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Vous qui avez été membre d’un gouvernement technique, comment jugez-vous le nouveau gouvernement Draghi ?
Le nouveau gouvernement Draghi est un cas unique, et ce même dans un pays qui possède une histoire particulière comme la nôtre. En effet, les gouvernements Dini1 et le gouvernement Ciampi2, menés tous deux par deux techniciens, avaient également la particularité d’être des gouvernements avec un mandat politique fort – l’un de centre droit, l’autre de centre gauche. Le gouvernement Monti3 était un gouvernement totalement technique, mais il était également en charge d’un mandat politique précis, contenu dans un programme négocié par le gouvernement de centre-droit avec l’Union européenne afin de garantir les comptes publics du pays, ce programme ayant ensuite été repris par le centre-gauche lorsqu’il est apparu que seul un gouvernement d’unité nationale et technique pouvait en garantir la mise en œuvre.
Ici, nous sommes au contraire en présence d’un gouvernement sans mandat stratégico-politique originaire des partis. Compte tenu des déclarations très ouvertes faites lors de la présentation par le Premier ministre, il s’agit d’un gouvernement qui ne pourra être jugé que lorsque nous comprendrons comment celui-ci entend atteindre les objectifs proposés, tels que l’accélération de la campagne de vaccination, le Plan national de relance et de résilience (PNRR), ainsi que les autres objectifs annoncés.
Concernant le Plan national de relance et de résilience (PNRR), comment analysez-vous le risque, soulevé par certains Italiens, qu’un tel plan intensifie la « contrainte extérieure » exercée sur l’Italie, retardant ainsi de quelques années une crise eurosceptique ?
Il s’agit d’un énorme enjeu pour l’Europe, parce qu’elle est peut-être sur le point (qu’elle risque) de changer son mode de gouvernance en s’engageant sur ce terrain. Cela voudrait dire qu’elle s’apprêterait à émettre des obligations européennes d’État, en suivant les recommandations de Thomas Piketty et d’autres économistes, en adjoignant au pouvoir monétaire un pouvoir fiscal, en nommant un ministre du Trésor, en donnant un pouvoir de contrôle au Parlement etc.. Il n’en va donc pas seulement du sort de l’Italie : si la partie tourne mal, les conséquences seront dures pour l’Italie, mais aussi pour l’Europe, puisque cette dernière joue son avenir ici …
Qu’a fait le gouvernement Conte II ? Qu’est-ce qui pourrait changer avec le gouvernement Draghi ?
Le gouvernement Conte II était, d’une certaine manière, conscient des enjeux de notre époque. Il s’est beaucoup investi conformément aux usages modernes, mais son action est restée circonscrite aux arcanes du gouvernement. Après un mauvais départ – la remise sur pied des projets existants ayant précédé la hiérarchisation des objectifs – et des premières propositions fragiles (début décembre 2020), l’hypothèse de gouvernance proposée étant irréaliste. Certaines critiques – dont celles du Forum Disparités et Diversité [ForumDD] – ont conduit le gouvernement à amender ses propositions, qui ont été intégrées au projet approuvé le 12 janvier et sur lequel se fonde désormais le gouvernement Draghi pour gouverner le pays.
Le ForumDD avait fait des propositions spécifiques pour donner au Plan adopté par le gouvernement une véritable stratégie à l’échelle du pays. Elles sont le reflet de notre diagnostic, et de la vision que nous prônons. Il a semblé nécessaire d’expliciter les résultats attendus en termes de conditions de vie et de travail, pour que les millions d’Italiens qui veulent reconstruire leur projet de vie puissent le faire avec un minimum de certitudes : je veux parler des travailleurs qui n’ont pas ou n’auront bientôt plus de travail ; des PME ou encore des jeunes qui ont été pris au dépourvu par la crise. Il leur sera utile de savoir que dans tel lieu, le gouvernement prévoit d’augmenter le nombre de places dans les crèches (qui permettent une plus importante égalité des chances, une plus forte attractivité de la région, et des possibilités d’emploi, en particulier pour les femmes) ; que les bâtiments et les lieux publics seront rénovés (sur les plans énergétique et esthétique) ; que les entreprises de la filière verte seront soutenues ; que les services de santé et de soins et la mobilité seront améliorés ; que la collaboration entre les entreprises et les universités sera renforcée et que les entreprises en difficulté se verront offrir des possibilités de se relancer (peut-être par le biais du rachat des travailleurs). L’État peut jouer cette carte, une carte keynésienne non seulement dans le sens où il pourrait soutenir la demande globale, mais aussi dans le sens où il pourrait offrir des certitudes dans une situation de grande incertitude. Et pour ce faire, il est nécessaire que d’une part, nos grandes entreprises publiques soient impliquées en première ligne, avec des missions stratégiques fortes ; d’autre part, que les chaînes territoriales de mise en œuvre des projets soient identifiées, et qu’on leur confie la tâche de mener à bien les projets en cassant les cloisonnements sectoriels là où c’est possible, pour construire des stratégies territoriales pouvant faire l’objet de demandes et proposant un réel encadrement.
Il n’est pas certain que nous ne réussirons pas. Mais s’il veut réussir, il faut que nouveau gouvernement sorte de sa tour d’ivoire et de ses palais, ce dont nous avions déjà averti le gouvernement Conte II. Ne pensez pas pas qu’il suffise de remplacer les techniciens par des techniciens. Le changement doit être rapide, il faut d’abord remplacer – comme cela est souvent le cas au moment d’un changement de gouvernement – les chefs des administrations centrales responsables de l’élaboration des politiques, puis établir un dialogue étroit et informé entre ces techno-bureaucraties et les connaissances issues du partenariat solide entre les sphères économiques et sociales du pays. Nous ne voulons pas d’un « grand débat sur les grands systèmes » : il nous faut mener une étude comparative des objectifs stratégiques uniques, en recueillant des réactions, des questions et des propositions ; des estimations et des décisions, en tenant informés les acteurs sur les décisions prises et leurs motivations. Il faudra ensuite, sans perdre de temps, recruter des jeunes et un important vivier de ressources humaines dans tous les secteurs administratifs, en profitant de l’occasion unique que représente le départ en retraite d’une génération entière – plus de 500 000 postes à pourvoir –, avec des avis de concours rapides (3-6 mois) et modernes tout en veillant ensuite à leur insertion et au tuilage entre les « anciens » et les « nouveaux » afin que l’objectif réponde aux attentes du Plan. Sur ce dernier point, le Président du Conseil Mario Draghi a donné des signaux convaincants, quoique ses prises de position n’ont pas encore été à la hauteur sur l’indispensable thème du dialogue social. C’est là que se joue le jeu italien.
Quelle est votre position sur le pacte de stabilité ? Devrait-on l’abolir, comme le suggère Olivier Blanchard ?
La pars destruens d’Olivier Blanchard est compréhensible et évidente… On sait depuis longtemps que le système du “one fits all”, qui évalue la viabilité de la dette sur la base de règles fixes, est un système inadapté étant donné que, comme le fait remarquer à juste titre Blanchard, la viabilité est liée à une multiplicité de facteurs : du comportement futur des gouvernements aux événements extérieurs et à la confiance des investisseurs. Je doute qu’une solution puisse être trouvée à cette limitation en remplaçant un mécanisme composé de règles fixes par des critères discrétionnaires qui seront interprétés de temps en temps, en évaluant ces facteurs multiples et variables. Deux options me semblent possibles. On pourrait confier l’évaluation, comme le suggère Blanchard, à un organe technique – bien qu’il s’agisse clairement d’une évaluation politique : une telle option mettrait à mal sa crédibilité démocratique. L’évaluation pourrait également être confiée au Conseil européen, ce qui lui permettrait d’être en mesure d’équilibrer les conditions politiques avec plus de flexibilité. Une telle option représenterait probablement un pas en avant, mais elle serait toujours soumise à la volatilité du cadre des alliances interétatiques.
Il n’en reste pas moins que la véritable solution réside dans l’évolution de l’union monétaire vers une union politique, et dans laquelle le nouvel État fédéral européen évaluerait, dans l’ensemble, les choix fiscaux à faire.
Venons-en à vous. Vous coordonnez le Forum Disuguaglianze Diversità, un réseau d’associations et d’universitaires dont la vision et la philosophie font des inégalités le point de départ de toute discussion, proposition et action politique. Les inégalités sont aujourd’hui un des enjeux structurants du débat scientifique et politique : comment analyser l’évolution et la construction des différentes positions sur cette question ?
Pour utiliser une expression gramscienne, nous sortons d’une période de quarante ans qui a été marquée par un changement profond du sens commun, par la dépolitisation, la personnalisation et le rejet de la responsabilité du malaise social sur les individus eux-mêmes, ainsi que par une diminution de l’accès à la parole. Cela a entraîné un changement radical du sens donné au mot « pauvreté » : alors que le mot désignait dans la période d’après-guerre le contexte dans lequel les gens étaient nés, dans lequel ils avaient eu la possibilité de grandir ou de vivre, la « pauvreté » est depuis près de quarante ans, perçue le plus souvent comme le résultat d’un choix individuel. Personne n’a nié l’existence des inégalités : mais elles ont été réinterprétées comme un état de vie temporaire des individus et des sociétés, résultant de leurs choix personnels.
Cette vision a-t-elle changé par la suite ?
Vers la fin de cette longue période – au début des années 2000, avant même la crise de 2008 – le fer de lance de la pensée néolibérale et libérale, The Economist, a commencé à percevoir que la conception des inégalités comme des états temporaires – de la vie des gens ou des sociétés – n’était pas fondée. La théorie du ruissellement, d’après laquelle tous pourraient profiter des effets de la croissance, était fausse. Au niveau européen, cette prise de conscience était déjà très forte chez de grandes figures comme Anthony Barnes Atkinson, et dans les réseaux d’universitaires européens qui ont porté le thème des inégalités personnelles et territoriales sur un plan analytique et empirique.
C’est une prise de conscience qui trouve ses racines dans la structure constitutive de l’UE. Je me souviens que le traité de l’UE préfère l’expression de “harmonious development”, qui prévoit qu’une chance puisse être donnée à chacun, au mot « bonheur » que l’on trouve dans la Constitution américaine. Depuis sa création, la Communauté puis l’Union européennes ont montré qu’elles étaient pleinement conscientes du fait que la libre circulation des travailleurs, des biens et des capitaux tendait en elle-même à accroître les inégalités territoriales. Et donc que l’objectif de paix doit se fonder sur une « identification » – mot utilisé par Freud dans ses réponses à Einstein en 1933 au sujet de ce qui pourrait permettre d’éviter la guerre qui se profile – entre les citoyens européens les uns aux autres. Ce concept s’inscrit dans l’objectif de « cohésion », mis en avant dans les traités et, sans surprise, par Jacques Delors à l’heure de son engagement sur la voie de l’Union monétaire ; et on le retrouve à nouveau dans le Next Generation Fund.
Au contraire, et surtout depuis les années 90, l’action publique de l’Union européenne et de ses États membres a pris une autre direction en aggravant les inégalités, et ce sous leurs trois formes. Outre les inégalités « classiques », c’est-à-dire les inégalités économiques, de revenus et de richesses, qui ont cessé de diminuer et ont souvent augmenté, même fortement depuis les années 1980, il en existe deux autres : celles – suffisamment graves – de l’accès aux services de base, causées par l’affaiblissement de l’État-providence, le déni et la corrosion des systèmes publics de santé, d’éducation, de mobilité, et d’accès et de bonne utilisation des outils numériques ; et les inégalités de reconnaissance, un concept fondamental de la philosophie allemande, c’est-à-dire le déni de la reconnaissance de la valeur, du rôle, de l’identité, des valeurs propres à des segments de la société, qu’ils soient enseignants, travailleurs ou résidents de zones marginalisées, périphériques et rurales dans toute l’Europe. C’est ce que l’on voit déjà aux États-Unis.
Et il faut noter que le manque de reconnaissance des valeurs personnelles auxquelles adhèrent les individus, leur remise en cause par des valeurs différentes, le défi de la « diversité » contre l’homogénéité et l’unicité, représentent, selon la grande politologue et spécialiste du comportement humain Karen Stenner, autrice du volume d’anticipation de 2005 (The Authoritarian Dynamic), le déclencheur de cette réaction de colère et de ressentiment de la part de ceux qui ont précisément une prédisposition à l’homogénéité. C’est la combinaison de ces facteurs qui, en l’absence d’une conception alternative progressiste qui propose à la fois des valeurs communes fortes et un possible scénario de vie plus juste, explique les poussées autoritaires de la dernière décennie.
Comment cette prise de conscience s’est-elle traduite en propositions et initiatives concrètes aux niveaux européen et international ?
En Europe comme aux États-Unis, certains prévoient déjà ce qui va se passer : Danuta Hübner, économiste et sociale-démocrate polonaise, qui a accompagné et géré l’entrée de la Pologne dans l’UE, prévient que ces phénomènes ouvrent de grandes failles derrière lesquelles se cache le refus de toute issue collective : There is no alternative, it’s up to you…. Take your life in your hands ; we can’t do anything about it. Lorsqu’elle est devenue en 2008 commissaire européenne à la cohésion, Danuta Hübner a ainsi tenté de construire une opération européenne qui utiliserait la politique de cohésion comme un levier pour trouver une alternative, dans les pas de Jacques Delors. Elle me proposa de former et de coordonner une équipe grâce à laquelle nous avons pu publier, après un parcours de plus d’une année, un Rapport de diagnostic et de propositions (“An Agenda for a Reform of Cohesion Policy”) qui anticipait déjà ce qui, dix ans plus tard, est devenu un constat partagé par tous : les inégalités personnelles et territoriales ne sont pas viables, la priorité politique est d’accroître l’accès aux services fondamentaux et leur qualité, de rendre la citoyenneté véritablement « européenne ». Elle a proposé des options concrètes animées par une méthode, la place-based approach. Il s’agit d’une manière de concevoir et de mettre en œuvre des politiques n’étant ni descendante ni ascendante, mais qui combine de fortes orientations générales de principe au niveau européen-national-régional avec des stratégies territoriales confiées aux municipalités, avec un dialogue social fort entre la société civile et le monde du travail et de l’entreprise.
La pensée néo-libérale dominante incarnée par la composante hégémonique de la Banque mondiale est en fort contraste avec de telles initiatives. Mais l’OCDE a donné une place à ce type d’approche, au sein – et ce n’est pas un hasard – du Comité des politiques territoriales4, où ont pu mûrir certaines des idées reprises par Danuta Hübner. Ce travail a été mené parallèlement à d’autres projets importants dirigés par l’OCDE, à partir des années 2000 et 2010, notamment grâce à Enrico Giovannini5 – un ami de toujours, mais aussi avec la France qui a occupé une place intéressante avec la Commission Stieglitz-Fitoussi-Sen6 lancée par Nicolas Sarkozy en 2007. Cette initiative encourage la discussion sur les limites de la mesure du PIB (“Beyond GDP“) et l’établissement de nouveaux indicateurs basés sur le bien-être, et a constitué la base de plusieurs initiatives de l’OCDE dans les années suivantes, ainsi que de l’initiative des Nations unies sur les 17 Objectifs de développement durable (ODD).
Cette initiative influence l’élaboration d’une politique de cohésion, mais elle n’est pas reprise par le politique qui reste ancré dans le schéma ayant prévalu durant les vingt années précédentes. Une autre vision a cependant commencé à se développer, qui considère l’inégalité comme un phénomène permanent, le fruit de choix – comme dirait Anthony Atkinson – et non pas comme un phénomène inévitable. Elle n’est pas le résultat de la mondialisation, mais de la manière dont nous l’avons gérée : à commencer par l’accord ADPIC7 de 1994, qui fragilise le difficile équilibre entre la protection de la propriété intellectuelle et la connaissance reconnue en tant que bien commun de l’humanité, ce dont nous payons actuellement les conséquences dramatiques avec les vaccins. C’est encore un des résultats du new public management, qui suppose une maîtrise totale des sujets par quelques centres d’expertise, et qui tapit les décisions politiques dans des coquilles techniques jusqu’à aboutir à un mépris systématique de la connaissance générale. Voici, en les synthétisant à l’extrême, dans l’analyse du ForumDD, les causes de l’état actuel des choses.Il est certain que l’entrée en jeu dans les secteurs productifs fortement compétitifs de masses salariales en Chine, en Indonésie et en Inde tend à réduire le pouvoir contractuel des classes ouvrières et des classes moyennes inférieures européennes. Mais au lieu d’y répondre en donnant un rôle plus fort et plus innovant aux syndicats, la solution retenue a consisté à les délégitimer et à les considérer comme des institutions du passé. L’évolution des technologies et du numérique a certes déstabilisé les anciens emplois, mais le défi n’a encore une fois pas encore été relevé : on n’a pas posé les bonnes questions en matière de politique publique, sur la manière d’orienter le changement pour produire de bons et non de mauvais emplois, mais bien plutôt l’a-t-on laissé aux mains de la supposée intelligence du marché, permettant ainsi aux plateformes numériques de devenir la possession exclusive et le monopole de quelques entreprises. Nous en sommes donc réduits à abandonner le terrain face à ce qui devient le nouveau grand levier de la transformation mondiale. En bref, l’état actuel d’inégalité grave est le résultat de choix politiques et de ce changement de sens commun à partir duquel nous avons commencé.
Le populisme présent en Europe aujourd’hui est-il donc le résultat d’un retard dans la compréhension du rôle structurel de l’inégalité ?
Assurément. Les partis de gauche et de centre-gauche, hégémonisés par la culture néo-libérale, ne répondent pas aux lacérations sociales et cessent d’exercer la « représentation ». La démocratie est mortifiée parce que la manière dont sont imaginées les décisions et la mise en œuvre de la souveraineté populaire sont réduites au vote populaire, rendant impossible le « gouvernement par le débat », la participation, la confrontation vivante, ouverte, informée et raisonnable, et qui serait le seul outil, comme l’écrit Amartya Sen, qui permettrait de prendre des décisions justes. C’est ainsi que s’explique la naissance de mouvements populistes. Face à cela, la naissance de nouvelles formes d’action politique peut être une solution, même en étant très différentes : partis / mouvements politiques, mouvements qui combinent actions pratiques locales et solidarité internationale mais qui évitent de se confronter aux institutions (les folk politics, tel que définies par Nick Srnicek et Alez Williams), organisations de citoyennetés actives qui mènent des actions collectives ou influencent les actions publiques, alliances, comme celle du ForumDD lui-même. On trouve aussi, parfois en lien avec ces nouvelles formes, la recherche de modèles simplifiés qui permettent de rendre les personnes à nouveau visibles. Que l’on définisse le populisme avec Pierre Rosanvallon8 ou avec Chantal Mouffe9, celui-ci constitue une tentative de reconstitution de la visibilité du peuple. Mais cela peut évoluer dans des directions très différentes.
Le mécontentement peut-il être évalué comme un élément positif, en tant qu’épiphénomène du dysfonctionnement du système ? En ce sens, il est assez facile de penser le populisme en termes positifs, en l’associant, par exemple, aux récentes manifestations et émeutes en Amérique latine – qui ont même conduit, au Chili, à la formation d’une Assemblée constituante. Cela devient cependant plus difficile lorsqu’on se réfère à l’épisode du Capitole … Vous avez déclenché une controverse sur Twitter à propos de cet événement, pointant le soulèvement populaire comme une conséquence de l’inégalité aux États-Unis. N’est-ce pas là justifier l’injustifiable ?
ll ne faut jamais confondre le mot « justifier » avec « expliquer ». Justifier, c’est reconnaître la validité d’un comportement ; expliquer, c’est ne pas se contenter de simplifications – en l’occurrence : faire de Trump une cause et non un effet – et rechercher les raisons ultimes de tout phénomène. Le fait est que jusqu’à présent, le populisme, qui peut donner vie à la mise en œuvre de projets émancipateurs, a été repris et utilisé beaucoup plus fréquemment et plus efficacement par des projets autoritaires de droite, en Italie comme ailleurs en Occident.
Le populisme est un état transitoire et non pas un état stable. Il se manifeste et se déchaîne lorsque ce que Rosanvallon appelle le « peuple social » fait défaut, lorsque seuls subsistent les peuples constitutionnels et numériques. Quand le peuple se voit refuser, par l’affaiblissement des corps intermédiaires et de la démocratie, la possibilité de compter et de se battre ; ou comme dirait Albert Hirschmann, d’avoir une voix. On ne leur donne que la possibilité de sortir (qu’une exit). Ainsi la démocratie s’appauvrit-elle et ces mécanismes se déclenchent-ils. Il y a dans le phénomène populiste deux moteurs : d’une part, la tentative de reconstruire des canaux de représentation qui n’existent plus ; d’autre part, la tentation de résoudre précisément la complexité de la représentation dans une relation directe avec un chef, un grand simplificateur, un César.
Nous avons assisté dans l’histoire à une évolution dans les deux sens. Le populisme américain contre les Barons de la finance au tournant des XIXe et XXe siècles a évolué et a influencé le parti démocrate, alimentant les idées et les impulsions du New Deal. On pense également à la virulence du langage et à la radicalité de la lutte contre des pouvoirs qui semblaient invincibles, aux travaux et aux conclusions de la Commission du Sénat dirigée par l’Italo-américain Ferdinand Pecora10, qui ont conduit entre autres à l’éclatement de la Morgan Bank. L’autre voie est celle du fascisme : même colère, même mécontentement, même incapacité à trouver une représentation, qui se trouve canalisée par une proposition autoritaire. Le populisme peut donc prendre deux voies : soit il régénère la démocratie, soit il devient autoritaire. Il renferme en lui-même ces deux potentiels.
Quelle personnalité politique pourrait promouvoir un processus qui donne une voix au peuple, dans le contexte des structures partisanes qui existent aujourd’hui en Italie et en Occident ?
Les partis représentent – et cela est même affirmé par la Constitution italie nne – l’association fondamentale de la démocratie. Aujourd’hui, les partis devraient se laisser régénérer par la demande de reconstruction d’un peuple social, et revenir exercer cette nouvelle fonction dans le cadre démocratique. Mais pas dans le style des Trente Glorieuses ! Il ne s’agit pas de reconstruire des partis de masse, et ce pour deux raisons fondamentales. Premièrement, parce que le savoir est aujourd’hui très répandu : l’éducation de masse, avec toutes ses limites, signifie que des millions d’êtres humains en Europe, comme ailleurs, possèdent les connaissances nécessaires pour gouverner. Patients, étudiants, personnes âgées, habitants des banlieues… tous sentent qu’ils peuvent contribuer et contribuent effectivement à la conception des services de base. Ils n’expriment pas seulement des besoins, mais aussi des solutions. Et cela exige une démocratie différente de celle que nous avions il y a quarante ans.
Deuxièmement : nous reconnaissons aujourd’hui de nouveau la question très grave de la subordination de classe, ou plutôt celle de la nécessité d’un rééquilibrage des pouvoirs entre ceux qui ne contrôlent que leur propre travail et ceux qui contrôlent également le capital, qu’il soit matériel ou immatériel. Cela s’accompagne également de prises de conscience qui sont nées, mais n’ont pas été suffisamment fécondes, en 1968 : la conscience du caractère subalterne du genre, de la race et du fait que nous sommes tous subalternes à nous même, c’est-à-dire la reconnaissance de la non-durabilité environnementale. Je suis ici les propos de Chantal Mouffe : reconstruire la démocratie, c’est reconstruire des espaces de confrontation et de collecte de connaissances, d’élaboration de décisions et d’actes qui encadrent et en même temps satisfont ces quatre subalternités que j’ai déjà mentionnées, sans perdre leur spécificité.
Que faire ? Comment reconstruire la démocratie ?
Il n’y a qu’une seule voie possible, suggérée par l’un des plus grands penseurs vivants, Amartya Sen : une confrontation passionnée, c’est-à-dire qui permette à chacun (y compris aux antagonistes) de parler ; informée, où personne ne parle deux fois sans apporter d’éléments vérifiables permettant d’étayer ses thèses ; ouverte, où la communauté compte seulement si elle est une communauté ouverte, comme le décrit le philosophe d’origine ghanéenne Kwame Anthony Appiah11 ; et raisonnable12, c’est-à-dire qui soit non seulement rationnelle sur le plan individuel, mais qui parvienne aussi à se mettre à la place des autres. Cette voie est-elle possible ? Assurément : elle a déjà été expérimentée en Europe, et aux États-Unis. Par exemple, si aujourd’hui le Sénat américain n’a plus de majorité républicaine, c’est parce que des mouvements et des réseaux progressistes se sont développés en Géorgie sous l’égide du parti démocrate, et qui ont incité à voter des citoyens s’étant éloignés de la vie démocratique, en produisant un résultat inattendu jusqu’à il y a un an et demi. Les réseaux démocratiques fondés sur la participation des citoyens sont la voie à suivre.
On remarque dans votre analyse une critique implicite de ce que l’on a appelé la « troisième voie ». Pourriez-vous expliciter cette critique ?
La troisième voie est une illusion d’optique. C’est l’écrasement du centre-gauche sur la pensée néolibérale, dans tous les pays : des partis socialistes et sociaux-démocrates, de la frange progressiste des partis populaires, de la frange progressiste des libéraux… autrement dit, des trois grandes âmes culturelles de l’Europe et de l’Italie. Ce n’est rien de plus qu’un moyen de justifier le repli sur la pensée néolibérale, et souvent de bonne foi. Nous nous sommes bercé d’illusions sur la possibilité de trouver de nouveaux équilibres entre les sentiments d’individualisme et de réciprocité, et sur la possibilité d’éviter les pièges de l’État dirigiste ; l’illusion issue des Lumières de posséder les connaissances nécessaires pour comprendre ce qui est le mieux pour chacun, en tout lieu, indépendamment des contextes ; l’illusion que les entreprises, stimulées par de nombreux acteurs, peuvent résoudre la complexité dans l’intérêt général ; une vision réductrice de la liberté comme exit. La seule véritable différence de la troisième voie est la hiérarchie des valeurs, où l’on accorde généralement (pas toujours) plus d’importance à la question des inégalités. L’aspect compensatoire de l’inégalité est donc plus fort : « nous ne pouvons pas les laisser mourir de faim… ». Mais la méthode reste la même. Ce n’est donc pas vraiment une troisième voie.
Par-dessus tout, c’est la conviction de l’inutilité, de la vacuité, de la confrontation vive et du dialogue public qui pèse lourdement. Le message de Tony Blair, même dans le contexte dramatique de la folle aventure irakienne qui a eu des effets tragiques au Moyen-Orient et dans les relations entre les mondes chrétien et islamique, était très clair : vous votez pour moi tous les cinq ans, et même face à la plus grande manifestation mondiale de l’histoire, je ne fléchis pas ; ensuite, vous aurez le pouvoir de voter contre moi. Et ce, dans tous les domaines. Vous, citoyens et citoyennes, en plus du vote, conservez le pouvoir de sortie. Vous n’aimez pas l’hôpital, l’école ? Partez ; vous n’aimez pas la ville, vous n’aimez pas la Grande-Bretagne ? Partez. Il y a bien sûr la liberté : la liberté de partir. Mais cela va à l’encontre du rétrécissement de l’espace de la démocratie délibérative et du camouflage technique des décisions politiques.
Ainsi, le new public management, bien qu’il introduise des outils nouveaux et utiles (une meilleure mesure des résultats par des indicateurs, et le rôle donné à l’évaluation), conduit à un réductionnisme méthodologique, avec une illusion anti-Hayekienne et anti-libérale renvoyant à la planification, où les grands centres de compétence peuvent réguler le système par des contrats complets qui établissent ce qu’il faut faire dans tous les « états du monde ». Il s’agit donc fondamentalement d’une dépolitisation et d’une non-démocratisation des processus de décision publique.
Et en Italie ?
En Italie, tout a toujours été un peu paroxystique et retardé. Je voudrais rappeler aux non-Italiens qui lisent ces lignes que l’Italie connaît une affliction supplémentaire : le suicide des partis organisés, lié d’une part, à l’enquête menée par la justice sur les cas généralisés de corruption dans le financement des partis (connus sous le nom de Tangentopoli) ; d’autre part, à la manière dont le Parti communiste italien a choisi de faire face à la chute du Mur de Berlin, en exprimant un sentiment de culpabilité, ce qui a eu pour conséquence la suppression simultanée de ses propres ambiguïtés et de ses acquisitions politiques et culturelles spécifiques. Aucun autre pays n’a connu un tel suicide de masse. Au suicide des partis s’ajoute le fait d’avoir toujours eu des administrations publiques archaïques et faibles sans avoir su les réformer, ce qui a eu des effets négatifs en termes d’efficacité de l’action publique et d’espaces de corruption. Une telle prise de conscience nous amène à la vraie question concernant la situation italienne : comment est-il possible que, malgré tout cela et ce qui se passe en ce moment, le pays tienne le coup ? La réponse fait apparaître clairement l’existence d’un fort facteur de compensation dont on ne parle pas assez : le cadre territorial plus marqué qu’ailleurs, constitué de municipalités, d’organisations de citoyens, de syndicats, de réseaux d’entreprises sociales et de retraités syndiqués, d’universités territoriales, de réseaux locaux d’entreprises, de coopératives, de coopératives communautaires, de fondations. Un facteur qui révèle et reproduit non seulement la solidarité et le mutualisme, mais aussi la créativité et l’esprit d’entreprise. Un facteur suffisamment solide pour empêcher le pays de faire faillite, mais que le pays ne peut trop fièrement convertir en un outil de relance et de développement.
Avec ces caractéristiques, l’Italie s’adapte particulièrement mal à la soi-disant troisième voie. Si la nouvelle idéologie est mise au service de structures techniques solides et d’une bonne administration publique dans d’autres pays – ce qui permet au moins de parvenir à fixer des objectifs effectivement mesurables et vérifiables, la nouvelle approche a eu pour effet en Italie d’aggraver la bureaucratisation et la dérive procédurale des services, et de détériorer le rapport entre l’administration publique et les entreprises sociales, conçues comme un instrument de prestation de services de moindre qualité, avec un travail mal rémunéré. Tout comme, sur un autre front, le processus de privatisation précipitée des entreprises publiques, colonne vertébrale de l’industrie dans un pays historiquement dépourvu de grandes entreprises privées, s’est accompagné du démantèlement idéologique de toute tentative de planification et de direction des entreprises publiques restantes (près de 30 % des actifs aujourd’hui cotés à la Bourse de Milan), tout en prenant au sérieux la mise à pied de toute politique industrielle, qui dans les faits a été poursuivie par des pays comme les États-Unis, l’Allemagne ou la Hollande. C’est à ces spécificités que la stagnation de la productivité en Italie s’ajoute à l’augmentation des inégalités.
On trouve cependant des formes d’innovation politique en Italie, incarnées principalement par le Mouvement 5 Étoiles et, auparavant, par la figure de Berlusconi, le chef de la télévision et de l’entreprise, qui incarnait la transformation du parti en parti-entreprise…
Berlusconi est, après tout, un précurseur de nombreux processus… Il représente une forme extrême de dépolitisation de la politique, non pas tant à travers sa personne, mais plutôt dans son idée même de gouvernement. Sa logique consiste à dire que les choix publics ne sont qu’une question d’efficacité : il n’y a qu’une seule façon de faire les choses, et elles doivent donc être gérées par les personnes les plus qualifiées dans le domaine. Il n’y a plus, apparemment, de choix politiques.
Cette approche doit être combinée avec ses choix d’alliances politiques, en particulier avec l’ancienne Ligue du Nord.
En effet. Grâce à son alliance avec la Ligue du Nord des territoires, représentative d’une classe moyenne productive habitant dans les zones rurales et capable d’exprimer les sentiments spécifiques des communautés territoriales – une tâche qui, par le passé, avait été réalisée par le PCI et la Démocratie chrétienne –, Berlusconi comble le vide de la représentation. Il l’a fait en jouant une carte forte, celle du self-made man. Un rôle que la gauche arrogante et condescendante exagère, en se moquant de lui parce qu’il a peut-être joué de la musique sur des bateaux dans sa jeunesse, ou encore à cause de sa popularité et de ses blagues (sans toutefois s’opposer à la dégradation de l’utilisation de l’image des femmes à la télévision publique).
Nous sommes loin des valeurs du populisme nationaliste qui sont devenues une partie centrale du récit autoritaire de la nouvelle Ligue de Salvini, ces valeurs qui sont aujourd’hui maintenues sous silence par l’adhésion au gouvernement Draghi, dictée par les intérêts des petites et moyennes entreprises qui sont toujours l’axe vital de la Ligue.
Et le Mouvement 5 Étoiles ?
Le Mouvement 5 Étoiles est une véritable tentative, s’inscrivant dans les canons du populisme mentionnés plus haut, de combler le vide de la démocratie et de la participation. Il a agi de deux manières. Premièrement, avec des formes de participation directe pour la prise de décision, par le biais de plateformes informatiques, comme celle qui a récemment accepté la participation du parti au gouvernement Draghi, avec le soutien de moins de 60 % des électeurs. D’après moi, les meet-ups sont beaucoup plus intéressants.
Que sont les meet-ups ?13
Ce sont des lieux de confrontation territoriale où l’objectif est de donner à tous les participants la possibilité de se confronter de façon passionnée et informée, afin de décider de la ligne politique à suivre sur des thèmes locaux ou nationaux. L’analyse des expériences concrètes de cet instrument14 rend compte de l’authenticité des intentions, mais aussi de l’impréparation méthodologique, qui oblige progressivement à réduire les enjeux de la confrontation, voire à en tronquer le développement, avec l’émergence de leaderships dirigistes et d’instruments de sanction – une sorte de jacobinisme autoritaire. L’extraordinaire accélération des résultats électoraux du Mouvement retire toute sa valeur à cette expérience. En fait, la fin des rencontres prive le Mouvement 5 Étoiles d’une part fondamentale de sa propre originalité et de sa raison d’être.
Sur un tout autre front, le Parti démocrate tente de construire des lieux de confrontation. J’ai moi-même dirigé l’expérience avec une équipe nationale pendant mes trois brèves années de militantisme au sein du Parti démocrate. Avec quinze sections locales du parti (ou réseaux de sections) qui avaient répondu à un appel, nous avons expérimenté pendant un an, dans le cadre d’un projet appelé « Luoghi Ideali » (Lieux idéaux), l’idée de transformer les cercles au sein du PD en lieux idéaux de confrontation, à travers le partage des connaissances. Ayant écarté l’idée de « remettre le dentifrice dans son tube », c’est-à-dire de faire revenir au sein du parti des citoyens issus de différents milieux, comme dans l’expérience des partis de masse, nous avons voulu faire des sections territoriales du PD des lieux de rencontre et d’expérimentation, qui fassent se rencontrer des connaissances générales, les organisations de citoyens et la direction du parti. Les résultats de l’étude ont été très intéressants, et ils ont été examinés dans un rapport qui a été longuement discuté par les organes exécutifs du PD. Après une longue discussion, certaines propositions faites en ce sens ont été approuvées par une commission nationale du PD et adressées à l’Assemblée du PD qui comptait 1 000 membres. Mais ces propositions n’ont jamais été abordées.
L’échec des meetups, comme tentative de mise en œuvre pratique de l’idée de démocratie d’Amartya Sen, est-il d’après vous comparable aux mauvaises lectures du contrat social par Rousseau et par conséquent à la dérive autoritaire du jacobinisme sous la Révolution française ?
Exactement. En fin de compte, ce qui manque vraiment, c’est une organisation nationale qui rassure les niveaux territoriaux sur le caractère expérimental du processus, sur le fait que l’on peut avancer, que l’on peut discuter, que les règles sont fixées et respectées, ce qui garantit la transparence ; qui légitime et encourage les meetups, en mettant en place une vraie méthode, pour éviter que, comme cela est arrivé, les gens se retrouvent à discuter jusqu’à trois heures du matin, sans que cela ne mène nulle part. L’absence d’une telle organisation nationale a été profondément ressentie lors de ces meetups. La tentative visant à reconstruire un intellectuel collectif – comme dirait Gramsci – a échoué à cause de l’absence d’une avant-garde intellectuelle, dont le rôle n’est pas d’imposer les méthodes et les contenus, mais de nous apporter un certain sentiment de sérénité, de nous conforter dans l’idée que ce que l’on fait n’est pas une perte de temps, et de nous permettre de nous inscrire dans un cadre méthodologique nous permettant de poursuivre l’expérience. Mais le succès électoral du Mouvement produit exactement l’effet inverse, en donnant la sensation et l’illusion que la bataille est gagnée, qu’il faut à présent gouverner et occuper le Palais. Ils arrivent au Palais sans les outils méthodologiques nécessaires pour gouverner, mais aussi sans ceux qui leur permettraient de maintenir des liens avec ceux qui les ont élus.
Vous coordonnez à présent un réseau d’associations – le Forum Disuguaglianze Diversità ; quelle est la différence fondamentale entre les partis, les associations et les réseaux d’associations ? Quels sont les avantages et les inconvénients des réseaux associatifs dans le contexte actuel, et ce par rapport aux partis existants ?
L’expérience que nous avons menée est la réponse à une question. En Italie, avant nous, avait été créée l‘Alliance contre la pauvreté ; puis, au même moment que le FDD est née l’ASVIS (Alliance italienne pour le développement durable), qui a été dirigée par mon ami Enrico Giovannini jusqu’à ce qu’il soit nommé ministre. Elle cherchait à promouvoir le changement de paradigme esquissé par les 17 Objectifs de développement durable ; et la Rete dei Numeri pari (littéralement : Réseau des nombres pairs) qui rassemble 400 acteurs du mutualisme italien, avec des habitants, des usines autogérées, des biens repris à la mafia. Et il y a encore bien d’autres alliances. Ce sont des réseaux très différents, certains plus institutionnels, d’autres plus radicaux ou antagonistes. Le nôtre, le ForumDD, est composé de huit organisations citoyennes fortes, de taille et de culture très différentes, rassemblant une centaine d’universitaires.
Bien que de nature différente, toutes ces organisations visent à combler le vide de confrontation politico-culturelle laissé par la déliquescence des partis politiques. En Italie, et ce à côté des syndicats et des associations d’entreprises, il existe des dizaines de milliers d’organisations citoyennes, animées par 3,5 % des Italiens – en tant que bénévoles (2,5 millions) ou que salariés (un demi-million). Elles pratiquent une forme de confrontation passionnée, et l’expérimentation démocratique, en améliorant les conditions de vie des individus ou des communautés dans des milliers d’endroits du pays. Mais elles n’ont pas d’effets systémiques. Et ils sont conscients que leurs pratiques, leurs méthodes, n’atteignent pas les sièges des institutions. Ils ne changent pas le système. C’est donc à la demande des citoyens d’être entendus par les institutions, de changer le cours et le paradigme du système, que ces Alliances répondent. Ils savent qu’ils n’ont pas de partis à portée de main où déverser leurs idées, ce qui fait naître le désir de s’organiser en alliances. Pour influencer le système. Pour faire système.
Quelles sont les nouveautés et les particularités du ForumDD ?
Tout d’abord, nous voulons répondre aux besoins que j’ai mentionnés, en les mettant en lien avec le monde universitaire et de la recherche. Les autres structures que j’ai mentionnées ont également des chercheurs ; nous avons une et une approche littéralement bipolaires de ce point de vue. Nous pensons qu’il existe des « savoir-faires » et un « savoir académique », et la relation entre ces deux types de savoir n’est pas du tout appréhendée de manière hiérarchique.
Mais votre travail et vos propositions ont-ils un réel impact ?
Si l’on veut mesurer un impact, on doit d’abord définir un objectif. Sur les thèmes que nous avons déjà abordés, l’objectif est double : reconstruire une vision, à partir des deux pôles de connaissance que nous avons identifiés ; et formuler des propositions viables. Nous avons reconstruit une vision qui s’appuie sur le concept de justice sociale d’Amartya Sen, condensé en « inégalités » et « diversité ». L’égalité, c’est donner les mêmes chances à chacun, en lui permettant d’exprimer pleinement sa diversité, sans entraver le « plein épanouissement de la personne humaine », qui figure à l’article 3 de notre Constitution15.
Si les inégalités sont, comme elles le sont dans la réalité, le fruit de choix, nous pouvons les combattre en modifiant ces choix et en transformant ce que l’on entend par « sens commun ». L’horizon d’un « avenir plus juste » – le titre d’un livre paru en pleine pandémie16 – promeut des propositions concrètes pour concrétiser cet avenir. Au cours des trois premières années, nous nous sommes concentrés sur la mise en œuvre d’actions à tous les niveaux de gouvernance, dans le but de réduire radicalement les inégalités dans la répartition des richesses et le contrôle des décisions. Sur le plan international : nous avons proposé la modification de l’accord ADPIC de 1994. Au niveau européen : la création d’une grande entreprise publique européenne pour le numérique et la santé – notre proposition datait du mois de mars 2019, avant la pandémie de Covid-19 et le projet de l’Autorité européenne d’intervention en cas d’urgence (HERA) par Ursula von der Leyen. À l’échelle nationale, nous avons proposé de modifier les droits de succession et introduire un héritage universel pour tous les jeunes ; d’orienter l’utilisation du numérique vers la justice sociale ; de promouvoir l’impact des universités sur la justice sociale en revoyant les critères de sélection. À l’échelle territoriale : nous voulons mettre en place, territoire par territoire, des commissions sur le travail et la citoyenneté aux côtés des conseils d’administration ; changer radicalement la méthode de conception et de mise en œuvre des politiques publiques en fonction des spécificités des territoires, à partir de la construction de communautés éducatives pour l’école, pour la santé, pour la mobilité. Et plus encore. Nous ne nous voulons pas nous limiter à des propositions, mais nous efforcer de les concrétiser.
Nous proposons d’introduire des contenus et de les utiliser. Nous visons également à changer progressivement, comme nous y invite Anthony Atkinson, le sens commun des mots. Parce que sans changement, ces politiques sont inutiles, elles ne passent pas. C’est un engagement que nous exerçons culturellement à travers tous les canaux et les grands viviers de relations, en particulier avec les associations rassemblant la jeunesse – nous avons par exemple animé 136 heures ininterrompues, soit 16 jours de webinaires où 200 000 personnes se sont connectées, et sur lesquels 13 000 personnes ont passé en moyenne une heure. Transmettre des contenus, changer le sens commun : mais aussi expérimenter des projets sur les territoires, comme les ateliers municipaux – une réponse à la généralisation du travail à distance – à Naples, les conseils sur le travail et la citoyenneté en Emilie-Romagne, la collaboration avec l’Eglise vaudoise du Piémont. Je parlais par exemple récemment à un réseau de 50 associations siciliennes. Il faut travailler avec des organisations qui sont en mesure d’agir, et non de seulement influencer.
Qu’en est-il des organes plus purement politiques – ou exécutifs ?
Bien entendu. Pour chaque proposition, nous avons également identifié les interlocuteurs institutionnels, au niveau du gouvernement national ou des administrations territoriales. Nous l’avons fait non seulement sur nos propositions structurelles mais aussi sur les nouvelles propositions induites par le déclenchement de la pandémie. Dès son explosion, nous avons fait remarquer que les mesures d’urgence excluaient environ 6,5 millions de travailleurs, irréguliers et précaires ; nous avons demandé l’introduction d’un revenu d’urgence, obtenant ainsi un instrument qui n’est pas aussi efficace que celui que nous demandions, mais qui permet actuellement d’aider entre 700 000 et 750 000 personnes – qui autrement n’auraient pu bénéficier d’aucune aide, et que nous aurions poussées à bout. Nous faisons partie, dans le cadre du ForumDD, d’un groupe de travail du Ministère italien de l’Enseignement supérieur et de la recherche, avec des recteurs d’université, et nous venons d’obtenir une avancée importante dans la méthode d’évaluation de leur impact social. Dans le cadre du Next Generation EU, nous avons fait pression sur le gouvernement, depuis juillet 2020, pour que le plan de relance et de résilience de l’Italie (environ 209 milliards d’euros) soit conçu selon les principes, les objectifs, la méthode auxquels nous croyons.
Compte tenu de la situation actuelle en Italie, comment envisagez-vous le futur du FDD ? Avez-vous pensé à en faire un parti ?
En octobre, nous avons adopté un document stratégique dans lequel nous avons écrit ce que nous ne voulons PAS devenir : nous ne voulons pas devenir un parti, parce que nous voulons produire du contenu, une vision et de l’influence. Nous n’avons pas l’intention d’influencer les partis existants, car nous avons vécu leur échec. Nous avons plutôt décidé de faire pression sur les membres de l’exécutif, et renforcer les initiatives de formation, pour promouvoir les candidatures de personnalités progressistes aux élections locales – qui se tiendront probablement en juin ou en septembre. Cette expérimentation regroupe une association de politologues et de militants, Ti candido (« j’appuie ta candidature », ndlr). Nous voulons soutenir des candidats proches de nos idées, en leur donnant une méthode pour qu’ils se présentent aux élections, en les aidant dans leur recherche de financements. Nous tenons à cette forme d’engagement sur la question du renouvellement du processus électoral.
Enfin, nous avons des relations avec tous les parlementaires, de tous les partis, y compris de droite ; en particulier, avec un groupe de parlementaires progressistes, organisés en une petite association appelée « Movimenta ». Ces parlementaires se sentent éloignés des partis existants et trouvent un intérêt dans la collaboration avec des associations ou d’autres réseaux. Il s’agit d’expériences pilotes visant à accroître la diffusion des idées pouvant induire au changement.
On remarque aujourd’hui, à l’échelle continentale, une ligne politique progressiste dans les grands centres urbains. Toutes les grandes villes apportent leur soutien à des candidats qui se ressemblent beaucoup en termes de positionnement politique, que ce soit sur la question des inégalités, des enjeux écologiques ou sur la question du rôle de l’action publique. Ce phénomène est très surprenant car il peut être vérifié à Budapest, ainsi qu’à Varsovie, Milan, Barcelone, Paris… Comment peut-on structurer un progressisme alternatif qui ne soit pas porté par les grandes villes ?
De ce point de vue, l’Italie, pour les raisons que j’ai évoquées, est dans une meilleure position que d’autres pays. Le progressisme – qui ne se limite pas aux zones urbaines – peut aussi se développer dans les zones rurales et plus isolées du pays, grâce à des personnalités très intéressantes, des jeunes, des professionnels, des femmes. Il ne s’agit pas d’un phénomène systémique, mais pas non plus d’un phénomène circonscrit. Ce phénomène touche la Ligurie gouvernée par la Ligue, les montagnes des Apennins toscano-émiliens, l’intérieur de la Sicile, la Calabre, les plis du Frioul-Vénétie Julienne. Je n’ai pas mentionné ces régions au hasard, car l’Italie a un relief très particulier, très différent de la norme européenne. Elle ressemble à l’Autriche et à quelques autres pays seulement.
De ce point de vue, il y a donc des opportunités : ce n’est pas un hasard si j’ai décidé, en tant que Ministre de la Cohésion territoriale au sein du gouvernement Monti, de lancer en 2012 la stratégie des territoires intérieurs, pour en faire l’une des pierres angulaires du programme gouvernemental.L’Italie compte aujourd’hui 72 aires de projets qui comportent 1 050 municipalités, couvrant 17 % du territoire national, soit deux millions d’habitants. Nous n’avons pas cherché à inciter ces municipalités à se dissoudre et à fusionner ; nous les avons plutôt poussées à élaborer des stratégies communes, à mutualiser des services, à choisir un leader parmi les maires, à construire une vision à long terme par le biais de discussions avec les citoyens. Cela a souvent conduit à des stratégies visionnaires visant à valoriser le territoire, à mettre un frein à la fuite démographique et à restaurer la reconnaissance et le rôle des territoires. L’Italie a donc sa chance, à la fois en ce qui concerne la crise climatique, l’urgence et les effets à long terme de la crise pandémique, qui tendent à redéfinir la hiérarchie des valeurs, à repousser à l’extérieur des aires urbaines à la fois les jeunes couples, les artistes, les experts et les néo-ruraux. Ce n’est pas non plus une coïncidence si un architecte italien comme Stefano Boeri et d’autres architectes fameux parlent de plus en plus de zones rurales, en se référant de plus en plus à la campagne. Et l’important est que les dirigeants ne considèrent pas ces zones comme des espaces prêts à être colonisés, mais comme des territoires vivants qui sont à même de produire des classes dominantes. L’Italie a donc la possibilité d’entraver sérieusement la dérive autoritaire qui frappe les territoires ruraux, et d’en faire des lieux de développement juste et durable.
Même si ces projets n’ont pas encore été réalisés, la dynamique est désormais enclenchée, et ce n’est pas un hasard si l’expérience italienne est suivie de près dans toute l’Europe et par l’OCDE. Ce n’est pas non plus un hasard si le ForumDD a choisi de travailler non seulement avec les conseillers municipaux des grandes métropoles mais aussi avec les maires des plus petites communes. Parce que l’Italie, et ce même en termes d’identité nationale, n’est pas représentée par les grandes villes – qui sont profondément différentes les unes des autres et qui ont des difficultés à communiquer – mais par les spécificités et les opportunités de ses territoires. Turin et Palerme communiquent difficilement, contrairement aux Madonies17 et à la Val Maira18, car ces deux régions connaissent des problèmes et des aspirations très proches. Elles partagent bien plus de points communs que les grandes villes. Voilà la réalité italienne : des conditions objectives, et une plate-forme institutionnelle. Il revient désormais à la classe dirigeante nationale de s’en emparer.
Sources
- 17 janvier 1995-18 mai 1996.
- 29 avril 1993-13 janvier 1994.
- 16 novembre 2011-21 décembre 2012, au sein duquel Fabrizio Barca était Ministre de la Cohésion territoriale.
- Initialement créé à l’OCDE en janvier 1995 sous le nom de Service de la politique territoriale (TDS), il s’est ensuite transformé en Comité de la politique territoriale, dont Fabrizio Barca a assumé la présidence. Pour plus d’informations, lire l’article de Mario Pezzini (Directeur du Centre de développement de l’OCDE et ancien chef de la Division de la politique territoriale par intérim du Comité)
- Enrico Giovannini, aujourd’hui à la tête de l’association ASviS et tout récemment Ministre des Infrastructures du gouvernement Draghi, était auparavant Directeur du département des statistiques de l’OCDE. À cette époque, il a lancé plusieurs initiatives, notamment une série de forums dans le monde entier (Forum mondial de l’OCDE sur « les statistiques, les connaissances et les politiques » – le premier s’étant tenu à Palerme, en 2004), donnant lieu à des discussions visant à promouvoir l’utilisation de nouveaux indicateurs et le partage des meilleures pratiques et stratégies pour évaluer les progrès et le bien-être dans différents pays. Giovannini était membre de la Commission Stieglitz-Sen-Fitoussi de 2007, qui a été reprise en 2013 par son successeur au Département des statistiques Martine Durand.
- Commission on the Measurement of Economic Performance and Social Progress. La Commission Stieglitz-Sen-Fitoussi (de Joseph Stieglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi, économistes de renom), lancée en 2004 a été suivie par un groupe d’experts de haut niveau basé à l’OCDE – le Groupe d’experts de haut niveau sur la mesure des performances économiques et du progrès social. Les recommandations de la Commission de 2004 ont ensuite été utilisées et ont donné lieu à plusieurs initiatives de l’OCDE : la relance du groupe d’experts de haut niveau en 2013 avec Martine Durand, l’initiative « Better Life » en 2011, l’initiative « Le PIB de l’UE et au-delà » en 2009.
- L’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Accord promu par l’Organisation mondiale du commerce en 1994 afin d’uniformiser la protection de la propriété intellectuelle.
- P. Rosanvallon, Penser le Populisme, 2011.
- C. Mouffe, Pour un populisme de gauche, Albin Michel, 2018.
- Ferdinand Pecora était un avocat et un magistrat américain. Dans les années 1930, en tant que conseiller juridique en chef de la commission du Sénat américain, il a dirigé des enquêtes sur les pratiques bancaires et de courtage de Wall Street. Il a personnellement interrogé des hommes riches et puissants (Richard et George Withney, Thomas W. Lamont), mettant en lumière une série de pratiques irrégulières inhérentes aux marchés financiers, qui favorisaient les riches aux dépens des investisseurs ordinaires. En conséquence, le Congrès américain a décidé de promulguer le Glass-Steagall Act et le Securities Exchange Act de 1934.
- Philosophe anglo-ghanéen et historien de la culture africaine, il a travaillé au fil des ans sur la philosophie du langage, le racisme, l’identité et la théorie morale. Parmi ses publications : Color conscious – The political morality of race (1996), Cosmopolitanism – Ethics in a world of strangers (2006), The honor code – How moral revolutions happen (2010).
- La différence entre le raisonnable et le rationnel est introduite par John Rawls dans The Theory of Justice et dans les ouvrages qui suivent (en particulier dans Political Liberalism). Pour Rawls, le choix des deux principes fondateurs d’une société juste et équitable – le principe d’égalité des libertés fondamentales et le principe de différence – repose sur l’inclination rationnelle et raisonnable des individus sous le voile de l’ignorance. La théorie de la justice sociale à laquelle adhère Amartya Sen, présentée dans L’idée de justice, part d’une critique de la théorie de la justice de Rawls ; Sen critique en particulier le sens étroit que Rawls donne à la « rationalité », définie sur la base d’un comportement excessivement égoïste, favorisant ainsi le côté « raisonnable ». Sen juge ce point fondamental car les individus sont amenés à prendre en considération les points de vue des autres ; il propose donc un système plus inclusif et moins « froid » que le système rawlsien, dans lequel le caractère raisonnable est défini, précisément, comme la « capacité de défendre [une idée] dans une discussion publique structurée de manière libre et ouverte ». Pour une étude approfondie de la théorie de la justice de Sen et de la critique de Rawls, voir l’article de Fabrizio Barca lui-même.
- En 2005, Beppe Grillo a proposé sur son blog l’adoption du réseau social Meetup, pour communiquer et se coordonner au niveau local. C’est ainsi que sont nées les 40 premières rencontres des Amici di Beppe Grillo, avec pour objectif de « rester ensemble et de partager des idées et des propositions pour un monde meilleur ». Progressivement, ont été créés des groupes de travail thématiques sur divers sujets (« Technologie et innovation », « Monnaie d’étude », questions environnementales, …). En 2006 est né le meetup 280 qui, rassemblant des citoyens, des organisateurs et d’autres forums, vise à promouvoir des projets concrets. Ce sera alors à ce dernier de proposer le projet de listes civiques en démocratie directe et de construire le sujet politique à travers une série de rassemblements nationaux autogérés (Lucques, Parme, Reggio Emilia, Salerne). La capacité d’autogestion de l’initiative ne sera pas appréciée par les autres groupes 5 Étoiles – en particulier par Grillo et Casaleggio. En 2009, le groupe 280 apportera un document pour demander la naissance d’un mouvement politique démocratique : cette demande, d’abord acceptée par Grillo, sera ensuite ignorée.
- Lorenzo Urbano, « La condivisione è un obbligo. Prassi politica e dissenso nel MoVimento 5 Stelle in Toscana » in “Meridiana” n° 90, 2017.
- Texte de l’article 3 de la Constitution italienne : Tous les citoyens ont une dignité sociale égale et sont égaux devant la loi, sans distinction de sexe, de race, de langue, de religion, d’opinions politiques, de conditions personnelles et sociales. Il est du devoir de la République d’éliminer les obstacles de nature économique et sociale qui, en limitant la liberté et l’égalité des citoyens, empêchent le plein épanouissement de la personne humaine et la participation effective de tous les travailleurs à l’organisation politique, économique et sociale du pays.
- Les principaux messages de ce livre sont résumés, en italien et en anglais, dans un document rédigé et approuvé par l’Assemblée du ForumDD.
- Zone montagneuse du nord de la Sicile près de Palerme.
- Vallée alpine de la province de Cuneo, dans le Piémont.