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Il y a 10 ans, deux historiens français, Elisabeth Roudinesco et Guillaume Mazeau, consacraient deux études critiques aussi dures que documentées au travail de Michel Onfray à partir notamment de ses publications sur la révolution française et sur Sigmund Freud 1. En contraste avec l’image véhiculée par les médias d’un philosophe de gauche, travailleur acharné d’une histoire critique de la philosophie permettant une nouvelle émancipation populaire par la défense de la liberté, ils démontraient un usage superficiel et abondant d’auteurs, d’interprétations et d’imaginaires provenant directement de l’extrême droite, avec des penchants réactionnaires et parfois même antisémites. Dans cette séquence marquée par la parution de la revue Front Populaire et la recomposition politique qu’elle semble préparer, le Grand Continent a souhaité les inviter dans une longue conversation à proposer un aggiornamento de leurs lectures du cas Onfray.
Les clefs d’un monde cassé.
Du centre du globe à ses frontières les plus lointaines, la guerre est là. L’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine nous a frappés, mais comprendre cet affrontement crucial n’est pas assez.
Notre ère est traversée par un phénomène occulte et structurant, nous proposons de l’appeler : guerre étendue.
Il y a 10 ans vous commenciez une querelle intellectuelle avec Onfray. Qu’aviez-vous vu chez lui qui vous appelait à intervenir publiquement ?
Elisabeth Roudinesco
J’avais bien sûr déjà croisé Michel Onfray à plusieurs reprises. Onfray était chez Grasset avec comme éditeur Jean-Paul Enthoven, ami intime de Bernard-Henri Lévy qui d’ailleurs l’avait soutenu à ses débuts. En 2010, il bénéficiait du soutien inconditionnel de Franz-Olivier Giesbert, directeur de publication du Point. Franz-Olivier Giesbert voyait en Onfray un nouveau Derrida et pensait qu’il était le plus grand philosophe français du début du XXIème siècle. Onfray était très implanté dans les médias de gauche et les journalistes croyaient avoir affaire à un magnifique libertaire d’une érudition phénoménale. Evidemment aucun d’entre eux, pas plus d’ailleurs que l’éditeur, n’était capable de regarder de près sa méthode de travail. Il y avait une fascination pour ce personnage boulimique de tout et qui était très convainquant dans l’art d’énoncer des fantasmes qu’il prenait pour des vérités. Quand son livre paraît, Le Crépuscule d’une idole, je m’attendais à une sorte de fourre-tout d’extrême gauche dans le genre : Wilhelm Reich, c’est mieux que Freud. Vieux poncif.
Quelle a été votre première impression de lecture ?
C’était caricatural ! J’étais sidérée parce que je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait deux ou trois erreurs grossières par page. À telle enseigne que je me suis demandé s’il y avait des correcteurs chez Grasset. Nous avons tous publié des livres, nous pouvons faire des erreurs, mais nous relisons et avons des correcteurs qui peuvent vérifier les textes. Afin d’éviter par exemple à l’auteur d’affirmer que Freud avait engrossé sa belle-soeur en 1923 alors qu’elle avait 58 ans. Ou que ses soeurs avaient été déportées à Auschwitz et avaient rencontré Rudolf Höss. Comment pouvait-on laisser passer une telle erreur sur la déportation et l’extermination des soeurs de Freud ?
C’était un livre bâclé ?
C’était un livre fou. Et cela se voyait immédiatement. Aucun travail critique sur les sources, aucune réflexion sur les biographies précédentes qu’il prétendait « déboulonner », aucune connaissance de la correspondance de Freud, Onfray s’autoproclamait grand connaisseur de Freud parce qu’il avait avalé à toute allure les vingt volumes de de son oeuvre publiées aux PUF dans la traduction la plus discutable. Il se pensait le plus grand lecteur de Freud, auteur commenté dans le monde entier. En un mot, il était d’une ignorance crasse car auto-référencé. En bon autodidacte, il pensait qu’il suffisait de lire les œuvres de Freud pour devenir son meilleur biographe et transformer la « légende dorée » en « légende noire ». Or à cette époque, il y avait belle lurette que cette problématique du bien et du mal avait été dépassée. Autrement dit, Onfray était déjà démodé et décalé par rapport aux travaux de l’historiographie freudienne. Mais comme celle-ci est essentiellement anglophone, il ne la connaissait pas et du coup il répétait, comme toujours, la même scène du révolté contre l’ordre établi, contre ce qu’il appelait d’ailleurs les « milices freudiennes ». On voyait tout de suite, dès la première lecture, qu’il se trompait grossièrement. Historien c’est un métier, c’est un travail dur, laborieux. Comme tout travail, cela demande de respecter des savoir-faire. Il est impossible de lire vingt volumes de Freud en un été et de penser écrire sur Freud quelque chose de révolutionnaire ou même de pertinent. Très vite j’ai vu qu’il ne s’agissait absolument pas d’une critique reichienne de Freud mais de bien autre chose.
En quel sens ?
On n’y trouvait pas seulement les thèses antifreudiennes habituelles qui considèrent Freud comme un manipulateur, un menteur sériel, presqu’un criminel. Non, les principales sources de sa lecture provenaient directement de la littérature d’extrême droite païenne. J’y retrouvais par exemple les propos de Pierre Debray-Ritzen, l’auteur de La scolastique freudienne (1972), antisémite notoire, artisan de la Nouvelle Droite, ou de Jacques Bénesteau, auteur de Mensonges freudiens (2002) qui m’avait intentée un procès – qu’il a perdu – à propos d’un article publié dans Les temps modernes en 2004. Bénesteau avait été soutenu par le Club de l’Horloge de Henry de Lesquen et j’avais démontré que son livre relevait d’un « antisémitisme masqué ». Le positionnement de ces auteurs est explicite, vraiment évident quand on connaît un tout petit peu l’historiographie freudienne et que l’on a une once de sens critique. Si Onfray reprenait Debray-Ritzen et recopiait Bénesteau, lequel était soutenu par le Club de l’Horloge et défendu, lors de son procès, par Wallerand de Saint-Just, c’est que leur positionnement politique lui convenait parfaitement.
Jusqu’à l’antisémitisme ?
Je me suis demandée s’il était conscient ou non de copier des textes à caractère antisémite et venus de l’extrême-droite. On ne copie pas impunément Debray-Ritzen si l’on est un peu cultivé. On ne copie pas Bénesteau si l’on connait un peu l’histoire. Pour moi c’est devenu évident que s’il en était à recopier et à reprendre leurs thèses, c’est qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas dans sa pensée. Bien entendu, aujourd’hui on ne peut pas être antisémite comme ça, en direct comme dans les pamphlets de l’entre-deux-guerres. C’est inavouable et c’est interdit par la loi. En ce sens-là, chez Onfray, on retrouve les éléments d’un discours antisémite inconscient, mais alors c’est encore plus grave quand on se dit érudit. Par exemple, il récuse la lutte des classes au profit de la lutte des origines : la terre contre la ville, la bonne nature du peuple contre les bourgeois, les fils de femmes de ménages (comme il dit) contre les fils de la haute société, celle des banquiers, de la finance, assignés à une identité d’exploiteur des pauvres, etc. C’est une manière de se réclamer de la lutte des races, des ethnies avec une essentialisation des origines qui procède d’un raisonnement binaire et de chaînes de syllogismes pervertis : « Si je suis, moi, fils de femme de ménage, ça veut dire donc ancré dans la terre, ça veut dire donc que tous les bourgeois parisiens sont une élite qu’il faut combattre, etc ». C’est la manière qu’a l’extrême droite de se représenter le monde. La tendance de ce genre d’argumentation, c’est de tomber très vite dans l’imaginaire antisémite qui renvoie l’élite en général à l’élite juive qui posséderait l’argent, le pouvoir médiatique, le pouvoir intellectuel et qui, dans le cas de Freud, serait obsédé par le sexe. L’argent, le sexe (lubricité), l’intellect sont les trois grands signifiants du discours antisémite : il n’y a qu’à lire La France juive d’Edouard Drumont pour s’en convaincre.
On retrouve cette tendance d’une manière spectaculaire dans les premières lignes d’une préface à un livre publié en 2017 par un influent membre de la Nouvelle Droite 2 où Onfray oppose Proudhon issu « d’une lignée de laboureurs francs » de Karl Marx « issu d’une lignée de rabbins ashkénazes » 3
Oui, évidemment, mais quand j’interviens en 2010 avec Guillaume Mazeau, nous ne disons jamais qu’Onfray est antisémite. Nous établissons un fait : Onfray reprend telle quelle la vulgate de l’extrême droite antisémite. Nous souhaitons rester à un niveau d’érudition pour le confronter à son inculture, pour démasquer son ignorance qui le porte à traiter les juifs persécutés de véritables bourreaux ou à traiter Freud de nazi, d’antisémite, de fasciste en répétant des mécanismes propres aux négationnistes. Le plus étonnant, c’est qu’il va ensuite passer son temps à dire qu’on le traite d’antisémite, de nazi, de fasciste, de négationniste, etc. Ce qui n’a jamais été le cas. Mais cela montre qu’il est obsédé par cette thématique.
Justement, Guillaume Mazeau, c’est à partir de vos études de la Révolution française et de son historiographie, en particulier de la figure de Charlotte Corday, que vous avez souhaité intervenir publiquement pour contraster Onfray.
Guillaume Mazeau
Oui, je rejoins l’approche d’Élisabeth Roudinesco. L’érudition, la précision des connaissances, ne sont pas des détails dans les différends qui nous opposent à Onfray et aux autres falsificateurs. De mon côté, je suis intervenu sur une petite chose, Charlotte Corday, parce qu’elle relevait de ma spécialité, mais aussi parce qu’elle me permettait de poser une question infiniment plus large : au fond, il s’agissait de démontrer par la preuve qu’Onfray, qui se présentait comme un démythificateur, était en réalité un falsificateur qui, au lieu d’émanciper son public comme il prétendait le faire, le manipulait en réalité. Dans un livre paru chez Galilée en 2009 4, Onfray se travestissait en historien, pour proposer un éloge de la meurtrière de Marat, Charlotte Corday. Au cours de ma thèse, j’avais identifié Corday comme une des figures importantes de la droite conservatrice et royaliste du XIXe siècle, puis de l’extrême droite du XXème siècle. Une figure dont il faut rappeler qu’elle a assassiné un journaliste et député. Quoiqu’on pense de Marat, faire l’éloge de Charlotte Corday, censée représenter « tous ceux qui, aujourd’hui, opposent la vertu à la corruption politique » (p. 81), est d’une violence innommable. Comme Élisabeth Roudinesco, j’ai par ailleurs été surpris par la même tendance à la falsification et à la mystification. Dans son livre, Onfray inventait de toutes pièces des citations de Marat, semblait croire sérieusement que le cannibalisme était une pratique fréquente sous la Révolution… La liste des erreurs et manipulations est interminable. En tant qu’historien de la Révolution française, je possédais les outils pour comprendre immédiatement que rien de ce qu’Onfray écrivait ne provenait d’aucune source ni d’aucune archive, mais qu’il avait puisé dans toute la tradition de la contre-révolution catholique et royaliste, surtout la tradition utilisée par l’extrême droite du XXème siècle, y compris par Drieu la Rochelle. En vérité la Charlotte Corday dont Onfray faisait l’éloge n’a jamais existé que sous la plume des hommes proches de la droite fascisante ! C’est ce dur labeur du métier d’historien, l’érudition dont parlait Élisabeth Roudinesco, qui nous permettait de détecter l’origine de cette pensée, et de dénoncer son caractère profondément dangereux et réactionnaire. Car dans ce projet fondé sur la destruction du régime de la preuve, sur la falsification et le travestissement des sources, c’est tout l’outillage scientifique issu des Lumières qui se trouve balayé : tous les outils et procédés qui nous permettent de débattre en commun à partir des mêmes critères, était radicalement remis en cause.
L’intellectuel spécifique a-t-il un rôle à jouer dans l’ère de Donald Trump ou Bolsonaro ?
Oui tout à fait. En réalité, ce que Michel Onfray faisait – et qu’on comprend en effet beaucoup mieux avec le trumpisme, 10 ans après – visait à détruire la confiance dans le caractère émancipateur du savoir scientifique, mais aussi de l’usage de la raison et de la preuve en général. En somme, des outils qui garantissent l’honnêteté, le partage et la qualité du débat démocratique. La défense des sciences sociales et de l’érudition ne peut pas tenir sans passer par une interrogation : sur quoi peut-on compter, sur quoi nous appuyons-nous quand on prétend « émanciper » par le savoir ? Quand j’ai écouté ses conférences, parcouru ses livres – ce que j’ai tout de même beaucoup fait à une époque – je me suis rendu compte que non seulement il se trompait, mais aussi qu’il trompait son public. On peut évidemment utilement déconstruire un savoir, mais le fondement principal du contrat que l’on passe avec son public, c’est de ne pas dire n’importe quoi, de ne pas tromper ses lectrices et ses lecteurs et, c’est là que l’on retrouve la question de l’intellectuel spécifique, défendue par Foucault, c’est de ne parler que de ce que l’on connaît. Onfray fait clairement partie de ceux que Gérard Noiriel appelle les « toutologues » : des faux savants, qui se disent spécialistes de tout mais qui, forcément, ne le sont en fait de rien. C’est à partir du champ de spécialité qu’il faut essayer de combattre ce genre de manipulateur. La querelle intellectuelle et la confrontation de méthode sont les seules bonnes manières de déboulonner ce type d’idole, bien plus efficacement qu’en prenant des positions tribuniciennes. Au risque, cependant, d’être relégué au rang d’érudit tatillon et de sembler endosser l’habit de ceux qu’Onfray aime tant jeter en pâture avec une violence inouïe : ces « fonctionnaires de la recherche (dite scientifique) appointés par l’État […] qui passent leur vie le regard perdu dans une poubelle, les yeux fixés dans son trou noir [et deviennent] les VRP d’une vulgate qui leur vaudra salaire et retraite ». (« Michel Onfray, la haine des universitaires », L’Humanité, 12 juin 2015)
Au fond pourtant c’est précisément de son public, notamment de l’Université populaire de Caen qu’émane en grande partie l’autorité d’Onfray – c’est « la province » que Paris traite tantôt avec mauvaise conscience, tantôt avec mauvaise foi, qui lui permettait de tenir malgré les scandales répétés provoqués par sa méthode…
Oui, dans la réception d’Onfray, la question locale est centrale. Derrière l’usurpation intellectuelle d’Onfray se dessinait dès 2009 un problème politique bien plus vaste. Tout en se disant en rupture avec l’establishment, Onfray occupait déjà un pouvoir, auquel personne ne prêtait trop attention, car il exerçait ce pouvoir en province, en Normandie, entre Caen et Argentan. Je me souviens de l’incompréhension de certains de mes collègues, qui me demandaient si Onfray représentait vraiment un enjeu politique et intellectuel. Au-delà des questions idéologiques – car à partir de Freud on a tout de suite mieux compris qu’il portait aussi des enjeux idéologiques – déjà à Caen se dessinaient les bases de sa construction politique. Il était déjà devenu un acteur incontournable de la région Basse-Normandie. Les élus entretenant avec lui des rapports plus qu’ambigus. Il était devenu une vitrine de la ville de Caen, mais aussi de la région car avec sa présence à la radio, ainsi que l’affluence de son Université populaire et de son Université populaire du goût, il drainait un public très important. Ce problème politique s’est malheureusement aggravé. Il se pose au moins à l’échelle nationale.
Elisabeth Roudinesco
Il y a toujours eu chez Onfray une intentionnalité de pouvoir, une mégalomanie, une hybris : l’idée que par son génie, il pourrait sérieusement refonder en un temps record l’histoire de la philosophie, l’histoire de la psychanalyse, l’histoire de la Révolution française. Il revendique d’avoir publié cent volumes volumes avant l’âge de cinquante ans et se plaît à donner l’image du laboureur infatigable de Caen : ce sont les éléments de sa posture médiatique. Dans son refus du travail de fond, sur les sources, sur l’historiographie, au fond, il y a surtout une paresse intellectuelle déguisée en ardent travailleur du bocage normand. Dans son incapacité à dialoguer avec les chercheurs de l’Université qui pourraient le prendre en flagrant délit d’anachronisme ou d’affabulation, il y a un aveu d’ignorance et d’incompétence. Il veut monologuer au milieu d’adeptes qui le portent aux nues. Mais comme ce n’est plus le cas du tout aujourd’hui, il insulte la terre entière en se disant victime de vastes complots de la part de médias : Le Monde, Libération, L’OBS, etc. Et il est célébré par la presse de la droite la plus extrême, jusqu’au jour où cette presse le rejettera en le traitant de de gauchiste.
Onfray pourrait-il être étudié en fonction du marketing intellectuel qui définissait selon Deleuze les nouveaux philosophes ? « À la limite, il faut que la multitude des articles de journaux, d’interviews, de colloques, d’émissions radio ou télé remplacent le livre, qui pourrait très bien ne pas exister du tout… » — chez Onfray c’est la multitude de livres écrits à la va-vite qui sollicite l’exposition médiatique et permet une présence constante qui finit par s’opposer asymptotiquement au travail…
Oui, Onfray est la figure du polémiste qui plaît aux médias. Mais les nouveaux philosophes le récusent, à commencer par Bernard-Henri Lévy qui l’a récemment comparé à Doriot (Le Point, juin 2020). Cependant, contrairement à Zemmour, Onfray a sincèrement voulu être du côté du savoir – c’est ce qui le rend paradoxalement moins sérieux que Zemmour qui tente par ailleurs aujourd’hui de se faire passer pour historien. Onfray, en effet, prétendait être spécialiste de tout. Je me souviens qu’il expliquait partout que l’on n’étudiait pas à l’Université les présocratiques. C’est évidemment une énormité ! Mais il y a malheureusement des gens pour le croire. Toute sa vie, il a refusé de se confronter au savoir universitaire. Or c’est un problème de refuser à ce point tout diplôme, de ne pas dialoguer avec ceux qui travaillent dans un champ, lorsqu’on veut incarner une historiographie nouvelle, lorsqu’on veut renouveler sérieusement les pratiques du savoir. Cela prouve que l’on est incapable de se confronter à une altérité ou de sortir des cadres et des figures imposées. C’est pourtant la grande règle : en tout, il faut des maîtres, et il faut respecter les normes académiques pour mieux s’en éloigner par la suite si l’on veut. De ce point de vue, Onfray a échoué : plus un seul universitaire de haut niveau ne l’invitera, alors qu’il avait auparavant ses entrées, grâce au succès de son université populaire.
Guillaume Mazeau
Ce qui est intéressant aussi c’est de remarquer que Michel Onfray prospère moins sur l’ignorance populaire qu’il la fabrique, tout en prétendant au contraire émanciper les classes populaires contre les savoirs institués. En renversant tout, en trafiquant tout, il fabrique une ignorance qu’il appelle « contre-histoire » et sur laquelle il prospère. La confiance qu’ont les gens en lui est telle qu’il les désoriente complètement. Il y a là des phénomènes de comparaison avec beaucoup d’autres falsificateurs de ce type, qui sont devenus les éminences grises des nouveaux nationalismes d’extrême-droite. On est ici dans un phénomène global très inquiétant.
Ce qui rejoint un autre élément crucial dans la composition de l’autorité d’Onfray : c’est en effet la référence au « peuple » comme entité, à l’éducation populaire…
Bien sûr, la question de l’éducation populaire est centrale. Je dirais même que ce qu’il a fait à l’éducation populaire est sans doute le problème central du cas Onfray. Je suis d’origine caennaise. Je connais bien l’environnement dans lequel est née l’université populaire. Dès le début des années 2000, j’observais qu’il s’inscrivait dans une rupture avec la tradition de l’histoire de l’éducation populaire qui vise une dimension collective, un projet d’émancipation tout à fait contraire aux appropriations individuelles. Dans l’histoire des universités populaires, l’expression « université populaire d’un tel ou d’un tel » n’a aucun sens : c’est même une trahison absolue. L’« Université populaire de Michel Onfray » n’a rien de l’outil d’émancipation dont même France Culture a fait la publicité pendant des années parce qu’elle rapportait à tout le monde : c’est un instrument de pouvoir personnel et une marque déposée.
Pourriez-vous clarifier ce que vous entendez par appropriation individuelle ?
Guillaume Mazeau
Onfray a énormément personnalisé et par conséquent rentabilisé ce qu’il faisait de la transmission des connaissances de l’Université. Onfray entretient un rapport très ambigu avec les institutions universitaires. D’un côté, il les martèle ou cherche à salir en opposant artificiellement une sorte d’histoire populaire ou une contre-histoire à une histoire dite officielle qui n’a en réalité jamais existé. De l’autre, il organise son Université populaire dans les locaux de l’Université de Caen, puis dans d’autres lieux de la culture institutionnelle normande. Si les médias, y compris publics, ont une grave responsabilité dans l’institutionnalisation d’Onfray, c’est aussi le cas d’un certain nombre de responsables politiques, artistiques et culturels locaux, qui n’y ont vu que du feu – avant, souvent, de s’en mordre les doigts.
Elisabeth Roudinesco
À ce propos, j’ai vécu d’ailleurs une anecdote parlante. En 2005, avant la querelle autour de son livre sur Freud, j’avais débattu avec Onfray à la Fête de l’Humanité. Il était accueilli comme un dieu, par une foule de groupies – alors qu’il se revendiquait déjà de l’anti-marxisme. Dans l’audience, il devait y avoir 1 500 personnes. J’ai vu ressurgir la vieille figure du Père Duchesne dans les rangs de la Fête de l’Humanité : à-bas les bourgeois, à-bas ceci, à-bas cela – tous étaient spontanément pour Onfray !
Guillaume Mazeau
Ce n’est pas un hasard de recroiser le Père Duchesne à la Fête de l’Huma. À partir d’une relecture de la Révolution française, Onfray se présente, comme Mélenchon, comme le porte-parole des classes populaires, en invoquant la figure et l’imaginaire du père Duchesne. Sauf que lorsque Mélenchon le fait, c’est au nom d’un projet radicalement différent, et avec une érudition à l’opposé de celles d’Onfray. La filiation entre Mélenchon et la tradition sans-culotte ne relève pas du simulacre : elle a un vrai sens politique, quoi que l’on pense de son projet, et même si, comme lorsqu’en 1793, le journaliste Jacques René Hébert s’exprimait à travers la figure populaire du Père Duchesne, parler au nom du peuple recèle toujours sa part d’ambiguïtés.
Elisabeth Roudinesco
Oui mais de mon côté, même si Mélenchon s’est désormais fort heureusement détourné d’Onfray, leur rapprochement, quoique éphémère, avait quelque chose de très inquiétant… À la Fête de l’Humanité, en tout cas, on ne se rendait pas compte de ce qui se passait, il y avait comme une fascination… Je crois que j’ai eu une bonne idée pour interrompre ce fanatisme. Onfray critiquait la religion « donc Robespierre ». Je l’ai interrompu et j’ai lu un fragment du discours de Robespierre sur la déchristianisation (7 mai 1794), dans lequel il explique l’inconséquence qu’il y aurait à remplacer Dieu par des idoles. Il a été sidéré, il ne connaissait évidemment pas le texte. Et là je me souviens très bien qu’il y a eu un coup d’arrêt. Devant le public communiste, tout n’était pas permis : cela ne prenait pas de dire que Robespierre préfigurait Staline. Il y avait dans la salle les historiens de la Révolution française. Il était désarçonné, le public a basculé face à ce magnifique discours qui déjouait toute la chaîne des oppositions binaires qu’il cherchait à imposer. J’ai dit : « moi, je suis robespierriste, mais ma vision de la Révolution française est dans Hugo, dans Dumas, dans l’épopée » – lui était uniquement binaire. Il m’a dit que si j’étais Robespierriste, j’étais totalitaire, donc maoïste. Il y avait là une telle inscription dans une idéologie que l’on connaît bien, que ça ne pouvait pas durer. On a tous nos figures puisées dans ce récit national qu’est la Révolution française. Dans mon cas, c’est particulier, je les aime tous ! J’aime les aristocrates qui viennent se faire tuer le 10 août, j’aime le côté héroïque de cette époque si bien décrit dans Quatre Vingt Treize de Hugo, dans Dumas ou Michelet, tout cela m’a toujours beaucoup inspirée.
Or voilà bien une chose qui manque à Onfray : zéro talent littéraire, pas d’imaginaire, aucune représentation épique de l’histoire. Lorsqu’il lit la Bible ou le Coran, il ne comprend pas à quel texte il a affaire. Plus tard, à l’époque où il s’était choisi la psychanalyse pour ennemie, nous avions organisé un débat à Caen pour entendre ses arguments sur Freud. Il n’est pas venu. Je crois que la confrontation avec l’ignorance lui va, mais qu’il ne veut pas se confronter au savoir. Il le montre encore aujourd’hui : Michel Onfray aime le public mais il a toujours fui les débats avec les vrais penseurs et on comprend pourquoi.
Guillaume Mazeau
Ce qui me posait problème, outre la contradiction avec le fait qu’il se présente comme quelqu’un de gauche, c’était le problème plus global de la relecture de la Révolution. Il a ensuite écrit sur les Girondins. Il ne cesse de se répandre sur Robespierre. Je voyais qu’il se rattachait en fait à une partie du courant anti-totalitaire, qui, par rejet du totalitarisme, tentait de détruire tout le marxisme et toute une partie de la pensée émancipatrice de la gauche. C’est d’ailleurs ce qui explique son utilisation du proudhonisme. Toute sa relecture de la Révolution française, est faite en fonction de ce projet. Il explique, en somme, que l’émancipation ne viendrait pas des Montagnards, ni des projets de la République démocratique et sociale de l’An II, mais qu’elle viendrait du camp girondin. Le projet des Girondins l’inscrit en fait dans une tradition conservatrice et libérale. C’est paradoxal : en dénonçant comme conservatrice la tradition de la République démocratique et sociale, et en présentant comme émancipatrice celle qui serait plutôt issue de la République girondine, il s’agit surtout pour Onfray de dépouiller les idées de gauche et de participer au grand retournement conservateur qui a fait basculer le centre de gravité de la vie politique de ces quarante dernières années vers la droite la plus conservatrice et vers l’extrême droite.
Est-ce que selon vous le projet de la revue Front populaire s’inscrit dans ce retournement ?
Ce projet est plutôt un symptôme porté par Onfray. Le symptôme monstrueux de la décomposition des idées d’émancipation venues des gauches associées au marxisme. Onfray a su prendre une place laissée vacante : celle des pensées de l’émancipation collective, et s’est imposé comme un porte-parole des classes populaires. À partir de sa destruction de la pensée de l’émancipation, il a rejoint des catégories puissantes de l’imaginaire collectif contre-révolutionnaire. Cette décomposition là du champ intellectuel est également le terrain d’autres analyses, comme celle de Jonathan Israel par exemple 5, qui présente la pensée girondine comme la seule émancipatrice, issue des Lumières radicales, une pensée opposée au legs montagnard, quant à lui dépeint comme un « populisme autoritaire » de nature pré-totalitaire. Le livre de Jonathan Israel rencontre un succès qui n’est pas anodin : même s’il vient d’une autre famille intellectuelle que celle d’Onfray, il témoigne du profond doute et même de la haine vis-à-vis des idéologies de la gauche radicale.
Elisabeth Roudinesco
La Révolution française est vraiment ce qui l’a fait en quelque sorte sortir des rails. On est pourtant après 2005, après la célébration du bicentenaire, après Furet… Alors que l’historiographie de la Révolution était en train d’évoluer, tout était binaire dans l’esprit de Michel Onfray. Il remplaçait l’histoire en « bloc » de la Révolution par une histoire d’oppositions manichéennes : le mauvais Robespierre contre le bon Danton, le méchant Marat contre la bonne Charlotte Corday. C’est cette dimension binaire de la pensée qui indiquait que, dès 2010, quelque chose n’allait pas. Maintenant c’est difficile de ne pas le remarquer. C’est la raison pour laquelle je suis pour ma part plutôt optimiste. Il a fait trop d’erreurs : factuelles d’abord, mais aussi stratégiques, médiatiques, politiques. Son projet ne prendra pas. Avec une certaine gauche – les trotskystes, les communistes – la mayonnaise n’a jamais pris. Pour la droite, je ne suis pas inquiète, plus il va se lepéniser, comme il fait avec sa revue Front populaire, plus il va persévérer dans le ridicule. La droite républicaine finira par le rejeter, comme la droite libérale. Notons que les conservateurs éclairés et universitaires n’ont jamais été dupes d’Onfray : Marcel Gauchet, par exemple, n’a jamais adhéré à ce genre de dérives.
Guillaume Mazeau
Onfray continue à permettre à la droite républicaine de dégommer le marxisme aussi… il continue à publier sur Le Point tout de même !
Elisabeth Roudinesco
Certes, mais Le Point… c’est-à-dire Franz-Olivier Giesbert relayé par ses successeurs. Par ailleurs, il est maintenant adulé à Marianne par Natacha Polony, par Valeurs actuelles par Le Figaro Magazine, Causeur, par des chaînes d’information continue, mais plus du tout comme en 2010. Je dirais qu’il est devenu un objet de curiosité pour les journalistes qui veulent faire des « portraits critiques » et non plus des hagiographies. À l’extrême-droite, on préfère Zemmour pour le moment. Ce qui est d’ailleurs amusant c’est que quand Onfray dialogue très cordialement avec Zemmour, il se prend pour un marxiste jacobin. On a atteint des sommets dans la sottise.
Guillaume Mazeau
Il faut insister là dessus, d’ailleurs le livre de Noiriel le montre très bien 6. Il y a un poid écrasant des médias, pas que privés. Le service public a donné une tribune à Onfray : France Culture lui a donné presque un monopole. Ils ont tenu très longtemps, même en sachant. C’est ce qu’on disait tout à l’heure. Il prospère sur l’ignorance.
Est-ce que Onfray se terminera vraiment mal ? Sa revue ne sera-t-elle pas à même de ressembler ?
Elisabeth Roudinesco
La seule question c’est pourquoi Henri Peña Ruiz l’a rejoint. C’est peut être le point le plus compliqué du casting de cette revue : Front populaire.
Guillaume Mazeau
Les positions récentes de Peña Ruiz en ce qui concerne la laïcité, esquissent des jonctions avec l’athéisme que défend Onfray. Il s’agit de défendre, au nom de l’universalisme, une intransigeante laïcité qui exclut les minorités et infériorise la différence religieuse.
Elisabeth Roudinesco
Mais Peña Ruiz connait l’étude de textes, c’est une surprise. J’espère qu’il n’y aura pas beaucoup de Peña Ruiz dans sa revue. Le problème de Front Populaire c’est que je ne vois pas vraiment de relève. Quand il m’avait invité à l’université populaire en 2009, j’avais été frappée par la moyenne d’âge de son public : une écrasante majorité de retraités et des notables de province attirés par le remue-ménage. Ce public là n’y est plus. Est-ce qu’il y a une jeunesse pour Onfray comme il y a eu une jeunesse pour Foucault, Deleuze ou Sartre, Derrida ? Je ne le crois pas, du tout. Les jeunes sont dans la rue pour l’anti-racisme, ils sont écologistes.
Guillaume Mazeau
Je ne suis pas aussi optimiste qu’Elisabeth Roudinesco. Les raisons pour lesquelles nous sommes intervenus il y a une dizaine d’années lorsqu’il était en train de monter comme une sorte de phénomène populaire, ne se sont pas vraiment profondément améliorées. Onfray prospère sur la défiance envers une partie de ceux qu’il construit comme des intellectuels, des élites politiques, etc… Malgré tout, cette défiance repose sur des réalités sociales, démocratiques… Je ne pense pas que cette réalité là ce soit beaucoup améliorées avec la constitutionnalisation de l’État d’urgence, le conservatisme galopant. Je pense que tant que l’on sera dans cette situation politique et qu’il continuera, malgré tout, à poser certaines bonnes questions, et que d’autres ne s’en saisiront pas politiquement et intellectuellement, il restera un danger extrêmement fort et on échouera toujours à répondre de notre situation puisqu’on fait partie de ses cibles, on fait partie des gens qui de toute manière ont tort parce qu’ils sont ce qu’ils sont et représentent ce qu’ils représentent. Tant que l’on n’a pas un changement politique profond, que cette défiance existera toujours et tant que, nous intellectuels, représentons ces institutions sur la destruction desquelles il prospère. Tant que l’on ne changera pas notre manière de faire, de transmettre notre savoir, on aura beau écrire des articles dans Le Monde (ce qu’il faut continuer à faire en déconstruisant ce discours, intervenant dans les médias et jouant notre rôle public), cela restera difficile de le faire. C’est pour cela que j’appelle dans ma pratique de l’histoire à descendre dans la rue, et à partager le savoir autrement parce que, sinon, les croyances dont il est le porteur triompherons, au détriment de la raison.
Elisabeth Roudinesco
Je suis moins pessimiste que vous. Les batailles intellectuelles ont toujours été très difficiles et longues. Un polémiste qui a une notoriété est adoré pendant un bon moment puis rejeté. Souvenez-vous, Guillaume, lors de notre venue à Caen, j’avais dit : « il faudra 10 ans ». C’est beaucoup dix ans, mais c’est le temps qu’il faut. Parce que quand on tire le tapis sous les pieds d’une idole qui est à ce point portée par les médias, on crée un malaise profond. On vous déteste presque parce que vous enlevez quelque chose aux gens qui sont dans l’idolâtrie. Je connaissais bien Franz-Olivier Giesbert, c’est devenu invivable. Quand on est intervenu Onfray était idolâtré et il avait une base populaire de gauche déjà très âgée. Quand vous retirez le tapis, vous enlevez aux gens quelque chose de viscéral. Je l’ai vraiment vécu. J’ai vu des gens venir en larmes : « Vous m’avez enlevé Onfray, j’écoutais les cours de l’Université populaire sur France Culture, je trouvais ça formidable, ça m’apportait quelque chose ». Vous ne vous imaginez pas combien de gens j’ai rencontré pour qui Onfray incarnait un savoir, une force. Il faut d’ailleurs reconnaître qu’il y a quelque chose de puissant chez lui. Une rhétorique, des gestes corporels, une présence.
En quel sens alors ?
Onfray est un faussaire au sens où il écrit des contre-vérités, mais pas au sens de sa conviction qu’il a raison et qu’il peut convaincre le peuple : mais le peuple finalement n’est pas au rendez-vous. La dimension faussaire est indubitable mais il y a aussi une vraie mythomanie. Depuis longtemps, il croit aux contre-vérités qu’il énonce. Et puis, en même temps, quand il est pris en défaut, il se met dans la position du persécuté en développant tout un discours complotiste : le monde entier est contre lui. L’exemple de Drumont est intéressant et paradigmatique : à un moment donné, Drumont devient fou comme l’avait été son père et il redoutait ça. Il a terminé sa vie dans la misère quand des Juifs géniaux ont propagé l’idée qu’il était lui-même juif de par de prétendues origines, qu’il aurait dissimulées, et par son « physique » qui était en effet une caricature des traits juifs inventés par les antisémites. Le coup de génie, c’était la revanche de l’humour juif contre la bêtise et la haine.
Voyez-vous une intensification de la dérive ?
Tous les polémistes excités et fanatiques sont menacés de dérive. Mais la question pour Onfray et de savoir à quel moment le public le lâchera. Là, avec sa revue Front Populaire, il aura droit à des portraits par de grands reporters. On le scrutera, on ne lui fera pas de cadeau car il n’est plus aimé. On sait maintenant qu’il a menti sur lui-même. Maintenant, ça va commencer à être la curée. Dans un premier temps, on enlève le tapis, ensuite il faut un temps pour que les médias qui l’ont idolâtré se sentent bafoués. Le backlash sera fort. Les journalistes iront enquêter pour voir si la légende qu’il a construite est vraie. C’est le côté redoutable des médias. Ils érigent des idoles mais quand elles déçoivent, ils les font tomber. Onfray a été plus qu’un intellectuel médiatique, il a été drogué de médias. C’est la malédiction de Drumont. Drumont, ça a mal fini. Zemmour, ça finira mal aussi – je ne sais pas comment. Et Onfray, la chute est amorcée.
Sources
- Les études ont été réunies dans un ouvrage : Élisabeth Roudinesco (dir.), Pierre Delion, Christian Godin, Roland Gori, Franck Lelièvre, Guillaume Mazeau, Mais pourquoi tant de haine ?, Paris, Seuil, 2010
- Thibault Isabel, Pierre-Joseph Proudhon, l’anarchie sans le désordre, Paris, Autrement, 2017
- Dans la Préface intitulée « Proudhon oui, et vite… Contre le ciel des idées matérialistes » on peut lire ces lignes : « Marx est issu d’un lignage de rabbins ashkénazes ; Proudhon, d’une lignée de laboureurs francs. Marx était fils d’avocat ; Proudhon, l’enfant franc-comtois d’un tonnelier et d’une travailleuse à la ferme. Marx fait des études universitaires jusqu’au doctorat, qu’il consacre à la Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure ; Proudhon est bouvier dès l’âge de sept ans. Marx est un juif dont le père s’est converti au protestantisme afin de pouvoir exercer son métier d’avocat ; Proudhon est baptisé catholique. Marx apprend la vie dans les bibliothèques où il lit Hegel, Feuerbach, Stirner, Bruno Bauer et les grands textes de la philosophie idéaliste allemande ; Proudhon la découvre dans les champs, où il garde l’unique vache de ses parents. Marx est un héritier, au sens de Bourdieu, il effectue ses études universitaires financées par sa famille ; Proudhon est boursier, il doit quitter ses études pour devenir ouvrier typographe, puis correcteur dès l’âge de dix-neuf ans, avant, pour cause de faillite de son patron, de partir sur les routes de France… ».
- Michel Onfray, La Religion du poignard. Éloge de Charlotte Corday, Galilée
- Jonathan Israel, Idées révolutionnaires, Alma, 2019
- Gérard Noiriel, Le venin dans la plume. Édouard Drumont, Eric Zemmour et la part sombre de la République, Paris, Éditions La Découverte, septembre 2019.