Les Français cherchent le rôle qu’ils doivent endosser dans la guerre écologique qui mêle le besoin de décarbonation rapide et de transition énergétique accélérée de nos économies. Souvent considérées comme structurelles et plutôt secondaires face aux sujets brûlants dans le débat public, les questions énergétiques sont devenues, en un an, avec les conséquences de la guerre en Ukraine, une thématique centrale. Comment les Français veulent-ils investir dans la transition énergétique ? Quelles menaces voient-ils pour l’approvisionnement de leur pays en énergie dans le moyen terme ? Quelles stratégies, nationales et internationales, ont leur préférence ? Une étude réalisée en mars 2023 par Kantar Public1, que le Grand Continent publie en exclusivité, dévoile les quelques clefs de lecture des perceptions des Français.

1 — Les Français préfèrent (légèrement) les énergies renouvelables au nucléaire

Les Français ont la conscience profonde que même si la sobriété peut être une partie de la solution, la production d’énergie électrique doit augmenter pour réduire la part des énergies fossiles dans la production énergétique totale. Pour assurer leur sécurité énergétique, plus de neuf Français sur dix (91 %) pensent donc qu’il faut augmenter la production d’électricité renouvelable en France. La question porte ici exclusivement sur l’éolien et le solaire, sans mention de l’hydraulique (première source d’électricité renouvelable produite en France) ni des gaz renouvelables. Les 25-34 ans sont les plus avancés sur le sujet, puisque 55 % d’entre eux se disent “tout à fait d’accord”, contre 48 % dans la population générale. La récente loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, adoptée par le Parlement en février dernier, abonde dans ce sens. Elle vise notamment à corriger le retard français en la matière, puisque le pays n’a pas atteint depuis 2020 ses objectifs en matière d’énergies renouvelables et était alors le seul dans ce cas parmi les vingt-sept2.

En revanche, les Français sont également une très large majorité, toutefois dans une légère moindre proportion (85 %), à penser qu’il faut produire davantage d’électricité de source nucléaire. C’est le sens du nouveau projet de loi en cours de discussion, qui vise à prolonger la durée de vie des centrales actuelles et accélérer la construction de nouveaux réacteurs.

Lorsqu’on leur demande leurs priorités en matière d’investissement, 55 % des Français classent les énergies renouvelables en premier, contre 40 % pour le nucléaire et 5 % seulement pour les énergies fossiles.  Il y a donc un double consensus français fort sur les renouvelables comme sur le nucléaire.

2 — Contradictions sur les investissements bas-carbone

Les Français préfèrent donc investir dans les énergies renouvelables que dans le nucléaire.  Ce résultat est pour autant contraire à la rationalité économique stricte qu’ils expriment, car ils considèrent que c’est l’énergie nucléaire qui est le moins cher à produire. Une moitié (49 %) de Français pense ainsi que le nucléaire est l’énergie la moins chère à produire en France (les plus de 65 ans sont 61 % à le déclarer), contre 36 % pour l’éolien et le solaire. Ce n’est donc pas seulement le prix qui guide les Français favorables aux énergies renouvelables ; une bonne partie d’entre eux consent donc à payer un prix plus élevé pour ces investissements.

Pour autant, les Français se trompent : le rapport Futurs énergétiques publié par l’opérateur RTE en octobre 20213 (avant la guerre en Ukraine, mais à un moment où les prix de l’énergie étaient déjà élevés sur fonds de reprise post-Covid) considère que le coût de production du nouveau nucléaire, de l’ordre de 60-85 € le MWh, est supérieur au coût du solaire et de l’éolien (entre 30 et 45 € le MWh)4 dans la plupart des configurations.

3 — De manière générale, les Français ne veulent pas payer pour la transition

Double contradiction : les Français veulent investir dans les technologies qui à leurs yeux coûtent plus cher en moyenne… Cependant en majorité ils ne veulent pas payer tout court. À la question de savoir s’ils seraient prêts à payer plus d’impôt pour financer la transition énergétique et assurer leur sécurité énergétique, 26 % répondent par un non définitif, et 36 % par “plutôt non”.

Ce choix témoigne des préoccupations financières plus générales des Français. Dans toutes les études d’opinion, leur inquiétude première porte sur leur pouvoir d’achat, et non sur l’environnement, l’immigration ou les relations internationales. D’ailleurs, selon l’étude, 81 % des Français pensent que dans les mois à venir les prix de l’énergie vont encore augmenter. En février, le prix moyen du MWh d’électricité sur le marché de gros s’élevait en France à 149 €, ce qui est largement au-dessus de la moyenne de 2015 à 2020, autour de 30-50 €, mais en-dessous du pic à presque 500 € en août. Cependant, malgré le refus de payer davantage, les Français sont conscients d’une forme de fatalité à une transition coûteuse puisqu’ils prévoient en majorité que le coût de l’énergie augmentera de manière tendancielle.

4 — Une minorité importante de Français n’a pas d’inclinaison de principe envers les Occidentaux pour assurer sa sécurité énergétique

Les Français veulent majoritairement investir dans les énergies renouvelables et, dans une légèrement moindre proportion, dans le nucléaire. Une minorité significative n’est néanmoins pas du même avis. Plus d’un quart des Français (26 %) ne pense pas que la France doit arrêter d’importer des énergies fossiles (gaz, pétrole) provenant de pays autoritaires (Russie, Arabie saoudite, Afghanistan). Ils sont minoritaires, mais loin d’être anecdotiques. 

Rappelons qu’en France, le taux de dépendance énergétique à la Russie avant la guerre (pétrole, gaz, charbon) était évalué à 5,9 %, c’est-à-dire plus que l’Espagne mais moins que la majorité des pays européens, un taux qui a baissé en 2022 en raison de la réduction des importations provenant de Russie et des tentatives de diversification des approvisionnements.

De plus, seul un tiers des Français (32 %) pense qu’il faut en priorité s’appuyer sur nos alliés occidentaux (Union, États-Unis, Royaume-Uni) pour assurer notre sécurité énergétique. Cela ne signifie bien sûr pas qu’une majorité de Français rejette les alliances occidentales sur le principe ; cependant parmi les deux-tiers de Français qui pensent que la France doit d’abord compter sur elle-même, il y a fort à parier qu’une partie non significative souhaite collaborer avec d’autres États, peut-être autoritaires. 

5 — Les Français restent favorables à une coordination sur les questions énergétiques

Si seulement un tiers des Français souhaite s’appuyer en priorité sur l’Europe et les États-Unis pour assurer leur sécurité, les trois-quarts d’entre eux (77 %) sont ouverts à une coordination avec eux, qui pourrait prendre la forme d’une concertation, d’une planification commune voire d’approvisionnements communs. De manière générale, en politique énergétique comme en politique étrangère, les Français restent ouverts sur leurs collaborations.

En cela, “l’alliance du nucléaire” lancée par le président Macron, présentée comme “l’un des nombreux outils permettant […] de garantir la sécurité de l’approvisionnement”, pourrait être bien reçue par les Français. De même, selon l’Eurobaromètre de février 20235, 75 % des Européens, et 70 % des Français, considéraient le plan REPowerEU de la Commission comme “une bonne chose”. 

Conclusion

Au bout du compte, cette étude montre que les Français veulent en majorité sortir des énergies fossiles, privilégient très légèrement les énergies renouvelables par rapport au nucléaire, mais ne veulent globalement pas financer davantage la transition par l’impôt. Ils veulent d’abord que la France soit plus autonome en matière énergétique mais espèrent bien se coordonner avec leurs alliés. Ces orientations ne font pas l’unanimité et une minorité non négligeable reste favorable aux énergies fossiles et n’a pas d’opposition de principe au commerce avec des puissances autoritaires.

Concluons sur la place de la France dans l’Union. Le dernier Eurobaromètre de mars 20236 fait ressortir deux faits majeurs : 

  • 86 % des Européens en moyenne pensent que l’Union devrait investir massivement dans les énergies renouvelables. 80 % des Français pensent de même, ce qui en fait le 21e pays sur 27.
  • Pour 84 % des Européens, il faut réduire notre dépendance à l’égard des sources russes d’approvisionnement énergétique dès que possible. C’est le cas de 79 % des Français, ce qui les place à la 20e place sur 27.

En somme, les Français sont très majoritairement favorables à la sortie des énergies fossiles (a fortiori provenant de Russie), au profit des énergies renouvelables, mais globalement beaucoup moins que leurs partenaires européens.

Sources
  1. « Les Français et la sécurité énergétique », étude menée par Kantar Public pour Nuances d’avenir et publiée en mars 2023. L’étude a été réalisée auprès d’un échantillon de 1000 adultes représentatifs de la population française, selon la méthode des quotas (sexe, âge, CSP) et avec une stratification par région, du 6 au 8 mars 2023.
  2. https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/11/24/renouvelables-la-france-devra-debourser-plusieurs-centaines-de-millions-d-euros-pour-ne-pas-avoir-atteint-ses-objectifs_6151464_3244.html
  3. https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan-previsionnel-2050-futurs-energetiques
  4. Ceci cependant sans intégrer les autres coûts associés à la production des énergies renouvelables, tels que le stockage et le transport, qui aboutissent à un coût total plus élevé que pour le nucléaire.
  5. https://europa.eu/eurobarometer/surveys/detail/2653
  6. https://www.europarl.europa.eu/at-your-service/fr/be-heard/eurobarometer/plenary-insights-march-2023