativiser et doit se comprendre comme « à large voire très large spectre contre une famille de virus donnée ». L’idée est de trouver une ou plusieurs cibles moléculaires qui soient conservées et donc présentes au sein des différents virus d’une famille donnée, par exemple le virus de la grippe, ou les coronavirus. En vaccinant à partir de ces cibles conservées, on aurait la capacité d’induire une immunité à large spectre contre plusieurs virus d’une même famille. On pourrait ainsi avoir des vaccins contre la grippe avec un spectre bien plus large que les vaccins actuels, conférant donc une immunité plus souvent efficace contre les nouveaux virus de la grippe saisonniers, mais qui aurait aussi plus de chances d’être potentiellement efficace contre un nouveau « super virus » tel que le H1N1 ou jadis celui de la grippe espagnole.
La grippe et le coronavirus faisant partie des familles virales le plus fréquemment responsables d’épidémies ou de pandémies, un tel type de vaccins serait donc d’un intérêt tout particulier.
D’un point de vue scientifique, ce genre de vaccin est parfaitement envisageable en théorie. C’est d’ailleurs un « vaccin universel » en développement contre la grippe8 que l’Institut Pasteur a utilisé comme base pour son projet de vaccin contre le SARS-Cov2.
Mais comme la réalité scientifique nous le rappelle montre souvent, il y a parfois une galaxie entre ce qui est théoriquement possible et ce qui est fait concrètement.
Sources
- Science, 17 July 2020 : Vol. 369, Issue 6501, pp. 330-333, DOI : 10.1126/science.abb9983
- https://www.who.int/publications/m/item/draft-landscape-of-covid-19-candidate-vaccines
- https://www.ncsc.gov.uk/files/Advisory-APT29-targets-COVID-19-vaccine-development.pdf
- https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_20_1238
- https://www.hhs.gov/about/news/2020/06/16/fact-sheet-explaining-operation-warp-speed.html
- https://edition.cnn.com/2020/06/28/health/fauci-coronavirus-vaccine-contact-tracing-aspen/index.html
- https://www.nbcnews.com/think/opinion/face-mask-requirements-stop-coronavirus-spreading-hoping-people-trust-science-ncna1233886
- https://www.pasteur.fr/sites/default/files/rubrique_nous_soutenir/lip/lip94_vaccins-institut-pasteur.pdf