Un lien particulier unit la France et la Chine, et la France et le Parti communiste chinois (PCC). Il y a plus d’un siècle, Zhou Enlai, Deng Xiaoping et d’autres dirigeants fondateurs du PCC sont venus en France dans le cadre d’un programme d’alternance pour découvrir la culture et la science françaises et occidentales. C’est ici, en France, qu’ils ont fondé le Parti de la jeunesse communiste chinoise en Europe, jetant ainsi les bases du futur Parti communiste chinois. Il y a 59 ans, le président Mao Zedong et le général Charles de Gaulle, animés d’une grande vision et d’un courage politique extraordinaire, ont amené la Chine et la France à une poignée de main historique à l’époque de la guerre froide. Plus tard, la France est devenue le premier pays occidental à établir un partenariat stratégique global avec la Chine, à ouvrir des vols directs et à mener une coopération dans le domaine de l’énergie nucléaire civile, démontrant ainsi la vision et la sagesse de la France à des moments clefs de l’histoire. Depuis plus d’un demi-siècle, l’indépendance, le respect mutuel, la vision large et l’ouverture caractérisent les relations franco-chinoises. L’année prochaine marquera le 60e anniversaire des relations diplomatiques entre la Chine et la France. Dans la culture chinoise, 60 ans représentent un cercle complet. Il est temps de faire le point sur le passé et de planifier l’avenir pour rendre nos relations plus fortes, plus pragmatiques et stratégiques, et mutuellement bénéfiques. 

Un lien particulier unit la France et la Chine, et la France et le Parti communiste chinois.

Liu Jianchao

Aujourd’hui, la société humaine se trouve de nouveau à la croisée des chemins. Le monde subit des changements, des divisions et des réalignements majeurs, ce qui entraîne des incertitudes croissantes. En réponse à la question pressante de notre époque : « Qu’est-ce qui a mal tourné dans le monde et que devons-nous faire ? », nous tentons d’apporter une réponse, à savoir : « construire une communauté humaine avec un avenir commun ». Pour y parvenir, il y a beaucoup à faire. Pour la Chine, deux tâches sont essentielles. Faire du bon travail à l’intérieur du pays et développer de bonnes relations avec le monde. 

Le 20e congrès national du Parti a clairement indiqué que la tâche centrale du PCC est de faire progresser le rajeunissement de la nation chinoise en empruntant une voie chinoise vers la modernisation. Mais qu’est-ce que la modernisation chinoise ? Et que signifie-t-elle pour le reste du monde ? J’aimerais vous faire part de quelques-unes de mes réflexions.

La modernisation chinoise concerne une population immense. Lorsque le Royaume-Uni a commencé à se moderniser, sa population était de quelques dizaines de millions d’habitants, et lorsque les États-Unis ont pris la tête du processus de modernisation, leur population se chiffrait à quelques centaines de millions d’habitants. À l’heure actuelle, le nombre de personnes ayant connu la modernisation dans le monde est d’environ 1 milliard, ce qui représente seulement un huitième de la population mondiale. La modernisation de la Chine concerne 1,4 milliard de personnes, un chiffre supérieur à la population combinée de tous les pays modernisés dans le monde d’aujourd’hui. Chaque petit problème dans le domaine de l’alimentation, de l’habillement, de l’emploi, de l’éducation, des soins de santé, du logement et des soins aux personnes âgées, une fois multiplié par 1,4 milliard, constitue un défi immense pour la Chine. Pour accomplir cette tâche sans précédent, nous devons être capables de mobiliser des ressources variées et veiller à ce que tous les Chinois travaillent ensemble dans l’unité pour atteindre cet objectif. Cela n’est possible que sous la direction du PCC et en suivant la voie du socialisme aux caractéristiques chinoises, dont l’expérience historique a démontré la fiabilité.

Aujourd’hui, la société humaine se trouve de nouveau à la croisée des chemins.

Liu Jianchao

En poursuivant cette modernisation, nous donnerons un nouvel élan au développement mondial. La modernisation de 1,4 milliard de personnes contribuera à améliorer le niveau de vie général de l’humanité et la qualité de la population mondiale, à créer un méga-marché pour soutenir le nouveau cycle de croissance économique et à libérer des dividendes plus importants dans le commerce mondial. En outre, elle incitera davantage de pays sous-développés à s’engager avec confiance dans la voie de la modernisation, réduisant ainsi les conflits et les troubles causés par la faim et la pauvreté, et favorisant par là un environnement international plus stable et plus prévisible, pour que tous les pays puissent en profiter. 

La modernisation chinoise vise à apporter la prospérité à chaque membre de la société. Pour la Chine, pays doté d’un système politique socialiste, le développement est toujours pensé pour le peuple, par le peuple et ses fruits sont partagés entre tous. Depuis le lancement de la politique de réforme et d’ouverture en 1978, la Chine a mis en place les systèmes d’éducation, de sécurité sociale et de soins de santé les plus importants au monde, a sorti plus de 800 millions de personnes de la pauvreté et a créé une classe-moyenne de plus de 400 millions de personnes. Aujourd’hui, afin de progresser vers l’objectif d’une prospérité commune pour tous, nous avons déplacé notre priorité vers la revitalisation rurale et la nouvelle urbanisation, en poursuivant un développement plus équilibré entre les zones urbaines et rurales et entre les régions, l’est et l’ouest, la côte et l’arrière-pays, et en améliorant encore le mécanisme de redistribution des revenus.

En poursuivant cette modernisation, nous contribuerons au développement commun du monde. Un ancien philosophe chinois a fait remarquer que lorsqu’une personne réussit, elle doit partager ses bienfaits avec le monde entier. C’est dans cet esprit que le président Xi Jinping a proposé le programme « la Ceinture et la Route » et l’initiative mondiale pour le développement, et a annoncé la création du Fonds mondial pour le développement et la coopération Sud-Sud. Jusqu’à présent, la Chine a offert une aide au développement à plus de 160 pays et a contribué à 50 % de la dette suspendue dans le cadre de l’initiative de suspension du service de la dette du G20. 

Pour la Chine, pays doté d’un système politique socialiste, le développement est toujours pensé pour le peuple, par le peuple et ses fruits sont partagés entre tous. 

Liu Jianchao

Les Européens valorisent l’idée du « un pour tous, et tous pour un ». Animée par cette philosophie, l’Union a lancé la stratégie « Global Gateway » pour aider les pays sous-développés. La Chine et l’Europe partageant le même point de vue sur la réduction du fossé Nord-Sud et le rééquilibrage du développement mondial, nous devrions créer des synergies entre nos idées, nos ressources et nos stratégies afin de poursuivre le développement commun du monde.

La modernisation chinoise privilégie l’harmonie entre l’humanité et la nature. Depuis le 18e Congrès national du PCC en 2012 et guidés par l’idée du président Xi Jinping selon laquelle nous devons garder nos eaux propres et nos montagnes vertes, qui sont des atouts inestimables, nous avons déployé en Chine des efforts sans précédent pour promouvoir une croissance verte, circulaire et à faible émission de carbone. Nous nous sommes fixé pour objectif d’atteindre le pic de carbone d’ici 2030 et la neutralité carbone d’ici 2060. La Chine se classe aujourd’hui au premier rang mondial en termes de surface de boisement et de capacité installée d’énergie solaire, éolienne et hydroélectrique. En 2022, l’électricité produite en Chine à partir de sources d’énergie renouvelables a égalé la production d’électricité de l’UE pour l’année entière, ce qui équivaut à une réduction de 2,26 milliards de tonnes d’émissions de CO2. Il est juste d’affirmer que le développement vert est devenu une caractéristique déterminante de la modernisation chinoise.

En poursuivant cette modernisation, nous faciliterons la transition vers une économie mondiale verte et à faibles émissions de carbone. L’humanité a déjà payé un lourd tribut environnemental à l’industrialisation. L’Europe, après réflexion, s’est engagée sur la voie de la transition verte et fait aujourd’hui figure de pionnière dans la lutte contre le changement climatique. L’engagement de la France en faveur de l’énergie nucléaire et l’interdiction de la vente de voitures au gaz et au diesel sont très impressionnants. Comme la Chine et l’Europe partagent la même position sur la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, et que nous disposons tous deux de technologies avancées et de vastes marchés pour le développement vert, notre coopération à cet égard ne manquera pas de promouvoir le progrès écologique au niveau mondial

La modernisation chinoise privilégie l’harmonie entre l’humanité et la nature. 

Liu Jianchao

La modernisation chinoise met l’accent sur les progrès matériels, culturels et éthiques. Elle ne doit pas se limiter à l’abondance matérielle, mais favoriser la culture d’un monde spirituel riche. C’est pourquoi, lorsque nous élaborons des plans globaux pour le développement de la Chine, nous accordons toujours une importance égale au progrès matériel et technologique ainsi qu’au progrès culturel et éthique.

En poursuivant une telle modernisation, nous aspirons à rééquilibrer les recherches matérielles et spirituelles de l’humanité. Dans la société moderne, malgré une abondance matérielle remarquable, le sentiment de désolation spirituelle s’accroît, ce qui conduit à la résurgence du « choc des civilisations » ainsi qu’à la montée du racisme et des préjugés idéologiques. L’humanité a un besoin urgent d’équilibrer son le matériel et le spirituel. C’est dans ce contexte que le président Xi Jinping a proposé l’initiative pour une civilisation mondiale, appelant les pays à faire en sorte que les échanges culturels transcendent l’éloignement, que l’apprentissage mutuel transcende les conflits et que la coexistence transcende les sentiments de supériorité. 

Une autoroute urbaine à Shanghai. © RICKERBY/SIPA

L’Europe, berceau de la civilisation occidentale, et la France, nation qui valorise la diversité et l’intégration, peuvent jouer un rôle central à cet égard. La Chine et la France, qui représentent la quintessence des civilisations orientale et occidentale, ont la responsabilité de travailler ensemble à la construction d’un foyer spirituel pour l’humanité dans le monde contemporain.  

La modernisation chinoise est pacifique par nature et nous appelons tous les pays du monde à construire une communauté humaine avec un avenir commun. La paix est inscrite dans l’ADN de la nation chinoise. C’est pourquoi la Grande Muraille de Chine a servi à des fins de défense plutôt qu’à des fins offensives, et les sept voyages effectués par l’amiral Zheng He dans les mers occidentales ont apporté aux pays hôtes le commerce et la culture, et non la colonisation ou l’esclavage. Depuis la fondation de la République populaire de Chine en 1949, nous nous sommes efforcés de maintenir un environnement international pacifique. La Chine est le seul pays au monde à inscrire dans sa constitution son engagement en faveur du « développement pacifique » et le seul pays parmi les cinq États dotés d’armes nucléaires qui s’engage à ne pas recourir en premier aux armes nucléaires. L’initiative de sécurité mondiale proposée par le président Xi Jinping invite les pays à emprunter la voie de la sécurité en privilégiant le dialogue plutôt que la confrontation, le partenariat plutôt que l’alliance et les résultats gagnant-gagnant plutôt que le jeu à somme nulle. La Chine s’est engagée à promouvoir les pourparlers de paix sur la question de l’Ukraine et a favorisé le rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Nous avons appris avec tristesse les récents affrontements entre la Palestine et Israël, et nous appelons toutes les parties concernées à prendre des mesures pour apaiser les tensions. Tous ces éléments soulignent notre détermination à défendre la paix dans le monde.

L’Europe, qui a souffert de deux guerres mondiales dévastatrices, a finalement embrassé la paix, ouvrant la voie à des progrès constants dans l’intégration européenne. L’Union est déjà devenue un symbole de raison, de paix, de prospérité et de stabilité. En particulier, les décisions stratégiques des dirigeants français, telles que le rejet de la guerre froide par le général Charles de Gaulle et l’opposition à la guerre en Irak par le président Jacques Chirac, ont valu à la France la réputation de championne de la paix et de la prise de décision indépendante. À l’heure actuelle, alors que la société humaine est toujours hantée par la mentalité de la guerre froide et que l’hégémonie, l’intimidation et la confrontation des blocs refont surface, il est d’autant plus important que la Chine, la France et l’Europe dans son ensemble travaillent ensemble pour défendre la paix et la stabilité dans le monde. Lors de mes discussions avec les partis politiques et les parlementaires français, je leur ai dit que nous étions attristés de voir que la crise ukrainienne avait éclaté en Europe, le dernier endroit pour qu’une telle chose se produise. Nous espérons que nos amis européens pourront se pencher sur les causes profondes de la crise afin d’éviter que de tels conflits ne se reproduisent à l’avenir. 

J’ai parlé des cinq caractéristiques de la modernisation chinoise et de ce qu’elle signifie pour le reste du monde. Mais je comprends parfaitement qu’il reste des questions auxquelles il faut répondre et des doutes à lever, car j’ai rencontré en Europe des arguments différents sur les intentions de la Chine. J’aimerais donner mon point de vue sur certains de ces arguments. 

Premier argument : la Chine, en proposant une série d’initiatives mondiales, vise à établir un ordre international centré sur elle. Mais le fait est que la Chine, qui est l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et qui est partie à de nombreux traités internationaux, est un bénéficiaire de l’ordre international existant et n’a donc aucune intention ou raison de s’y opposer. L’objectif du développement de la Chine est très simple : offrir à sa population une vie meilleure. La Chine ne veut pas remplacer ou surpasser un autre pays dans le monde. Au contraire, elle a pris l’engagement solennel de ne pas rechercher l’hégémonie, l’expansion ou la sphère d’influence, quelle que soit l’évolution de la situation internationale ou son niveau de développement. Jusqu’à présent, aucun autre grand pays n’a jamais pris un tel engagement. Le type de relations que la Chine espère construire avec le reste du monde est le suivant : une relation qui prône l’égalité mutuelle plutôt qu’une hiérarchie pyramidale ; une relation qui cherche un terrain d’entente plutôt qu’une pensée en noir et blanc ; une relation qui recherche le renforcement mutuel plutôt que le découplage ou la coupure des liens. La Chine est prête à travailler avec l’Europe pour défendre un véritable multilatéralisme et s’opposer à l’hégémonie et à l’unilatéralisme.

La Chine est un bénéficiaire de l’ordre international existant et n’a donc aucune intention ou raison de s’y opposer. 

Liu Jianchao

Deuxième argument : le succès du socialisme aux caractéristiques chinoises est une menace pour le système politique et le modèle social de l’Europe. Mais le fait est que les différences entre les systèmes chinois et européen existaient déjà au moment de l’établissement des relations diplomatiques. Les interactions entre les deux parties au cours des dernières décennies, avec les résultats fructueux obtenus, n’ont pas modifié les systèmes politiques ou les modèles sociaux de l’autre partie. Comment un tel argument a-t-il pu naître ? Le président Xi Jinping souligne que nous ne voulons ni « importer » des modèles étrangers, ni « exporter » le modèle chinois vers d’autres pays. La Chine n’a pas cherché, ne cherche pas et ne cherchera pas à le faire. Comme il n’y a pas de conflit d’intérêts fondamental entre la Chine et l’Europe, nous devons être très vigilants face à toute tentative d’exagérer les différences entre les systèmes chinois et européen et d’alimenter la théorie de la « rivalité Chine-Europe ».

Troisième argument : dans l’ère post-pandémique et dans le contexte de la crise géopolitique, l’UE devrait accélérer la « réduction de la dépendance » ou le « de-risking » vis-à-vis de la Chine. Mais le fait est que l’interdépendance est la caractéristique principale de la mondialisation et le produit inévitable de la division internationale du travail. Elle entraîne une hausse de la productivité et du niveau de vie. Sans coopération, il n’y aura pas de développement. Sans développement, des risques réels apparaissent. Certains amis européens m’ont dit que la stratégie de « réduction des risques » de l’Union ne visait pas la Chine, mais qu’elle s’inscrivait plutôt dans le cadre de son autonomie stratégique. La Chine soutient l’autonomie stratégique de l’Union, mais s’oppose à la pratique de la « dé-sinisation » ou du « découplage avec la Chine » au nom de la « réduction des risques ». Dans les circonstances complexes actuelles, il est d’autant plus nécessaire que la Chine et l’Europe travaillent ensemble pour préserver le libre-échange et assurer la sécurité des chaînes industrielles et d’approvisionnement mondiales, afin de véritablement « réduire les risques » pour la paix et le développement dans le monde.

Quatrième argument : le développement de la Chine a déjà atteint son apogée et son économie est une « bombe à retardement », comme le prétendent certains médias. Mais le fait est là : contrairement à l’actuelle reprise économique mondiale, faible et léthargique, l’économie chinoise a fait preuve d’une grande résilience, d’un grand potentiel et d’une grande vitalité. Au cours du premier semestre de cette année, le PIB de la Chine a augmenté de 5,5 %, ce qui est supérieur au taux de croissance annuel de l’année dernière et à celui des principales économies mondiales. La Banque mondiale, le FMI et d’autres organisations internationales ont tous revu à la hausse leurs prévisions de croissance pour la Chine. Alors que la Chine poursuit un développement de haute qualité et une ouverture de haut niveau, le potentiel de son immense marché, de son système industriel complet, de ses travailleurs qualifiés et de son bon environnement commercial sera mieux exploité afin de créer davantage d’opportunités de développement pour tous les pays du monde. 

Victor Hugo a écrit : « L’avenir a plusieurs noms. Pour les faibles, il est impossible ; pour les timides, il est inconnu ; mais pour les courageux, il est idéal ». Un poète chinois de l’Antiquité observait quant à lui : « Celui qui a de fortes aspirations peut accomplir les tâches les plus difficiles ; celui qui marche sans s’arrêter fera sûrement le voyage le plus long. » Face à des changements profonds sans précédent depuis un siècle, la Chine et la France, et l’Europe dans son ensemble, doivent poursuivre leurs dialogues et leur coopération, et donner le ton de la coopération internationale en faisant preuve de sagesse stratégique et de courage politique.

Crédits
Ce texte a été prononcé le 10 octobre 2023 à l’Institut français des relations internationales par Liu Jianchao, ministre du Département international du Comité central du PCC.