En 2016, l’Espagne a dû annuler la mise en orbite du satellite Paz, dont le lancement, prévu par une entreprise russo-ukrainienne du sud de la Russie, a été retardé en raison de l’annexion de la Crimée et du conflit qui couve entre les deux pays. Aujourd’hui, au-delà de l’horreur qu’elle suscite, la guerre affecte également la livraison des fournitures nécessaires au lancement du rover martien de l’Agence spatiale européenne. 

En 2016, un projet de jumelage financé par l’Union était en cours dans le cadre de l’accord de coopération avec l’Ukraine, visant à étendre l’utilisation du système européen de navigation par satellite Galileo et du système d’approche aéroportuaire Egnos. L’accompagnement de ce processus par du personnel travaillant pour les administrations publiques espagnoles a permis l’échange d’expériences, tandis que l’alliance institutionnelle a aussi ouvert des perspectives de recours aux plateformes ukrainiennes de lancement de satellites, qui ont abouti à un accord, développé des opportunités d’affaires pour les consortiums européens du secteur et renforcé l’utilisation de ces systèmes actuellement réalisés par l’Ukraine dans le cadre du conflit.

Dans le langage européen d’aujourd’hui, l’aide apportée à l’Ukraine à l’époque serait qualifiée d’initiative « Global Gateway » — avec la particularité d’avoir été motivée par une modalité spécifique de coopération technique entre institutions, dont nous avons célébré le talent public le 23 juin dernier lors de la Journée de l’administration publique des Nations unies.

Dans le langage européen d’aujourd’hui, l’aide apportée à l’Ukraine à l’époque serait qualifiée d’initiative « Global Gateway » — avec la particularité d’avoir été motivée par une modalité spécifique de coopération technique entre institutions.

Tobias Jung Altrogge et Álvaro Martínez Rojo

Vers une Union géopolitique : de nouvelles stratégies pour une nouvelle époque

Les paramètres géopolitiques connaissent actuellement leur plus grande redéfinition depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre de ce que certains appellent le nouveau consensus de Washington ou la « mondialisation verticale »1. Nous faisons face à une fragmentation de l’ordre politique et commercial mondial dans lequel les principaux acteurs s’orientent vers une conception plus transactionnelle et sécuritaire des relations internationales. Les limites entre la politique étrangère, la coopération au développement et la politique commerciale et d’investissement s’estompent. 

Dans ce nouveau paysage international2, caractérisé par des crises telles que la pandémie et la guerre en Ukraine, l’Union entreprend l’une des plus profondes redéfinitions de son paradigme de coopération au développement et d’action extérieure. 

En 2019, la Commission Von der Leyen adopte pour la première fois l’adjectif « géopolitique », ce qui se traduit notamment par la généralisation de l’utilisation de termes jusqu’alors réservés à la défense, tels que « autonomie stratégique (ouverte) »3, et par la transition de la Direction générale de la coopération au développement (DG DEVCO) vers la Direction générale des partenariats internationaux (DG INTPA)4

En 2020, le choc de la crise du COVID-19 a conduit la Commission à adopter l’approche « Team Europe » comme moyen pour l’Union et ses États membres de répondre conjointement à la crise sanitaire dans les pays partenaires. À l’instar du concept d’autonomie stratégique, l’approche « Team Europe » a également été étendue à tous les autres domaines de l’action extérieure, devenant une méthodologie pour promouvoir le travail collectif, c’est-à-dire pour augmenter l’échelle et l’impact dans le but de faire progresser efficacement l’agenda de développement, ainsi que d’améliorer la visibilité de l’Union et de ses États membres.

À l’instar du concept d’autonomie stratégique, l’approche « Team Europe » a également été étendue à tous les autres domaines de l’action extérieure, devenant une méthodologie pour promouvoir le travail collectif, c’est-à-dire pour augmenter l’échelle et l’impact.

Tobias Jung Altrogge et Álvaro Martínez Rojo

Une boîte à outils renouvelée : la coopération financière, un acteur clef

La traduction opérationnelle la plus immédiate de ce nouveau paradigme stratégique s’appuie sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027 de l’Union, et notamment sur son chapitre 6 (Europe mondiale) et, en son sein, sur l’instrument NDICI (Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument). Ce dernier est configuré comme un instrument à mi-chemin entre la coopération au développement et l’action extérieure : il est simplifié et plus flexible, absorbant de nombreux instruments du cadre financier précédent, et incluant le principe de la « politique d’abord » comme principe directeur, c’est-à-dire la nécessité d’orienter tous les instruments d’action extérieure vers la réalisation de priorités partagées entre l’Union et les pays partenaires.  

Pour donner un poids financier à la nouvelle approche géopolitique, l’initiative « Global Europe » comprend un cadre renforcé pour la coopération financière. Le Fonds européen pour le développement durable (EFSD+) comprend des subventions, une assistance technique, des garanties budgétaires et des mélanges de prêts bancaires et de subventions européennes (blending) dans un cadre unique et harmonisé, offrant ainsi un guichet unique aux investisseurs. 

En étant intégré à l’instrument « Global Europe », le EFSD+ fait partie de son processus de programmation — il est donc explicitement orienté vers la réalisation de ses objectifs politiques5. En outre, il élargit son champ d’application géographique, en incorporant les diverses facilités d’intervention du cadre financier précédent dans une gouvernance unique, et établit une architecture ouverte pour les garanties, ouvrant la porte à sa mise en œuvre par la Banque européenne d’investissement (BEI), mais aussi par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et par les institutions financières — celles des États membres et d’autres internationales.

Compte tenu de l’ambition accrue, de la diversité des acteurs et de la complexité de la coopération financière européenne, le Conseil a adopté à deux reprises (20196 et 20217) des conclusions sur le renforcement de l’architecture financière européenne pour le développement (EFAD). En réponse à ces conclusions, la Commission a présenté, début 2022, une feuille de route8 pour une architecture financière européenne renforcée pour le développement. Le document reconnaît la nécessité d’améliorer la coordination, la cohérence et l’inclusion des acteurs, et d’éviter la fragmentation. Il souligne l’importance de l’approche « Team Europe » et de la « priorité aux politiques » pour guider l’utilisation des instruments afin de garantir l’impact sur le développement et de renforcer le rôle de l’Union en tant qu’acteur mondial. Il comprend également une cartographie des acteurs européens, y compris les trois principaux réseaux du système : EDFI (institutions financières), JEFIC (banques publiques de développement) et le réseau des praticiens (agences de coopération).

Pour donner un poids financier à la nouvelle approche géopolitique, l’initiative « Global Europe » comprend un cadre renforcé pour la coopération financière.

Tobias Jung Altrogge et Álvaro Martínez Rojo

Des « payeurs mondiaux » aux « acteurs mondiaux » : la stratégie Global Gateway

En décembre 2021, le président de la Commission européenne a annoncé que le « Portail mondial » était la stratégie de l’Union pour combler le déficit de financement du développement en investissant dans la connectivité mondiale. La Global Gateway apporte l’approche de Team Europe à une stratégie thématique d’investissement dans les infrastructures vertes, numériques, de santé, d’éducation et de transport, en suivant des principes tels que les valeurs démocratiques, la bonne gouvernance et les partenariats horizontaux.

Au niveau opérationnel, Global Gateway ne remplace pas la Team Europe, mais approuve sa méthode de travail dans le domaine thématique spécifique de la connectivité. Il ne reconfigure et n’intègre pas non plus de nouveaux instruments ou fonds, mais il aligne ceux qui sont liés aux secteurs prioritaires en leur donnant une plus grande ambition en termes de mobilisation des ressources. La stratégie vise à mobiliser 300 milliards d’euros d’investissements d’ici 2027, dont 135 milliards d’euros proviendront d’investissements promus par l’EFSD+ (et donc des fonds de l’instrument Global Europe), 145 milliards d’euros d’investissements par les institutions financières européennes et les institutions de financement du développement, et 18 milliards d’euros de subventions. 

Le changement le plus important dans la stratégie « Global Gateway » est peut-être sa nature géopolitique. Avec cette stratégie, l’Union aspire à devenir une alternative à des initiatives telles que les Nouvelles routes de la soie chinoise, en se positionnant comme un partenaire de référence à l’échelle mondiale. À cet égard, la Commission a commencé à présenter des paquets d’investissement lors de réunions politiques de haut niveau, comme le sommet UE-Union africaine de février 2022, où un paquet de 150 milliards d’euros pour la passerelle mondiale a été annoncé. Remettant en question la viabilité réelle de ce « paquet » d’investissements, le sommet imminent UE-CELAC opte pour un « programme d’investissement pour la passerelle mondiale » qui correspond mieux au récit du partenariat politique entre les deux régions. 

Construire une offre globale, différenciée et positive de Global Gateway

Les critiques à l’égard de Global Gateway sont nombreuses : son eurocentrisme, dont découle son manque d’alignement sur les priorités des pays partenaires qui en découle ; le danger de créer de fausses attentes autour de chiffres d’investissement colossaux ; le risque de dérive des fonds de développement vers des intérêts privés (« l’investissement d’abord » au lieu de « la politique d’abord ») ; la prolifération de concepts qui entrave la communication à la fois au sein de l’Union et avec les pays partenaires. L’une des conséquences du manque de clarté est la difficulté d’impliquer le secteur privé dans les États membres, en particulier les plus petits ; certains d’entre eux se demandent si les coûts de la coordination compensent les avantages incertains par rapport à un scénario de statu quo, stipulant qu’il n’est pas sûr que Global Gateway réponde réellement aux besoins du monde des affaires.

Le changement le plus important dans la stratégie « Global Gateway » est peut-être sa nature géopolitique. Avec cette stratégie, l’Union aspire à devenir une alternative à des initiatives telles que les Nouvelles routes de la soie chinoise, en se positionnant comme un partenaire de référence à l’échelle mondiale.

Tobias Jung Altrogge et Álvaro Martínez Rojo

Au-delà de la validité de ces critiques, l’initiative a un potentiel stratégique. 

En pratique, Global Gateway donne une orientation géopolitique à l’EFSD+ : il s’agit d’une stratégie d’investissement dans la connectivité, mobilisée par le biais de la coopération financière, afin de présenter une offre qui fait de l’Union un partenaire de référence. Il s’agit d’une stratégie de développement, mais pas seulement : il s’agit de faire en sorte que le fait d’être le premier donateur mondial d’aide au développement se traduise par une influence politique équivalente, mais sans instrumentaliser le développement à des fins géopolitiques.

Cependant, l’Union est consciente qu’elle n’est pas le seul joueur sur l’échiquier9 et qu’elle n’est probablement pas la mieux préparée non plus, car elle part de désavantages structurels importants. La Chine, avec son modèle de capitalisme d’État et ses exigences environnementales, sociales et politiques moindres, est considérée par les pays partenaires comme une alternative moins « interventionniste », capable de mobiliser davantage de fonds de manière plus efficace et plus compétitive. 

Dans le même temps, Global Gateway doit éviter de tomber dans les mêmes erreurs que celles qui ont provoqué l’essoufflement de l’initiative des Nouvelles routes de la soie au bout de dix ans10, avec une tendance croissante des pays recevant des investissements chinois à reporter ou à se retirer des accords déjà signés.  

Consciente de cela, la Commission européenne définit Global Gateway comme une « offre positive » basée sur des principes directeurs tels que la démocratie et les normes élevées, la bonne gouvernance et les partenariats horizontaux, comme mentionné ci-dessus. Dans la pratique, cependant, elle n’a pas réussi à aller au-delà de l’identification de quelques priorités d’investissement et s’est concentrée exclusivement sur l’affichage de grands chiffres et de projets visibles sur le terrain. 

En d’autres termes, la Commission n’a pas articulé l’élément de soft power de la stratégie, même si c’est le seul qui placerait Global Gateway à un niveau qualitativement différent — ou « supérieur », dans le jargon de l’Union. Cela est dû à deux idées fausses : l’hypothèse que ces éléments seront présents implicitement, sans qu’une stratégie explicite soit nécessaire pour leur planification et leur promotion, et la compréhension qu’ils sont, dans tous les cas, des moyens qui permettent d’obtenir des fonds, et non des fins ayant un impact en soi en termes géopolitiques et de développement. Parfois, Global Gateway est même présenté comme un virage à 360 degrés par rapport aux approches précédentes qui, d’après ce que l’on sait, n’ont pas fonctionné.

La Commission n’a pas articulé l’élément de soft power de la stratégie, même si c’est le seul qui placerait Global Gateway à un niveau qualitativement différent — ou « supérieur », dans le jargon de l’Union.

Tobias Jung Altrogge et Álvaro Martínez Rojo

Il serait naïf de ne pas reconnaître que le monde a changé, mais nous ne devons pas aller de l’avant en laissant de côté ce qui fonctionne. Nous devons nous appuyer sur notre savoir-faire. Comme le dit le père du concept, Joseph Nye11, le soft power peut avoir des effets plus lents et plus indirects, mais l’ignorer est une erreur stratégique et analytique. De plus, la relation entre le hard power et le soft power n’est pas dichotomique, mais s’inscrit dans un continuum : de même que les États-Unis sont passés du hard power du début du siècle au smart power de l’administration Obama12, et que la Chine elle-même vient d’inaugurer l’Initiative mondiale pour le développement13 comme stratégie complémentaire à la BRI, l’Union européenne a besoin d’une stratégie globale de développement et de partenariats qui optimisent ses forces et minimisent ses vulnérabilités, plutôt que de brusques revirements narratifs d’un avantage stratégique douteux et d’une mise en œuvre opérationnelle difficile. 

Pour faire de Global Gateway une offre réellement positive, l’Union doit se présenter non seulement comme ce que les autres sont, mais aussi comme ce qu’elle est déjà : le modèle d’intégration régionale le plus réussi au monde, fondé sur l’échange et l’apprentissage mutuel entre 27 pays, dans le but ultime de préserver la paix et de promouvoir la prospérité, la cohésion sociale et territoriale et une transition juste. L’Union possède une vaste expérience dans la mise en œuvre de politiques communes et/ou de manière coordonnée et adaptée à la spécificité et à la réalité de chaque État membre. 

Dans la dimension extérieure, cet ADN s’est traduit par le fait que l’Union est traditionnellement reconnue comme une « puissance normative »14, c’est-à-dire comme un acteur dont l’influence repose sur l’attrait de ses valeurs et sur sa capacité à façonner les normes et les règles mondiales. En d’autres termes, l’Union a articulé sa politique étrangère en projetant ses différents modèles politiques, qui sont très attrayants pour les pays partenaires. Les programmes régionaux de coopération technique publique entre l’Union et l’Amérique latine en sont un bon exemple, en particulier EUROsociAL qui, depuis 18 ans, soutient les processus de réforme des politiques publiques fondés sur l’acquis commun euro-latino-américain en matière de cohésion sociale. Les valeurs de l’Union sont, en somme, des valeurs universelles et des réalités politiques auxquelles nos partenaires se réfèrent. Espérons, dans cette optique, que la déclaration du sommet UE-CELAC inclura la cohésion sociale dans l’agenda des valeurs fondamentales, en tant que condition nécessaire au fonctionnement de l’État de droit et au soutien continu de la démocratie, et pas seulement en tant que condition nécessaire au développement économique et mécanisme d’habilitation de l’agenda d’investissement de la passerelle globale, comme le font la Commission européenne et le Service européen pour l’action extérieure dans la récente communication « Un nouvel agenda pour les relations UE-Amérique latine et Caraïbes »15

L’Union a articulé sa politique étrangère en projetant ses différents modèles politiques, qui sont très attrayants pour les pays partenaires.

Tobias Jung Altrogge et Álvaro Martínez Rojo

Il est donc nécessaire de compléter la stratégie de la passerelle mondiale pour aborder les six priorités géopolitiques de l’Union qui, identifiées au début du mandat de la Commission von der Leyen et selon la stratégie de communication de l’initiative, n’entrent pas dans le champ de la connectivité ; en particulier, l’État de droit, la paix et la sécurité, qui représentent l’essence des valeurs de l’intégration européenne, ne peuvent être abordés exclusivement comme un cadre et des principes favorables à l’investissement. Comme indiqué, ils ont leur propre entité avec un impact en termes géopolitiques et de développement. Une stratégie spécifique et complémentaire semble essentielle pour construire les partenariats internationaux de l’Union dans le cadre de son autonomie stratégique ouverte. 

La valeur ajoutée de la coopération technique (publique) dans le cadre de Global Gateway

Un déploiement stratégique de la coopération technique dans le cadre de Global Gateway impliquerait, au niveau opérationnel, la mise en place de systèmes de mobilisation des administrations européennes en appui aux dialogues politiques avec les pays partenaires. Il s’agirait d’établir des dialogues politiques multidimensionnels et multipartites (de l’ensemble de l’équipe européenne et de l’ensemble du gouvernement) avant et pendant la mise en œuvre des projets d’investissement. 

Dans le cadre de « Global Gateway », la coopération technique consistera à

1. Faciliter la transition entre la conception du projet et sa mise en œuvre. Les mécanismes de dialogue permettraient d’assurer le suivi des missions de l’Équipe Europe, d’identifier les besoins sectoriels ou multisectoriels en matière de politique et de réglementation et de concevoir et d’accompagner des feuilles de route complètes pour leur mise en œuvre, adaptées à l’évolution du processus de conception et de mise en œuvre des politiques publiques. 

2. Assurer une mise en œuvre efficace, durable et axée sur les résultats. Les mécanismes de dialogue permettraient de suivre les progrès des réformes engagées et, compte tenu de la nature à long terme des investissements et des changements sociaux et politiques possibles, d’identifier de nouveaux besoins et d’adapter les différents instruments de coopération en conséquence.

L’intégration d’une stratégie de coopération technique dans la passerelle globale permettrait d’aller au-delà du développement, tout en reconnaissant que, pour ce faire, il est essentiel de le faire « à l’européenne ».

Tobias Jung Altrogge et Álvaro Martínez Rojo

3. Construire une offre européenne plus complète et plus cohérente. L’ancrage de la conception et de la mise en œuvre des projets dans des agendas de développement partagés, fondés sur des réformes réglementaires et institutionnelles, permet d’orienter les différents acteurs et outils de l’architecture européenne de développement, selon le principe de la « priorité aux politiques »16

4. Renforcer la relation entre le développement et l’action extérieure, en l’inscrivant dans le cadre des valeurs de l’Union. L’accompagnement des programmes de réforme permet d’établir des relations institutionnelles fondées sur la confiance, au-delà des intérêts politiques ou commerciaux spécifiques, ce qui améliore la crédibilité de l’Union et sa capacité de dialogue politique avec le pays partenaire.

En d’autres termes, l’intégration d’une stratégie de coopération technique dans la passerelle globale permettrait d’aller au-delà du développement, tout en reconnaissant que, pour ce faire, il est essentiel de le faire « à l’européenne » : promouvoir des alliances horizontales et non exporter des modèles, construire des réponses partagées à des défis communs et non imposer des intérêts politiques ou commerciaux, et défendre un multilatéralisme fondé sur des règles plutôt que des transactions « sur le terrain » motivées par la concurrence avec des tierces parties17.

Une stratégie renouvelée pour la coopération technique dans le cadre de Global Gateway

Les bases sont solides et le moment est propice.

Au niveau politique, en novembre 202118, le Conseil des affaires étrangères a défini l’expertise du secteur public comme une modalité de coopération technique consistant à mobiliser les connaissances des institutions publiques pour contribuer au développement durable dans les pays partenaires. La coopération technique publique est reconnue comme un domaine dans lequel l’Union a une valeur ajoutée distinctive, ainsi que sa capacité à promouvoir les valeurs et les intérêts européens et à favoriser les dialogues politiques qui orientent toutes les modalités de coopération, y compris les investissements, vers des résultats en matière de développement. 

En outre, dans la déclaration de Strasbourg sur les valeurs communes et les défis pour les administrations publiques européennes19, les ministres de l’administration publique de l’Union ont souligné l’importance de partager l’expertise des administrations publiques pour renforcer leurs homologues dans les pays partenaires et promouvoir les valeurs de l’Union. 

Au niveau opérationnel, cela pourrait se traduire par une mise à jour de la « Backbone Strategy »20 en tant que stratégie de partenariat qui renouvelle les concepts d’assistance et de coopération technique, ainsi que par l’établissement d’une feuille de route pour l’articulation des acteurs et des instruments de la coopération technique dans l’architecture européenne de développement, complétant ainsi le pilier de l’architecture financière. Ainsi, en plus du « combien », nous répondrions au « comment », et la stratégie Global Gateway aurait l’équipe Europe comme architecture et deux outils complémentaires et interdépendants : l’un financier, pour mobiliser et tirer parti des ressources pour le développement, et l’autre technique, pour orienter l’ensemble des instruments de l’action extérieure vers des résultats de développement durable.

L’Espagne peut être à l’avant-garde de cet agenda. La loi 1/2023 du 20 février sur la coopération pour le développement durable et la solidarité mondiale21, récemment approuvée, s’aligne sur le contexte européen en intégrant la coopération technique publique comme une modalité de coopération technique à laquelle participent des « institutions publiques et leur personnel » et qui vise à « établir des alliances avec les administrations publiques des pays partenaires ». À cette fin, la loi s’engage à promouvoir l’internationalisation des administrations publiques et leur participation à des partenariats pour le développement durable. 

D’un point de vue opérationnel, le regain d’intérêt pour les talents publics dans l’action extérieure a entraîné la reconnaissance du rôle essentiel des organismes de mise en œuvre des États membres dans la promotion et l’orientation de cette action vers des résultats de développement durable. Au niveau européen, les conclusions du Conseil de novembre 2021 soulignent le rôle du réseau des praticiens et, plus particulièrement, de son plan d’action conjoint avec la Commission européenne pour la mise en œuvre des engagements qu’il contient. En Espagne, la nouvelle loi reconnaît spécifiquement la FIIAPP, qui a récemment assuré la présidence du Réseau des praticiens, comme l’entité « spécialisée dans la promotion et la gestion de la participation des administrations publiques et de leurs organismes aux programmes et projets de coopération espagnols et européens, en orientant leurs actions vers des résultats de développement durable ».

D’un point de vue opérationnel, le regain d’intérêt pour les talents publics dans l’action extérieure a entraîné la reconnaissance du rôle essentiel des organismes de mise en œuvre des États membres dans la promotion et l’orientation de cette action vers des résultats de développement durable.

Tobias Jung Altrogge et Álvaro Martínez Rojo

La valeur de la coopération technique et du talent public pour une Europe globale d’alliances et de valeurs partagées

La coopération technique (publique) est un outil fondamental de l’action extérieure et de la coopération au développement de l’Union, qui s’est avéré très efficace en termes de coût et d’impact, grâce à son pouvoir normatif, dans la construction d’alliances encadrées par des valeurs partagées. Nous disposons des bases nécessaires pour élever qualitativement le concept d’assistance technique au-delà de l’identification de projets bancables, de la réduction du risque d’investissement et de la création d’environnements favorables. 

Le 23 juin a été célébrée pour la 21e fois la Journée du service public des Nations unies. Cette journée met en lumière la contribution du service public au développement durable et inclusif, l’importance d’institutions publiques efficaces, responsables et inclusives pour faire progresser les ODD et l’Agenda 2030 et, plus largement, leur rôle essentiel dans l’amélioration de la vie des gens. 

Nous avons besoin d’une stratégie de valeurs qui jette les bases de la stratégie de Global Gateway. À cette fin, nous devons de toute urgence définir une approche stratégique de la coopération technique qui, dans le cadre de la passerelle mondiale, se concentre sur l’établissement de partenariats fondés sur des valeurs partagées, plutôt que sur une concurrence géostratégique basée sur des intérêts commerciaux. 

Si les Européens veulent passer du statut de « payeurs mondiaux » à celui d’« acteurs mondiaux », il est essentiel d’élaborer des stratégies de développement holistiques qui s’appuient sur notre identité et nos points forts tout en proposant des instruments innovants. Comprenons que le développement des pays partenaires est une fin et non un moyen de concurrence avec des acteurs tiers. Avançons sur des agendas de développement partagés, qui sont la seule base solide pour construire des partenariats. Mettons à profit ce savoir-faire distinctif de l’Union dans nos stratégies et nos partenariats pour garantir un impact durable dans le nouvel environnement géopolitique.

Sources
  1. Michael Wurmser, « Verticalization is the new globalisation », Norge Mining, 26 mai 2022.
  2. « How to survive a superpower split », The Economist, 11 avril 2023.
  3. EU Strategic Autonomy Monitor, Parlement européen, juillet 2022.
  4. « Geopolitical Commission builds on International Partnerships », Commission européenne, février 2020.
  5. L’article 31.2 du règlement relatif à l’instrument « Global Europe » stipule que l’EFSD+ contribue, entre autres, au développement économique, environnemental et social, à la transition vers une économie durable à valeur ajoutée, à des environnements d’investissement stables, à la résilience socio-économique et environnementale, à la réduction des inégalités socio-économiques et à une croissance durable et inclusive, à la promotion des droits de l’homme, à l’égalité entre les hommes et les femmes et à la lutte contre les causes socio-économiques profondes de l’immigration irrégulière.
  6. Council conclusions on strengthening the European financial architecture for development, Conseil de l’Union européenne, 5 décembre 2019.
  7. Council conclusions on strengthening the European financial architecture for development, Conseil de l’Union européenne, 10 juin 2021.
  8. Report from the Commission to the Council – Commission’s roadmap for an improved European financial architecture for development and 2021 progress report, Commission européenne, 24 mars 2022.
  9. Micaela Iveson, David McNair, « Multilateral development : How Europeans can get real with the global south », ECFR, 12 juin 2023.
  10. Christina Lu, « Xi’s Belt and Road Is Running Out of Steam », Foreign Policy, 13 février 2023.
  11. Joseph. S. Nye Jr., « Whatever Happened to Soft Power ? », Project Syndicate, 11 janvier 2022.
  12. José Luis Valdés Ugalde, Frania Duarte, « Del poder duro al poder inteligente : La nueva estrategia de seguridad de Barack Obama o de la sobrevivencia de la política exterior de Estados Unidos »,  Norteamérica, Vol. 8, Nº. 2, 2013, pp. 41-69
  13. Anthea Mulakala,  « China’s Global Development Initiative : soft power play or serious commitment ? », DevPolicyblog, 18 octobre 2022.
  14. Bradford, Anu, The Brussels Effect : How the European Union Rules the World (2020). Faculty Books, 232 pages.
  15. « Communication conjointe au Parlement et au Conseil – un nouvel agenda pour les relations UE-Amérique latine et Caraïbes », Commission européenne, 7 juin 2023.
  16. Anna Terrón Cusí, « The European way : policy first for the people », OECD Development matters.
  17. Tobias Jung Altrogge, « Las relaciones entre la Unión Europea y América Latina : un debate por la integración regional », El País, 21 novembre 2022.
  18. « Expertise du secteur public de l’UE : un atout essentiel au service des pays partenaires de l’UE », Conseil de l’Union, 19 novembre 2021.
  19. Disponible à cette adresse.
  20. En réponse à un rapport de la Cour des comptes européenne, la Commission a publié en 2007 la « Backbone Strategy », une proposition de réforme de la coopération technique visant à déployer cet atout de manière plus stratégique dans le cadre de la coopération au développement et de l’action extérieure de l’UE. Le document décrit la coopération technique de manière interchangeable comme la fourniture d’expertise technique aux pays en développement, soit par le biais d’activités qui améliorent leurs connaissances ou leurs compétences, soit par le biais de services qui contribuent à la mise en œuvre de projets d’investissement. Toutefois, il ne distingue guère les concepts de coopération technique et d’assistance technique.
  21. Loi 1/2023 du 20 février sur la coopération pour le développement durable et la solidarité mondialeDéveloppement et solidarité mondiale, Parlement espagnol, 21 février 2023.