Rome. Le mardi 28 mai, l’Italie a fait un premier pas formel vers la sortie de l’euro. Un petit pas mais d’une grande importance politique.
La Chambre a approuvé à l’unanimité une motion qui engage le gouvernement à étendre aux « minibots » les outils de compensation des crédits et des dettes de l’administration publique. Parmi les auteurs de la motion, l’ « économiste » de la Ligue Claudio Borghi1.
Les « minibots » sont de petites obligations d’État (de 5 à 100 euros) imprimées pour payer les créanciers de l’administration publique. En fait, elles remplacent un passif de l’État (l’engagement de payer les créanciers) par un autre (petite obligation d’État). Comme l’écrit l’économiste Francesco Lippi dans le journal Il Foglio : « En substance, c’est comme remplacer une lettre de change de 100 euros par deux de 50 : si les crédits actuels des entreprises ne peuvent pas être liquidés, pourquoi serait-ce différent pour les mini-bots ? En d’autres termes, quels changements pour le créancier ? Aucun. »2.
Afin de surmonter ce problème, les « minibots » pourraient être utilisés dans les échanges privés. De fait, cela équivaudrait à l’introduction d’une monnaie parallèle.
Toutefois, les particuliers peuvent ne pas avoir confiance dans la valeur de la nouvelle monnaie. Il est possible que personne ne l’accepte et qu’il devienne immédiatement un morceau de papier sans importance. Ce qui équivaudrait à un retour à la case départ. Pour éviter cet effet, le gouvernement peut alors annoncer que la monnaie parallèle sera acceptée comme moyen de paiement pour les impôts futurs, ce qui incitera fortement à son utilisation dans les transactions. Telle est l’intention déclarée à plusieurs reprises par les « économistes » de la Ligue.
Toutefois, l’émission d’une monnaie parallèle utilisable pour payer les impôts équivaut en fait à une réduction d’impôt ou à une augmentation correspondante du déficit public (la partie des dépenses publiques qui n’est pas couverte par l’impôt). Ainsi, le déficit serait financé par l’impression de la monnaie (on parle de « monétisation du déficit public »).
Cela signifierait la sortie de l’Italie de l’euro.
Les traités établissant l’euro interdisent la monétisation des déficits publics et n’autorisent pas l’impression de monnaies parallèles, que ce soit par des banques centrales individuelles ou par l’émission de « minibots ». Ce n’est qu’ainsi, en effet, que la Banque centrale européenne peut s’acquitter de sa mission de contrôle du pouvoir d’achat de la monnaie dans la zone euro.
Le gouvernement italien a deux options à ce stade. La monnaie parallèle pourrait être émise temporairement et dans une mesure limitée, afin de faire face à une situation d’urgence. Dans ce cas, toutefois, les particuliers sauraient qu’elle a un durée de vie limitée et préféreraient s’en débarrasser très rapidement. La valeur des « minibots » chuterait très vite et le coût réel des biens achetés, exprimé en « minibots », augmenterait parallèlement. Cela compenserait les avantages générés par l’augmentation du volume des échanges commerciaux.
Pour éviter ce problème, le gouvernement devrait alors annoncer que l’utilisation des « minibots » sera permanente. L’économie serait inondée par la nouvelle monnaie parallèle, ce qui entraînerait une augmentation durable du niveau des prix et, là encore, annulerait les avantages de la réduction des impôts.
Mais ce n’est pas tout. Comme l’économiste Riccardo Puglisi l’a fait remarquer, l’émission de « minibots » serait également un moyen d’amortir le manque de monnaie à utiliser dans le commerce lorsque l’Italie sortira finalement de l’euro.3. Dans l’intervalle, les « minibots » deviendraient temporairement la seule monnaie ayant une valeur légale, aussi longtemps qu’il le faudra pour imprimer la nouvelle lire en remplacement de l’euro.
L’aspect le plus troublant de cette affaire est que la motion a également été votée par le Parti Démocratique4. Cela donne l’impression qu’aucun député n’a vraiment compris ce qu’il approuvait. Il est clair qu’il ne s’agit pour l’instant que d’une motion (personne n’imprime déjà les « minibots ») et que le ministère des Finances a déjà démenti qu’ils sont à l’étude. En outre, l’Union européenne ne laissera pas les intentions suicidaires de l’Italie passer inaperçues, mais l’approbation unanime du texte à la Chambre donne un signal politique très fort à l’Europe, à la Banque centrale européenne et aux marchés5.
PERSPECTIVES :
- 5 juin : la DG ECFIN de la Commission européenne se réunira pour déterminer si la réponse de l’Italie est satisfaisante ou s’il est nécessaire de mettre en œuvre la procédure d’infraction.
- 19 juillet : dernière délais pour convoquer de nouvelles élections en Italie et voter en septembre, avant le débat sur la nouvelle loi de finances
Sources
- BODA Andrea, Minibot, la moneta parallela che ci spinge fuori dall’euro, Il Sole 24 Ore, 31 mai 2019.
- LIPPI Francesco, Il gioco delle tre monete, Il Foglio, 11 luglio 2018
- PUGLISI Riccardo, I #MiniBot ? Ma mi faccia il piacere !, RicPuglisi, 21 aout 2017
- Camera dei deputati, Resoconto stenografico dell’Assemblea, Seduta n. 179 di martedì 28 maggio 2019
- COLLOT Giovanni, Rome isolée après les élections européennes : l’Italexit se rapproche-t-il ?, Le Grand Continent, 1 juin 2019