Alors que Renault a annoncé le 14 novembre lancer sa filiale Ampère dédiée à 100 % aux véhicules électriques, et que le paquet « Fit for 55 » de l’Union européenne prévoit une interdiction de la vente des véhicules à moteur à l’horizon 2035, le secteur des batteries est amené à devenir de plus en plus stratégique. Industrie à la croissance rapide largement dominée par les constructeurs asiatiques, située au cœur de la compétition mondiale pour la maîtrise des chaînes de valeur, le secteur des batteries concentre depuis longtemps de nombreux investissements gouvernementaux, notamment chinois. 

Si l’Europe a incontestablement pris du retard, elle a mis en place un certain nombre d’initiatives visant à accroître les capacités locales de production, tout en faisant face à une forte concurrence de la part des États-Unis et de la Chine. Cette dernière détient de plus un monopole de fait sur un grand nombre de terres rares et matériaux critiques nécessaires à la production de batteries, ce qui lui donne une place centrale dans la compétition mondiale. La capacité des pays européens à mettre en commun leurs ressources et leurs technologies sera décisive pour leur permettre de se sortir de cette situation de dépendance stratégique. 

1 — Qu’est-ce qu’une batterie ? À quoi servent-elles ? 

Les batteries sont des dispositifs permettant de stocker et de libérer de l’électricité à la demande. Les batteries sont constituées de deux bornes électriques appelées cathode et anode, séparées par un matériau chimique appelé électrolyte. Pour accepter et libérer de l’énergie, une batterie est couplée à un circuit externe. Les électrons se déplacent à travers le circuit, tandis que simultanément les ions (atomes ou molécules avec une charge électrique) se déplacent à travers l’électrolyte. Dans une batterie rechargeable, les électrons et les ions peuvent se déplacer dans les deux sens à travers le circuit et l’électrolyte. Lorsque les électrons se déplacent de la cathode à l’anode, ils augmentent l’énergie potentielle chimique, chargeant ainsi la batterie ; lorsqu’ils se déplacent dans l’autre sens, ils convertissent cette énergie potentielle chimique en électricité dans le circuit et déchargent la batterie. 

Les batteries sont utilisées depuis des années dans le domaine de l’électronique grand public, notamment dans les téléphones ou les ordinateurs. Il s’agit encore du principal cas d’usage des batteries au plomb et, jusqu’en 2016, des batteries Lithium-ion. Mais la rapide croissance des véhicules électriques (voitures, bus, vélos, etc.) — entre 2010 et 2022, les ventes mondiales de véhicules électriques sont passées d’environ 120 000 à plus de 10 millions — a conduit à une explosion des besoins en batteries. La mobilité représente aujourd’hui environ les trois quarts de la demande de batterie Lithium-ion et plus de 40 % de la demande totale. À l’avenir, les batteries pourraient être utilisées pour assurer la stabilité du système électrique, puisque le développement des énergies renouvelables, difficilement pilotables, fait naître un fort besoin en capacité de stockage d’électricité. L’IEA estime ainsi que la capacité de stockage totale installée en 2030 devrait atteindre 700 gWh en 2030 dans un scénario net-zéro, contre 15 aujourd’hui1

2 — Est-ce écologique ?

La production des batteries est plus intensive en matériaux et en particulier en minerais, que la production de moteur à combustion classique. L’extraction des minerais nécessaires est génératrice de dommages environnementaux, en termes de déforestation, d’utilisation des ressources en eau ou d’émissions de carbone. L’extraction d’une tonne de lithium, provoquerait ainsi l’émission de 15 tonnes de CO22. Le processus industriel de production de la batterie est également à l’origine d’émissions de CO2. La quantité émise va dépendre des matériaux utilisés, de leur origine et des sources d’énergie employées. La production d’une batterie de Tesla modèle 3 de 80 kWh en lithium-ion pourrait ainsi provoquer entre 2,5 et 16 tonnes d’émissions de CO2, en fonction des choix effectués3. Puisque la Chine concentre environ les trois quarts de la production mondiale de batteries et que le charbon y est très employé, le chiffre effectivement réalisé est sans doute plus proche de la seconde extrémité. 

Entre 2010 et 2022, les ventes mondiales de véhicules électriques sont passées d’environ 120 000 à plus de 10 millions.

François Citton

Mais dans la phase d’utilisation du véhicule électrique, celui-ci est moins émetteur de CO2, et cela même si la production d’électricité n’est pas encore complètement décarbonée. 

Au total, les véhicules électriques permettent de réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre. Faisant l’hypothèse d’une distance totale parcourue de 243 000 kilomètre et en tenant compte du mix énergétique et des émissions moyennes des véhicules à combustion, McKinsey calcule ainsi que, sur toute sa durée de vie, un véhicule électrique émet 2 fois moins de CO2 qu’un véhicule à combustion en Europe et près de 4 fois moins aux Etats-Unis. La décarbonisation complète de la production d’électricité permettra encore de diviser par deux ces émissions.

3 — Quelle est la taille actuelle du secteur des batteries ? Et dans cinq ans ? Dans dix ans ? 

Les ventes annuelles de batteries s’élèvent à 116 milliards de dollars en 20224, dont un peu moins de la moitié est lié au secteur de la mobilité. Sur ce dernier segment, qui connaît une forte croissance, la technologie traditionnelle de batterie au plomb se montre peu adaptée en raison de sa faible densité massique (la quantité d’énergie pouvant être stockée dans un gramme de matière). C’est 2 à 5 fois moins que pour une batterie Lithium-ion. Compte tenu des enjeux d’autonomie et de masse des véhicules, cette dernière technologie s’est donc largement imposée. 

Les batteries Lithium-ion occupent donc une place croissante dans l’industrie des batteries, car elles permettent de répondre aux enjeux d’électrification de la mobilité. Les ventes de véhicules électriques s’élèvent en 2022 à 10,5 millions d’unités5. BloombergNEF estime que les ventes de véhicules électriques neufs atteindront les 40 millions d’unités d’ici 20306. Les besoins en capacité de stockage pour assurer la stabilité d’un système énergétique faisant de plus en plus appel à des sources de production solaire et éolienne et donc intermittentes, devraient également soutenir l’industrie. Toujours selon BloombergNEF, 1143 gWh de capacités de stockage supplémentaires devraient être ajoutées entre 2022 et 2030. Tout ceci va concourir un accroissement massif de la production de batteries : McKinsey estime que la production de batteries Lithium-ion atteindra près de 4700 gWh en 2030, contre moins de 500 en 2021, soit une multiplication par neuf7

Les ventes annuelles de batteries s’élèvent à 116 milliards de dollars en 2022, dont un peu moins de la moitié est lié au secteur de la mobilité.

François Citton

4 — Quels sont les plus grands producteurs de batteries ? 

Clarios (Etats-Unis), Enersys (États-Unis), Exide (États-Unis) ou GS Yuasa (Japon) ont longtemps dominé l’industrie des batteries. Mais le développement de nouveaux cas d’usage et des batteries Lithium-ion a permis à de nouveaux entrants de s’imposer sur les segments en croissance. Parmi les industriels des batteries au Plomb, seul le Japonais Panasonic est aujourd’hui devenu un producteur significatif de batteries pour les véhicules électriques. 

Si l’on s’intéresse au segment le plus prometteur et le plus dynamique, celui des batteries pour les véhicules électriques, on s’aperçoit que celui-ci est dominé par des industriels asiatiques, et en premier lieu, chinois. Ces derniers réalisent les deux tiers de la production mondiale, les coréens LG, SK et Samsung, environ 25 % et le Japonais Panasonic 10 %. 

Contemporary Amperex Technology Company Limited (CATL), basée à Ningde, en Chine, est aujourd’hui le premier producteur de batterie Lithium-ion, puisque la société réalise près de 35 % de la production mondiale. Elle a été créée en 2011, lorsqu’un groupe d’employés chinois de la société japonaise TDK mené par Zeng Yuqun a pris son indépendance en rachetant la filiale dédiée aux batteries pour véhicules électriques8. Sa croissance a notamment reposé sur ses partenariats avec de grands constructeurs automobiles, en premier lieu BMW, sa maîtrise de la technologie lithium-fer-phosphate pour bâtir les cellules de batteries et de son intégration verticale, avec de multiples investissements dans des mines9.

Dans les années à venir, il devrait y avoir un accroissement massif de la production de batteries. 

François Citton

Le géant coréen LG s’est lancé dans la production de batteries Lithium-ion en 1998. En 2009, il remporte le marché des batteries pour les voitures Volt de General Motors, l’un des tout premiers véhicules électriques produits en grande série. Aujourd’hui, LG fournit des batteries à Tesla, General Motors et Volkswagen. L’activité de production de batterie, longtemps hébergée au sein de LG Chemicals est devenue une entreprise indépendante en 2020, introduite à la bourse de Séoul en janvier 2022. L’entreprise est très présente en Chine, puisqu’en 2019 elle y réalisait plus de la moitié de sa production10. A l’instar de CATL, LG Energy Solutions souhaite mieux maîtriser les intrants en investissant dans le secteur minier11

BYD est créé en 1995 dans la région de Shenzhen. D’abord spécialisé sur la production de batteries pour les téléphones portables, l’entreprise se diversifie dans l’automobile en rachetant Qinchuan Machinery Works en 2002, devenu BYD Auto en 2003. La société s’oriente vers la production de véhicules électriques. Elle occupe en 2022 la 2nde place mondiale en nombre de véhicules électriques vendus, derrière Tesla12. BYD se distingue donc des autres des autres producteurs de batteries puisqu’il s’agit d’une entreprise automobile intégrée : une filiale du groupe, FinDreams Battery, est dédiée à la production de batteries, pour les besoins de BYD Auto. Mais la société cherche aujourd’hui à diversifier ses clients, en vendant ses batteries en dehors du groupe13

5 — Pourquoi la Chine domine-t-elle le secteur des batteries ? 

La politique industrielle chinoise ayant conduit à la naissance et à la croissance de l’industrie des batteries a été qualifiée de « darwinisme administré »14. Cette expression résume bien l’état d’esprit des responsables politiques chinois, qui ont réussi à créer en l’espace d’une dizaine d’années une industrie automobile suffisamment performante pour devenir la première mondiale sur le segment du véhicule électrique.

Cette performance remarquable tient à plusieurs facteurs. Conscient de son retard presque impossible à rattraper dans le domaine du moteur à combustion, la Chine s’est très tôt orientée vers la production de véhicules électriques. Les premières expérimentations en la matière voient le jour à la fin des années 1990 sous l’impulsion de Wan Gang, ministre de la Science et de la Technologie de 2007 à 2018 — et, par ailleurs, ancien ingénieur chez Audi de 1991 à 1999. Grâce à la captation de marchés municipaux, en particulier pour les bus électriques, un embryon d’industrie se développe15.

L’idée du darwinisme administré résume bien l’état d’esprit des responsables politiques chinois, qui ont réussi à créer en l’espace d’une dizaine d’années une industrie automobile suffisamment performante pour devenir la première mondiale sur le segment du véhicule électrique.

François Citton

Un premier tournant se produit alors en 2009. Souhaitant développer plus massivement encore le recours aux véhicules électriques, le gouvernement chinois joue sur deux leviers, qui constituent toujours le cœur de son approche. D’une part, il met en place des restrictions pour les ménages détenteurs d’une voiture thermique. Ainsi, la circulation alternée est généralisée à Beijing, et les ménages doivent payer une licence dont le coût peut atteindre plusieurs centaines de dollars pour pouvoir utiliser leur voiture. Les délais pour obtenir cette licence sont souvent longs. Les voitures électriques sont quant à elles exemptées d’une telle contrainte. D’autre part, il lance un programme de subventions massives à l’industrie des voitures électriques, à la fois au niveau national mais aussi au niveau local. Entre 2009 et 2022, le gouvernement chinois a ainsi accordé plus de 200 milliards RMB (29 Mds $) en subventions16.

Si le marché automobile électrique chinois était presque inexistant en 2009 — moins de 500 unités vendues —, la présence de subventions massives a encouragé les constructeurs à innover et à monter progressivement en gamme. Le gouvernement chinois a joué un rôle clé dans cette amélioration de la qualité en durcissant progressivement les normes que les constructeurs devaient atteindre, notamment en termes d’efficacité des batteries. Pour autant, les ventes de voitures électriques sont restées très limitées, car celles-ci souffraient de plusieurs désavantages structurels, malgré les exonérations de certaines contraintes. En particulier, l’absence de déploiement massif de bornes de recharge a constitué un frein majeur à l’achat.

Une nouvelle étape du développement du marché des voitures électriques est donc intervenue en 2015, avec le plan « Made in China 2025 » du gouvernement chinois. Ainsi, le gouvernement chinois a mis en place un comité chargé de rédiger les futures règlementations nationales ayant pour objectif de développer l’industrie chinoise des véhicules électriques. Le comité, piloté par le ministère de l’industrie et des technologies de l’information (MIIT), a notamment décidé que seuls les modèles de batterie fabriqués entièrement par des constructeurs nationaux étaient éligibles aux subventions gouvernementales, empêchant de fait les constructeurs japonais ou sud-coréen d’en bénéficier. Le montant de ces subventions à l’achat n’est pas négligeable, puisqu’il peut atteindre 100 000 RMB (environ 15 000 dollars), et celles-ci sont calculées en fonction de caractéristiques des véhicules : autonomie, performance énergétique des batteries, performance énergétique des véhicules17.

Ainsi, elles ont pour objectif premier d’augmenter l’efficacité des véhicules produits et de faire apparaître des marques chinoises capables de tenir la compétition mondiale, quitte à en faire disparaître d’autres. Conformément à la notion de « darwinisme administré », ces subventions ont un rôle d’orientation du marché et de création de champions nationaux.

6 — Quelle est la place de l’Europe dans ce secteur ? 

L’Europe regroupe actuellement 7 % des capacités de production mondiale des batteries, ce qui en fait le deuxième producteur mondial à égalité avec les États-Unis mais très loin derrière la Chine (76 %). En 2022, la capacité de production de batteries lithium-ion était, en Europe, de 70 GWh, et selon la Cour des comptes européenne, s’appuyant sur les projections des industriels, cette capacité pourrait atteindre 520 GWh à l’horizon 202518 et 1200 GWh en 2030, principalement en Allemagne, Suède, Hongrie, France et Italie. La Commission, pour sa part, a fixé un objectif de production de 550 GWh de batteries à la même date. Une telle capacité de production serait suffisante pour équiper 16 millions de véhicules par an, soit plus que le nombre maximal de voitures et camionnettes vendues dans l’Union en une année (14,8 millions, en 2019). 

L’Europe regroupe actuellement 7 % des capacités de production mondiale des batteries, ce qui en fait le deuxième producteur mondial à égalité avec les États-Unis mais très loin derrière la Chine (76 %).

François Citton

Il est à noter cependant que, en 2022, seules 3 % des capacités de production mondiales de batteries étaient opérées par des firmes européennes19par rapport à 2 % en 201420, et ce malgré les nombreux projets de giga factories annoncés. Dans des pays comme la Hongrie, toutes les capacités annoncées de production de batteries sont détenues par des firmes étrangères, alors que, à l’inverse, la totalité des capacités annoncées de production de batteries sont détenues par des entreprises européennes en Suède, en Norvège ou en Italie21. Les principales usines de batteries annoncées sont situées en Suède, avec Northvolt à Skellefteå, en Italie (usines ACC, Faam et Italvolt), en Allemagne (usine Tesla à Grünheide), en Hongrie (LG Chem à Wroclaw) et en France (Verkor à Dunkerque). En raison de cette situation de dépendance vis-à-vis de firmes étrangères pour les investissements nécessaires à la construction d’usines, de nombreux projets courent le risque d’être retardés ou annulés à la suite de l’implémentation de l’IRA américain. Une étude de Transport & Environment estime ainsi que près de la moitié des capacités de production de l’Italie présentent un fort risque d’annulation, quand d’autres pays comme la France ou la Pologne sont nettement moins exposés22

Dans son rapport, la Cour des comptes européenne souligne cependant les difficultés liées au développement de telles capacités de production. En premier lieu, l’Europe reste très majoritairement dépendante du reste du monde pour son approvisionnement en matériaux critiques nécessaires à la production de batteries. Le risque est alors que le développement des véhicules électriques soit porté par l’importation de batteries chinoises, comme cela est déjà très largement le cas. 

Ainsi, le taux de dépendance européen pour l’approvisionnement en matière brut reste très élevé : pour le cobalt, le lithium, le nickel, le manganèse et le graphite, il atteint en moyenne 78 %. Il est à noter que la situation est similaire en ce qui concerne l’approvisionnement en matières raffinées, où la dépendance des pays de l’Union est également très importante. En ce qui concerne par exemple le nickel raffiné, 29 % de l’approvisionnement européen provient de Russie, et seulement 18 % de Finlande.

Enfin, le secteur des batteries est très consommateur d’énergie, et de ce fait toute augmentation massive et rapide des coûts de l’énergie, comme cela a été le cas suivant la guerre en Ukraine, constitue une vulnérabilité majeure pour l’ensemble de la chaîne de valeur23

7 — Que fait l’Union européenne pour rattraper son retard ? 

L’Union européenne s’est fixée comme objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2055. Pour ce faire, elle a émis une série de propositions, regroupées au sein du paquet « Ajustement à l’objectif 2055 » (Fit for 55), visant à modifier la législation européenne pour la mettre en conformité avec cet objectif. Parmi les mesures proposées, celles concernant le secteur des transports occupent une place centrale. Ainsi, le Conseil de l’Union européenne a adopté en juin 2022 un objectif de réduction progressive des émissions de CO2 liées aux transports, avec comme ligne de mire une interdiction des ventes de voiture et camionnettes à moteur thermique en 2035. Cette interdiction fait l’objet de vifs débats entre les États-membres. 

L’industrie des batteries a bénéficié de financements dans le cadre de deux « Projets importants d’intérêt européen commun » (PIIEC). Ce sont des programmes développés par des groupes d’État-membres volontaires, accompagnés par la Commission, dans le but de poursuivre des intérêts communs européens dans le cas où des défaillances systémiques de marché rendent nécessaires un soutien public. Juridiquement fondés sur l’article 107 (3)b du TFUE, ils permettent aux État-membres d’accorder des subventions à des entreprises nationales sans être soumis au cadre habituel du marché unique. Élément essentiel d’une stratégie de politique industrielle active au niveau européen, ces projets ont permis par deux fois de financer l’industrie des batteries. Un premier PIIEC « Batteries » a en effet été approuvé par la Commission en décembre 2019, et un second PIIEC « EurBatIn » l’a été en janvier 2021. Totalisant près de 6 Mds € en fonds publics, concentrés à 87 % entre l’Allemagne, l’Italie et la France, ils ont permis le financement d’usines de batteries (comme celle d’ACC à Douvrin24), mais aussi de projets d’augmentation de la densité énergétique des batteries25 ou de facilitation du recyclage26.

Enfin, l’Union européenne agit aussi pour limiter la dépendance des industries européennes pour ce qui concerne les métaux critiques, à la fois en cherchant à diversifier l’approvisionnement européen, mais aussi en incitant au développement d’une filière de production et de raffinage européenne. La proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 mars 2023 (Loi sur les matières premières critiques) se concentre sur trois manières de réduire cette dépendance27. D’abord, elle fixe des objectifs chiffrés de renforcement de la chaîne de valeur des matières premières stratégiques à l’horizon 2030, en imposant notamment que pas plus de 65 % de la consommation de l’Union, dans chaque matière stratégique, ne provienne d’un seul pays tiers. Le règlement conceptualise également l’idée de « projet stratégique » pouvant bénéficier de procédures administratives accélérées et d’un accès facilité à des aides de la part des État-membres. Enfin, il vise à réduire les risques d’approvisionnement en facilitant la coordination entre les État-membres pour ce qui concerne les stocks stratégiques de matériaux critiques, les achats communs de matières premières, et l’audit des chaînes d’approvisionnement, notamment par le biais de la création d’un Comité européen des matières premières critiques. La Commission mentionne enfin la conclusion de « partenariats stratégiques » avec des pays tiers pour ce qui concerne l’approvisionnement en matières critiques28

8 — Et les États-Unis ? 

Avant l’IRA, le gouvernement américain finançait depuis au moins 2012 la recherche dans le secteur des batteries au sens large. Il dispose pour ce faire de plusieurs programmes, les principaux étant le Small Business Initiative Research (SBIR) et le Small Business Technology Transfer (STTR), dont l’objectif central est de permettre la commercialisation à grande échelle des technologies de batteries, technologies développées dans des laboratoires eux aussi financés par le gouvernement américain, mais dont la généralisation peut être complexe. 

Une étude de l’Institute for Defense Analyses (IDA) met en lumière toute la diversité des technologies expérimentées et financées, ainsi que la couverture de tous les aspects de la chaîne de valeur des batteries par les deux programmes mentionnés ci-dessus. Détaillant l’utilisation des fonds par les entreprises concernées, l’étude permet de documenter l’effort très important réalisé pour permettre la commercialisation à grande échelle (« scale-up ») des technologies de batteries, ainsi que la prédominance, jusqu’en 2018, des batteries li-sulfure. Ainsi, sur les 80 millions de dollars investis entre 2015 et 2018, 20 environ sont allés au développement de la commercialisation des batteries à une échelle plus large. 

L’Inflation Reduction Act (IRA) américain de 2021 constitue un tournant important concernant le positionnement du gouvernement américain vis-à-vis de sa dépendance par rapport au reste du monde dans le secteur des batteries. Son objectif est en effet de doper les ventes de véhicules électriques américains, en offrant un crédit d’impôt de 7500$, mais uniquement pour les véhicules dont au moins 80 % de la valeur des minéraux critiques des batteries est américaine (d’ici à 2027) et 100 % d’ici à 2029. En résumé, il incite fortement les constructeurs américains à produire des véhicules électriques sur le sol américain, avec des métaux critiques américains. 

L’Inflation reduction act (IRA) américain de 2021 constitue un tournant important de la politique industrielle américaine des batteries. Son objectif principal est de renforcer les chaînes de valeur des batteries aux États-Unis, en offrant un crédit d’impôt fédéral pouvant atteindre 7500$, mais uniquement pour les véhicules électriques remplissant certaines conditions. Ceux-ci doivent être équipés de batteries dont au moins 80 % de la valeur des minéraux critiques provient des États-Unis (d’ici à 2027) et 100 % d’ici à 2029. La clause dite « foreign entity of concerns » rend inéligible à ce crédit d’impôt les véhicules équipés de batteries chinoises.

L’Inflation Reduction Act (IRA) américain de 2021 constitue un tournant important concernant le positionnement du gouvernement américain vis-à-vis de sa dépendance par rapport au reste du monde dans le secteur des batteries.

François Citton

L’IRA a également pour objet de développer la production de batteries sur le sol américain en offrant un crédit d’impôt à la production, l’Advanced Manufacturing Tax Credit (AMTC) dont le montant peut atteindre 35$ par kWh de cellule de batterie produit, et de 10$ par kWh de module de batterie produit. Dans une note de mai 2023, la Hertie School du centre Jacques Delors estime que l’IRA peut faire baisser d’un tiers le coût moyen de production d’une batterie aux États-Unis, à 110$/kWh, contre 111 en Chine et 178 dans l’Union européenne29. L’une des forces de l’AMTC est de viser également à atténuer la dépendance américaine aux composants de batteries situés en amont de la chaîne de valeur, puisqu’il permet de réduire de 10 % le coût de production des composants des électrodes nécessaires aux batteries. Ce faisant, les États-Unis pourraient atteindre une capacité de production de 920 GWh de batteries à l’horizon 203130.

9 — Quelles sont les dépendances stratégiques créées par l’industrie des batteries ? 

L’industrie des batteries est d’abord caractérisée par une dépendance très forte à quelques fournisseurs de métaux critiques indispensables. Ainsi, que ce soit pour le cuivre, le cobalt, le lithium ou le nickel, la majorité des réserves mondiales est aux mains de quelques pays clés (Chili, Brésil, Indonésie), qui sont, à l’exception de l’Australie, des membres du « Sud global ». Dans le domaine du raffinage, la concentration est encore plus importante, quoique aux mains d’un autre pays : la Chine. Si les réserves de celles-ci en matériaux critiques, à l’exception du graphite, sont négligeables, ses immenses capacités de raffinage font d’elle le premier fournisseur mondial de lithium, de nickel ou de cobalt raffiné, trois composants qui entrent dans la fabrication des anodes31

La croissance plus soutenue de la demande de minerais critiques par rapport à l’offre mondiale disponible à partir de la fin des années 2020 implique, de plus, que ces ressources vont acquérir un potentiel économique et stratégique de plus en plus important. Le cas de l’Indonésie est particulièrement éclairant. Premier producteur mondial de nickel, le pays a brutalement interrompu, d’abord en 2014, puis en 2020, l’exportation de nickel brut, afin de favoriser la création de chaînes de valeur locales, permettant le développement du pays. Une telle politique protectionniste, doublée d’un contrôle renforcé sur les participations étrangères dans les firmes nationales, puisque le pourcentage maximum du capital des firmes minières pouvant être détenu par des étrangers a progressivement été réduit, témoigne de l’importance non seulement stratégique, mais aussi politique et économique du contrôle de l’approvisionnement de la chaîne de valeur des matériaux critiques, quitte à subir des pertes économiques à court terme — ici la fin provisoire des flux financiers liés à l’exportation de nickel brut, et les coûts d’investissement à supporter pour former une filière rentable capable de fournir du nickel de haute qualité.

En creux, ces tensions d’approvisionnement posent une question : le recyclage des batteries permettra-t-il de résoudre les problèmes de dépendances aux minerais ? Il y a deux manières de réutiliser des batteries : soit en les utilisant pour des usages différents de ceux initialement prévus, soit en les recyclant à proprement parler. 

La réutilisation des batteries consiste à les affecter à des usages différents comme le stockage d’énergie (pour prévenir des coupures de courant), en les chargeant la nuit quand les prix de l’électricité sont plus bas, le lissage de la demande, ou comme complément pour charger des véhicules électriques. L’écrasante majorité des batteries disponibles pour ces usages alternatifs — environ 1 GWh — sont situées en Chine, en raison du déploiement massif de bus électriques depuis 2015. Dans le reste du monde, les volumes disponibles sont négligeables, atteignant au mieux les 100 MWh en Europe. Un rapport de Bloomberg New Energy Finance prévoit qu’à l’horizon 2030, les batteries réutilisées pourraient constituer jusqu’à 20 % de la capacité installée dans le monde, avec certes des disparités géographiques importantes. À l’échelle mondiale, un white paper de l’ICCT estime que le recyclage de 50 % des batteries se traduirait par une diminution de 28 % de la demande mondiale totale pour quatre matériaux critiques : le nickel, le manganèse, le lithium et le cobalt32.

Ces tensions d’approvisionnement posent une question : le recyclage des batteries permettra-t-il de résoudre les problèmes de dépendances aux minerais ?

François Citton

De même que pour la réutilisation des batteries, la grande majorité du recyclage de celle-ci est opéré par la Chine. Cela tient à plusieurs facteurs : d’une part, la plupart des pays européens, ainsi que les États-Unis, exportent leurs batteries vers les pays asiatiques plutôt que de les recycler. D’autre part, le recyclage des batteries est rendu nettement plus attractif en Chine par la présence de constructeurs de batteries, qui stimulent la demande pour les matériaux nécessaires à leurs constructions. Au contraire, une étude de l’ICCT souligne que les capacités américaines de recyclage des batteries permettent actuellement de produire 220 000 batteries par an, à comparer aux 14 millions de véhicules vendus aux États-Unis. Estimant les capacités futures à partir des annonces des industriels du recyclage des batteries, cette même étude conclut que les États-Unis sont autosuffisants en recyclage jusqu’au milieu des années 204033

10 — Vers une OPEP des matériaux critiques ?

Dans ce contexte, une structure cartellisée type OPEP pour les matériaux critiques pourrait-elle émerger ? Une telle éventualité n’est cependant pas si évidente. De manière générale, l’analyse économique des cartels est peu concluante sur les effets de divers paramètres, comme le nombre de producteurs, le degré de concentration ou l’homogénéité des produits, dans la probabilité de formation et de maintien des cartels. Dans un article classique , l’économiste George Stigler estime que le principal danger qu’affrontent les cartels est la triche34 : face à des prix élevés fixés par un cartel, chaque pays a intérêt à vendre ses produits un peu moins cher de manière à capter plus de parts de marché, tout en faisant croire à ses partenaires qu’il respecte le cartel. Des études ont démontré que les cartels ont une durée de vie très hétérogène, et que l’une des principales menaces à leur existence est constituée par une croissance très rapide de la demande, dans la mesure où cela augmente l’incertitude sur les volumes vendus et favorise l’entrée de concurrents35. Ainsi, une hausse des prix du nickel permettrait à des pays dont les coûts de production sont plus élevés de rejoindre le marché, diversifiant les sources d’approvisionnement des pays dépourvus de réserves et limitant la possibilité d’une entente. Cela stimulerait aussi la recherche d’alternatives et l’investissement dans des unités de recyclage. De plus, la présence de grands groupes miniers américains, britanniques ou australiens, dont les intérêts ne sont pas forcément alignés avec ceux des pays producteurs, limite la possibilité que ceux-ci s’entendent entre eux pour fixer les prix et les quantités, d’autant plus que ces mêmes pays producteurs peuvent également avoir des vues différentes. 

Par exemple, si l’idée d’un « OPEP du nickel » est portée par l’Indonésie, qui y voit un moyen de s’industrialiser, d’autres grands pays producteurs tel que le Canada ont annoncé ne pas y être favorable36. Certains observateurs ont fait part de la possibilité de former un cartel des minerais autour du groupe actuel de pays constituant les BRICS, récemment élargis, car ceux-ci regroupent cinq grands pays producteurs (Russie, Chine, Afrique du Sud, Brésil, Argentine)37, tout en soulignant que, par exemple, l’Inde importe une grande partie des minerais qu’elle utilise et qu’elle n’a donc pas intérêt à la formation d’un tel cartel38. Enfin, un cartel des minerais, qui, en renchérissant les minerais critiques nécessaires à la transition énergétique, la ralentirait, serait nécessairement mal perçu par les dirigeants et l’opinion publique mondiale39.

Sources
  1. Cf. https://www.iea.org/reports/grid-scale-storage.
  2. MIT Climate, « How much CO2 is emitted by manufacturing batteries ? », consulté le 29 octobre 2023.
  3. Idem.
  4. « Battery Market Report by Type (Primary Battery, Secondary Market), Product (Lithium-Ion, Lead Acid, Nickel Metal Hydride, Nickel Cadmium, and Others), Application (Automotive Batteries, Industrial Batteries, Portable Batteries), and Region 2024-2032 », IMARC Group.
  5. Cf. la base de données globale sur les ventes de voitures électriques.
  6. « Electric Vehicle Outlook 2023 », BloombergNEF, 2023.
  7. Andreas Breiter, Evan Horetsky, Martin Linder, Raphael Rettig, « Power spike : How battery makers can respond to surging demand from EVs », McKinsey & Company, 18 octobre 2022.
  8. Keith Bradsher, Michael Forsythe, « Why a Chinese Company Dominates Electric Car Batteries », The New York Times, 22 décembre 2021.
  9. Morgan Meaker, « The Rise and Precarious Reign of China’s Battery King », Wired, 28 juin 2022.
  10.  Stan Lee, « 50 % of LG Chem’s batteries made in China », The Elec, 6 novembre 2019.
  11. Heejin Kim, Heesu Lee, Stephen Engle, « Battery Giant LG Chem Prepares to Lock In Mineral Supplies », Bloomberg, 12 février 2023.
  12. Mark Kane, « World’s Top 5 EV Automotive Groups Ranked By Sales : Q1-Q4 2022 », Inside EVs, 11 février 2023.
  13. Mark Kane, « BYD To Become An EV Parts Supplier Under FinDreams Brand », Inside EVs, 31 mars 2020.
  14. Marc Alochet, Christophe Midler, « Une comparaison des politiques publiques chinoises et européennes sur le véhicule électrique », Le journal de l’école de Paris du management, 2021/6, n° 152, p. 16-23.
  15. Bo Chen, Christophe Midler, et Joël Ruet, « Le développement du véhicule électrique en Chine : réalités du marché et dynamiques réglementaires », Annales des Mines — Gérer et comprendre, vol. 131, n° 1, 2018, p. 69-79.
  16. Zeyi Yang, « How did China come to dominate the world of electric cars ? », MIT Technology Review, 21 février 2023.
  17. CMS Expert Guide to electric vehicle regulation and law ».
  18. Cour des comptes européenne, « La politique industrielle de l’UE en matière de batterie. Un nouvel élan stratégique est nécessaire », 2023, p. 29.
  19. Simon Schnurrer, Srinath Rengarajan, Markus Drews, « Battery Manufacturing In Europe. Is there a second chance ? », Oliver Wyman, 2019.
  20. « Battery factory to cut Europe’s reliance on imports », 2019.
  21. Lukas Weymannn, « Battery cell production in Europe : In which countries will European manufacturers dominate – and where do international companies want to gain a foothold ? », Fraunhofer Institute for Systems and Innovation Research ISI, 21 décembre 2022.
  22. « Two-thirds of European battery production at risk – analysis », Transport & Environment, 6 mars 2023.
  23. Cour des comptes européenne, « La politique industrielle de l’UE en matière de batterie. Un nouvel élan stratégique est nécessaire », 2023, p. 20.
  24. « La Stratégie nationale sur les batteries de France 2030 : au cœur de la décarbonation des mobilités », mai 2023, p. 6.
  25. Cf. https://www.ipcei-batteries.eu/technology-fields/raw-materials-and-advanced-materials.
  26. Cf. https://www.ipcei-batteries.eu/technology-fields/repurposing-recycling-and-refining.
  27. « Annexes de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques et modifiant les règlements », 16 mars 2023.
  28. Cour des comptes européenne, « La politique industrielle de l’UE en matière de batterie. Un nouvel élan stratégique est nécessaire », 2023, p. 39.
  29. Jannik Jansen, Philipp Jäger, Nils Redeker, « For climate, profits, or resilience ? Why, where and how the EU should respond to the Inflation Reduction Act », Policy Brief, Hertie School, Jacques Delors Centre, 5 mai 2023.
  30. Harry Dempsey, Myles McCormick, « Billions flow to nascent US battery sector with push from climate law », The Financial Times, 16 novembre 2022.
  31. Lingzhi Jin, Hui He, Hongyang Cui, Nic Lutsey, Chuqi Wu, Yidan Chu, Jin Zhu, Ying Xiong, Xi Liu, Driving a green future : A retrospective review of China’s electric vehicle development and outlook for the future, International Council on Clean Transportation, 2021, p. 17.
  32. Kyle Morrison, Sandra Wappelhorst, Are battery electric vehicles cost competitive ? An income-based analysis of the costs of new vehicle purchase and leasing for the German market, International Council on Clean Transportation, 2023.
  33. Alexander Tankou, Dale Hall, « Will the U.S. EV battery recycling industry be ready for millions of end-of-life batteries », blog post, International Council on Clean Transportation, 29 septembre 2023.
  34. George J. Stigler, « A Theory of Oligopoly », Journal of Political Economy, vol. 72, no. 1, 1964, p. 44–61.
  35. Margaret C. Levenstein, Valerie Y. Suslow, « What Determines Cartel Success ? », Journal of Economic Literature, vol. 44, no. 1, 2006, p. 43–95.
  36. Eko Listiyorini, Norman Harsono, « Indonesia Wants an « OPEC-like » Organization for Nickel », Bloomberg, 16 novembre 2022.
  37. Ludovic Subran, « Will Critical Minerals Get Their Own OPEC ? », Project Syndicate, 16 août 2023.
  38. Robin Mills, « Why it might be time to create the Opec model for mineral producers », The National News, 4 septembre 2023.
  39. Kit Million Ross, « Power play : How the lithium triangle could form « the new OPEC » as battery metal demand soars », Mining Technology, 7 juillet 2023.