Tout au long de cette semaine électorale, Le Grand Continent vous propose une couverture inédite des résultats du seul scrutin continental au monde.
Les citoyens des 28 États-membres de l’Union européenne voteront, pays par pays, du jeudi 23 au dimanche 26 mai :
À partir de jeudi soir, vous pourrez consulter sur notre plateforme exclusive les résultats électoraux en direct dans les différents États-membres, et découvrir les projections du Grand Continent concernant la composition du futur Parlement.
Chaque jour, les correspondants du Grand Continent vous proposeront des analyses des résultats passés et un aperçu des enjeux à venir.
Lundi prochain, la Lettre du Lundi, nourrie d’une semaine de couverture attentive des événements, vous offrira un bilan complet des enseignements du scrutin.
1. Quel succès pour l’Alliance nationaliste de Matteo Salvini ?
Elle pourrait bien être la nouvelle force continentale de la prochaine législature. L’Alliance européenne des peuples et des nations (AEPN) au sein de laquelle Matteo Salvini entend fédérer une douzaine de formations néo-nationalistes pourrait doubler sa présence au Parlement. En recueillant près de 75 députés, elle dépasserait assez largement les contingents du groupe conservateur et du groupe écologiste. Réunie en grande pompe samedi 18 mai à Milan 1, la Lega delle Leghe salvinienne entend réussir un coup de force sur le fondement d’un programme populiste, identitaire et anti-immigration, décliné de manière construite à l’échelle continentale.
Toutefois, l’ampleur du mouvement et l’influence du groupe qui en ressortira sont encore assez floues. Si, comme il y a lieu de le penser, elle demeure marginalisée à l’extrême-droite de l’hémicycle, l’AEPN, quoique disposant d’une visibilité plus large que les groupes nationalistes passés, aura une capacité d’action législative très faible. Du reste, l’Alliance est loin de réunir l’ensemble des familles de la droite populiste et nationaliste européenne, dont certains membres siègent aujourd’hui comme non-inscrits (certains partis d’ultradroite), chez les conservateurs (le PiS polonais), ou bien dans le groupe Europe de la Liberté et de la Démocratie Directe formé autour des Cinq-Étoiles italiennes et des hard-brexiters de Nigel Farage.
À cela s’ajoutent enfin les difficultés rencontrées récemment par certains des membres de l’alliance, au premier rang desquels le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), chassé du gouvernement ces derniers jours par suite du scandale qui touche notamment l’ex-vice-chancelier et chef du parti, Hans-Christian Strache.
2. Que fera Viktor Orbán ?
Le premier ministre hongrois Viktor Orbán a articulé les principes de sa doctrine en 2018 lors de deux discours inspirés, selon nos sources, par Zoltan Kovacs. Vous pouvez retrouver dans nos colonnes des éléments précieux sur la doctrine 2 et la vision géopolitique 3 de Viktor Orbán.
« Pour nous, l’intérêt national est la priorité ». Orbán n’a jamais hésité à tirer profit de son accès au marché unique, sans tenir compte des problèmes que cela pouvait poser aux autres membres de l’Union – comme le montrent son rapport à la Chine et plus récemment à la Russie, avec la relocalisation du siège social de la banque russe International Investment Bank (IIB) depuis Moscou vers Budapest 4.
La Hongrie de Orban espérait infléchir l’orientation générale de l’Union à condition de demeurer dans le plus grand parti européen, le Parti populaire européen (PPE) : « Nous nous attellerons à la tâche, plus difficile, de renouveler le Parti populaire européen et de l’aider à retrouver ses racines démocrates-chrétiennes. »
Le problème, c’est que la ligne Orban n’a pas eu beaucoup de succès dans le PPE : Fidesz, le parti du premier ministre hongrois, a été suspendu du groupe 5 ; le chancelier autrichien Kurz, avec qui il était en bon termes, fait face à des difficultés nationales majeures dans son alliance avec les nationalistes du FPÖ 6 ; Manfred Weber, qui avait longtemps refusé de l’exclure, pourrait bien ne même pas être président de la prochaine Commission.
Restent deux autres options : rejoindre l’Alliance salvinienne, au risque de voir son influence s’affaiblir au profit du chef de la Ligue, dans un groupe qui semble s’être fait jusque-là sans lui (le Fidesz n’était pas représenté à Milan samedi) ; ou devenir membre du groupe conservateur, souvent jugé plus fréquentable, et dont le tête de liste Jan Zahradíl semblait ouvert à l’accueillir.
3. Le clivage dessiné par Emmanuel Macron s’incarnera-t-il dans une réalité continentale ?
Le Président français aura tenté, à de multiples reprises, de polariser le débat européen autour d’une opposition entre pro- et anti-européens, entre libéraux progressistes tenants d’un approfondissement de la construction européenne et nationalistes réactionnaires « sans projets » prônant le retour à une souveraineté nationale étroite. Cette opposition, qui se reflète dans les projections électorales des pays de l’Ouest du bloc (France, Belgique, Pays-Bas notamment), n’est cependant pas nécessairement généralisable à plus grande échelle. La campagne française elle-même, déformée par le prisme de l’actualité nationale et marquée par la crise sans précédent des Gilets Jaunes, s’est rarement articulée pleinement autour de ce clivage. 7.
Dans le même temps, les équilibres européens semblent se déplacer vers l’Est, où d’autres personnalités fortes (Salvini, Kurz, Orbán, sans oublier l’influence certaine de la chancelière allemande) disposent de grilles de lecture bien différentes. Dans nombre d’États-membres, les deux grands groupes traditionnels, sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates, conservent encore au moins en partie les faveurs de l’électorat ; ailleurs, les conservateurs et les populistes sont déjà parvenus eux-mêmes au pouvoir.
4. Les libéraux s’imposeront-ils comme les arbitres de la prochaine législature ?
Une chose est certaine : l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE), le groupe libéral au Parlement européen, changera de nom. Pour son leader Guy Verhofstadt, il s’agit de marquer la transformation en « un groupe centriste pro-européen avec Emmanuel Macron ». Ces deux derniers mots sont évidemment essentiels. L’objectif : fédérer une famille libérale très hétérogène allant des fédéralistes suédois des Liberalerna aux populistes tchèques d’ANO 2011, pour peser plus nettement au sein du Parlement, s’affirmer dans le processus de constitution de la future Commission, mais aussi, indirectement, influencer la nomination du prochain banquier central. Le premier objectif est certainement le moins difficile à remplir : par le seul ralliement du parti d’Emmanuel Macron, donné au coude à coude avec l’extrême-droite en tête du scrutin français, le groupe peut espérer dépasser la centaine de sièges dans la nouvelle assemblée, contre 68 actuellement, et décrocher ainsi aisément la troisième place.
Les deux autres objectifs sont nettement plus ambitieux. Un problème pour la stratégie du Président français : l’intensité des négociations à Bruxelles du lendemain des élections pourrait contraster avec l’exigence du Président français de tout suivre depuis l’Élysée, alors que la logique des coalitions est étrangère à la pratique parlementaire française.
5. Quel avenir pour la Grande coalition européenne ?
Le succès des libéraux d’une part, et de l’Alliance salvinienne de l’autre, s’ils se confirment, devraient majoritairement desservir les deux groupes historiques de centre-droit et de centre-gauche, celui du Parti populaire européen (PPE) et celui des socialistes et démocrates européens (S&D). Engagés depuis toujours dans une « Grande coalition » informelle, ils devraient pour la première fois perdre leur majorité. Le groupe libéral, et dans une moindre mesure celui des Verts, semblent des partenaires naturels, en l’absence d’autre combinaison majoritaire au centre-gauche ou à droite.
Affaiblie par la défaveur croissante des anciens « partis de masse » et l’hétérogénéisation des champs politiques nationaux, la « Grande coalition » européenne deviendrait ainsi une « Très grande coalition », suivant un phénomène observé dans plusieurs pays pratiquant la démocratie parlementaire, notamment l’Allemagne 8. Mais si la « coalition » dans la forme actuelle est belle et bien destinée à disparaître, la situation est plus floue quant aux formes de coopération qui devront la remplacer.
6. Les sociaux-démocrates sauront-ils éviter la chute ?
Les débâcles électoraux successifs des partis de la famille sociale-démocrate dans plusieurs pays de l’Ouest de l’Union, notamment la France et l’Italie, ont pu donner l’impression d’un effondrement continental en puissance. La réalité est plus nuancée. Le groupe devrait perdre de l’ordre de 40 sièges, soit environ autant, en proportion, que celui du Parti populaire européen. Les partis sociaux-démocrates restent en position de force dans plusieurs États (Espagne, Portugal, Suède, Roumanie), et Frans Timmermans 9, vice-président de la Commission en exercice, a su s’imposer aux yeux de nombre de commentateurs comme le Spitzenkandidat le plus convaincant de cette campagne chaotique.
En interne, les équilibres seront cependant profondément bouleversés : le Partido Socialista Obrero Español (PSOE) devrait être la première force sociale-démocrate continentale. Un Parti socialiste européen à traction méditerranéenne ? 10.
7. Les Verts réussiront-ils une percée à la hauteur du succès de leurs thématiques ?
Portées ces derniers mois par un mouvement de grèves scolaires étudiantes sans précédent sur ces questions 11 et par plusieurs rapports scientifiques majeurs, les problématiques environnementales ont connu un regain d’intérêt dans le Nord et l’Ouest de l’Europe. Tirant partie d’un électorat traditionnellement plus mobilisé lors des élections européennes, les Verts attendent de bons voire très bons résultats en Allemagne, dans le Bénélux et en Scandinavie. Ils restent cependant largement absents de l’Est et du Sud de l’Europe, et sont concurrencés sur leur propre terrain là où ils semblent s’imposer : la plupart des partis centraux du Nord et de l’Ouest, suivant en cela l’opinion, ont fait des questions climatiques un axe de campagne prioritaire.
Alors que les questions environnementales irriguent de plus en plus le discours politique mainstream et que les libéraux s’apprêtent à consolider leur position charnière, les Verts pourraient donc accuser un succès continentale moindre que ce que leur dynamique ouest-européenne semblait leur promettre.
8. Quels enseignements tirer des élections nationales et régionales parallèles au scrutin européen ?
On le sait déjà : les élections européennes sont en trompe-l’œil. Bien qu’on ait vu une progressive européanisation du politique dans la campagne électorale qui vient de se terminer, celles-ci sont encore toujours, en réalité, 28 élections nationales au lieu d’être encore une seule votation transnationale. Pour cette raison, dans les résultats finaux, le poids des enjeux nationaux et locaux va être fondamental.
Ceci est particulièrement vrai dans le pays où il y a eu une personnalisation de l’enjeu électoral : par exemple, en France et en Italie, où Macron et Salvini ont fait de ces élections un référendum. Mais aussi au Royaume-Uni, où les élection prennent forcément la forme d’un réponse au chaos du Brexit.
Surtout, dans quelques pays, les élections européennes coïncident avec des élections nationales (Belgique, Irlande, 2e tour en Lituanie, référendum en Roumanie, élections locales en Espagne, élection régionale dans le Land de Brême). Dans ce contexte, il est possible envisager une participation accrue et des résultats qui, pour la majorité des cas, seront forcement influencés par les positions sur le terrain.
Sources
- COLLOT Giovanni, À Milan, les néonationalistes européens lancent la révolution « du sens commun », Le Grand Continent, 19 mai 2019
- La doctrine Orban, Le Grand Continent, 21 juin 2018
- KARACSONY Eszter, Des Carpates à l’Europe : la vision géopolitique de Viktor Orbán, Le Grand Continent, 5 aout 2018
- CZERNY Milan, Le gouvernement de Viktor Orban ouvre les portes de l’Europe à une banque russe, Le Grand Continent, 24 mars 2019
- MENNERAT Pierre, ROSPARS Théophile, Suspension du Fidesz par le PPE : une décision qui ne règle rien, Le Grand Continent, 24 mars 2019
- ROS Simone, La chute de Strache compromet les plans européens de Kurz, Le Grand Continent, 19 mai 2019
- La Lettre du Lundi, ed. 50, 1 avril 2019
- HUBLET François, SCHLEYER Johanna, L’ère des Très Grandes Coalitions et l’Allemagne ingouvernable, Le Grand Continent, 29 avril 2019
- HUBLET François, Frans Timmermans et la souveraineté dans le désert, Le Grand Continent, 14 octobre 2018
- ZEMMOUCHE Florent, Que signifie la victoire de Sanchez ? Une conversation avec son Ministre des affaires étrangères, Le Grand Continent, 29 avril 2019
- PELEGRIN Clémence, RIVIERA Matteo, Le mouvement Fridays For Future en Europe, Le Grand Continent, 17 mars 2019