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Les conservateurs américains ne considèrent pas les libéraux et démocrates comme des adversaires situés à l’opposé du spectre politique, mais comme des intrus contribuant au délitement de la démocratie et des institutions des États-Unis. Que ce soit sur l’immigration illégale, le financement du gouvernement fédéral et la dette, l’économie ou bien la promotion de mesures « woke » au sein des départements, dans l’éducation ou encore la culture, les républicains trumpistes veulent une remise à plat de tout ce qui a été fait sous l’actuelle administration démocrate — et les précédentes — pour « restaurer » la grandeur de l’Amérique.

Afin de ne pas répéter les erreurs de son premier mandat, Donald Trump, qui dispose de bonnes chances d’être élu en novembre face à Joe Biden, s’est entouré d’une armée d’administrateurs, juristes, militaires, conseillers politiques d’une loyauté sans faille qui sera prête à mettre en œuvre son programme dès son arrivée à la Maison-Blanche le 20 janvier 2025. Les anciennes figures du premier mandat de Trump comme H. R. McMaster ou James Mattis — et tout comme ceux l’ayant « trahi » depuis — céderont la place à ceux ayant su témoigner de leur loyauté au leader incontesté du Parti républicain.

Pour ce faire, Trump pourra s’appuyer sur un manuel soigneusement préparé par une centaine d’organisations censées représenter toute la diversité de la constellation conservatrice américaine, le tout sous la direction de la Heritage Foundation. Ce centre de réflexion conservateur, situé à Washington et fondé en 1973 par Paul Weyrich, Joseph Coors et Edwin Feulner, s’est largement développé sous la présidence de Ronald Reagan dans les années 1980 avant de devenir l’un des principaux laboratoires du trumpisme en amont de l’entrée en fonction de l’ex-président en janvier 2017. Alors que Trump sera incontestablement investi par le Parti Républicain en juillet à Milwaukee, il faut se plonger dans ce programme pour comprendre à quoi pourrait ressembler un deuxième mandat Trump.

1 — Inféoder l’administration américaine à Trump

Le guide mis à disposition du candidat républicain qui remportera l’élection présidentielle de novembre s’inscrit dans une longue série de publications dont la première édition remonte à 1981, au moment de l’arrivée à la Maison-Blanche de Reagan. Dix mois à peine après avoir remis ce document de 3 000 pages au président, la Heritage Foundation critiquait les choix et l’efficacité de l’administration concernant le recrutement du personnel au sein des bureaux et agences fédérales : « des retards dans les recrutements, des nominations de personnes qui ne s’engagent pas à atteindre les objectifs et les politiques du président ont retardé ou contrecarré les changements de politique » mises en place sous Jimmy Carter1.

Le personnel est essentiel au fonctionnement d’une administration. En 2022, l’Office of Management and Budget de la Maison-Blanche estimait le nombre d’employés fédéraux, toutes branches confondues, à 4,34 millions aux États-Unis2. Afin de sélectionner des candidats prêts à travailler dans la prochaine administration républicaine et qui partagent les valeurs et convictions de Donald Trump, la Heritage Foundation vise à disposer d’une liste de plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires potentiels. En avril 2023, deux journalistes du New York Times présentaient ce processus comme un « LinkedIn de droite »3.

Afin de se libérer de toute contrainte s’il venait à considérer qu’un employé du gouvernement fédéral cherchait à entraver d’une quelconque manière le mise en œuvre de son agenda, Trump rétablirait le « Schedule F ». Cet executive order, dévoilé en amont des élections de 2020, a permis à l’ex-président de faciliter le licenciement de fonctionnaires en transformant le statut d’un employé dit « de carrière » en statut de « political appointee », supprimant de facto la protection liée à l’emploi4.

Malgré les importants risques associés à cette pratique pour le bon fonctionnement du gouvernement ainsi que l’intégrité des services fédéraux, la Heritage Foundation recommande dans la section 3 de son Mandate for Leadership 2025 « le rétablissement du Schedule F pour que ces réformes soient couronnées de succès »5. Dans un rapport de décembre 2023, la Brookings Institution considérait que celle-ci « aggraverait davantage la crise du capital humain de la main-d’œuvre fédérale […] et saperait les incitations des fonctionnaires de carrière à investir dans leurs compétences, les encourageant plutôt à chercher du travail ailleurs »6.

2 — Conjuguer l’identité chrétienne à l’identité américaine : un programme nationaliste-chrétien

Si le nationalisme-chrétien n’est pas un courant nouveau aux États-Unis, il a néanmoins gagné en visibilité avec l’élection au poste de speaker de la Chambre des représentants de l’élu républicain de Louisiane Mike Johnson en octobre 2023, suite à l’éviction de Kevin McCarthy. L’ascension de Johnson au rang de républicain le plus influent à Washington constitue un événement majeur dans la vie politique américaine mais ne relève pas du hasard : elle traduit l’influence grandissante de l’électorat évangélique au sein de la base républicaine, et avec elle l’émergence d’une frontière floue entre l’identité chrétienne et américaine7.

Le Projet 2025 de la Heritage Foundation relève très clairement de cette idéologie conduisant à la prophétisation de la vie politique américaine et de la ​messianisation de la figure de Donald Trump. Paul Weyrich, co-fondateur de la Heritage Foundation qui a contribué au développement de la « droite religieuse » dans les années 1970, revendiquait lui-même une forme de reconfiguration de la vie politique qui serait portée par l’idéal de la nation que prétendent aujourd’hui incarner les nationalistes-chrétiens8. Ces derniers considèrent le christianisme et l’État américain comme faisant partie d’une union qui doit être renforcée en enracinant la morale chrétienne dans la vie publique, ce qui passe par l’élection de personnalités portant elles-mêmes ce dessein ou à même de placer des personnalités chrétiennes à des postes de responsabilité. C’est notamment le cas pour Donald Trump qui, bien qu’il ne soit pas perçu comme un dévot par une grande partie de ses électeurs, est vu comme étant disposé à nommer au sein des administrations, des tribunaux et de son cabinet, des figures adhérant à cet idéal.

Selon un document obtenu par Politico, l’une des principales organisations contribuant à l’élaboration du Projet 2025, le Center for Renewing America — un think tank fondé par l’un des anciens directeurs de l’Office of Management and Budget de Trump, Russell Vought —, veut faire de l’idéal nationaliste chrétien « l’une des priorités » du second mandat de Donald Trump9. Cela pourrait notamment passer par la création de programmes et groupes de travail visant à « lutter contre la persécution des chrétiens en Amérique », comme l’a suggéré le candidat républicain en Iowa en décembre10.

D’autres possibilités seraient la suppression des politiques d’aides aux personnes LGBT ainsi qu’aux mères célibataires, comme l’énonce en termes assez explicites le rapport de la Heritage Foundation : « Le prochain secrétaire à la Santé et aux Services sociaux devrait également revenir sur l’importance accordée par l’administration Biden à « l’équité LGBTQ+ », aux subventions accordées aux mères célibataires, à la désincitation au travail et à la pénalisation du mariage, en remplaçant ces mesures par des politiques encourageant le mariage, le travail, la maternité, la paternité et les familles nucléaires »11.

3 — Arsenaliser la justice et la Constitution

Une éventuelle condamnation de Trump dans ses nombreux procès n’empêcherait pas l’ex-président de figurer sur les bulletins de vote en novembre. Si, d’une manière générale, la justice ne peut empêcher Donald Trump de briguer la présidence — elle peut néanmoins lui faire dépenser beaucoup d’argent qui pourrait être injecté dans sa campagne —, ce dernier considère que Joe Biden et l’establishment démocrate l’ont instrumentalisée pour lui nuire.

S’il venait à être élu, Donald Trump mettrait fin aux normes établies dans les années 1970 suites au Watergate visant à garantir une forme d’indépendance du département de la Justice vis-à-vis de la Maison-Blanche. Dans le rapport de la Heritage Foundation, l’ex-conseiller au département de la Justice de 2017 à 2021 Gene Hamilton décrit un département qui s’est « égaré ces dernières années et a perdu la confiance d’une grande partie du peuple américain », et dont « des pans entiers ont été accaparés par une classe de gestionnaires bureaucratiques qui n’ont pas de comptes à rendre et par des idéologues de la gauche radicale qui se sont incrustés dans tous ses bureaux et toutes ses composantes »12.

Donald Trump arrive au gala annuel BCF Honors de la Black Conservative Federation au Columbia Metropolitan Convention Center à Columbia, S.C., le vendredi 23 février 2024. © AP Photo/Andrew Harnik

Afin de pourchasser Joe Biden « et toute sa famille criminelle » en nommant un procureur spécial après son arrivée à la Maison-Blanche, la Heritage Foundation se repose sur une lecture peu orthodoxe de la constitution américaine, et particulièrement de son Article II : la théorie de l’exécutif unitaire. Celle-ci, bien qu’elle ne soit pas reconnue par le président de la Heritage, Kevin D. Roberts, consiste à considérer que le président exerce un contrôle direct total sur l’ensemble de l’administration fédérale, et donc du département de la Justice13.

La vendetta de Trump ne se limitera pas à Joe Biden, mais concernera également tous ceux ayant publiquement exprimé leur opposition à l’ex-président : son ancien procureur général William Barr, son ancien chef d’état-major des armées Mark A. Milley ou son ancien chef de cabinet John F. Kelly. Afin de limiter l’indépendance du département de la Justice et de renforcer l’exercice d’un contrôle direct par la Maison-Blanche, le rapport appelle à « une réforme du DOJ — ainsi que du FBI — et de sa culture afin d’aligner le département sur ses objectifs fondamentaux et de faire progresser l’intérêt national »14.

4 — Refouler l’immigration en faisant éclater le département de la sécurité intérieure

L’immigration est au cœur des préoccupations des Américains. En décembre 2023, le nombre d’entrées illégales sur le territoire des États-Unis a atteint son niveau le plus élevé jamais enregistré (302 000 franchissements, 250 000 appréhensions). Si traditionnellement, l’économie est la principale priorité des Américains lors des élections, cette année certains sondages d’opinion fiables suggèrent que c’est principalement l’immigration qui déterminera le choix des électeurs.

Le programme de Donald Trump pour lutter contre l’immigration illégale et refouler les migrants et demandeurs d’asile entrés illégalement aux États-Unis est déjà connu. Celui-ci consiste en « la plus grande opération d’expulsion nationale de l’histoire américaine » — en se plaçant dans la continuité de l’Opération Wetback, organisée en 1954 sous Eisenhower —, la réintroduction de mesures discriminatoires comme le décret 13769, ou Muslim ban, signé en janvier 2017, la création d’une « armée rouge » constituée par des forces de police et des Gardes nationales d’États républicains, ainsi que la construction « d’immenses camps de détention » dans lesquels les migrants seraient gardés en attente de leur expulsion du territoire.

Afin de mener à bien cette politique, la Heritage Foundation recommande ni plus ni moins que « l’élaboration d’une législation visant à démanteler le département de la sécurité intérieure (DHS) », qui serait éclaté en plusieurs composantes dont la majeure partie serait rattachée directement au cabinet du président15. Au cours de l’actuelle législature, le secrétaire à la Sécurité intérieure Alejandro Mayorkas, a été pris pour cible par les élus républicains de la Chambre qui ont voté en faveur de sa destitution le 13 février dernier, faisant de Mayorkas le premier secrétaire à être destitué depuis 1876.

5 — Mettre les libertés civiles au service des revendications conservatrices

La liberté d’expression et les libertés individuelles dans leur ensemble constituent la pierre angulaire des revendications des conservateurs en faveur d’une nouvelle administration républicaine. Dans son rapport, la Heritage Foundation dénonce le rôle joué par le FBI « dans des activités liées à la lutte contre la diffusion de soi-disant fausses informations et de désinformation par des Américains qui ne sont pas liés à une activité criminelle plausible […] Par extension, le FBI n’a absolument aucune raison de contrôler la parole, que ce soit sur la place publique, dans la presse ou en ligne. Le premier amendement l’interdit. Les États-Unis sont le dernier espoir d’autonomie au monde et leur survie dépend de la capacité de leur population à mener un débat sain, sans intervention ni censure du gouvernement »16.

Le « droit à la liberté d’expression » est utilisé par Trump comme un rempart contre les accusations portant, entre autres, sur son rôle joué au cours du 6 janvier 2021. Dans son introduction, le président de la Heritage Foundation Kevin D. Roberts considère d’ailleurs que « le prochain président conservateur devra défendre nos droits contenus dans le premier amendement ». La promotion de la liberté d’expression contenue dans celui-ci est également utilisée par les conservateurs chrétiens comme un outil de lutte contre les personnes LGBT.

Si elles ne sont pas mentionnées directement dans le rapport, on retrouve l’utilisation du premier amendement pour lutter contre l’interdiction des « thérapies de conversion » — une pratique visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne — chez plusieurs groupes associés au Projet 2025, dont l’Alliance Defending Freedom (ADF) ou The American Conservative. L’ADF a été particulièrement active dans ce domaine dans l’affaire Tingley v. Ferguson, qui opposait Brian Tingley, un conseiller familial conservateur chrétien,  à l’État de Washington concernant une loi interdisant ces thérapies de conversion17.

Tout comme l’ADF, The American Conservative considère que les États ne devraient pas intervenir dans ce domaine car ils voient l’interdiction des thérapies de conversion et autres immiscions dans des affaires rattachées à leur interprétation du christiniasme comme des tentatives de porter atteinte à leur liberté d’expression, et donc à leurs droits garantis par le premier amendement18.

6 — Supprimer le ministère de l’Éducation

Comme pour la Sécurité intérieure, la Heritage Foundation recommande la suppression du département de l’Éducation : « Lorsque le pouvoir est exercé, il doit donner du pouvoir aux étudiants et aux familles, et non au gouvernement. Dans notre société pluraliste, les familles et les étudiants devraient être libres de choisir parmi un ensemble diversifié d’options scolaires et d’environnements d’apprentissage qui répondent le mieux à leurs besoins »19. Concernant les enseignements, le think-tank recommande la suppression des « principes nocifs de la « théorie critique de la race » (critical race theory) et de « l’idéologie du genre » des programmes de toutes les écoles publiques du pays ».

Dans son programme de campagne pour 2024, l’ex-président met en avant d’autres priorités en matière d’éducation : « tenir les hommes à l’écart des sports féminins », création d’un organisme d’accréditation pour certifier les enseignants « qui embrassent les valeurs patriotiques », ouverture d’enquêtes sur les droits civils dans tous les districts scolaires « qui se sont livrés à une discrimination fondée sur la race »20

7 — Transformer l’OTAN en réduisant son rôle en Europe

Sans même être élu président, les récents propos de Donald Trump sur l’OTAN ont été accueillis avec effroi par les membres de l’Alliance. En février, celui-ci déclarait : « J’ai dit : « Tout le monde va payer ». Ils m’ont répondu : « Si nous ne payons pas, allez-vous quand même nous protéger ? J’ai répondu : ‘Absolument pas’. Ils n’en croyaient pas leurs oreilles […] Non, je ne vous protégerais pas. En fait, je les encouragerais à faire ce qu’ils veulent. Vous devez payer. Vous devez payer vos factures »21.

Face à l’imprévisibilité caractéristique de Donald Trump, le Congrès a agi en décembre pour limiter la menace d’un retrait des États-Unis de l’OTAN en ajoutant une disposition au National Defense Authorization Act pour l’année fiscale 2024 : « Le président ne suspendra pas, n’annulera pas, ne dénoncera pas et ne retirera pas les États-Unis du traité de l’Atlantique Nord, conclu à Washington le 4 avril 1949, sauf sur l’avis et avec le consentement du Sénat, à condition que les deux tiers des sénateurs présents soient d’accord, ou en vertu d’une loi du Congrès »22.

La Heritage Foundation ne recommande pas un retrait des États-Unis de l’OTAN, mais une transformation de l’Alliance « de manière à ce que les alliés des États-Unis soient capables d’aligner la grande majorité des forces conventionnelles nécessaires pour dissuader la Russie tout en s’appuyant sur les États-Unis principalement pour notre dissuasion nucléaire, et sélectionner d’autres capacités tout en réduisant le dispositif de forces des États-Unis en Europe »23.

Donald Trump arrive au gala annuel BCF Honors de la Black Conservative Federation au Columbia Metropolitan Convention Center à Columbia, S.C., le vendredi 23 février 2024. © AP Photo/Andrew Harnik

8 — Abroger les politiques climatiques de Biden

Les États-Unis jouent un rôle majeur dans la lutte contre le changement climatique. En 2022, Joe Biden a promulgué l’Inflation Reduction Act, une loi qualifiée d’action la plus importante jamais entreprise aux États-Unis en matière de lutte contre le changement climatique. Si Donald Trump a déjà retiré le pays de l’Accord de Paris sur le climat en 2020, il pourrait aller plus loin en matière de dérégulation au cours d’un potentiel second mandat.

Dans son rapport, la Heritage Foundation considère qu’un « président conservateur doit s’engager à libérer toutes les ressources énergétiques de l’Amérique et à mettre l’économie de l’énergie au service du peuple américain, et non d’intérêts particuliers ». Afin de « mettre fin à la guerre contre le pétrole et le gaz naturel », l’organisation recommande l’abrogation de l’Infrastructure Investment and Jobs Act et de l’Inflation Reduction Act ainsi que le soutien de l’annulation « de tous les fonds qui n’ont pas encore été dépensés dans le cadre de ces programmes »24.

En addition, l’auteur du chapitre sur le département de l’Énergie et ancien directeur du Texas Public Policy Foundation, un centre de réflexion d’extrême-droite qui lutte contre la réglementation environnementale, Bernard L. McNamee, recommande la suppression de bureaux essentiels pour la transition énergétique ainsi que la réduction du budget octroyé au bureau en charge du déploiement des énergies renouvelables25.

9 — Bouter la Banque mondiale et le FMI hors de Washington : la « réinitialisation » de la diplomatie américaine

Trump n’a pas confiance dans le multilatéralisme et dans le système des alliances, qu’il considère comme un vecteur de risque de perte de souveraineté américaine. Au-delà de l’Accord de Paris sur le climat, Donald Trump a également retiré les États-Unis de l’Accord de partenariat transpacifique et de l’UNESCO, finalement réintégré en juin dernier. Un retour de Trump à la Maison-Blanche conduirait à un désengagement plus important des États-Unis du système multilatéral.

La Heritage Foundation encourage une administration républicaine à se retirer de la Banque mondiale et du FMI et de « mettre fin à leur contribution financière à ces deux institutions ». Avec l’OCDE, ces trois organismes « adoptent des théories et des politiques économiques qui vont à l’encontre des principes américains de libre marché et de gouvernement “limité” »26. Le retrait américain de ces institutions ne conduirait néanmoins pas à la fin de l’aide économique et humanitaire américaine, qui se ferait unilatéralement.

Sur ce point, le chapitre 6 sur le département d’État précise que la politique d’assistance américaine doit opérer une « réorientation » d’une stratégie d’assistance vers la « croissance ». Celle-ci passerait notamment par l’encouragement et la facilitation de l’engagement du secteur privé américain dans ces pays, « l’aide au développement seule ne contribuant guère au développement des pays » mais présente le risque « d’alimenter la corruption et les conflits violents »27.

Dans la perspective d’opérer une « réinitialisation » de la diplomatie américaine, la Heritage Foundation recommande le rappel de tous les ambassadeurs en postes à l’étranger, que ce soit des diplomates politiques ou de carrière — en rupture avec la tradition diplomatique qui prévaut jusqu’alors. Au-delà de l’extrémisme d’une telle mesure, les processus de confirmation par le Sénat des personnes désignées à des postes d’ambassadeurs sont régulièrement ralentis voire bloqués pour des raisons politiques, ce qui conduirait de facto un grand nombre d’ambassades et de représentations à être dépourvues de chefs de missions choisis par le président durant une période prolongée.

10 — Interdire l’avortement

En 2016, Trump avait fait campagne sur l’annulation de Roe v. Wade en s’engageant à nommer des juges de la Cour suprême conservateurs, favorables à la fin de la garantie constitutionnelle du droit à l’avortement au niveau fédéral. C’est ce qu’il a fait entre 2017 et 2020 en proposant les nominations de Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett, confirmées par un Sénat à majorité républicaine. Au-delà de certaines rumeurs et fuites récentes sur des conversations tenues entre Trump et certains de ses conseillers concernant la mise en place d’une interdiction de l’avortement après 16 semaines de grossesse, le candidat républicain n’a pas revendiqué de position claire sur ce sujet au cours de la campagne28.

Tandis que l’avortement est désormais interdit dans 17 États, principalement dans le Sud, il demeure légal dans une majorité d’États, avec parfois certaines limites et spécificités. Dans son rapport, la Heritage Foundation considère que ce découpage du pays encouragerait une forme de « tourisme de l’avortement »29. Pour lutter contre les avortements chimiques au niveau national, la Heritage recommande l’application du Comstock Act, une loi de 1873 visant à lutter contre l’envoi via le service postal américain d’articles jugés « obscènes », « indécents » ou « destinés à provoquer un avortement »30. Les conservateurs considèrent que cette législation — quasiment oubliée pendant 150 ans avant d’être ressuscitée par une décision du juge texan Matthew J. Kacsmaryk en 2023 concluant que la Food and Drug Administration n’avait pas le pouvoir d’autoriser la mise sur le marché de la pilule abortive mifepristone —  pourrait être utilisée pour mettre fin de facto à toute procédure d’avortement car celle-ci interdirait l’envoi de tout matériel ou équipement par courrier, empêchant tout avortement chimique et chirurgical31.

Afin de dissuader et de lutter contre tous les avortements aux États-Unis, le chapitre 17 recommande la mise en place d’une « campagne visant à faire respecter les interdictions pénales prévues aux articles 1461 [le Comstock Act] et 1462 du code 18 des États-Unis à l’encontre des fournisseurs et des distributeurs de pilules abortives qui utilisent le courrier[…]. Suite à la décision de la Cour suprême dans l’affaire Dobbs, il n’y a plus d’interdiction fédérale concernant l’application de cette loi. Le ministère de la Justice de la prochaine administration conservatrice devrait donc annoncer son intention de faire appliquer la loi fédérale contre les fournisseurs et les distributeurs de ces pilules »32.

Sources
  1. Phil Gailey, « Heritage Foundation Disappointed by Reagan », The New York Times, 22 novembre 1981.
  2. Analytical Perspectives, Budget of the U.S. government, fiscal year 2023, Office of management and budget, 28 mars 2022.
  3. Jonathan Swan et Maggie Haberman, « Heritage Foundation Makes Plans to Staff Next G.O.P. Administration », The New York Times, 20 avril 2023.
  4. Executive Order 13957 of October 21, 2020. Creating Schedule F in the Excepted Service.
  5. Mandate for Leadership 2025, p. 524.
  6. Donald Moynihan, The risks of Schedule F for administrative capacity and government accountability, Brookings Institution, 12 décembre 2023.
  7. Bob Smietana, « What is Christian nationalism anyway ? », The Washington Post, 19 mai 2023.
  8. Sasha Abramsky, « The Heritage Foundation Is Preparing the Ground for Trumpism to Seize the State », Truthout, 28 décembre 2023.
  9. Alexander Ward et Heidi Pryzbyla, « Trump allies prepare to infuse ‘Christian nationalism’ in second administration », Politico, 20 février 2024.
  10. Galen Bacharier, « ‘I never read ‘Mein Kampf’ : Trump repeats ‘poisoning’ rhetoric, rebuffs Hitler comparisons », Des Moines Register, 19 décembre 2023.
  11. Mandate for Leadership 2025, p. 284.
  12. Mandate for Leadership 2025, p. 545.
  13. Jonathan Swan, Charlie Savage et Maggie Haberman, « The Radical Strategy Behind Trump’s Promise to ‘Go After’ Biden », The New York Times, 15 juin 2023.
  14. Mandate for Leadership 2025, p. 547.
  15. Mandate for Leadership 2025, p. 133.
  16. Mandate for Leadership 2025, p. 550.
  17. Tingley v. Ferguson, Alliance Defending Freedom.
  18. Carmel Richardson, The Real Problem with Gay Conversion Therapy, The American Conservative, 13 octobre 2023.
  19. Mandate for Leadership 2025, p. 319.
  20. Issues, Trump 47.
  21. Kate Sullivan, « Trump says he would encourage Russia to ‘do whatever the hell they want’ to any NATO country that doesn’t pay enough », CNN, 11 février 2024.
  22. H.R.2670 – National Defense Authorization Act for Fiscal Year 2024.
  23. Mandate for Leadership 2025, p. 94.
  24. Mandate for Leadership 2025, p. 365.
  25. Dharna Noor, « ‘Project 2025’ : plan to dismantle US climate policy for next Republican president », The Guardian, 27 juillet 2023.
  26. The U.S., however, should withdraw from both the World Bank and the IMF and terminate its financial contribution to both institutions.
  27. Mandate for Leadership 2025, p. 186.
  28. Maggie Haberman, Jonathan Swan et Lisa Lerer, « Trump Privately Expresses Support for a 16-Week Abortion Ban », The New York Times, 16 février 2024.
  29. Mandate for Leadership 2025, p. 455.
  30. 18 U.S. Code § 1461 – Mailing obscene or crime-inciting matter.
  31. Mary Ziegler, « The 19th century sexual purity law that some want to revive », CNN, 3 octobre 2023.
  32. Mandate for Leadership 2025, p. 562.