Le débat de la débâcle

Princeton, NJ, 29 juin 2024

Pendant des mois, la course à la présidence des États-Unis a semblé presque figée, les deux candidats ayant déjà été choisis et la plupart des événements clefs se déroulant dans l’enceinte des tribunaux plutôt que dans les meetings de campagne. Mais ce jeudi, tout a basculé. La première rencontre télévisée entre Joe Biden et Donald Trump est rapidement devenue le débat présidentiel le plus important depuis le face-à-face de Kennedy contre Nixon en 1960 — peut-être même le plus important de tous les temps. Contrairement à 1960, ce fut une débâcle pour le démocrate. Balbutiant, hésitant, parfois confus et inintelligible, le président Biden n’a pas seulement eu l’air douloureusement vieux : il a été totalement incapable de contrer efficacement le flot d’insultes et d’affabulations de Donald Trump — qui l’a bien mené.

Dans le dernier épisode de cette chronique, j’écrivais qu’après sa condamnation pénale à New York, Trump avait l’air ébranlé et qu’il semblait encore moins de bon sens que d’habitude. J’avais même émis l’hypothèse que, des deux vieillards qui s’affrontent pour la présidence, Trump pourrait bien être le premier à plier sous la pression d’une campagne présidentielle. 

Manifestement, c’était un vœu pieu.

Il est vrai qu’il y a à peine trois mois et demi, Joe Biden prononçait un discours énergique sur l’état de l’Union qui réussissait, pour un temps, à apaiser les inquiétudes concernant son âge avancé. Trump et ses alliés ont alors même prétendu que le président avait pris des médicaments pour améliorer sa performance. Mais le vieillissement n’est pas toujours un processus régulier et progressif. Il est tout à fait possible qu’entre le Biden enflammé du discours de mars et le Biden confus et fragile du débat de juin, un sérieux ralentissement se soit produit.

Même si cela ne changera rien à la crise politique à laquelle les démocrates sont désormais confrontés, Joe Biden n’a en réalité donné aucun signe de sénilité jeudi. De nombreuses personnes âgées conservent des capacités mentales essentielles, même si elles deviennent plus lentes et plus hésitantes, plus sujettes aux erreurs verbales et aux trous de mémoire, en particulier sous pression. En fait, si l’on met de côté la performance et que l’on juge le débat uniquement sur la valeur des arguments et l’exactitude des faits présentés, Biden l’a facilement emporté. Mais en politique, comme dans la plupart des domaines, la performance occupe une large place dans l’équation. Le Biden qui s’est présenté jeudi soir face aux Américains n’était plus un candidat efficace. Il est fort possible qu’il ne soit plus un président efficace.

Il est tout à fait possible qu’entre le Biden enflammé du discours de mars et le Biden confus et fragile du débat de juin, un sérieux ralentissement se soit produit.

David A. Bell

Comme j’aurais également dû le noter, les pressions exercées sur Biden ont été beaucoup plus fortes que celles exercées sur Trump. Après tout, Biden prend son travail de président au sérieux — notamment en essayant de gérer les deux crises massives et insolubles de politique étrangère que sont l’Ukraine et Gaza. Il prend également sa campagne au sérieux. Trump, quant à lui, passe beaucoup moins de temps à faire quoi que ce soit qu’une personne ordinaire considérerait comme du travail. Contrairement à Biden, il n’a manifestement pas pris la peine de se préparer pour le débat de jeudi soir — il est plus facile, c’est vrai, d’inventer des choses que de s’informer sur un sujet et de mémoriser des faits. La prestation de Trump lors du débat s’est résumée à de la mendicité et de la fabulation d’un bout à l’autre. Ses affirmations selon lesquelles les États-Unis étaient un paradis sous sa présidence et sont immédiatement devenus un enfer sous celle de Biden étaient absurdes à première vue et faciles à démystifier. Biden a tenté d’interpeller Trump en répétant à plusieurs reprises qu’il mentait. Mais ce dernier n’a eu qu’à lui renvoyer l’accusation : le menteur, c’est vous. Et comme on pouvait s’y attendre, l’échange s’est rapidement transformé en quelque chose qui ressemblait davantage à une bataille de nourriture dans une cantine d’école maternelle plutôt qu’à un débat.

Trump, quant à lui, a fait preuve d’une certaine cohérence consternante.  Les critiques ont trop insisté sur le fait qu’il divague souvent de manière incohérente pendant ses meetings. Contrairement à Biden, qui tente d’appréhender la complexité du monde, la vision de Trump est unidimensionnelle. Il juge tout selon le seul critère de l’avantage et du plaisir immédiat qu’il en retire. C’est une créature amorale, un pur « ça » sans moi ni surmoi — le seul succès tangible de Biden jeudi a d’ailleurs été sa petite phrase sur le fait que Trump avait la morale d’un « chat de gouttière » (alley cat). Si Trump peut divaguer dans ses monologues, dès lors qu’il est contraint de répondre à des questions — comme lors d’un débat — ses réponses sont en fait assez prévisibles et invariables. Elles sont, pourrait-on dire, non seulement constamment mensongères, mais aussi monstrueusement cohérentes.

Face à l’ampleur du désastre de jeudi, peut-on sauver les États-Unis d’une seconde présidence Trump ? À moins d’une crise de santé pour l’ancien président, ou d’un rétablissement miraculeux pour Biden, il semble peu probable que l’actuel porte-drapeau démocrate puisse l’emporter en novembre. Il ne peut pas compter sur une aide supplémentaire de l’économie, qui se porte déjà très bien. Il ne peut compter sur aucune amélioration de la situation internationale.

L’échange s’est rapidement transformé en quelque chose qui ressemblait davantage à une bataille de nourriture dans une cantine d’école maternelle plutôt qu’à un débat.

David A. Bell

Biden pourrait-il se retirer ? De nombreux commentateurs américains lui demandent déjà de le faire, même si — fait notable — aucun des principaux responsables démocrates ne l’a fait — Barack Obama lui ayant même renouvelé son soutien. En tout état de cause, les moyens par lesquels le parti pourrait le remplacer ne sont pas du tout clairs. Michael Tomasky, rédacteur en chef du New Republic, l’un des meilleurs commentateurs libéraux actuels de la politique, a étudié la question en profondeur : pour qu’un candidat démocrate apparaisse sur les bulletins de vote des cinquante États, le parti devrait officiellement le désigner avant le début du mois d’août — il reste donc deux semaines avant la convention qui est le seul lieu possible pour le choix d’un remplaçant. Rien n’indique que l’impopulaire vice-présidente Kamala Harris ferait mieux face à Trump que Biden. Dans le même temps, si le parti la laisse tomber, une partie des Afro-Américains — en particulier les femmes afro-américaines — pourraient refuser avec colère de voter en novembre. Et les gouverneurs démocrates qui auraient pu avoir une chance de battre Trump s’ils avaient obtenu l’investiture lors d’une campagne primaire normale — Gretchen Whitmer (Michigan), Gavin Newsom (Californie), Jay Pritzker (Illinois) ou Joshua Shapiro (Pennsylvanie) — restent largement inconnus du grand public.

Le lendemain du débat désastreux, Biden, s’exprimant à partir d’un discours préparé sur un téléprompteur, semblait beaucoup plus confiant et énergique que la veille. 

À mon humble avis, les dirigeants du parti démocrate, ne sachant pas comment le remplacer, encouragés par cette performance et espérant contre toute attente qu’en novembre, le souvenir du débat se sera estompé, feront ce qui leur vient trop naturellement à l’esprit : rien. Bien sûr, un événement imprévu peut encore bouleverser cette étrange campagne présidentielle. Mais pour l’instant, dans la sidération, il semble que la campagne de Biden ait pris un coup fatal.

Donald Trump s’adresse aux médias lors de son retour dans la salle d’audience du tribunal pénal de Manhattan, le jeudi 30 mai 2024, à New York. © AP Photo/Seth Wenig, Pool

La politique américaine à l’ère de la post-condamnation

Princeton, NJ, 2 juin 2024

S’il fallait encore une preuve de la bizarrerie totale de la politique américaine en 2024, la voici : un candidat politique soudoie une star du porno pour qu’elle taise leur liaison adultère, puis falsifie des documents commerciaux pour dissimuler la transaction. Ce délit lui vaut une condamnation pénale. Un parti politique normal désavouerait cet homme politique aussi rapidement et aussi bruyamment que possible. Un électorat normal ne serait pas à une année lumière de le réélire. Pourtant, Donald Trump reste le héros et le leader incontesté du parti républicain — et il conserve de fortes chances de remporter l’élection de 2024.

Il est encore trop tôt pour déterminer les retombées électorales de la condamnation de Trump. 

Dans l’immédiat, elle a attisé l’indignation sincère des fidèles du Make America Great Again (MAGA) et l’indignation — le plus souvent feinte — des élus républicains, qui ont uniformément dénoncé la condamnation de l’ancien président par un jury populaire comme un sinistre complot contre l’Amérique. Dans de nombreuses régions des États-Unis, les voyageurs verront cette semaine des drapeaux flottant à l’envers cette semaine : un signal de détresse que la Heritage Foundation et les partisans MAGA ont adopté pour montrer leur rejet du verdict et, plus largement, du gouvernement démocratiquement élu de Joe Biden. 

Il est encore trop tôt pour déterminer les retombées électorales de la condamnation de Trump.

David A. Bell

Certains sondages prédisent que la condamnation retournera au moins quelques électeurs contre Trump, tandis que d’autres disent le contraire1. Les partisans convaincus ont pris leur décision il y a longtemps, bien sûr, mais les électeurs qui commencent à s’intéresser à l’élection présidentielle — il doit bien y en avoir quelque part — pourraient peut-être réfléchir à deux fois avant de voter pour un délinquant condamné. D’un autre côté, si les événements qui bouleversent le monde continuent à se produire au rythme des deux dernières années, et si Trump continue à tenir de nouveaux propos scandaleux chaque jour, cette condamnation pourrait, en novembre, sembler être un lointain souvenir pour la plupart des Américains.

Comme cela a été le cas tout au long de la dernière décennie, Donald Trump espère survivre et même tirer profit de ce dernier développement scandaleux grâce à son seul, grand et étrange talent. Ce que Picasso était à l’art, Donald Trump l’est à l’impudeur. Il ne reconnaît jamais ses torts, n’assume jamais ses responsabilités, n’exprime jamais le moindre doute, n’essaie même pas de dire la vérité et renvoie chaque critique et chaque attaque à son adversaire — il traitait ainsi Hillary Clinton de « marionnette », Joe Biden de « dictateur » et les États-Unis de ce dernier « d’État fasciste ». L’expression « fake news » a peut-être été lancée dans le débat par les démocrates contre Trump en 2016 — mais ce dernier l’a faite sienne de manière bien plus efficace. Tout ce qu’il fait et dit est « parfait » et « merveilleux ». Tout ce que font et disent ses adversaires est « méchant », « corrompu » — « une honte ». Ces pitreries ont peut-être la grâce et la sophistication d’une bataille de nourriture d’école maternelle — mais elles fonctionnent.

Ce que Picasso était à l’art, Donald Trump l’est à l’impudeur.

David A. Bell

Elles fonctionnent tout d’abord parce que la transgression joyeuse des normes politiques par Trump ravit cette immense partie de la population qui éprouve un intense ressentiment à l’égard des élites éduquées. Ces hommes et ces femmes, en grande partie blancs et sans diplôme universitaire, estiment que les élites ont fait preuve de condescendance à leur égard, ont nui à leurs moyens de subsistance et ont adopté des politiques dangereuses, ridicules et offensantes — « frontières ouvertes », droits des personnes trans, « critical race theory »… Ils ne croient pas nécessairement tout ce que Trump dit, mais ils aiment pour sa pugnacité et sa grossièreté — « dire les choses telles qu’elles sont ». Et l’énorme réseau de propagande trumpiste qui s’étend à la télévision, à la radio, à la presse écrite et surtout aux réseaux sociaux maintient avec maestria leur ressentiment et leur indignation à un niveau élevé. En quelques années, ils sont devenus ce qu’il faut désormais considérer comme l’un des mouvements politiques les plus puissants de l’histoire récente des États-Unis.

Grâce à ce mouvement, les responsables et commentateurs républicains — dont beaucoup appartiennent eux-mêmes aux élites éduquées — n’ont d’autre choix que de répéter la ligne du parti avec une ferveur et une fausse sincérité qui n’a rien à envier à celles des apparatchiks staliniens vers 1937. Je doute que beaucoup d’éminents politiciens ou hommes de médias conservateurs croient honnêtement que Trump ait été un époux fidèle et un homme d’affaires honnête. Ils savent qu’il a couché avec Stormy Daniels et qu’il a délibérément falsifié ses documents commerciaux. Ils savent également qu’il a perdu les élections de 2020 ; qu’il a conspiré pour renverser cette élection et qu’il a fait preuve d’une négligence criminelle à l’égard de pièces à conviction hautement secrètes relatives à la sécurité nationale.

La transgression joyeuse des normes politiques par Trump ravit cette immense partie de la population qui éprouve un intense ressentiment à l’égard des élites éduquées.

David A. Bell

Mais ils savent également que le fait de dire tout cela à voix haute mettrait fin à leur carrière.

Peut-être ont-ils réussi à se convaincre eux-mêmes que seul Trump pouvait sauver les États-Unis des méchants démocrates, et qu’ils devaient donc le soutenir avec toutes ses imperfections. Peut-être sont-ils simplement cyniques. Quoi qu’il en soit, il est leur idole, leur Kim Jong-Un. Ceux qui aspirent à devenir son vice-président tentent même de le surpasser. « Notre président actuel est un homme dément soutenu par des gens méchants et dérangés prêts à détruire notre pays pour rester au pouvoir » a récemment tweeté le sénateur Marco Rubio, qui, il y a huit ans, dénonçait Trump comme un « escroc » lâche.

J’ai le sentiment que si la condamnation de Trump peut influencer l’élection, ce sera davantage en raison de son effet sur Trump lui-même que de son effet sur les quelques poignées d’électeurs indécis qui restent.

Rubio n’avait pas tort lorsqu’il a qualifié Trump de lâche. L’ancien président a la peau très fine : il n’est pas impossible qu’il ait décidé de se présenter à l’élection présidentielle seulement après que Barack Obama, en réponse à la polémique sur son lieu de naissance, eut publiquement celui qui n’était alors qu’un homme d’affaires lors du dîner des correspondants de la Maison-Blanche de 2011. Selon la plupart des journalistes, le verdict annoncé jeudi a bel et bien ébranlé Trump. Le lendemain, son discours était encore plus confus et incohérent que d’habitude2. Il n’a pas dû non plus se réjouir que sa femme, Melania, qu’il a trahi, soit restée totalement absente durant le procès et qu’elle n’ait jusqu’à maintenant fait aucune déclaration pour le soutenir. 

Si la condamnation de Trump peut influencer l’élection, ce sera davantage en raison de son effet sur Trump lui-même que de son effet sur les quelques poignées d’électeurs indécis qui restent.

David A. Bell

Même si Trump aime se donner une image de force, il reste un homme colérique de 77 ans qui tente de faire face à de multiples inculpations pénales et à des jugements civils en masse à son encontre au milieu d’une campagne électorale qui, par nature, est punitive et intense. Sera-t-il capable de résister à la pression ? Joe Biden, de quatre ans l’aîné de Trump, a l’air bien plus frêle et est à longueur de journée qualifié de sénile, sénescent, dément, faible, infirme… Trump répète régulièrement que Biden aurait eu besoin de cocaïne pour prononcer son discours enflammé sur l’état de l’Union en mars… Or malgré l’instabilité que l’on pourrait attendre d’un homme de 81 ans, Biden semble en bien meilleure forme que Trump — et les pressions qu’il subit sont d’ordre politique et non personnel. Si je devais parier sur laquelle de ces deux personnes âgées court le plus le risque de s’effondrer de manière spectaculaire avant l’élection, je miserais sur Trump.

La police de New York entre dans un étage du Hamilton Hall sur le campus de l’université Columbia à New York, mardi 30 avril 2024. © AP Photo/Craig Ruttle

Split screen : les campus et les tribunaux

Princeton, NJ, 13 mai 2024

Depuis quelques semaines, l’élection présidentielle se déroule par drames interposés : les deux candidats se retrouvent impliqués malgré eux dans des affaires dont l’issue est dans les deux cas largement indépendante de leur volonté. Pour Donald Trump, il s’agit de son procès pénal à New York. Pour Joe Biden, c’est la guerre à Gaza et l’agitation qui en résulte sur les campus américains.

Dans le premier cas, le drame est circonscrit et les acteurs sont connus. Depuis deux semaines, Trump est inconfortablement assis sur le banc des accusés et écoute jour après jour les procureurs présenter son dossier de falsification de documents commerciaux et les témoins relater les détails sordides de sa liaison avec l’actrice pornographique Stormy Daniels. L’ancien président publie chaque jour des messages sur son procès3 — qui varient de la colère à l’auto-apitoiement. Trump joue également un jeu dangereux avec le juge Juan Merchan : il a violé à plusieurs reprises ses intimations au silence, accumulé les amendes et mis au défi ce juriste expérimenté de l’emprisonner pour outrage à magistrat. Âgé de 78 ans, il n’a manifestement aucune envie de passer du temps dans une cellule de prison. Mais des images de lui en garde à vue pourraient enflammer sa base qui s’est déjà désintéressée du procès — à en juger par la poignée de partisans4 qui se rassemblent chaque jour devant le tribunal —, de sorte que cette option semble manifestement le tenter. Ces jours-ci, l’accusation appelle à la barre son principal témoin, l’ancien avocat de Trump Michael Cohen, et le procès doit encore durer plusieurs semaines. Il semble également de plus en plus certain qu’il s’agit de la seule affaire criminelle5 contre Trump qui pourrait voir son dénouement — ou même son commencement — avant l’élection.

Si le drame de Trump a un côté comique — avec les révélations6 sur son pyjama en satin et son penchant pour la fessée —, celui de Biden est tout à fait sérieux. La guerre de Gaza, avec ses plusieurs dizaines de milliers de morts palestiniens, a provoqué les plus grandes manifestations étudiantes aux États-Unis depuis les années 1960. Les manifestants eux-mêmes ont été accusés d’antisémitisme, divisant les campus et exerçant une pression sans précédent sur les administrations pour qu’elles appliquent des mesures disciplinaires strictes. Dans plusieurs établissements — l’université de Columbia7 en étant l’exemple le plus visible — la police est intervenue pour démanteler les « campements » de protestataires, expulser les étudiants des bâtiments occupés et procéder à des arrestations. Ces actions, à leur tour, ont suscité une intense colère de la part des étudiants. Une grande partie de cette colère s’est répercutée sur les élections, les étudiants condamnant « genocide Joe » pour l’aide américaine à Israël et pour avoir pris le parti des administrateurs de l’université au nom de la lutte contre une « montée féroce de l’antisémitisme »8 sur le campus. 

Si le drame de Trump a un côté comique celui de Biden est tout à fait sérieux.

David A. Bell

Cette colère aura-t-elle un effet sur l’élection ? C’est tout à fait possible.

Certes, les sondages continuent de montrer9 que la plupart des étudiants ne comptent pas la guerre parmi leurs principales préoccupations. Mais le parti démocrate a besoin d’étudiants militants non seulement pour voter pour Biden, mais aussi pour faire campagne pour lui et mobiliser les votes en novembre. Or à ce stade, Biden ne suscite pas beaucoup d’enthousiasme sur les campus — c’est le moins que l’on puisse dire.

Une telle situation a un précédent. En 2000, la campagne progressiste indépendante de Ralph Nader, qui avait réussi à attirer de nombreux étudiants activistes, avait coûté la présidence à Al Gore et conduit aux huit années désastreuses de l’administration Bush. Seize ans plus tard, la campagne encore plus extravagante de Jill Stein a probablement eu des conséquences cruciales dans plusieurs États clefs, contribuant à porter Donald Trump au pouvoir. Les quatre années de présidence Trump ont choqué la gauche progressiste, qui s’est rassemblée derrière Biden en 2020. Mais les gens ont la mémoire courte — et l’ambiance sur les campus est assez tendue.

À gauche, une nouvelle vision politique est en train de se former, qui considère les libéraux comme Biden non pas comme des alliés trop prudents et pusillanimes dans la lutte pour la justice sociale, mais comme des adversaires « néolibéraux » à part entière. Un article récent de Jacobin10, par exemple, se moque d’eux parce qu’ils voient dans le trumpisme une résurgence du fascisme. « Pour les libéraux, y lit-on, il est plus facile d’accuser le « fascisme » — ou la « rage rurale blanche » ou les « déplorables » ou les « nationalistes chrétiens » — d’être à l’origine des problèmes de notre pays que le néolibéralisme dérégulateur, financiarisé et militariste de Bill Clinton et Barack Obama. » Un essai paru dans The London Review of Books11 va plus loin, se demandant s’il y a vraiment une différence entre « un gouvernement libéral supposé progressiste » et Trump. Son auteur poursuit : « Il y a un refus des libéraux d’accepter la responsabilité du monde qu’ils ont créé, à travers leur soutien aux guerres au Moyen-Orient, leur acceptation de l’inégalité et de la pauvreté croissantes, les coupes dans les services publics, l’action climatique réduite au minimum et l’incapacité à créer des emplois stables et porteurs de sens. » L’influent historien Samuel Moyn a fourni une base intellectuelle à cette vision avec une série d’ouvrages — dont le plus récent est Liberalism Against Itself12 — qui reproche aux libéraux d’avoir abandonné une ancienne foi progressiste plus large et d’avoir accepté à la fois la spirale des inégalités et l’empire américain.

À gauche, une nouvelle vision politique est en train de se former, qui considère les libéraux comme Biden comme des adversaires à part entière.

David A. Bell

Cette vision nous semble biaisée et trompeuse13. La plupart des libéraux américains se sont opposés à la guerre en Irak et se sont battus avec acharnement sur la question des services publics et ou celle du changement climatique. Barack Obama a sorti les États-Unis d’Irak et a donné une assurance maladie à des millions de personnes. Joe Biden nous a sortis d’Afghanistan et a fait passer des lois importantes sur les infrastructures et le changement climatique. Mais la gauche progressiste considère ces réalisations très concrètes, accomplies malgré la résistance féroce des républicains dans un pays extrêmement polarisé, comme des demi-mesures sans conséquence — voire comme une complicité effective avec les forces sinistres du néolibéralisme et de l’empire. Ce courant considère également que ces mesures se trouveront éclipsées par le soutien de Joe Biden à Israël et par son approbation apparente du déploiement d’une police « militarisée » sur les campus universitaires. Cette vision trouve un écho chez les manifestants en colère qui trouvent qu’il est trop facile de présenter Biden comme le regrettable jouet des mégadonateurs milliardaires des universités, des fabricants d’armes et de Benjamin Netanyahou : le nœud où le néolibéralisme et l’empire américain se rejoignent. Un professeur d’histoire de l’université de Chicago s’est fait l’interprète de beaucoup en tweetant14 : « Je ne me réjouis pas d’une autre présidence Trump, mais je dois admettre que mon mépris pour Biden est désormais plus profond que pour Trump, qui n’est qu’un fasciste instinctif sans cervelle — contrairement à Biden, qui décide délibérément d’aligner le libéralisme américain sur l’extrême droite mondiale. » Les personnes qui pensent ainsi ne voteront peut-être pas pour Trump, mais elles ne risquent pas de faire grand-chose pour l’arrêter non plus.

Il est tout à fait possible qu’en novembre, ces manifestations pèsent moins lourd sur l’élection que cela ne semble être le cas aujourd’hui. Si Israël et le Hamas s’accordent sur un cessez-le-feu, si la convention démocrate de Chicago se déroule sans perturbations majeures et si la réalité d’une seconde administration Trump commence à se faire jour, les étudiants pourraient bien oublier leurs slogans de « genocide Joe » et œuvrer pour une victoire démocrate. Si Donald Trump se présente à l’élection comme un criminel condamné, libéré sous caution dans l’attente de sa sentence tandis que ses discours deviennent encore plus délirants et paranoïaques — si c’est encore possible — alors l’élection pourrait basculer en faveur de Biden. Mais à ce stade, tout est encore possible. Les sondages les plus récents15 indiquent une élection qui pourrait se jouer à pile ou face.

À ce stade, tout est encore possible.

David A. Bell

Le seul autre événement électoral notable de ces dernières semaines nous ramène à de la basse comédie : les manœuvres désespérées des Républicains pour devenir le candidat de Trump à la vice-présidence. 

Kristi Noem, l’explosive gouverneure du Dakota du Sud, semblait en bonne position dans les sondages, malgré les histoires sur sa liaison adultère16 avec l’ancien collaborateur de Trump, Corey Lewandowski. Mais elle a probablement coulé ses chances avec la publication de ses mémoires où elle se vante d’avoir abattu un chien de 14 mois difficile à dresser dans une carrière de gravier17. Le sénateur Tim Scott, qui semble avoir dépassé même son collègue de Caroline du Sud Lindsay Graham dans le concours du « partisan le plus obséquieux de Trump », dit maintenant en substance que l’élection ne sera pas légitime18 si Trump ne gagne pas. Mais pour l’instant, les paris se tournent vers la représentante de New York, Elise Stefanik, une ancienne modérée (et ancienne élève de Harvard) devenue la Grande Inquisitrice de la Ivy League19. Si Trump, l’emportait en novembre, elle pourrait bien devenir la première femme présidente des États-Unis.

© AP Photo/Rebecca Blackwell

Pourquoi Trump est dans une dynamique favorable

Princeton, NJ, 8 mars 2024

Ces deux dernières semaines, les chances de voir Donald Trump revenir au pouvoir se sont considérablement renforcées. Trois raisons l’expliquent.

Tout d’abord, Trump vient d’établir sans conteste sa domination absolue sur le Parti républicain. Ses membres le soutiendront avec euphorie en novembre. Sa victoire écrasante aux primaires républicaines lui a permis d’éliminer Nikki Haley dans tous les scrutins à l’exception des circonscriptions plutôt libérales de Washington D.C. et du Vermont. Après ses défaites cuisantes du « Super Tuesday », Nikki Haley a fini par abandonner. Si elle n’a pas encore cédé jusqu’à soutenir Trump, elle n’hésitera pas à le faire une fois que ses attaques acides contre celui qu’elle avait surnommé le « candidat du chaos, mentalement inapte »20 appartiendront au passé. 

Ensuite, Trump a bénéficié de deux décisions très importantes de la Cour suprême. Le 28 février, les juges ont accepté de repousser jusqu’à la dernière date possible de leur mandat, le 25 avril, l’audition qui devrait débattre de son immunité pour sa tentative d’entraver les résultats de l’élection de 2020. S’ils attendent, comme c’est probable, jusqu’à la fin du mois de juin pour rendre leur décision, il sera sans doute impossible d’organiser un procès fédéral pour cette accusation avant l’élection. Puis le 4 mars, les juges ont annulé la décision de la Cour suprême du Colorado d’exclure Trump du scrutin dans cet État — ce que la Cour prétendait légitime, puisque le 14e amendement interdit aux « insurgés » d’occuper des fonctions fédérales.

Sur les quatre affaires dans lesquelles Trump fait l’objet de poursuites pénales, seule la plus faible et la moins nuisible est encore susceptible de se conclure avant l’élection.

David A. Bell

Sur les quatre affaires dans lesquelles Trump fait l’objet de poursuites pénales, seule la plus faible et la moins nuisible est encore susceptible de se conclure avant l’élection. Il s’agit de la falsification de documents achetant le silence d’une actrice pornographique, Stormy Daniels, avec laquelle Trump a eu une liaison adultère. Le procès qui se tient à New York devrait débuter fin mars. Une autre procédure en Géorgie liée aux tentatives de renversement des élections de 2020 est en suspens en raison des accusations de corruption à l’encontre du procureur général. Aucune date n’a par ailleurs encore été fixée pour le procès portant sur les violations de sécurité liées à des documents présidentiels. La juge chargée de cette affaire, Eileen Cannon, nommée par Trump, a fait jusqu’à présent tout ce qui était en son pouvoir pour retarder l’audience. En bref, la possibilité que Trump se présente devant les électeurs en novembre en ayant été condamné s’est très nettement affaiblie.

La troisième raison, aussi étonnant que cela puisse paraître, est l’économie. Un nouveau sondage de CBS News21 révèle que 59 % des Américains qualifient la situation économique actuelle de « mauvaise » et seulement 38 % de « bonne ». En revanche, 65 % des Américains considèrent que l’économie sous Trump était « bonne », et seulement 28 % qu’elle était « mauvaise ». Bill Clinton était peut-être un peu schématique lorsqu’il disait que « seule l’économie compte » en 1992. Mais en temps de paix — et les États-Unis sont toujours en temps de paix, malgré l’aide apportée à Israël et à l’Ukraine —, les préoccupations économiques comptent plus que tout autre sujet dans les élections présidentielles.

On peut s’étonner que les Américains considèrent que l’économie va mal, mais ce ressenti repose sur une réalité. Les statistiques sont certes très positives : la croissance du pays est élevée, le taux de chômage faible, le marché boursier connaît des records, et l’inflation s’est ralentie juste au-dessus des 3 %. Sous Trump, en revanche, la pandémie a fait grimper le taux de chômage jusqu’à 15 % et entraîné une baisse temporaire du PIB de 9 %.

On peut s’étonner que les Américains considèrent que l’économie va mal, mais ce ressenti repose sur une réalité.

David A. Bell

Mais à y regarder de plus près, on observe que relativement peu d’Américains ont souffert de la récession économique provoquée par la pandémie grâce aux 6 000 milliards de dollars du fonds de relance, dont plus de 800 milliards de dollars ont été versés directement aux Américains à faibles et moyens revenus, et grâce à une augmentation massive des allocations chômage. Dans les faits, nombre d’entre eux s’en sont étonnamment bien sortis, y compris et surtout les enfants. En 2022, grâce aux prestations liées à la pandémie, le niveau de pauvreté des enfants a atteint le chiffre record de 5,2 %22. Un an plus tard, après la fin de ces prestations, il s’élevait à 12,4 %. Biden n’est pas responsable de cette situation, mais on comprend facilement comment cette situation peut informer l’opinion.

Pendant ce temps, un élément clef du bien-être — le logement — est devenu presque inabordable pour de nombreux Américains. Comme le rapporte la revue Democracy23 : « Les prix des logements ont augmenté de près de 45 % depuis 2020, soit plus du double de l’augmentation enregistrée au cours des deux administrations précédentes. Les loyers ont augmenté en moyenne de 22 %. » Ces changements ont touché de plein fouet une partie de la société dont Biden cherche désespérément les voix : les jeunes adultes. Les prix des restaurants ont également augmenté massivement depuis 202024. Les Américains ont donc beaucoup plus de mal à joindre les deux bouts que les chiffres optimistes ne le suggèrent — et ils en accusent évidemment l’occupant actuel de la Maison Blanche.

D’autres raisons expliquent bien sûr ces sombres perspectives électorales, notamment l’âge et la fragilité apparente de Biden, ainsi que le mécontentement suscité par sa politique étrangère. Mais ces éléments sont moins importants que la transformation du Parti républicain en un mouvement entièrement au service de Trump, la diminution de ses chances de condamnation, et surtout les perspectives économiques. Les sondages les plus récents placent Trump cinq points au-dessus de Biden au niveau national25 et en tête dans sept États cruciaux26. Nous verrons si le discours combatif de Biden sur l’état de l’Union, prononcé le 8 mars, peut changer la dynamique de la course. Il a peut-être fortifié certains démocrates, et rassuré des électeurs incertains sur la santé physique et mentale du président. Mais les discours isolés sont rarement déterminants pour inverser le cours d’une campagne présidentielle. Est-il trop tôt pour paniquer ? Peut-être pas.

Le président Joe Biden s’adresse aux journalistes en sortant d’une messe à l’église de St. Edmund à Rehoboth Beach (Delaware), le samedi 17 février 2024. © AP Photo/Alex Brandon

Une élection à la merci des avocats et des experts médicaux

Princeton, NJ, 18 février 2024

Comme c’était prévisible, la campagne présidentielle de ces deux dernières semaines a largement investi les tribunaux. Mais elle est aussi en train de passer dans une autre arène plus inhabituelle : la médecine gérontologique.

En théorie, une véritable campagne pour les primaires se déroule encore du côté républicain. Malgré ses défaites face à Donald Trump dans l’Iowa et le New Hampshire, Nikki Haley a refusé de céder à celui qui la traite de « cervelle d’oiseau » et de « Nimbra » — une déformation délibérée de son nom de naissance, Nimarata Nikki Randhawa. Elle a mis tous ses espoirs dans une bonne performance lors de la primaire républicaine du 24 février en Caroline du Sud, son État d’origine.

Selon les sondages, elle y a gagné quelques soutiens au cours des deux dernières semaines, passant d’environ 25 % à 30 %. Malheureusement pour elle, les mêmes sondages voient Trump remporter 65 % des voix dans l’État. À moins d’un développement inattendu, la Caroline du Sud marquera l’enterrement de sa campagne et le couronnement de Trump en tant que candidat républicain incontesté.

Nikki Haley tente désespérément de présenter Donald Trump comme un homme erratique, confus et chaotique. Mais les électeurs républicains ont vu de nombreuses preuves de ces qualités chez Trump depuis de nombreuses années. S’ils ne se sont pas encore détournés de lui, il est peu probable qu’ils le fassent maintenant.

L’attention s’est beaucoup plus portée sur le nombre étonnamment élevé d’affaires judiciaires dans lesquelles Trump est impliqué : le jury qui lui a infligé une amende de 83 millions de dollars pour avoir diffamé E. Jean Carroll, la femme qui l’avait accusé de l’avoir violée dans les années 1990 ; le jugement à New York pour fraude dans des transactions immobilières pour lequel il a été condamné à 355 millions de dollars ; et l’affaire actuellement examinée par la Cour suprême, qui doit déterminer si les États ont le droit — ou peut-être l’obligation — de retirer Trump de leurs bulletins de vote pour l’élection présidentielle parce qu’il s’est livré à une « insurrection ». Cette dernière affaire dépendra de la manière dont la Cour interprétera le quatorzième amendement de la Constitution, initialement rédigé pour empêcher les anciens Confédérés d’exercer des fonctions fédérales.

Si les électeurs républicains ne sont pas encore détournés de Trump, il est peu probable qu’ils le fassent maintenant.

David A. Bell

D’autre part, Donald Trump affirme qu’il bénéficie d’une immunité générale pour les actes qu’il a accomplis en tant que président, ce qui le mettrait à l’abri d’un procès en tant qu’insurrectionniste. Une cour d’appel fédérale a rejeté cette demande, mais cette affaire est elle aussi en passe d’être portée devant la Cour suprême. Il y a également les affaires pénales en cours contre Trump : pour incitation à l’insurrection et tentative de renversement des résultats des élections au niveau national ; pour avoir tenté de faire la même chose en Géorgie ; pour gestion inappropriée de documents classifiés ; pour fraude commerciale lorsqu’il a utilisé des fonds de campagne pour acheter le silence d’une star du porno avec laquelle il avait eu une liaison, etc.

Dans la plupart de ces affaires, Trump utilise la même stratégie qu’il a perfectionnée pendant de nombreuses années en tant que magnat véreux de l’immobilier confronté à des poursuites de la part d’entreprises, de travailleurs et de locataires : retarder, encore retarder, toujours retarder. Il demande à de coûteux avocats d’utiliser toutes les ruses juridiques possibles pour faire traîner les affaires en longueur, jusqu’à ce que la partie adverse finisse par abandonner. Surtout, Trump veut par tous les moyens empêcher les procès d’aboutir — ou, idéalement, de commencer — avant les élections de novembre.

Les États-Unis sont donc confrontés à une situation étrange : le choix de leur prochain président pourrait bien dépendre de pointilleuses questions de procédure très techniques et de la manière dont les avocats de Donald Trump les exploitent. Le pays a déjà connu une situation similaire. En 2000, la décision de la Cour suprême de donner l’élection à George W. Bush dépendait également de questions techniques de droit électoral, de procédure juridique et de la manière de lire de minuscules bulletins de vote en papier dans l’État de Floride. S’il semble que le destin d’une république ne devrait pas dépendre de questions aussi infimes, c’est bel et bien le cas.

Trump veut empêcher les procès d’aboutir — ou, idéalement, de commencer — avant les élections de novembre

David A. Bell

Pendant ce temps, le monde politique s’agite autour d’un rapport rédigé par un autre procureur spécial, un avocat nommé Robert K. Hur que le département de la Justice avait chargé d’enquêter sur la gestion de documents classifiés par le président Biden. Alors que Donald Trump fait face à de multiples accusations pour le même délit, Hur a exonéré Biden de toute responsabilité criminelle. Mais il a également décrit le président comme « un homme âgé à la mémoire défaillante », et a affirmé que Biden semblait confus lors de leurs entretiens, ayant du mal à se souvenir de dates importantes, notamment celles de sa propre vice-présidence et de la mort de son fils Beau. Il n’est pas surprenant que les Républicains se soient emparés avec allégresse de ce rapport comme preuve de la sénilité de Joe Biden et de son inaptitude à la fonction, tandis que les commentateurs démocrates et centristes se sont tordus les mains.

Ces accusations de sénilité sont infondées. Joe Biden est un homme de 81 ans dont la mémoire flanche parfois, comme on peut s’y attendre à son âge. Il déjà avait la réputation — bien méritée — de commettre des gaffes et des maladresses verbales avant d’atteindre le troisième âge. Il rencontre des dizaines de personnes par jour, et il est difficile de croire qu’elles sont toutes de connivence pour étouffer la nouvelle d’une grave déficience mentale. Il y a quelques semaines, il a par exemple déjeuné avec un groupe d’historiens, dont plusieurs que je connais personnellement. Ils ont déclaré qu’il écoutait attentivement et posait des questions intelligentes. Mais il a l’air fragile et incertain, et il suffit d’enchaîner trois ou quatre séquences de ses faux pas verbaux et/ou physiques pour qu’il ait l’air tout à fait gaga.

Il a réduit ses apparitions dans la presse pour éviter de fournir davantage de ces clips, ce que ses adversaires ont saisi comme une preuve supplémentaire qu’il serait, en réalité, un vieillard baveux inapte à se présenter en public. Trump commet régulièrement beaucoup plus d’erreurs et de dérapages verbaux que Biden, mais grâce à sa vigueur et à son endurance indéniables, il ne paraît pas du tout aussi vieux — il n’a en fait quatre ans de moins.

Contrairement à Trump, Biden ne dispose pas d’un noyau dur de partisans fanatiques qui le considèrent comme un sauveur, voire comme un croisement bizarre entre Jésus et Superman.

David A. Bell

Les médias ont couvert ce rapport de manière obsessionnelle, ignorant largement le fait que Hur est proche de candidats républicains et qu’il a été nommé par le procureur général Merrick Garland de manière bipartisane. Ils ont également minimisé le fait le plus important de l’affaire : à savoir que Robert K. Hur n’a trouvé aucune raison d’accuser Biden de mauvaise gestion de documents classifiés, alors que Trump est visé par 37 chefs d’accusation et encourt une peine de 20 ans de prison pour le même délit. La couverture médiatique n’a que trop rappelé le moment où, peu avant les élections de 2016, James Comey, alors directeur du FBI, avait exonéré Hillary Clinton des accusations liées à l’utilisation d’un serveur de messagerie privé pour les affaires officielles du département d’État tout en critiquant vivement son comportement. Les médias s’étaient alors davantage concentrés sur les critiques que sur l’exonération, ce qui a considérablement contribué à la défaite de Clinton.

Biden a énormément à perdre dans cette affaire. Comme Clinton, et contrairement à Trump, il ne dispose pas d’un noyau dur de partisans fanatiques qui le considèrent comme un sauveur, voire comme un croisement bizarre entre Jésus et Superman. De son côté, les poursuites engagées contre Trump ont en fait contribué à consolider son soutien au sein du Parti républicain, même si elles pourraient encore lui nuire auprès de l’électorat en général, en particulier si un jury le déclare coupable d’un crime avant l’élection.

Mais les rapports sur l’état mental diminué de Joe Biden ne lui sont d’aucun secours. Elles font fuir certains électeurs au profit de son adversaire et en incitent d’autres à ne pas voter du tout. Les dégâts pourraient-ils être suffisamment graves pour obliger Joe Biden à se retirer de la campagne ? Le chroniqueur du New York Times Ross Douthat a suggéré que Joe Biden annonce son retrait juste avant la convention démocrate qui se tiendra cet été à Chicago, ce qui permettrait aux délégués de choisir un candidat plus jeune et plus énergique27. C’est une perspective tentante, mais le processus électoral américain semble être devenu trop sclérosé, si bien qu’un effet d’inertie rend difficilement crédible cette hypothèse. Malheureusement, à ce stade, la seule chose qui pourrait empêcher les États-Unis d’avoir à choisir entre Donald Trump et Joe Biden en novembre prochain serait une crise médicale majeure — voire pire.

Le candidat républicain à la présidence, l’ancien président Donald Trump, s’exprime lors d’un événement de campagne, samedi 27 janvier 2024, à Las Vegas. © AP Photo/John Locher

L’élection la plus explosive de l’histoire

Princeton, NJ, 28 janvier 2024

Le plus grand talent de Donald Trump tient à sa capacité inégalée à attirer l’attention sur lui. Celle-ci peut autant être inspirée par la consternation que par l’admiration. Ses victoires dans l’Iowa et le New Hampshire n’ont fait que renforcer la place incontournable qu’il occupe au cœur de la plupart des médias américains. Cette attention est en grande partie justifiée, étant donné l’impact extraordinairement destructeur de Trump sur la politique américaine. Mais elle détourne également l’attention des autres forces en présence dans l’élection de 2024.

Est-ce simplement la faute de Trump que les courses aux nominations présidentielles des deux principaux partis sont quasiment terminées avant même d’avoir véritablement commencé ? L’Iowa et le New Hampshire marquent traditionnellement le début des primaires, non leur terme. Ce n’est pas le cas en 2024. Joe Biden n’a pas eu d’adversaires sérieux. Trump en a eu plusieurs, mais son triomphe dans le New Hampshire, un État du nord modéré où les électeurs indépendants peuvent voter pour le parti républicain, élimine la dernière d’entre eux, Nikki Haley : si elle jure qu’elle est encore dans la course, ce ne sera plus le cas pour très longtemps. Ron DeSantis avait dit la même chose après avoir été humilié par Trump dans l’Iowa — jusqu’au moment où il s’est retiré.

Le triomphe de Trump dans le New Hampshire élimine Nikki Haley. 

David A. Bell

Il n’est pas si inhabituel qu’un président sortant ne trouve pas vraiment d’opposition sur le chemin de la nomination. Mais pourquoi les primaires républicaines se sont-elles arrêtées si tôt ? Pour de nombreux commentateurs américains, l’explication est simple : le parti républicain ne serait plus un parti politique normal, mais une secte fasciste ou fascistoïde. Quoi que dise Donald Trump, quels que soient son bilan erratique en tant que président, les inculpations dont il fait l’objet, ou encore les révélations faites à son sujet, ses « fidèles MAGA » resteront derrière lui. Ils partageront sa soif de vengeance et applaudiront ses pires instincts et ses projets criminels. Certains d’entre eux le considèrent littéralement comme l’oint du Seigneur.

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Cette explication est pourtant trop simple. Il est vrai que les hommes et les femmes qui se pressent aux rassemblements de Trump, décorant leurs maisons et leurs voitures de drapeaux à sa gloire, donnent parfois l’impression d’être membres d’une secte. Mais, si elle est importante, seule une minorité d’électeurs de Trump entre dans cette catégorie. Pour les autres, les raisons de leur choix sont plus prosaïques. Ils considèrent que Trump a eu un bilan positif en tant que président et qu’il est le candidat le plus solide pour affronter Joe Biden. Ils ne prennent pas au sérieux sa rhétorique débridée. En ce qui concerne les mises en accusation, les inculpations et les tentatives d’annulation de l’élection de 2020, ils ne souscrivent pas à la version des faits de Trump mais n’acceptent pas non plus celle des grands médias. Fox News, ainsi qu’un grand nombre de chaînes de radio et de sites Internet, ont fini par créer un brouillard électoral fait de désinformation, de fausses pistes et de théories du complot — si bien que de nombreux républicains relativement modérés n’ont aucun mal à rejeter les accusations portées contre Trump, estimant qu’elles ne seraient pas démontrées, ou pensant que les démocrates auraient fait la même chose, voire pire. Bref, ils votent pour Trump pour des raisons relativement « normales ».

Qu’en est-il de la campagne électorale générale qui commence effectivement neuf mois avant l’élection ? Elle risque d’être la plus coûteuse, la plus clivante et tout simplement la plus explosive que les États-Unis aient jamais connue. Peut-on en attribuer la responsabilité à Donald Trump ? En partie, sans aucun doute. Mais pas entièrement. Une autre raison, plus structurelle, est également à l’œuvre : une combinaison fatale du système électoral américain et de l’importance sans cesse croissante des réseaux sociaux.

La majorité des électeurs de Trump votent pour lui pour des raisons relativement « normales ».

David A. Bell

Pour un Américain qui a grandi avec ce système électoral — ce qui est mon cas —, il est parfois commun d’oublier à quel point il est bizarre et absurde. Les campagnes commencent véritablement près de deux ans avant l’élection, lorsque les candidats forment des comités exploratoires et commencent à collecter des fonds. Mais la plupart des candidats crédibles abandonnent avant même qu’un seul vote n’ait eu lieu, en raison de la médiocrité des sondages et de leur difficulté à collecter des fonds — cette année, un ancien vice-président, Mike Pence, a fait partie de ce groupe. L’attention se porte ensuite sur le New Hampshire, un État du Nord-Est peu représentatif, où moins de la moitié des personnes ayant le droit de voter aux primaires républicaines se rendent effectivement aux urnes. Cette année, la course républicaine a été effectivement décidée après que moins 450 000 personnes ont voté, et ce dans seulement deux États. Au total, c’est bien moins d’1 % des adultes américains s’identifiant comme Républicains qui ont joué d’avance la primaire.

Une personne prend une photo d’un écran avant que le candidat républicain à la présidence, l’ancien président Donald Trump, ne prenne la parole lors d’un meeting à Las Vegas. © AP Photo/John Locher

Lors de la campagne pour les élections générales, les deux candidats consacrent une part largement disproportionnée de leur campagne à une poignée d’États. Cette année, ils seront sept : Arizona, Géorgie, Michigan, Nevada, Caroline du Nord, Pennsylvanie et Wisconsin. Ensemble, ils représentent moins de 20 % de la population américaine. Dans la plupart des autres États, l’un ou l’autre parti dispose déjà d’une majorité inébranlable, de sorte que les candidats les ignorent le plus souvent. C’est la rançon du collège électoral : Joe Biden peut gagner la Californie avec une marge d’un ou de 15 millions d’habitants. Dans les deux cas, il obtiendra le même nombre de grands électeurs. Pour cette raison, il est fort possible que Trump remporte à nouveau l’élection tout en perdant le vote populaire.

Tous les quatre ans, les mêmes arguments sont avancés pour défendre ce système absurde. Pour un travail aussi difficile que la présidence, dit-on, la durée de la campagne constitue un test d’endurance nécessaire. L’importance accordée à l’Iowa et au New Hampshire oblige les candidats à établir un contact personnel avec les électeurs et à s’engager dans une forme de politique de proximité. Le collège électoral protégerait les intérêts des petits États. Enfin, les États-Unis ne seraient pas une démocratie, mais une république constitutionnelle.

Aucun de ces arguments ne tient la route. D’autres démocraties se débrouillent parfaitement avec des campagnes plus courtes. Pourquoi le contact direct avec le même petit nombre d’électeurs profondément non représentatifs tous les quatre ans devrait-il peser plus lourd que le fait de donner à tous les autres électeurs la possibilité de s’exprimer ? Pourquoi les intérêts des petits États devraient-ils peser plus lourd que ceux des grands États, beaucoup plus peuplés ? (La Californie compte plus d’habitants que les 22 plus petits États réunis). Si les États-Unis ont effectivement été fondés comme une « démocratie représentative », selon les mots d’Alexander Hamilton et si les fondateurs se méfiaient d’une politique démocratique débridée, ils ont rédigé la Constitution de manière à encourager une forme responsable de règle de la majorité. Or le système que nous connaissons aujourd’hui a non seulement permis à une minorité de remporter deux des six élections organisées au cours de ce siècle, mais il a également exclu la grande majorité des citoyens américains de tout rôle significatif dans le processus électoral. 

Pourquoi les intérêts des petits États devraient-ils peser plus lourd que ceux des grands États, beaucoup plus peuplés ?

David A. Bell

Dans ce système alambiqué et absurde, la victoire dépend de deux choses : augmenter le taux de participation et persuader les électeurs susceptibles de changer d’avis, principalement dans un petit nombre d’« États clefs » — les battleground states. Dans le premier cas, il s’agit essentiellement de persuader les électeurs déjà enclins à voter pour un candidat de se rendre au bureau de vote. Dans le second cas, il faut atteindre des électeurs qui, pour la plupart, n’ont guère prêté attention à la campagne et ne connaissent probablement pas grand-chose aux questions en jeu. Dans les deux cas, la technique la plus efficace consiste à faire appel aux émotions primaires, en particulier la peur. Si la vérité doit être déformée, tordue, écrasée ou mise en pièces pour susciter la peur plus efficacement, c’est le prix de la victoire.

C’est là que les réseaux sociaux entrent en jeu. Les Américains de moins de 44 ans s’informent aujourd’hui davantage par les réseaux sociaux que par toute autre source. Ceux-ci présentent deux caractéristiques qui ne manqueront pas d’exacerber l’alarmisme démesuré que le système électoral favorise déjà tant. Premièrement, ils mettent toutes les « sources d’information » sur le même plan, ce qui incite les utilisateurs à leur accorder le même degré de crédibilité : un article provenant d’un grand média réputé apparaîtra dans le fil d’actualité entre une vidéo d’un conspirationniste fou et un spot de campagne mensonger. Deuxièmement, les sites sont conçus pour donner aux utilisateurs toujours plus de contenu tiré de ce qu’ils aiment. Pendant que vous êtes en train de regarder un clip de Fox News, le site vous en suggère six autres, chacun d’entre eux renforçant l’idée que Joe Biden serait un dictateur astucieusement maléfique ; mais aussi un idiot sénile — allez savoir. C’est le résultat de la recherche de profit de ces plateformes. Elles ont été ajustées et réajustées pour produire la réponse la plus forte, et elles le font avec une efficacité féroce. L’effet de ces vidéos sensationnalistes et alarmistes, destinées en premier lieu aux électeurs apathiques et indécis des États clefs, ne sera néanmoins pas limité à ces derniers : elles circuleront dans tout le pays, faisant monter la tension politique et creusant encore davantage le fossé entre les partis.

Dans cette compétition fondée sur la peur, Démocrates et Républicains ont chacun avantage. Les Démocrates, pour dire les choses simplement, ont un plus grand degré de vérité de leur côté : Donald Trump constitue réellement une menace pour la république. C’est un narcissique pathologique, un criminel qui ment aussi facilement qu’il respire et qui cherche le pouvoir à tout prix. Les Démocrates n’ont pas besoin d’exagérer le moins du monde pour faire valoir ce point de vue. Les Républicains, en revanche, bénéficient d’un appareil médiatique bien plus habile et puissant, mené par Fox News, qui n’hésite pas à mentir de manière flagrante pour présenter Biden et les Démocrates comme la véritable menace. Les prédictions apocalyptiques accompagnées d’une basse continue sinistre faite d’images de violence et de ruine, fusent déjà des deux côtés. Quel sera le résultat ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais le terme « explosif » est malheureusement un euphémisme pour décrire la situation. Et si Donald Trump a considérablement exacerbé les tensions, il n’est pas le seul responsable. Même lorsqu’il quittera — enfin — la scène, les choses ne reviendront pas à la « normale ».

Donald Trump comparaît devant la Cour suprême à Manhattan pour les plaidoiries finales dans son procès pour fraude civile, le jeudi 11 janvier 2024. © Jefferson Siegel/Pool/Sipa USA

Princeton, NJ, 14 janvier 2024

Dans une démocratie, c’est le peuple qui décide, pas les tribunaux

Les élections présidentielles sont des moments de drame et d’incertitude. Les candidats peuvent surgir d’un relatif anonymat et se frayer un chemin vers la Maison Blanche, comme Jimmy Carter en 1976 ou Barack Obama en 2008. Les favoris peuvent voir leurs chances s’évaporer sous l’effet de scandales ou de gaffes, comme Gary Hart en 1988 — scandale sexuel — ou Howard Dean en 2004 — pour comportement étrange. Une seule phrase mémorable — par exemple Ronald Reagan disant « I am paying for this microphone » lors du débat des primaires du New Hampshire en 1980 ; ou Walter Mondale demandant « Where’s the beef ? » contre Hart en 1984 —, ou encore une image télévisée désastreuse — Michael Dukakis essayant sans succès de diriger un char d’assaut en 1988 — peuvent faire plus de différence qu’une centaine d’axes programmatiques soigneusement rédigés par des armées de conseillers.

L’élection de 2024 promet d’être tout aussi dramatique que les précédentes, donc. Mais par un rebondissement totalement inédit dans l’histoire des États-Unis, le drame principal des prochains mois se déroulera très probablement dans les tribunaux, et non au fil des meetings de la campagne. De fait, les deux grands partis ont déjà leurs candidats présumés. Lorsque les primaires commenceront lors du caucus de l’Iowa, demain, le 15 janvier — dans un froide presque polaire — le seul drame, très subsidiaire, sera de savoir lequel des seconds couteaux du parti républicain accrochera la seconde position dans la course à l’investiture — loin derrière Donald Trump. Car pour ce qui est des scandales et des gaffes, Donald Trump s’est déjà montré totalement imperméable à leurs effets, du moins parmi ses fidèles partisans MAGA, alors que pratiquement tout ce qu’il dit ou affiche aurait détruit une campagne présidentielle normale. Et comme le président Biden se comporte avec la prudence qui sied à un octogénaire marchant sur la pointe des pieds au bord d’une falaise, les scandales et les gaffes semblent quant à eux peu probables du côté démocrate.

Les décisions prises par les tribunaux ont la possibilité de modifier profondément la course électorale.

David A. Bell

En revanche, les décisions prises par les tribunaux ont la possibilité de modifier profondément la course électorale. Dans quelques mois, la Cour suprême des États-Unis se prononcera probablement sur la décision de la Cour suprême du Colorado interdisant à Trump de participer au scrutin dans l’État en vertu de la disposition du quatorzième amendement relative à l’exclusion des personnes qui « se sont engagées dans une insurrection ». Dès la fin du mois de janvier, une cour d’appel fédérale se prononcera sur une requête des avocats de Trump invoquant l’immunité absolue pour ses actions en tant que président, ce qui annulerait le procès fédéral intenté contre lui par le procureur Jack Smith pour subversion électorale, dont le début est actuellement prévu pour le 4 mars. La décision de la cour d’appel sera probablement portée devant la Cour suprême. L’ancien Président est accusé d’avoir falsifié des documents commerciaux concernant des pots-de-vin versés à la star du porno Stormy Daniels, dans le cadre d’une procédure qui devrait débuter le 25 mars à New York, et d’avoir commis une grave erreur dans la manipulation de documents secrets, dans le cadre d’une procédure fédérale dont l’ouverture est prévue le 20 mai. D’autres poursuites pénales pour subversion électorale, en Géorgie, n’ont pas encore de date de procès. Par ailleurs, Trump doit faire face à des poursuites civiles dans une affaire de diffamation intentée par sa victime présumée de viol, E. Jean Carroll, dans le cadre d’un procès qui débutera le 16 janvier, ainsi qu’à une décision dans une affaire de fraude à New York, dans laquelle le juge Arthur Engoron l’a déjà déclaré, ainsi que ses partenaires, responsables et pourrait leur imposer une amende pouvant atteindre 250 millions de dollars. Il est également possible que le président Biden soit confronté à un autre type de procédure judiciaire : un vote de destitution à la Chambre des représentants, contrôlée par les républicains.

Dans le pire des cas pour Trump, le jour de l’élection, il aura été reconnu coupable de crimes et devra purger une peine de prison ; les affaires civiles auront en grande partie détruit son empire commercial et les États où se déroulent les élections l’auront exclu du scrutin. Dans le meilleur des cas, les affaires pénales n’auront pas encore fait l’objet d’un procès ou se seront soldées par une relaxe, et tandis que les affaires civiles n’auront pas ou peu causé de dommages, la Cour suprême aura annulé la décision du Colorado et assuré sa présence sur les bulletins de vote de tous les états. Quelles qu’elles soient, les décisions des tribunaux seront à la fois extrêmement spectaculaires et lourdes de conséquences.

Quelles qu’elles soient, les décisions des tribunaux seront à la fois extrêmement spectaculaires et lourdes de conséquences.

David A. Bell

Que l’on aime ou que l’on déteste Donald Trump, il est difficile de ne pas déplorer la tournure que prennent les événements. Dans une démocratie, c’est le peuple qui décide, pas les tribunaux. Si la Cour suprême confirme la décision du Colorado (ce qui est improbable, mais pas totalement impossible) et que les états où se déroulent les élections excluent Trump, une grande partie de l’électorat considérera l’élection comme fondamentalement illégitime, ce qui n’est en aucun cas sain pour la démocratie américaine. Si une série de condamnations pénales devait, d’une manière ou d’une autre, forcer Trump à quitter la course, le résultat serait en fait le même. Oui, on peut affirmer que face à un candidat aussi nocif, voire potentiellement tyrannique que Donald Trump, des moyens non démocratiques peuvent s’avérer nécessaires pour sauver la démocratie, mais ce recours est en lui-même lourd de périls.

Un drapeau de à l’ancien président et actuel candidat républicain Donald Trump flotte devant une maison à Des Moines, dans l’Iowa. Le caucus de l’Iowa de 2024 commence ce lundi 15 janvier. © Bryon Houlgrave/Shutterstock

En théorie, le parti républicain a beaucoup moins le droit de se plaindre de l’influence de la justice sur les élections que les démocrates. Il s’agit d’un parti dont les principaux idéologues aiment à affirmer régulièrement que les États-Unis ne sont pas une démocratie, mais une république constitutionnelle, afin de justifier des choses telles que l’attribution de deux sénateurs chacun à la Californie démocrate et au Wyoming républicain, en dépit de la disparité de population de soixante-sept pour un entre les deux états. C’est aussi un parti dont les candidats à la présidence, au cours de ce siècle, ont gagné deux fois les élections tout en perdant le vote populaire, grâce au collège électoral. C’est un parti dont la victoire en 2000 (Bush sur Gore) n’a été possible que grâce à un arrêt de la Cour suprême des États-Unis. 

Mais la cohérence n’est pas le point fort de ce parti.

Pour les démocrates, en revanche, il existe d’importantes raisons pratiques et de principe de regretter que le chemin vers la Maison Blanche passe actuellement par les tribunaux. Et ce n’est pas seulement parce que les différentes affaires ont donné une forte dynamique à Trump et à ses partisans et apporté une forme de crédibilité à l’idée que l’État profond et les élites américaines utiliseraient des moyens illégitimes pour l’empêcher de revenir à la présidence. La tournure judiciaire de l’élection envoie également le message — pas si subliminal — qu’un Joe Biden profondément impopulaire ne peut pas être réélu sur la base de ses propres mérites.

La tournure judiciaire de l’élection envoie également le message — pas si subliminal — qu’un Joe Biden profondément impopulaire ne peut pas être réélu sur la base de ses propres mérites.

David A. Bell

Ironiquement, la procédure judiciaire la plus susceptible d’aider Biden est celle qui le viserait lui, plutôt que Trump. Le 13 décembre, la Chambre des représentants a voté, à l’unanimité des partis, en faveur de l’ouverture d’une enquête officielle de destitution à l’encontre du président. Ils n’avaient aucune raison de le faire. Les accusateurs républicains affirment, sans la moindre preuve, que Joe Biden est intervenu comme corrupteur dans diverses affaires alors qu’il était vice-président, entre 2009 et 2017, afin d’aider les entreprises de son fils Hunter. Cependant, même si ses accusateurs parviennent à trouver des preuves qu’ils peuvent utiliser d’une manière ou d’une autre pour l’inculper, certaines personnalités du parti républicain — par exemple, le sénateur Markwayne Mullin de l’Oklahoma — ont déjà averti la Chambre qu’elle ne peut pas légalement mettre en accusation un président pour des infractions commises avant qu’il ne prenne ses fonctions. Quand bien même la commission judiciaire de la Chambre des représentants finissait par recommander la mise en accusation à l’ensemble de la Chambre, les républicains risquent de ne pas obtenir les votes nécessaires, compte tenu de leur faible majorité — de 219 voix contre 213. Et même si la Chambre des représentants devait prononcer la destitution de Biden, le Sénat ne parviendra certainement pas à prononcer sa condamnation par les deux tiers des voix nécessaires. En bref, la mise en accusation ne fera qu’embarrasser les républicains tout en aidant la campagne de Biden. Les Républicains auraient tout intérêt à laisser tomber l’affaire, mais la haine de Biden est telle parmi les fidèles de Trump qu’ils ne peuvent probablement pas abandonner.

D’ici l’été, il est probable que toutes ces questions judiciaires, ou la plupart d’entre elles, auront été résolues d’une manière ou d’une autre, et que pourra finalement avoir lieu une campagne présidentielle pendant laquelle le bilan, les programmes, le comportement et, bien sûr, les répliques des candidats seront au centre de l’attention. Ce ne sera toujours pas, loin s’en faut, une campagne normale, étant donné le rôle de trou noir de la politique américaine que joue Donald Trump, entraînant et détruisant irrésistiblement toute la matière et l’énergie de la politique américaine. Mais, au moins, cette élection sera réellement démocratique.

Sources
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  2. Michael Gold et Matthew Haag, « Trump Spews False Claims and Fury in Wake of Conviction », The New York Times, 31 mai 2024.
  3. Donald J. Trump Posts From His Truth Social (@TrumpDailyPosts) / X
  4. Jonathan Swan, Maggie Haberman et Nate Schweber, The Circus Trump Wanted Outside His Trial Hasn’t Arrived, The New York Times, 22 avril 2024.
  5. William Brangham, Ali Schmitz et Saher Khan, Where Trump’s classified documents case stands after judge indefinitely postponed startPBS, 8 mai 2024.
  6. Adam Reiss, Gary Grumbach, Jillian Frankel et Dareh Gregorian, Silk pajamas, spanking and questions about STDs : Stormy Daniels details sexual encounter with Trump, NBC News, 7 mai 2024.
  7. Isabella Ramírez, Amira McKee, Rebecca Massel et al., Inside the Columbia University Protests Over Israel and Gaza, New York Magazine, 4 mai 2024.
  8. In Speech, Biden Describes Surge of Antisemitism in U.S., The New York Times
  9. Sareen Habeshian, Exclusive poll : Most college students shrug at nationwide protests, Axios, 7 mai 2024.
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  11. Gareth Fearn, Liberalism without Accountability, London Review of Books, 2 mai 2024.
  12. Samuel Moyn, Liberalism Against Itself, Yale University Press, 2023.
  13. Pour ma recension du livre de Moyn, voir ici.
  14. Voir sur X (Twitter).
  15. Breaking down the latest presidential battleground polls, CBS News, 7 mai 2024.
  16. Ken Silverstein et Laura Collins, Married South Dakota governor Kristi Noem and Trump advisor Corey Lewandowski have been having a years-long clandestine affair, Daily Mail Online, 15 septembre 2023.
  17. Bess Levin, Puppy Slayer Kristi Noem Had a Very, Very Bad Day on Conservative TV | Vanity Fair, Vanity Fair, 8 mai 2024.
  18. Hafiz Rashid, Tim Scott’s Election Results Answer Shows Exactly Where GOP Is Headed, The New Republic, 6 mai 2024.
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Crédits
Ce journal est publié en collaboration avec la revue Tocqueville 21.