En décembre 2019, la Commission européenne a présenté le Pacte vert comme un programme ambitieux visant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, tout en renforçant la compétitivité et l’inclusion sociale 1.
Il s’agissait là probablement de l’effort politique le plus complet pour transformer l’ambition de l’accord de Paris de 2015 en une réalité politique — et contribuer à consolider les efforts en matière de politique climatique à l’échelle mondiale 2.
Le Pacte vert était multiforme mais s’articulait autour de plusieurs éléments clefs : des obligations plus strictes en matière de divulgation d’informations sur la durabilité des entreprises, destinées à aider les marchés à orienter les capitaux vers une transition plus rapide ; une interdiction ou quasi-interdiction des voitures neuves à essence et diesel d’ici 2035 ; un système d’échange de quotas d’émission élargi afin de continuer à envoyer un signal de prix plus clair pour accélérer la réduction des activités émettrices de carbone ; et, enfin, une augmentation rapide des infrastructures et des capacités en matière d’énergies renouvelables.
À cet ensemble de mesures s’est ajouté par la suite d’autres initiatives de politique industrielle verte.
Le programme RepowerEU, annoncé après le début de la guerre en Ukraine et la crise énergétique qui a suivi, a été conçu pour accélérer la transition énergétique et la relier à la résilience énergétique et aux objectifs de sécurité de l’Europe. Il a contribué à lier les ambitions climatiques de l’Europe, son renouveau industriel et ses impératifs géopolitiques, et à transformer la politique climatique européenne en une externalité géopolitique positive essentielle. D’autres mesures suivirent, allant du Net-Zero Industry Act au Clean Industrial Deal, pour ancrer la fabrication de technologies propres en Europe.
Six ans après le Pacte vert après la COP30, le temps d’un bilan s’impose.
Aujourd’hui, l’ensemble du programme et de la stratégie climatique européens pourraient s’effondrer, avec des conséquences profondes non seulement pour l’économie européenne et ses objectifs climatiques, mais aussi, plus largement, pour le monde entier.
Cette fragilisation est plus grande encore depuis que les États-Unis se sont retirés de l’Accord de Paris sur le climat et ont abandonné tout effort de décarbonisation 3 — devenant ouvertement hostiles à l’Europe et aux efforts mondiaux en faveur de la réduction des émissions.
La place de l’Europe dans la diplomatie climatique mondiale a toujours été centrale, en partie grâce à sa capacité à montrer l’exemple ; cependant l’érosion de certains des piliers de son approche et de sa stratégie — érosion lente depuis l’adoption de l’Inflation Reduction Act aux États-Unis, puis soudaine depuis l’élection de Donald Trump — nécessite une nouvelle évaluation lucide afin de concevoir une nouvelle approche.
Le Pacte vert était probablement l’effort politique le plus complet pour transformer l’ambition de l’accord de Paris de 2015 en une réalité politique.
Shahin Vallée et Palma Polyak
Finance verte : la fin d’une politique de transparence
Dès le début, le Pacte vert a souligné que la finance durable, y compris le partage d’informations la concernant, était fondamentale, car elle permettrait essentiellement de détourner les flux de capitaux privés des activités polluantes vers des activités plus écologiques.
Cette politique reposait sur la conviction profonde que les forces du marché et les signaux de prix inciteraient le secteur privé à opérer la transition et permettraient de réduire les coûts, en particulier ceux liés à la transition pour le secteur public. Tant la directive européenne sur l’information de durabilité 4 (Corporate Sustainability Reporting Directive, CSRD) que la directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité des entreprises (CSDDD 5) ou la Taxonomie de l’Union sur la finance durable 6 visaient à orienter les financements privés vers la finance verte.
Au début de l’année 2025, pourtant, la Commission a proposé un paquet dit « omnibus » de « simplification » qui a marqué un profond changement intellectuel et un affaiblissement significatif de ce régime de partage d’informations.
Le paquet omnibus propose d’exempter environ 80 % des entreprises de l’obligation de partage d’informations sur la durabilité prévue par la CSRD. Selon les grands groupes d’investisseurs qui avaient fortement misé sur la base de ces nouvelles orientations, ce virage représente un risque sérieux pour l’intégrité de l’architecture de la finance durable de l’Union 7.
La situation peut se résumer ainsi : avec un tel paquet, la réorientation des investissements basée sur ce partage d’informations — un élément clef du Pacte vert — est en train d’être diluée pour des raisons de pression concurrentielle.
Celle-ci motive en effet les nouvelles mesures : l’Union craint que l’absence de directives semblables aux siennes sur le territoire des États-Unis ne retienne les investisseurs ou ne détourne les nouveaux capitaux vers le marché américain 8.
Le sort des véhicules thermiques
L’une des mesures les plus visibles politiquement du Pacte vert était le projet de rendre effective l’interdiction de la vente de voitures neuves à moteur à combustion interne — essence ou diesel — dans toute l’Union d’ici 2035.
En mars 2023, après des batailles héroïques contre le lobby automobile 9, un règlement 10a été adopté exigeant la fin des émissions de CO₂ pour les voitures particulières et les camionnettes neuves d’ici à 2035.
Face à cette nouvelle loi, le secteur automobile a rapidement présenté un projet de plan prévoyant une réduction de 90 % plutôt que de 100 %, ainsi que le maintien des hybrides rechargeables à autonomie longue après 2035 ; en Allemagne, l’élection de Friedrich Merz a permis l’ascension d’un champion de l’industrie automobile, prêt à tout pour assouplir l’interdiction 11.
Dans le même temps, l’industrie automobile européenne est confrontée à la concurrence féroce des constructeurs chinois de véhicules électriques et révèle son incapacité à rivaliser tant sur le prix que sur la qualité de ces modèles 12.
Réagissant à cette situation, en septembre 2024, l’Italie et l’Allemagne se sont jointes aux constructeurs pour demander une révision de l’interdiction de 2035 et la reconnaissance des e-carburants et carburants renouvelables comme alternative aux véhicules entièrement électriques 13. À la suite de ces demandes, en 2025, le Parlement européen a déposé une question écrite sur la révision de l’interdiction des moteurs à combustion à partir de 2035 14. La Commission européenne devrait ensuite proposer une révision et un amendement d’ici décembre 2026 15.
Il est facile de deviner ce qui devrait suivre : une exemption pour les e-carburants, dont la définition reste vague, une autre pour les véhicules hybrides rechargeables à autonomie longue et peut-être même une réintroduction progressive des véhicules thermiques — même si l’échéance de 2035 serait maintenue en apparence.
Ce recul est un signal désastreux. Plus important encore, il découragera les constructeurs automobiles européens de réaliser les investissements nécessaires pour accélérer leur électrification, à un moment où l’Union doit élaborer une nouvelle stratégie industrielle à long terme pour soutenir un secteur essentiel à l’avenir industriel de l’Europe.
Par de tels retours en arrière, l’Europe sabote sa propre transition vers des transports propres et augmente les chances que la Chine domine le marché des véhicules électriques de demain, alors que la demande devrait se réorienter vers ces derniers — même dans les économies émergentes et en développement, où le niveau d’électrification est limité.
Les mesures de l’Union sont présentées comme un meilleur équilibre entre compétitivité et transition : elles ne feront pourtant que ralentir la transition et réduire la compétitivité à moyen terme.
Presque toutes les stratégies climatiques dépendent de l’expansion rapide des énergies renouvelables. Dans ce domaine, l’Union échoue sur tous les fronts.
Shahin Vallée et Palma Polyak
La révision des objectifs de neutralité carbone
Le Pacte vert reposait à l’origine sur des objectifs intermédiaires pour 2030 et 2040 et sur une trajectoire vers la neutralité carbone d’ici 2050. Ces objectifs font aujourd’hui l’objet de tensions croissantes.
Selon le scénario central actuel, dans le cadre de la politique actuelle de l’Union, celle-ci pourrait parvenir à une réduction de 47 % des émissions liées à l’énergie d’ici 2030, contre les 55 % prévus dans le programme Fit for 55.
Désormais, la neutralité carbone ne pourrait être atteinte qu’en 2060 16.
La cohérence de la trajectoire de l’Union entre l’objectif à court terme et le zéro net est soumise à une pression considérable.
Avant la COP30, le Conseil européen a discrètement assoupli les objectifs, permettant aux pays de l’Union de compenser 5 % de leurs objectifs de réduction des émissions par des crédits carbone, ce qui réduit effectivement l’objectif global à 85 % d’ici 2040 17.
En conséquence, un nouvel objectif est proposé pour l’Union, qui consiste à réduire les émissions de 66,25 % à 72,5 % d’ici 2035 18.
Cet abaissement des objectifs pourrait se poursuivre : l’accord doit être approuvé lors de négociations entre les membres du Parlement européen et le Conseil à partir du 9 décembre 2025, avant de pouvoir entrer en vigueur.
Cette série de pourparlers pourrait encore entraîner un nouvel assouplissement.
La mort lente de la taxation du carbone
Les efforts de l’Union ont toujours été liés à la pierre angulaire de sa politique climatique : le système d’échange de quotas d’émission.
La tarification et la taxation du carbone sont depuis longtemps la stratégie centrale de l’Europe. C’est de celles-ci que découlent d’autres mesures, telles que la CSRD.
En termes strictement économiques, le système d’échange de quotas d’émission est sans aucun doute la stratégie la moins coûteuse et la plus efficace pour décarboner.
Désormais, la neutralité carbone ne pourrait être atteinte qu’en 2060.
Shahin Vallée et Palma Polyak
L’idée générale du système communautaire d’échange de quotas d’émission (SEQE-UE) est qu’il conduirait, grâce au travail prometteur de la COP, à une adoption plus généralisée des systèmes de taxation et de tarification du carbone à l’échelle mondiale, aidant ainsi le monde à converger lentement vers un prix mondial du carbone.
Dans la réalité, pourtant, ce concept économique élégant se heurte à des défis sociaux et politiques difficiles à surmonter 19.
Aujourd’hui, le schéma qu’il promeut est remis en cause non seulement par les États-Unis, mais aussi par d’autres économies émergentes comme la Chine et l’Inde. Ces pays s’opposent à la mise en place du mécanisme d’ajustement aux frontières (CBAM) prévue début 2026, alors que cet outil est essentiel à la compétitivité industrielle de l’économie européenne 20.
Les résultats de la dernière COP sont particulièrement préoccupants à cet égard : les termes de l’accord signé suggèrent qu’une large coalition est en train de se former contre le CBAM 21 : ainsi, les États-Unis n’ont pas l’intention d’adopter un système de tarification du carbone, tandis que celui de la Chine n’existe que sur le papier. Washington s’est aussi battu bec et ongles contre le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union, qui est essentiel à la survie à long terme du SEQE européen.
En raison de ces défis, les industries européennes — ainsi que les entreprises américaines — font pression pour une révision du mécanisme SEQE ; à terme elles exigeront très probablement une allocation plus libre et un prix du carbone plus bas. Tout porte à croire que la révision du SEQE prévue en 2026 donnera lieu à certains compromis et que le déploiement du CBAM constituera un test important.
Un autre point est plus important encore : le SEQE est conçu pour être étendu à de nouveaux secteurs en 2027 — notamment le logement, la construction et les transports — sous le nom de SEQE-UE-2 ; cependant, cet élargissement risque de créer un choc direct pour les consommateurs, alors que fonds social pour le climat créé pour répondre à la dimension redistributive de ce choc semble inadapté à son objectif 22.
En juillet 2024, la Commission a engagé des procédures d’infraction contre vingt-six États membres pour ne pas avoir transposé dans les délais les dispositions du SEQE-UE-2 en lois nationales — en retour, les États membres demandent désormais avec insistance que la directive soit révisée et que son entrée en vigueur soit reportée ou assouplie.
L’Union doit passer d’un paradigme technocratique moribond en matière de politique climatique à un nouveau paradigme axé sur une politique industrielle et sociale verte.
Shahin Vallée et Palma Polyak
Face à ces demandes, le 6 novembre 2025, le Conseil a accepté de reporter l’entrée en vigueur à 2028, ce qui doit maintenant être approuvé par les autres colégislateurs. Il est très probable cependant que la Commission devra faire un pas en arrière très important, ce qui porterait un nouveau coup à son ambition climatique — et, plus important encore, au fondement philosophique de la stratégie de transition de l’Europe.
Il apparaît de plus en plus clairement que la stratégie économique fondée sur la tarification du carbone est dans l’impasse : une nouvelle approche fondée sur les subventions, la politique industrielle et l’intégration et la planification énergétiques doit encore être développée 23.
Une politique industrielle verte sans cadre
Presque toutes les stratégies climatiques dépendent de l’expansion rapide des énergies renouvelables. Or dans ce domaine, l’Union échoue sur tous les fronts.
Un rapport de SolarPower Europe montre que la mise en œuvre de la directive révisée sur les énergies renouvelables (RED III) reste faible : dans de nombreux États membres, le taux de transposition de cette directive en lois nationales est inférieur à 50 % plus d’un an après la date limite 24.
Les raisons à cela sont multiples : les réseaux et les interconnexions constituent des contraintes matérielles à un développement plus important, et plusieurs États membres ne parviennent pas à atteindre les objectifs en matière d’énergies renouvelables.
Ainsi, bien que le déploiement des énergies renouvelables se poursuive, le rythme et la préparation systémique — réseau, infrastructure, chaîne d’approvisionnement — sont loin de ce que le Pacte vert avait initialement prévu alors qu’il existe de vraies raisons de croire à une percée technologique.
Plus généralement, l’Union semble avoir des difficultés pour définir un cadre d’action clair.
En 2023, le lancement de l’Inflation Reduction Act aux États-Unis a provoqué en Europe une prise de conscience, mais n’a pas débouché sur un plan clair : la politique industrielle verte de l’Union reste entachée par un manque de financement public centralisé, qui est généralement résolu par un assouplissement des règles en matière d’aides d’État afin de permettre la mise en place de programmes de soutien nationaux selon des principes mal harmonisés 25.
Plus en amont, le plan RepowerEU annoncé au plus fort de la crise énergétique, lorsque la guerre en Ukraine a éclaté, n’a guère fait bouger les choses en matière d’accélération des investissements dans les infrastructures critiques. Certains mécanismes au niveau de l’Union — comme les PIIEC 26 — pourraient aussi constituer un levier important — mais ils ont été sous-utilisés.
En outre, l’Union semble souffrir d’une crise de mise en œuvre de ses directives, qui affaiblit la portée et l’étendue de son pouvoir réglementaire en matière de transition 27.
L’exemple le plus net de cette situation est peut-être l’effort qu’elle déploie pour mettre en place une chaîne d’approvisionnement et une capacité de production locale en batteries — essentielles pour l’industrie des véhicules électriques ainsi que pour les efforts de stockage de l’Europe en général.
Alors que sans ces batteries, un réseau équilibré dominé par les énergies renouvelables ne serait pas possible, les efforts de l’Europe ont été fragmentaires et décousus dans ce domaine : tandis que le projet de giga-usine en Hongrie a bénéficié de subventions élevées, de règles environnementales et locales peu contraignantes, en Suède, le projet Northvolt — le plus respectueux de l’environnement qu’on ait pu concevoir — a finalement échoué 28.
Les objectifs à court terme visant à garantir la production et les emplois entrent souvent en conflit avec les ambitions à plus long terme de modernisation et de capture de valeur.
Ainsi, dans le domaine critique du stockage et du transport de l’électricité, Bruxelles n’a jamais su choisir une stratégie pour une industrie « européenne » des batteries, pour décider si des investissements étrangers peu contraignants suffisent à cette industrie ou si la propriété, le contrôle et les chaînes d’approvisionnement nationaux sont essentiels.
Ce dilemme peut être illustré par un exemple : après l’effondrement de Northvolt, de nombreux États membres et entreprises se sont tournés vers les investissements coréens et chinois ; pourtant, sans transfert de technologie, subventions et conditions environnementales solides et équitables, cette réorientation risque de confiner l’Europe à des rôles d’assemblage à faible valeur ajoutée et, sans application minimale de règles de jeu partagées entre États, d’intensifier la cannibalisation entre efforts européens.
Les mesures de l’Union sont présentées comme un meilleur équilibre entre compétitivité et transition : elles ne feront pourtant que ralentir la transition et réduire la compétitivité à moyen terme.
Shahin Vallée et Palma Polyak
Aujourd’hui, les champions nationaux doivent concurrencer les acteurs étrangers généreusement subventionnés au sein du même marché unique. Il est à cet égard frappant de constater que les pays européens n’ont fait preuve d’aucune coordination ni d’aucune approche cohérente — ce qui a clairement abouti à des résultats désastreux mettant en péril l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement et de la transition énergétique.
Le trilemme de la transition
L’Europe est aujourd’hui prisonnière d’un trilemme politique critique.
Elle ne peut réaliser en même temps ses objectifs ambitieux de réduction des émissions, son autonomie stratégique et sa compétitivité industrielle : bien que des compromis fondamentaux soient à réaliser entre ces trois objectifs politiques annoncés, aucun cadre clair n’est à même de les formuler aujourd’hui.
En raison de ces tensions, le danger est que l’Union fasse des compromis sur tous les fronts et n’atteigne aucun objectif.
Alors que celle-ci a tendance à formuler des objectifs généraux sans les opérationnaliser ni définir leur priorité, le flou qui en résulte conduit les États membres à se rabattre sur des stratégies peu ambitieuses.
Il est essentiel pour l’Europe d’évaluer de manière approfondie où en est actuellement sa politique climatique, où elle échoue et où une nouvelle approche est nécessaire.
La combinaison actuelle de déni et d’illusion éloigne l’Union d’une nouvelle approche politique qui semble à la fois nécessaire et accessible.
Une stratégie européenne renouvelée en matière de politique climatique reconnaîtrait que si la tarification et la taxation du carbone constituent sans ambiguïté la stratégie la moins coûteuse, elles sont également les plus contraignantes sur le plan social et politique et doivent donc être complétées au minimum par une politique ambitieuse de subventions et de soutien social qui fait totalement défaut 29.
L’Union doit passer d’un paradigme technocratique moribond en matière de politique climatique à un nouveau paradigme axé sur une politique industrielle et sociale verte.
Pour y parvenir efficacement, elle doit assouplir plusieurs dogmes : les limites de la portée et de l’utilisation de la politique industrielle, l’ouverture inconditionnelle aux échanges commerciaux, les restrictions en matière de soutien budgétaire. Cet assouplissement lui demandera de reconnaître qu’une plus grande intégration de la politique budgétaire sera très certainement nécessaire.
La transition verte ne pourra pas démarrer sans des investissements publics à grande échelle et des incitations généreuses au déploiement. Cette poussée des dépenses doit s’accompagner de dispositions favorisant les achats européens et d’un cadre de politique industrielle paneuropéen clair et prévisible.
La place de l’Europe dans la diplomatie climatique mondiale a toujours été centrale, en partie grâce à sa capacité à montrer l’exemple.
Avec l’assèchement de la demande extérieure, l’Europe n’a désormais d’autre choix que de se rééquilibrer vers la demande intérieure pour éviter la stagnation et le chômage ; c’est là un changement qui rend le soutien à la demande non seulement souhaitable — mais inévitable.
Dans le même temps, il est tout aussi clair qu’il ne suffira pas d’élever le niveau des dépenses.
L’ombre chinoise qui plane sur nous
La transition se déroule dans l’ombre de la domination écrasante de la Chine en matière de technologies à zéro émission nette.
L’énergie solaire, l’énergie éolienne et les batteries, autrefois considérées comme les moteurs de la croissance verte européenne, sont désormais des secteurs dans lesquels les entreprises chinoises fortement subventionnées détiennent un avantage concurrentiel significatif, ce qui augmente le risque que les stratégies industrielles européennes cèdent face à une importation de technologies étrangères.
La réaction instinctive serait de renoncer complètement à l’écologisation. Il existe cependant une meilleure alternative : coordonner le déploiement industriel avec des incitations fortes et ciblées.
La Chine elle-même a démontré comment les incitations du côté de la demande peuvent développer l’industrie nationale ; du reste, le système français d’« éco-bonus » — qui fonctionne de facto comme une règle locale pour les véhicules électriques — offre un modèle européen prometteur, avec des propositions visant à l’étendre au niveau de l’Union 30.
Le défi sera de trouver un équilibre délicat à faire tenir : préserver les avantages sociaux du commerce, qui sont particulièrement importants pour les États membres les plus pauvres soumis à des contraintes budgétaires, tout en continuant à soutenir les industries naissantes dans les secteurs à forte innovation, protéger aussi l’emploi dans le secteur manufacturier en préservant la souveraineté technologique à l’ère de l’arsenalisation du commerce mondial 31.
Comment sauver la transition
Si certains maillons des chaînes d’approvisionnement industrielles vertes sont désormais hors du contrôle de l’Union — comme l’industrie solaire et peut-être certaines parties de l’industrie éolienne — l’Europe doit préserver le secteur automobile et le secteur naissant des batteries : leur rôle dans les chaînes d’approvisionnement industrielles européennes est trop important pour être délaissé.
Sans le secteur automobile, la moitié de l’ensemble du secteur industriel européen pourrait être menacée, rendant la base industrielle européenne de défense encore plus vulnérable.
L’Europe est aujourd’hui prisonnière d’un trilemme politique critique. Elle ne peut réaliser en même temps ses objectifs de réduction des émissions, son autonomie stratégique et sa compétitivité industrielle.
Shahin Vallée et Palma Polyak
Il s’agit d’une gageure : le sauvetage de l’automobile ne peut probablement être réalisé que par une combinaison systématique de contraintes réglementaires et de mesures budgétaires : les joint-ventures, les accords de transfert de technologie et les subventions publiques doivent être harmonisés afin d’éviter le type de cannibalisation que l’Union a observé dans le domaine des batteries.
Cela nécessite que l’Union adopte une approche de planification centrale qu’elle a jusqu’à présent hésité à mettre en œuvre.
L’European Industrial Accelerator Act, qui sera annoncé en janvier 2026 — plutôt qu’en décembre 2025 comme cela avait été initialement prévu — pourrait être l’occasion de mettre en place une nouvelle politique industrielle européenne et d’activer de nouveaux instruments de protection commerciale. Pour être efficace, elle nécessitera certainement de nouvelles approches en matière de politique de concurrence et davantage de ressources budgétaires.
L’Union sera confrontée dans les années à venir à un défi économique et climatique majeur.
Dans l’ensemble, il n’y a aucune raison pour que l’Europe renonce entièrement aux trois exigences de son trilemme.
Dans certains domaines toutefois, l’Union doit clarifier comment elle parviendra à préserver la compétitivité industrielle, l’autonomie stratégique et ses objectifs d’émissions — tout en précisant les cas où elle décidera de céder sur l’un pour préserver les deux autres.
C’est une tâche urgente pour sauver l’ambition climatique de l’Europe, préserver sa compétitivité industrielle lorsqu’elle le peut — et atteindre, lorsqu’elle le doit, un certain niveau d’autonomie stratégique.
Sources
- Communication on the European Green Deal, Commission européenne, 11 décembre 2019.
- Sven Grimm, et al., « The global dimension of the European Green Deal : the EU as a green leader ? », The Multinational Development Policy Dialogue, 2021.
- David Yellen, « Pulling out of Paris surrenders more than just climate leadership », Clean Air Task Force, 15 avril 2025.
- Directive (EU) 2022/2464 of 14 December 2022 amending Regulation (EU) No 537/2014, Directive 2004/109/EC, Directive 2006/43/EC and Directive 2013/34/EU, as regards corporate sustainability reporting, Journal officiel de l’Union européenne, L322/15 16 décembre 2022.
- Directive (EU) 2024/1760 of 13 June 2024 on corporate sustainability due diligence and amending Directive (EU) 2019/1937, Journal officiel de l’Union européenne, L 176
- Regulation (EU) 2020/852 of 18 June 2020 on the establishment of a framework to facilitate sustainable investment, and amending Regulation (EU) 2019/2088, Journal officiel de l’Union européenne, L 198
- « EU : Ferrero, Mars, Nestlé & other companies from across commodities warn against another delay to anti-deforestation law », Business and Human Rights Resource Centre, 2 octobre 2025.
- À cela s’ajoute la pression exercée par les États-Unis ou les fournisseurs de combustibles fossiles comme le Qatar, qui ne veulent pas que l’argent soit détourné de l’achat de combustibles fossiles et ne veulent pas que les entreprises américaines soient exposées aux risques de litiges climatiques, exacerbés par des systèmes de divulgation étendus.
- « Carmakers strike back : How they lobbied down new EU emissions rules », Voxeurop / JournalismFund, 7 novembre 2023.
- Regulation (EU) 2023/851 of 19 April 2023 amending Regulation (EU) 2019/631 as regards strengthening the CO₂ emission performance standards for new passenger cars and new light commercial vehicles in line with the Union’s increased climate ambition, Journal officiel de l’Union européenne, L 110
- Marta Pacheco, « The European Green Deal and the car industry – a fight to the death ? », Euronews, 10 septembre 2025.
- Victor Do Prado et al., The road to a new European Automotive Strategy : Trade and Industrial Policy options Navigating the trilemma of decarbonization, competitiveness, and economic security, Institut Jacques Delors, 2025.
- Robert Hodgson et Vincenzo Genovese, « Italy, Germany join carmakers in call to rethink internal combustion engine ban », Euronews, 25 septembre 2024.
- Question for written answer E003983/2025 : Review of the 2035 de facto ban on combustion engines, Parlement européen, 10 octobre 2025.
- Vít Štěpánek, « EU’s ban on the sale of diesel and petrol cars to be reviewed earlier than expected », EU Perspectives, 12 septembre 2025.
- Total net greenhouse gas emission trends and projections in Europe, European Environment Agency, 2025. Il faut aussi noter qu’au cours de la même période, les émissions chinoises, qui ne devaient atteindre leur pic qu’en 2030, ont déjà commencé à baisser rapidement : Lauri Myllyvirta, Analysis : China’s CO₂ emissions have now been flat or falling for 18 months. Carbon Brief, 11 novembre 2025.
- Outcome of Proceedings : Proposal for a Regulation amending Regulation (EU) 2021/1119 establishing the framework for achieving climate neutrality, Conseil de l’Union européenne, 5 novembre 2025.
- Outcome of Proceedings : EU submission of an updated Nationally Determined Contribution (NDC) to the United Nations Framework Convention on Climate Change, Conseil de l’Union européenne, 5 novembre 2025.
- Andreas Eisl et Phuc-Vinh Nguyen, How to make the ETS2 socially acceptable, Institut Jacques Delors, novembre 2025.
- Miriam Stackpole Dahl, « Climate and trade – EU’s carbon border tax faces criticism », Center for International Climate Research, 19 novembre 2025.
- Le dernier paragraphe fait ainsi référence aux risques posés par « les discriminations arbitraires ou les restrictions commerciales » et appelle l’OMC à s’impliquer davantage dans les futures réunions.
- Alice Hancock, « Companies swamped by 3,000 hours of paperwork to tap EU climate funds », Financial Times, 1er décembre 2025.
- Eric Lonergan, Michael Grubb et Isabella Wedl, Beyond externalities – a new framework for climate policies, Forum New Economy, 2025.
- EU renewable energy permitting : State of play, SolarPowerEurope, 16 juillet 2025.
- Kamil Kowalcze, « German energy subsidies to boost heavy industry expected in 2026 ». Bloomberg, 3 novembre 2025.
- Projets importants d’intérêt économique commun.
- Alberto Alemanno, « Von der Leyen’s breaking point », Project Syndicate, 12 septembre 2025 ; voir aussi R. Daniel Kelemen et Tommaso Pavone, « The curious case of the EU’s disappearing infringement », Politico, 13 janvier 2022.
- Palma Polyak, « Green industrial policy in multilevel governance : Low-road and high-road strategies in Europe’s battery rollout », Max Planck Institute for the Study of Societies, 2025.
- La raison principale de cette absence est que l’Europe ne dispose actuellement pas des ressources fiscales centralisées nécessaires pour mettre en œuvre des subventions et un soutien social.
- Sander Tordoir, Nils Redeker et Lucas Guttenberg, « How buy-European rules can help save Europe’s car industry », Centre for European Reform, 23 octobre, 2025.
- Dani Rodrik, « How to respond to Chinese imports ». Project Syndicate, 21 novembre 2025.