Le jeudi 18 juin 2020, le Parlement Européen a adopté le règlement sur la Taxonomie. Cette nouvelle législation s’inscrit dans le cadre plus large du Green Deal de l’Union européenne (UE). L’approbation par le Parlement européen fait suite à la proposition de règlement sur la Taxonomie par la Commission en mai 2018. Elle a donné lieu à la constitution du Groupe d’experts techniques sur le financement durable (le TEG), dont les travaux ont mené à la publication d’une liste d’activités durables, d’abord publiée en juin 2019 puis révisée et finalisée en mars 2020.

Le vote par le Parlement marque une nouvelle étape dans le processus : les co-législateurs du dialogue inter-institutionnel étaient parvenus le 17 décembre 2019 à un accord politique et le Conseil le 10 juin 2020 avait adopté le texte. Après le vote du 18 juin et la signature du texte, le règlement de Taxonomie sera publié au Journal officiel et entrera en vigueur dans son intégralité dans les 20 jours suivants. La Commission prendra alors le relais, en adoptant des actes délégués contenant les critères et seuils techniques par activité pour déterminer leur éligibilité pour chaque objectif environnemental. Bien que la Commission européenne ait le dernier mot sur les normes, elle doit le faire sur la base des recommandations du TEG et de la plateforme sur le financement durable qui lui succède. Les critères relatifs à l’atténuation du changement climatique et à l’adaptation à celui-ci seront adoptés d’ici la fin de cette année et les critères relatifs aux quatre autres objectifs environnementaux (utilisation durable et protection de l’eau et des ressources marines, transition vers une économie circulaire, prévention et contrôle de la pollution, protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes) d’ici fin 2021. Les États membres et les acteurs concernés devront commencer à se soumettre aux obligations des actes délégués sur l’atténuation et l’adaptation au changement climatique au début de l’année 2022, et au début de l’année suivante pour les actes sur les autres objectifs. 

Pour rappel, l’objectif de la Taxonomie de l’UE est de fournir aux entreprises et aux investisseurs un moyen standardisé pour évaluer le degré de respect de l’environnement par certaines activités économiques. La Taxonomie de l’UE vise à offrir un langage commun du caractère durable d’un secteur d’activité donné, résolvant l’asymétrie d’information relative à l’investissement vert et qui constitue l’un des obstacles majeurs au développement de la finance durable. En définissant une norme commune sur la durabilité, elle sert de référence à d’autres réglementations telles que celles sur les obligations vertes, l’écolabel, ou encore le reporting climatique.

En assurant le fléchage du financement et de l’investissement vers la transition d’une économie bas-carbone, elle tend ainsi à encourager l’investissement dans la recherche et le développement de technologies vertes et dans les efforts de verdissement déployés par certaines industries. Elle permet en outre de mesurer les flux de capitaux privés et publics, nationaux et internationaux, destinés aux activités environnementales en Europe et, potentiellement, au-delà. La Taxonomie faciliterait alors la levée des obstacles sur le marché intérieur relatifs au financement de projets durables. Enfin, avec l’inclusion de critères chiffrés, harmonisés et transparents, elle réduit le risque de « greenwashing ». 

En pratique, la Taxonomie qualifie une activité économique durable sur le plan environnemental si elle contribue de manière substantielle à l’atténuation (mitigation) et l’adaptation au changement climatique, sans porter atteinte de manière significative (principe du « Do Not Significantly Harm ») aux autres objectifs définis par le règlement – i.e. utilisation durable et protection de l’eau et des ressources halieutiques ; transition vers une économie circulaire ; prévention du gaspillage et recyclage des déchets ; prévention et contrôle de la pollution ; et protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes. Le TEG, composé de 35 membres de la société civile, des milieux universitaires, des affaires et de la finance et en charge de l’élaboration des travaux supportant l’adoption du règlement Taxonomie, a défini des critères et des seuils d’éligibilité des activités acceptables en fonction de paramètres tels que l’intensité de carbone (gCO2/kWh) sur la base de données scientifiques disponibles et de normes existantes. Ces critères reposent sur un mode binaire—une activité est qualifiée durable ou pas—et non pas selon un nuancier (de vert clair à vert foncé), comme le souhaitait le Parlement. 

Après de tumultueuses négociations et avec la pression de certains États membres, la dernière version du rapport du TEG comprend certaines activités qui ne sont pas compatibles avec la neutralité climatique, mais qui sont considérées comme nécessaires dans le cadre de la transition vers une économie neutre en carbone. Elles sont qualifiées d’activités de transition (« transitional ») et de facilitation (« enabling »). Les combustibles fossiles solides, tels que le charbon ou le lignite, sont exclus. Toutefois, le gaz et le nucléaire pourraient appartenir aux deux catégories précitées. Dans son rapport, le TEG avait reconnu l’existence de preuves évidentes sur la contribution du nucléaire contribue à l’atténuation du changement climatique. Néanmoins, il avait également conclu que le préjudice significatif potentiel de ce secteur envers d’autres objectifs environnementaux est plus complexe à déterminer. 

La Taxonomie s’applique à un vaste champ d’acteurs. Les États membres et l’Union européenne devront s’y conformer lors de l’adoption de contraintes en matière de produits financiers présentés comme durables pour l’environnement (des écolabels par exemple). Elle vise aussi les participants de marché, tels que les investisseurs institutionnels, les gestionnaires d’actifs et les assurances : ils devront publier la nature et le degré d’alignement de leurs financements avec les critères de la Taxonomie. Pour les produits financiers qui n’y sont pas conformes, ils devront être décrits comme tels. 

Une condition préalable au succès de la Taxonomie est d’être évolutive, intégrant les avancées en matière de technologies vertes. Ainsi, la Taxonomie sera actualisée tous les trois ans avec des seuils progressivement plus exigeants. Son adaptation sera sous la houlette de la Plateforme sur le financement durable, établie officiellement par l’adoption du règlement Taxonomie (article 20). La Commission a ainsi lancé ce même jour un appel à candidatures pour les membres de la plateforme. Cet organe consultatif composé d’experts des secteurs privé et public aura pour fonction conseiller la Commission sur l’élaboration et le choix des critères techniques de sélection (les « actes délégués »), ainsi que sur leur facilité d’utilisation. En effet, le règlement Taxonomie définit le cadre méthodologique de la future classification, élaborée sous la forme d’actes délégués. Cette dernière sera adoptée fin 2020 pour les objectifs d’atténuation et d’adaptation, avec une entrée en application fin 2021. La plateforme a également pour rôle de conseiller la Commission sur l’expansion de la Taxonomie afin de couvrir d’autres objectifs de durabilité, y compris les objectifs sociaux et les activités qui nuisent considérablement à l’environnement (une « Taxonomie marron »), et sur le financement durable de manière plus générale. 

Le règlement Taxonomie va de pair avec la directive sur le reporting non-financier (NFRD, ou Non-Financial Reporting Directive), c’est-à-dire sur les impacts sociaux et environnementaux des activités des entreprises, en imposant aux entreprises soumises à la Directive non-financière de publier un reporting climatique aligné sur la Taxonomie. Les règles de la Taxonomie flècheront à terme les investissements entre verts et non verts, et obligeront les investisseurs institutionnels et gestionnaires de portefeuilles, à partir de fin 2021, à divulguer comment leurs investissements se répartissent entre produits aux caractéristiques ESG (vert clair) ; produits dont l’objectif est un investissement durable (vert foncé) ; et produits dits « mainstream ». 

En outre, la pandémie de coronavirus a attribué une nouvelle responsabilité à la Taxonomie : orienter les dépenses du fonds de relance économique de l’UE doté de 750 milliards d’euros. En avril 2020, les membres du TEG ont exhorté les décideurs politiques et le secteur privé à utiliser les outils élaborés dans le cadre du plan d’action de l’UE pour un financement durable afin de guider la reconstruction de l’économie après la crise du Covid-19.

La Taxonomie de l’UE n’est pas exempte de critiques. Ses détracteurs soulignent les coûts induits par son processus et ses contraintes, avec le recours accru aux consultants pour évaluer l’alignement des investissements avec les critères. De plus, la Taxonomie ne peut fonctionner sans données. Une information fiable sur la ventilation du chiffre d’affaires d’une entreprise par activité est fondamentale. Pour des obligations vertes, des informations chiffrées sur l’allocation des fonds par projet est critique. Or, la plupart des entreprises ne possèdent pas et/ou ne fournissent pas ce niveau de détail, et en disposer représente une charge financière significative. Pour l’heure, la disponibilité des données est probablement le plus grand obstacle à la mise en œuvre rapide de la Taxonomie. Il est donc crucial que la qualité du reporting extra-financier soit considérablement améliorée en accroissant la transparence des entreprises en matière environnementale et sociale, renforçant la fiabilité de ces données via un audit obligatoire et un engagement sur ces questions porté au plus niveau de gouvernance de l’entreprise. 

D’aucuns font aussi valoir que les seuils d’émission de dioxyde de carbone sont trop peu exigeants, n’offrant pas d’incitation à verdir les activités et, in fine, ne permettant pas l’Europe d’atteindre ses objectifs climatiques. Enfin, l’inclusion d’activités incompatibles avec la neutralité climatique mais considérées comme nécessaires dans la transition vers une économie climatiquement neutre est loin de faire consensus, avec des avis divergents sur les activités à inclure dans ces catégories. Sur le nucléaire notamment, les détracteurs de son inclusion mettent en exergue que l’exemption de d’émissions de CO2 n’en fait pas une énergie propre, avec un impact potentiellement significatif sur l’objectif d’économie circulaire du fait de ses déchets. 

Il convient également de mentionner la position singulière du Royaume-Uni sur la Taxonomie, qui fait preuve de réticence à s’aligner sur Bruxelles alors même que le pays entend devenir un centre névralgique mondial du financement durable avec la publication de sa propre stratégie de financement vert en juillet 2019. Le secrétaire d’État à l’économie, John Glen, a déclaré que le Trésor ne déciderait pas de la mise en œuvre de la Taxonomie au moins le temps de la transition du Brexit1.

Quelle que soit la décision finale du Royaume-Uni, le paysage réglementaire en matière de financement durable pourrait s’accompagner d’une complexité croissante, avec la multiplication récente de Taxonomies nationales et régionales. C’est dans cette optique qu’un partenariat entre l’UE et la Chine pour harmoniser les taxonomies en matière de finance durable constitue une perspective bienvenue2.