Guatemala. Après 20 ans de tentatives, l’éternel candidat est devenu président du pays. Dimanche 12 août, Alejandro Giammattei a été élu président de la République avec 57,95 % des voix, devançant ainsi Sandra Torres, qui a obtenu 42,05 % des suffrages1. Avec une population d’environ 17 millions d’habitants, seulement huit millions de citoyens étaient enregistrés pour voter : parmi ces derniers, seulement 38 % d’entre eux ont participé aux élections. C’est le taux de participation le plus bas depuis la signature de la paix (1996). L’abstention alarmante est un phénomène difficile à ignorer qui remet en question la démocratie du pays en présentant notamment un désengagement, voire même un désaccord de la population. Ces résultats expriment dans plusieurs cas un vote contre Sandra Torres, plutôt qu’un vote en faveur d’Alejandro Giammattei. Depuis qu’elle avait essayé de rester au pouvoir après la fin du gouvernement de son ex-mari Alvaro Colom (2008-2012), elle était devenue impopulaire dans les zones urbaines2, phénomène communément connu sous le nom de « sandrofobia »3. Le Guatemala rejoint la tendance latino-américaine des arrivées au pouvoir des droites ultra-conservatrices. Pour le pays, ceci représente une perpétuation de plusieurs dynamiques inégalitaires historiques et un retour en arrière des avancées du printemps guatémaltèque.

A quoi doit faire face le nouveau président ?

Le Guatemala est le seul pays de la région dans lequel la pauvreté a augmenté pendant les dix dernières années4. Les inégalités socio-économiques font du pays, dans les mots du New York Times, « le plus feudal et colonial de l’Amérique latine, où le pouvoir politique et économique est dans les mains de quelques familles »5. Si le Guatemala n’est pas le pays le plus pauvre de la région, il possède pourtant le taux de dénutrition chronique le plus élevé de l’Amérique latine6, avec presque la moitié (46.5 %) des enfants du pays dénutris. Les problèmes des inégalités sociales sont bien liés à la permanente discrimination contre les peuples autochtones, qui constituent environ la moitié de la population7. Le pays, qui fait partie du Triangle du nord de l’Amérique centrale, est devenu synonyme d’insécurité (classé parmi les dix pays les plus violents du monde8) et de crise migratoire. Il se caractérise, tout de même, par des niveaux très élevés de corruption, notamment celle des hauts dirigeants politiques, des anciens militaires et des figures du secteur privé, qui maintiennent le système qui gouverne le pays9. Cette corruption a été contestée par la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) et par le ministère public (MP) depuis la crise politique de 2015, ce qui a donnée naissance au « printemps guatémaltèque », ainsi qu’à des mouvements sociaux demandant le changement du modèle politique. La crise (voire même la fin) du printemps est représentée par l’expulsion de la CICIG du pays, une des dernières actions du gouvernement du comédien Jimmy Morales.

Ce que le Guatemala peut attendre du nouvel élu

L’esprit conservateur de Giammattei est indéniable : il s’oppose notamment au mariage pour tous et à l’avortement, même si dans le pays plusieurs mouvements sociaux se sont montrés en faveur de ceux-ci. Menés par les jeunes, certaines de ces revendications commencent à être de plus en plus visibles, notamment dans les secteurs urbains.

Ancien directeur du système pénitentiaire du pays, le président élu souhaite combattre l’insécurité à travers des actions drastiques, parmi lesquelles la restitution de la peine de mort. Pour rappel, en 2010 il avait été en détention provisoire après avoir été accusé par la CICIG d’avoir commandité sept exécutions extrajudiciaires de prisonniers, sous prétexte d’une initiative qui permettait de rétablir l’ordre et le contrôle dans la plus grande prison du pays. La CICIG, devenue un obstacle gênant, voire même une menace, pour la vieille politique et le système, n’est donc pas bien vue par le futur président. Dès sa campagne, il a confirmé que la CICIG était indésirable pour le bien du pays et que son mandat ne devait pas être renouvelé. La fermeture de l’institution clé (avec le MP), qui en 2015 avait déclenché la crise politique rendant possible la mobilisation citoyenne caractéristique du printemps guatémaltèque, peut se traduire par un retour au passé marqué par une forte corruption politique et économique. Le printemps guatémaltèque a permis la consolidation de nombreuses associations citoyennes actives (comme Justicia Ya, par exemple) : si Giammattei affirme dans ses discours vouloir lutter contre la corruption, il lui sera pourtant difficile de construire une légitimité autour de son gouvernement.

La figure du nouveau président, qui insiste sur la nécessité de combattre l’insécurité du pays à travers des actions violentes, sera accompagnée par celle de Guillermo Castillo, son vice-président. A la différence de Giammattei, Castillo a un profil académique centré sur les droits humains et un profil professionnel basé sur ses expériences en lien avec la gestion de l’éducation ; il est aussi un nouveau venu dans la politique. Cependant, il partage des liens étroits avec le groupe du secteur privé le plus important et le plus puissant du Guatemala10, le Comité de coordination des associations agricoles, commerciales, industrielles et financières (CACIF). Plusieurs amis puissants de Giammattei appartenant à ce groupe seront très probablement nommés membres du nouveau gouvernement : Antonio Malouf, ancien président du CACIF, deviendra le futur ministre de l’Économie11.

En ce qui concerne la crise migratoire, Giammattei héritera du nouveau statut de « pays tiers sûr » qui découle de l’accord récemment signé par le président Morales sous la pression du président des États-Unis, Donald Trump. Le Guatemala devrait ainsi accueillir les demandeurs d’asile aux États-Unis en provenance du Salvador et du Honduras. La signature impulsive de cet accord répond surtout aux intérêts du secteur privé, qui désirent maintenir une relation étroite avec le principal « partenaire commercial » du pays, importateur de produits agricoles guatémaltèques. Cependant, le petit pays centraméricain, qui est déjà un important pays d’émigration (environ 250 000 personnes – c’est-à-dire 1.5 % de sa population – dans les six premiers mois de l’année en cours12), n‘est pas capable d’accueillir des migrants alors même que les conditions de vie de base de ses citoyens ne sont pas garanties13. Cet accord, positif pour le maintien des échanges des biens marchands, pourrait représenter une potentielle crise humanitaire.

Au-delà des relations internationales, le nouveau gouvernement devra faire face aux causes de la migration des guatémaltèques vers le Nord : les inégalités et la pauvreté, ainsi que la violence et, de plus en plus, le changement climatique seront parmi les principaux défis. Pour répondre à ceux-ci, un changement du modèle de développement, moins centré sur les élites, devrait se produire. Telle est la vision exprimée par le directeur du journal Nómada dans son éditorial14.

NB : Retrouvez l’analyse publié sur Le Grand continent le lendemain du 1er tour ici.

Sources
  1. Nómada, Elecciones Guatemala 2019, 12 août 2019.
  2. MALKIN Elisabeth, Alejandro Giammattei, a Conservative, Wins Guatemala’s Presidency, The NY Times, 11 août 2019.
  3. ESTRADA TOBAR Javier, Todo sobre Sandra : los mitos, los pobres, el narco y más, Nómada, 30 avril 2019.
  4. QUINTELA BABIO Carmen, Guatemala, el único país latinoamericano en el que aumentó la pobreza, Plaza Pública, 14 juin 2016.
  5. MALKIN, Elisabeth, Alejandro Giammattei, a Conservative, Wins Guatemala’s Presidency, The New York Times, 11 août 2019.
  6. GONZALEZ DIAZ Marcos, Elecciones en Guatemala : por qué los niños de este país son los que más desnutrición crónica sufren en América Latina (si no es el más pobre de la región), BBC, 14 juin 2019.
  7. IWGIA, Pueblos Indígenas en Guatemala.
  8. WALLACE Arturo, Elecciones en Guatemala : los 3 grandes retos de Alejandro Giammattei como próximo presidente de Guatemala, BBC, 12 août 2019.
  9. RODRIGUEZ PELLECER Martin, Análisis : El (fracasado) sistema guatemalteco se da una bocanada de oxígeno, Nómada, 12 août 2019.
  10. Nómada, Quién es el Vice, cercano a la patronal, que ofrece ser un Robin del ‘Batman’ Giammattei, 7 août 2019.
  11. ESPINA Cindy, El Presidente electo comienza a definir su Gabinete de gobierno, El Periódico, 12 août 2019.
  12. RODRIGUEZ PELLECER Martin, Análisis : El (fracasado) sistema guatemalteco se da una bocanada de oxígeno, Nómada, 12 août 2019.
  13. SALIBA Frédéric, Crise politique au Guatemala après un accord avec Washington sur les réfugiés, Le Monde, 30 juillet 2019.
  14. WALLACE Arturo, Elecciones en Guatemala : los 3 grandes retos de Alejandro Giammattei como próximo presidente de Guatemala, BBC, 12 août 2019.