1 – De quoi s’agit-il en bref ?

Fit for 55 (Ajustement à l’objectif 55) est le paquet législatif européen le plus ambitieux en matière de politique environnementale. Fil conducteur de la Commission von der Leyen, il s’agit d’un dossier transsectoriel qui comporte une douzaine de mesures et doit impacter tous les domaines d’action, par la mise à jour de législations européennes existantes et la présentation de nouveaux projets. Son objectif principal est de réduire les émissions moyennes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % au cours de la prochaine décennie et de mettre progressivement fin à la dépendance économique de l’Union européenne vis-à-vis des combustibles fossiles. Il s’agit également d’un outil de projection pour la Commission géopolitique, qui fait le pari d’assumer un leadership européen en matière de lutte contre le changement climatique et de se positionner en véritable « faiseur de normes internationales » dans le domaine.

2 – Première mesure importante : la révision du système d’échange de quotas d’émission de l’Union (SEQE-EU)

Le SEQE-UE (Système communautaire d’échange de quotas d’émission) est un système qui fixe un prix à l’émission de chaque tonne de carbone pour environ 10 000 installations affiliées aux industries hautement polluantes (du secteur de l’électricité, de l’industrie manufacturière, et des compagnies aériennes) et couvre environ 40 % des émissions totales de gaz à effet de serre de l’Union. Le système repose sur un double mécanisme de plafonnement qui diminue progressivement afin de faire baisser le niveau total des émissions et d’échange de quotas d’émission entre les installations couvertes par le système.

Dans le cadre de Fit for 55, la Commission européenne vise :

  1. À ajuster le plafond au nouvel objectif de l’UE de réduire les émissions de 55 %
  2. À supprimer progressivement les exemptions aujourd’hui accordées au secteur de l’aviation
  3. À inclure l’industrie du transport maritime dans le système
  4. À créer un mécanisme séparé à partir de 2026 pour le transport routier et le chauffage des bâtiments. 

Un délai de transition sera accordé à certaines industries pour leur permettre de conserver des crédits carbone gratuits afin de limiter l’impact de cette mesure, mais le nombre de permis et les quotas gratuits seront progressivement réduits, ce qui devrait entraîner une hausse significative du prix de la tonne de CO2.

L’engagement des États membres en faveur du climat est également sollicité, la Commission ayant formulé le souhait que ceux-ci consacrent la totalité des recettes issues de l’échange des droits d’émission à des projets liés au climat ou à la transition énergétique.

En cohérence avec l’appréhension plus générale des enjeux sociaux de la transition, et pour compenser les effets de la hausse du prix du carbone, la Commission a annoncé la création d’un nouveau Fonds social pour le climat, financé en partie par 25 % des revenus attendus du marché du carbone du transport routier et du bâtiment. Ce Fonds doit permettre de redistribuer ces revenus aux citoyens les plus exposés pour les aider à se tourner vers des investissements bas-carbone, comme des opérations de rénovation énergétique et des solutions de mobilité moins polluantes. La Commission estime à 72,2 milliards d’euros le financement correspondant sur la période 2025-2032, et propose que les États membres contribuent également à cette hauteur pour doubler le montant d’investissement disponible au titre du Fonds.

3 – Proposition d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM)

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières s’inscrit en complément du SEQE, afin d’éviter que la réduction des émissions au sein de l’Union ne soit neutralisée par la délocalisation d’installations polluantes à l’extérieur de l’UE et afin de garantir que les concurrents étrangers soient assujettis aux mêmes coûts que ceux payés par l’industrie européenne.

Ce mécanisme devrait se limiter dans un premier temps à un nombre restreint d’importations au bilan carbone significatif, principalement l’acier, le fer, l’aluminium, le ciment ou encore les engrais. Le document de cadrage du CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism) précise néanmoins que l’estimation précise du bilan carbone global de certains produits raffinés, comme l’aluminium, demeure difficile. 

Les importations d’électricité devraient également être incluses dans le périmètre du CBAM : chaque année, les acteurs concernés seront tenus de déclarer les émissions comprises dans les biens importés sur le territoire européen en y associant des certificats spécifiques et en précisant les coûts associés au titre du CBAM par produit, eux-mêmes fixés sur une base hebdomadaire. Cette fréquence constitue l’une des principales différences entre le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et le SEQE, dont les prix sont fixés quotidiennement, la Commission insistant sur la nécessité de fournir aux acteurs une plus grande visibilité sur les tendances de prix sur le marché du carbone aux frontières. Le CBAM, qui sera progressivement déployé entre 2023 et 2030, devrait rapporter moins de 10 milliards d’euros par an à terme. Les recettes alimenteront le budget européen et devraient être en partie utilisées pour le remboursement de Next Generation EU.

4 – Révision de la directive sur les énergies renouvelables et de la directive sur la taxation de l’énergie

La directive sur les énergies renouvelables joue un rôle particulièrement important dans la politique de décarbonation de l’Union, dans la mesure où elle permet de définir les sources d’énergie considérées comme « renouvelables » et de fixer des objectifs contraignants pour la part de ces énergies dans le mix énergétique européen. Ce cadre de référence a été adopté pour la première fois en 2009 pour atteindre l’objectif de 20 % de la consommation énergétique de l’Union produite à partir d’énergies renouvelables en 2020. La directive a fait l’objet d’une refonte importante en 2018, en cohérence avec le nouvel objectif de 32 % d’énergies renouvelables d’ici à 2030, mais le Plan de la Commission von der Leyen impose une nouvelle révision de cette directive. Aussi, l’objectif de production d’énergie d’origine renouvelable par les États membres se trouve-t-il rehaussé à 40 % d’ici à 2030, et 49 % de l’énergie utilisée dans les bâtiments. Cette démarche s’inscrit en complément des objectifs de réduction de la consommation d’énergie et de rénovation des bâtiments, dont le taux objectif annuel est rehaussé à 3 %, surenchérissant sur l’objectif initial de la « vague de rénovation » annoncée dans le Pacte vert européen.

Vieille de plus de 15 ans, la directive sur la taxation de l’énergie devrait également faire l’objet d’une importante révision. La mise à jour vise à rehausser les niveaux de taxation sur une multitude de combustibles fossiles, mettre fin à de nombreuses exonérations exonérations qui encouragent actuellement l’utilisation de combustibles fossiles et étendre les règles de taxation des carburants à des domaines tels que l’aviation et le transport maritime. Actuellement, les carburants et l’électricité sont principalement taxés par rapport au volume plutôt que sur le contenu énergétique, mais la réforme devrait permettre de remettre cette logique en question en privilégiant une forte taxation pour les sources d’énergie les plus polluantes. Dans la mesure où ce dossier est de nature fiscale, le Conseil doit se prononcer à l’unanimité pour faire adopter une nouvelle législation, ce qui constitue un facteur de blocage important depuis de nombreuses années.

Actuellement, les carburants et l’électricité sont principalement taxés par rapport au volume plutôt que sur le contenu énergétique, mais la réforme devrait permettre de remettre cette logique en question en privilégiant une forte taxation pour les sources d’énergie les plus polluantes.

5 – Présentation de la nouvelle stratégie européenne pour les forêts

La dernière stratégie européenne pour les forêts date de 2013. Selon la feuille de route de la Commission, cette mise à jour devrait permettre de renforcer la protection, la restauration et la gestion durable des forêts européennes, alors que la superficie forestière couvre actuellement environ 45 % des terres de l’Union. La Commission fixe un objectif de plantation d’au moins trois milliards d’arbres supplémentaires d’ici 2030 et l’adoption de règles de gouvernance plus rigoureuses et transparentes pour la sylviculture.

Le règlement LULUCF (Land use, land-use change, and forestry) constitue aujourd’hui le cadre de référence pour les « émissions négatives » de la stratégie de décarbonation de l’Union européenne, c’est-à-dire l’absorption d’émissions de gaz à effet de serre par les sols et plus généralement les puits de carbone naturels, comme les forêts. L’objectif de 55  % de réduction des émissions de gaz à effet de serre englobe aujourd’hui un certain volume d’émissions absorbées, notamment par le biais d’objectifs de reforestation à l’horizon 2030. 

La loi climat a fixé un objectif d’émissions absorbées à 265 millions de tonnes de CO2. La révision de la réglementation doit permettre de rehausser cet objectif, en accroissant l’ambition de l’Union en matière d’absorption d’émissions à 310 millions de tonnes équivalent CO2 en 2030, réparties entre les États membres de 2026 à 2030 dans le cadre d’objectifs annuels contraignants. 

Le jour des annonces de la Commission, une étude publiée par la revue Nature a montré que la partie sud-est de l’Amazonie, pour la première fois, émettait plus de CO2 qu’elle n’en absorbait, en raison du dérèglement climatique et de la déforestation1.

6 – Proposition visant à réduire l’empreinte environnementale de l’aviation et du transport maritime en favorisant les carburants durables

L’initiative ReFuel EU Aviation a pour objectif de favoriser l’usage de biocarburants avancés et de carburants de synthèse dans le secteur aéronautique, alors que ceux-ci ne constituent actuellement que 0,05 % de la consommation totale de carburéacteurs. En parallèle, la Commission devrait proposer une augmentation progressive (estimée à 10 ans) des taux minimaux de taxation sur les carburants les plus polluants utilisés pour les vols intra-européens. Les vols de fret et les vols non-commerciaux pourraient être exemptés ou bénéficier de taux réduits. La Commission européenne propose l’introduction d’un « mandat de mélange », afin d’imposer une part minimale de 5 % de biocarburants à utiliser par les compagnies aériennes d’ici 2030.

Fuel EU Maritime est une initiative similaire mais moins contraignante qui concerne le trafic maritime (actuellement à l’origine de plus de 10 % des émissions liées au transport dans l’Union), un domaine pour lequel les technologies et les carburants les mieux adaptés à la décarbonation ne sont pas encore clairement identifiés. L’initiative est principalement orientée autour d’objectifs de réduction d’émission et impose aux transporteurs la déclaration du type de navires et de carburants qu’ils utilisent.

7 – Est-ce la fin des voitures en Europe ?

C’est la mesure la plus inattendue de la présentation du paquet Fit for 55. La révision du règlement fixant des normes de CO2 pour les nouvelles voitures devrait imposer de nouvelles normes très rigoureuses. La Commission propose ainsi de relever l’objectif de l’Union européenne pour 2030 afin d’imposer une réduction de 55 % des émissions des nouveaux véhicules d’ici à 2030, contre 37,5 % actuellement. D’ici 2035, cet objectif est fixé à 100 %, ce qui signifie que les voitures neuves ne devront plus émettre de CO2 à partir de cette date. Il faut toutefois noter que si les fabricants peinent à atteindre cet objectif, il est techniquement possible que celui-ci soit reporté à 2040.

La Commission propose ainsi de relever l’objectif de l’Union européenne pour 2030 afin d’imposer une réduction de 55 % des émissions des nouveaux véhicules d’ici à 2030, contre 37,5 % actuellement.

Plus généralement, la Commission souhaite garantir un meilleur accès du public aux points de recharge pour les voitures électriques en veillant à ce qu’une station soit disponible tous les 60 kilomètres, alors qu’elles sont aujourd’hui très inégalement répartis sur le continent. Davantage de stations de ravitaillement en hydrogène devront être également déployées pour les camions.

8 – Comment fonctionne le processus législatif ?

Une bataille législative politiquement sensible s’engage à partir de ces annonces.

Celle-ci occupera une grande partie des dernières années du mandat de la Commission von der Leyen, avec un objectif fixé à 2023 pour l’adoption de l’intégralité du Paquet. Dans la plupart des cas, les propositions législatives seront examinées par le Conseil et le Parlement dans le cadre de la procédure législative ordinaire, mais les initiatives liées à la fiscalité environnementale seront soumises au vote à l’unanimité au Conseil, comme la directive sur la taxation de l’énergie par exemple. 

9 – Quelle faisabilité politique ?

En définitive, les États membres seront les principaux responsables de la mise en œuvre de la législation verte européenne, avec des incidences importantes sur le porteur du coût politique. Plusieurs États membres sont notoirement opposés à certaines dispositions majeures, comme la Pologne, la Slovénie et la Lettonie à propos de la création d’un SEQE pour les secteurs du transport routier et du bâtiment. Le risque politique est donc élevé, tant pour la Commission que pour les États membres : la bonne articulation entre législation et mise en œuvre et le bon équilibre entre mesures d’incitation à la transition et mesures de soutien aux populations seront cruciaux pour garantir la réussite du pacte vert européen et son acceptation sociale.

Fait rare, de vives tensions et dissensions ont été révélées jusqu’au sein même du collège des commissaires, mercredi, lors de la réunion de finalisation organisée en amont de la présentation des propositions. Selon Euractiv, plusieurs commissaires ont critiqué le manque de coordination et de consultation de la Présidente, Ursula von der Leyen2.

Johannes Hahn, le Commissaire au Budget, a pris fermement position contre le paquet, notamment en raison de l’ambiguïté du lien avec les ressources propres du budget européen. Cette incertitude autour de la catégorisation du CBAM et du SEQE vis-à-vis du budget européen subsiste toujours au lendemain de la présentation du paquet Fit for 55. Dans la mesure où une partie des revenus de ces deux mécanismes viendra abonder le budget européen, la décision ressources propres devra être une nouvelle fois révisée et adoptée à l’unanimité par le Conseil, puis ratifiée par l’ensemble des États membres. Ce alors même que ce processus vient de s’achever en un temps record de cinq mois et que la version actuelle est en vigueur depuis le 1er juin pour permettre le déploiement de Next Generation EU. Selon une source proche du dossier, la Commission devrait définir les modalités exactes de cette catégorisation lors de la réunion du collège des commissaires de la semaine prochaine, mais de nombreuses incertitudes persistent encore sur ce point. En plus du retardement de la taxe numérique annoncé la semaine dernière en conséquence de l’accord sur la taxation des multinationales conclu à l’OCDE, l’incertitude qui plane au-dessus de ces deux nouvelles taxes est à l’origine du report de l’annonce qui était initialement prévue cette semaine, conjointement à Fit for 553.

Au-delà de la méthode, de profonds désaccords sur le fond subsistent encore au sein du collège, comme à propos de la création d’un système d’échange de quotas d’émission spécifique au transport routier et au bâtiment, l’impact du paquet sur le commerce international, ou encore l’objectif d’élimination progressive des véhicules à essence d’ici 2035.

10 – Peut-on parler de modèle européen ?

Avec le paquet Fit for 55, la Commission concrétise les intentions de l’Accord de Paris et du Pacte vert européen. Après avoir défini et fait adopter les objectifs et la trajectoire, la Commission décline les méthodes et les outils pour atteindre le palier critique des 55  % en 2030, et donc sécuriser l’atteinte de la neutralité carbone en 2050. C’est cette perspective de moyen terme, à 2030, qui était essentielle et attendue pour légitimer l’objectif à 2050. Néanmoins, l’ampleur de la transformation de l’économie européenne qu’appelle de ses vœux la Commission en à peine huit ans pose inévitablement les questions de faisabilité politique exprimées plus haut. 

La méthode de la Commission est fondée sur la mise en cohérence globale et méthodique des politiques publiques : harmonisation des textes, conception de politiques sectorielles complémentaires et articulées (exemples du CBAM et du SEQE). Cette mise en cohérence et ce «  reset » pourraient véritablement donner naissance à un modèle européen de régulation, qui a également pour ambition de tirer les normes internationales vers le haut en forçant indirectement les industries non-européennes à se conformer aux standards européens pour avoir accès à son marché.

Enfin, Fit for 55 s’inscrit dans la continuité de l’idée de transition juste affirmée dès l’annonce du Pacte vert européen fin 2019. Consciente du fait que cette politique environnementale aura un véritable impact sur le pouvoir d’achat, les emplois et les modes de vie de millions d’Européens, la Commission entend prendre en considération les conséquences sociales de la transition écologique et minimiser le risque politique et social d’un plan d’une telle envergure. Si la réussite concrète de cette ambition demeure aussi difficile que nécessaire, cette démarche fait écho à un discours international en profonde évolution depuis l’Accord de Paris, qui met en évidence la promesse de croissance économique permise par la décarbonation de l’économie, face à un modèle carboné en bout de course. Elle n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’approche américaine de la transition écologique depuis l’élection de Joe Biden ; le American Jobs Act ancre sa méthode dans la modernisation nécessaire de l’économie américaine, le développement et le pouvoir d’achat des ménages. Ces objectifs devant permettre de répondre simultanément à la concurrence économique de la Chine et au changement climatique4.

Si la réussite concrète de cette ambition demeure aussi difficile que nécessaire, cette démarche fait écho à un discours international en profonde évolution depuis l’Accord de Paris, qui met en évidence la promesse de croissance économique permise par la décarbonation de l’économie, face à un modèle carboné en bout de course.

L’emploi, le pouvoir d’achat et la réduction des inégalités sociales et territoriales sont des messages politiques désormais récurrents dans la politique climatique européenne. Ils jouent un rôle de conviction et d’adhésion d’autant fort auprès des États membres que de nombreuses réticences persistent dans certaines régions européennes quant à la fragilisation de l’économie et des communautés induite par la transition.

Sources
  1. Gatti, L.V., Basso, L.S., Miller, J.B. et al., « Amazonia as a carbon source linked to deforestation and climate change », Nature, n°595, 2021, p. 388-393.
  2. Jorge Valero, Green package unleashes criticism against von der Leyen inside the college, Euractiv, 14 juillet 2021.
  3. SEC(2021) 2382 final, Commission européenne, 15 juin 2021.
  4. FACT SHEET : The American Jobs Plan | The White House.