Comment analysez-vous les résultats de l’élection en Espagne d’hier ?

Je pense qu’il y a eu une sorte de refus de la radicalité politique portée par les partis de droite. C’est une très bonne nouvelle, on avait peur que l’extrême droite ait un soutien plus conséquent. Le 10 % de Vox ne signifie en rien leur défaite, même s’il me paraît surtout montrer que la société espagnole est beaucoup plus modérée que ce que l’on craignait. À cela s’ajoute une remarque technique : le système électoral pénalise la division dans les petites circonscriptions, ce qui explique le faible résultat de l’extrême droite en termes de députés. Pourtant quand on regarde le cadre d’ensemble et le nombre de voix populaires on remarque un succès évident du Parti socialiste espagnol et de l’expérience de gouvernement que j’ai pu accompagner en tant que Ministre des affaires étrangères.

Pour gouverner, le PSOE va devoir faire des alliances. Une alliance avec Ciudadanos est-elle possible, envisageable ?

C’est évident qu’il y a plusieurs possibilités qui s’ouvrent à nous. D’un point de vue arithmétique, la solution politique la plus facile à faire serait d’additionner PSOE et Ciudadanos. Sauf que la raison arithmétique ne coïncide pas toujours avec la raison politique. Après tout ce que Rivera a dit pendant la campagne1, je ne pense pas que l’alliance avec Ciudadanos soit possible.

L’hypothèse d’un bloc des gauches vous paraît-elle plus probable ?

Concernant le bloc des gauches, je ne sais pas encore… De toute façon, on va bien devoir trouver les voix qui nous manquent. On a gagné mais pour gouverner on doit encore additionner les voix et créer les bases politiques pour le travail d’une majorité. Evidemment, on peut passer par la gauche, mais contrairement avec l’hypothèse d’une alliance avec Ciudadanos il faudrait mettre plusieurs partis ensemble. Podemos n’aura pas les élus suffisants. Vraiment à l’heure actuelle je ne sais pas. Il faudra voir comment cela se présente. Je ne peux pas m’avancer. On verra la position que prendra Pedro Sanchez qui va réunir le bureau exécutif du parti pour analyser la situation et pour voir ce qu’il faut faire.

L’hypothèse d’une alliance à gauche vous confronterait aux indépendantistes catalans : n’y voyez-vous pas un nouveau risque d’impasse ?

Une chose est sûre, l’indépendantisme catalan a eu de bons résultats. Les modérés, si on peut les appeler comme cela, qui sont de gauche républicaine ont fait de bons résultats. C’est la première fois qu’ils gagnent des élections générales. À mon avis, tout cela est très conditionné par la situation tendue par rapport aux procès en cours. Ce n’était pas une situation tout à fait normale. Une composante émotionnelle très forte sera présente tant que les affaires judiciaires ne seront pas réglées.

Je ne pense pas que l’alliance avec Ciudadanos soit possible

Josep BorrelL

Cela étant dit, la remontée du parti socialiste en Catalogne a été aussi très nette et prouve que les efforts que nous avons fait pour essayer de dialoguer et de trouver des solutions dans le cadre constitutionnel sont récompensés. Le grand perdant c’est la branche catalane de Podemos qui est victime de ses contradictions. On ne peut pas dire qu’on ne soutient pas l’indépendantisme et mettre comme tête de liste quelqu’un qui est un indépendantiste jusqu’au boutiste. On ne peut pas toujours jouer toutes les cartes au même temps. La branche catalane de Podemos est celle qui a reçu la plus grosse claque parce que les gens en ont assez de leurs ambiguïtés et de leurs incohérences.

Comment expliquez-vous la défaite historique du Parti Populaire ?

Le Parti Populaire a été sans doute pénalisé par les récents scandales de corruption, mais c’est surtout sa radicalisation et son virage à droite qui expliquent cette défaite historique. Les dirigeants du Parti populaire ont essayé, sans y parvenir, de concurrencer l’extrême-droite de Vox qui apparaissait en pleine croissance. C’était un échec. Encore une fois, je pense que le résultat le plus important de ces élections c’est le refus de la société espagnole de la radicalité politique de droite.

Malgré l’entrée de Vox au Parlement, on a parfois cherché dans les résultats d’hier la preuve d’un affaiblissement du style populiste en politique. À votre avis il y a une voie espagnole qui endigue cette tendance ?

Je ne sais pas, c’est déjà pas mal ce qu’on a ! Les résultats d’hier montrent qu’un parti populiste qui n’existait pas a gagné 10 % de voix et qu’un dirigeant de la gauche populiste demeure présent. Non, on n’est pas épargné non plus, bien que peut-être plus qu’ailleurs, en effet.

Quelle est votre analyse de la transformation de Podemos ?

Si Podemos a réussi à sauver les meubles c’est peut-être parce qu’il s’est modéré, il est apparu comme un parti sérieux, capable de gouverner, en respectant la Constitution. Podemos a arrêté d’être un parti anti système pour devenir un parti désirable. Le profil qu’il a montré, c’est un profil social-démocrate. C’est sans doute pour ça qu’il a sauvé les meubles. Dans son ensemble, la société espagnole montre un degré de modération qui est remarquable.

Que dit cette victoire de la gauche sociale de l’Espagne ?

Le gouvernement Sanchez a mené une politique très sociale, comme au Portugal : le PSOE a voulu faire marche arrière en tout ce qui est politique d’austérité, coupes dans la dépense sociale, augmentation du revenu minimum, extension des droits sociaux, priorité sur l’enseignement, sur la santé, centralité de l’égalité hommes-femmes. On parle beaucoup de l’affaire catalane comme si c’était le seul problème de l’Espagne, mais s’il fallait distinguer le gouvernement socialiste il faudrait mettre l’accent sur la dimension sociale de sa politique, dans sa lutte contre les inégalités.

Les élections européennes du mois de mai doivent faire comprendre à la gauche qu’il est nécessaire de présenter des alternatives aux formules politiques et aux alliances qui l’ont faite reculer un peu partout depuis le début de la crise économique en 2008

Josep BorrelL

C’est ce qui lui a permis de récupérer beaucoup de voix qu’il avait perdues au profit de la gauche radicale et populiste. À mon avis, l’enseignement le plus important que doit retenir la gauche européenne de ces élections, c’est que la politique sociale paye. Nous avons récupéré beaucoup de voix perdues. L’Espagne est devenue un exemple à suivre pour les gauches de gouvernement en Europe.

À quelques semaines des européennes faut-il voir dans cette victoire la fin de l’effet domino néonationaliste qui a vu depuis 2017 la création d’une série de gouvernements orientés par une nouvelle extrême droite ?

Hélas, c’est beaucoup dire. Ce n’est pas la fin, mais c’est tout de même étonnant. Nous pourrions dire que c’est un espoir. Cela peut nous redonner de l’espoir. Il faut éviter d’extrapoler cet événement, mais c’est quand même un changement de tendance, il faudrait voir, et ce serait bien, que cela se répète ailleurs… Pourtant chaque pays présente aujourd’hui un contexte politique différent avec un délitement parfois prononcé des forces sociales-démocrates, comme en France, ou d’une manière très différente en Allemagne. Les élections européennes du mois de mai doivent faire comprendre à la gauche qu’il est nécessaire de présenter des alternatives aux formules politiques et aux alliances qui l’ont faite reculer un peu partout depuis le début de la crise économique en 2008.

Sources
  1. Le leader de Ciudadanos, Rivera a cherché à récupérer les votes de l’extrême droite allant jusqu’à proposer à Vox une alliance de gouvernement anti-socialiste