Rome. Lundi 5 août, quelque jours avant que la crise de gouvernement n’explose, le décret sécurité, une des mesures clefs soutenues par la Ligue, qui renforce la lutte contre l’immigration illégale et donne plus de pouvoir au ministère de l’Intérieur, est devenu une loi, bousculant ainsi les équilibre politiques et suscitant de sévères critiques.

La Chambre des députées avait approuvé la mesure le 24 juillet. Elle devait être transformée en loi avant le 13 août, ce qui s’est fait avec 160 votes favorables, 57 contraires et 21 abstentions. La Lega et le Mouvement 5 Étoiles ont voté en faveur, tandis que Fratelli d’Italia et Forza Italia n’ont pas voté : même s’ils étaient d’accord avec la proposition, ils n’ont pas voulu accorder leur confiance au gouvernement.1

Le décret est composé de 27 articles répartis en trois chapitres. Le premier vise à lutter contre l’immigration illégale et à assurer la sécurité publique. Le deuxième chapitre contient des dispositions destinées à renforcer l’action administrative à soutenir les politiques de sécurité. Le troisième, enfin, impose des mesures urgentes contre des épisodes de violence liés aux manifestations sportives.

Le détail des principales dispositions adoptées

L’article 1 prévoit que le ministre de l’Intérieur puisse limiter ou interdire l’entrée, le passage ou l’arrêt de bateaux dans les eaux territoriales pour des raisons d’ordre et de sécurité publique et dans le cas de violations des normes actuelles concernant l’immigration. L’article 2 introduit une sanction administrative à hauteur de 150 000 et un million d’euro à la charge du commandant du navire qui ne respecterait pas l’interdiction mentionnée dans l’article 1. En outre, la confiscation du bateau est prévue en tant que peine accessoire.

L’article 6, à propos de la sécurité pendant des manifestations publiques ou ouvertes au public, aggrave la sanction de ceux qui utiliserait un casque ou d’autres moyens pour empêcher toute identification et dans le même temps, punit avec une réclusion d’une à quatre années l’usage de fusée éclairantes, feux d’artifice, gaz, bâtons etc. avec l’intention de nuire à la sécurité publique.

L’article enfin 12 introduit, pour le ministère des Affaires étrangères, un fonds pour les politiques de rapatriement. Le montant du fonds partirait sur une base initiale de 2 millions d’euros pour l’année 2019 etpourrait atteindre un maximum de 50 millions d’euros. De plus, l’application du Daspo (interdiction d’accéder aux manifestations sportives) est étendue aussi au délit de bagarre.2

Les réactions à cette nouvelle loi et à ses dispositions ne se sont pas fait attendre.

L’opposition se plaint d’avoir été obligée à adopter les dispositions sans pouvoir les discuter, puisque tous les amendements n’ont pas été pris en compte et les questions préjudicielles ont été rejetées.3 Ces dernières concernaient en particulier l’absence des éléments de nécessité et d’urgence (indispensables pour convertir le décret en loi), la transformation du sauvetage de vies en mer en crime, en violation du principe d’humanité, et enfin l’attribution au ministre de l’Intérieur de pouvoirs que l’art. 95 de la Constitution italienne accorde au présidente du Conseil.

Même le président de la République Sergio Mattarella, qui a signé le décret, a exprimé ses inquiétudes dans un message envoyé aux Chambres en exhortant une intervention sur la question. Le président a également rappelé que sauver des vies humaines restait un impératif.4

Les critiques venant des Catholiques n’ont pas tardé. Le directeur de la revue jésuite l’Avvenire, Antonio Spadaro, a notamment écrit sur les réseaux sociaux « c’est le temps de la résistance humaine, civile et religieuse ». De son côté, l’Union ne peut que regarder avec circonspection la nouvelle mesure. Le porte-parole de la Commission, Carlos Martín Ruíz de Gordejuela, affirme que «  la Commission européenne va évaluer si les dispositions du decreto sicurezza bis adopté en Italie sont compatibles avec les normes européennes ».5

Le Nations Unies, et surtout le Haut Commissariat pour les réfugiés, renouvellent leurs préoccupations concernant les dispositions adoptées qui menacent de faire obstacle au sauvetage de vies en mer par des bateaux privées dans un moment où l’Europe semble avoir retiré son soutien aux opérations des secours en Méditerranée.6

Perspectives :

  • L’approbation de la loi est tombée peu avant la décision de Matteo Salvini, son sponsor principal, de déclencher la crise de gouvernement avec ses alliés du Mouvement 5 étoiles. Dans le contexte d’une potentielle campagne électorale, il n’est pas difficile d’envisager que l’un des chevaux de bataille de Salvini sera la question migratoire et la nécessité de réforme au niveau européen. Si le décret va sans doute fournir un bon instrument de tactique négociable, des doutes persistent sur sa capacité à convaincre l’Europe de la « bonté » de la stratégie italienne en matière d’immigration.
  • Sur le long terme, les doutes concernant l’adéquation de la loi avec la Constitution pourraient pousser la Cour constitutionnelle à la déclarer invalide en partie ou en totalité.
Sources
  1. CAMILLI Annalisa, Il decreto sicurezza bis è legge, Internazionale, 6 aout 2019
  2. Senato della Repubblica, 142ª Seduta pubblica, 5 aout 2019
  3. BARONE Nicola, NUTI Vittorio, Sicurezza bis, il decreto è legge : ok alla fiducia con 160 sì, Il Sole 24 Ore, 5 aout 2019
  4. Sicurezza, Mattarella : ‘Resta l’obbligo di salvare i naufraghi’, Ansa, 8 aout 2019
  5. GUERRIERI Alessia, La legge della discordia. Aumentano i dubbi sul decreto sicurezza bis, Avvenire, 7 aout 2019
  6. CAMILLI Annalisa, Il decreto sicurezza bis è legge, Internazionale, 6 aout 2019