Vienne. Une vidéo tournée durant l’été 2017 à Ibiza, dans laquelle Heinz-Christian Strache, alors déjà chef indiscutable du parti d’extrême-droite autrichien FPÖ et aujourd’hui vice-chancelier d’un gouvernement de coalition avec le Parti populaire, promettait des avantages à la nièce présumée d’un oligarque russe, a déclenché un séisme qui dépasse largement les frontières autrichiennes1.

L’affaire n’est pas claire dans le détail, mais ce qui compte est l’approche sans scrupules employée par Strache dans l’enregistrement dont les auteurs ne sont pas connus : piégé par l’idée de nouveaux financements pour son parti, le politicien autrichien imagine de prendre le contrôle de la Kronen-Zeitung, le quotidien le plus populaire du pays,  de se défaire de journalistes gênants et de le transformer en un instrument de campagne électorale pour l’extrême droite. En échange, son interlocutrice aurait pu bénéficier de l’accès à des marchés publics dans le domaine de la construction, dont aurait été exclue la Strabag, la célèbre entreprise autrichienne, mal vue de la FPÖ. La publication de la vidéo par des media allemands (le magazine Der Spiegel et le quotidien munichois Süddeutsche Zeitung) a couronné plusieurs mois de turbulences pour le vice-chancelier,  critiqué de toutes parts pour des interventions sur l’immigration qui rappelaient certaines théories complotistes du suprématisme américain2.

L’abandon de toutes les fonctions publiques par le dirigeant du FPÖ ouvre un scénario de crise sur le gouvernement et sur l’avenir du chancelier Kurz, qui avait réussi à capitaliser sur le succès de son ÖVP aux dernières élections en excluant une réédition des cabinets de Grande coalition avec les sociaux-démocrates et signature d’un pacte avec le FPÖ de Strache. Dans ce context, la confirmation que la seule voie envisageable passe par des élections anticipées est arrivée quelques heures plus tard à peine, dans la soirée de samedi. Kurz s’est félicité d’avoir pris le chemin du changement pendant l’année passée, précisant cependant que le scandale est suffisamment grave pour justifier une rupture de l’alliance. Le Président de la République est intervenu, reconnaissant qu’un retour aux urnes est la seule manière de rétablir la confiance dans les institutions.

GEG | Cartographie pour Le Grand Continent

Perspectives :

  • Une crise de gouvernement à une semaine des élections au Parlement européen a d’abord d’importantes conséquences sur les résultats qui pourraient sortir des urnes. Le Parti populaire de Kurz arriverait en première position, d’après les sondages, avec une avance étroite sur les sociaux-démocrates. La vraie nouveauté est constituée par le retour sur le devant de la scène des Verts, exclus du parlement national lors des dernières élections et depuis toujours en première ligne sur des thèmes comme la corruption dans la vie publique3 ;
  • L’affaire Strache a également eu des répercussions importantes au niveau local. Les gouvernements des Länder dans lesquels le Parti populaire et les sociaux-démocrates gouvernent avec le FPÖ (en l’occurrence, le Burgenland et la Haute-Autriche) sont déjà en ébullition, et des élections anticipées pourraient y avoir lieu4 ;
  • L’Autriche se préparant désormais pour des élections anticipées, la marge de manœuvre de celui que Politico Europe a désigné comme le « grand joueur » 5 dans le jeu européen à venir serait sensiblement réduire. La réputation de Kurz comme leader politique couronné de succès dans ses entreprises est écornée, et le modèle d’alliance « conservatrice » du centre à l’extrême-droite dont il s’était fait le défenseur.
  • La démission de Strache, d’autre part, prive le camp eurosceptique de celui qui est, avec l’italien Matteo Salvini et la française Marine Le Pen, l’un de ses principaux porte-étendards, assénant ainsi un sérieux coup au projet d’« Internationale souverainiste » ou de « Ligue des Ligues » plusieurs fois évoqué par le même Salvini et réuni hier, samedi 18 mai à Milan. Par ailleurs, elle fournit une motivation supplémentaire à leurs adversaires pour attaquer les différents partis sur leurs liens avec la Russie de Poutine.
Sources
  1. « Das ist der Deal » : Die Schlüsselszenen aus dem Ibiza-Video, Die Presse, 18 mars 2019
  2. TAMKIN Emily, Austria’s deputy leader pushes extremist argument to warn against immigration, Washington Post, 28 avril 2019
  3. PRIOR Thomas, Die Grünen – auferstanden von den politisch Toten, Die Presse, 17 mai 2019
  4. PRIOR Thomas, THALHAMMER Anna, Rot-Blau in Eisenstadt auf der Kippe, Rumoren in Linz, Die Presse, 18 mai 2019
  5. KARNITSCHNIG Matthew, Sebastian Kurz bets big on Manfred Weber, Politico Europe, 15 mai 2019