Francfort-sur-le-Main. Semaine lourde d’événements à la Banque centrale européenne (BCE) : dans cinq discours différents, quatre des représentants du directoire de la Banque (le président Mario Draghi et les membres du Comité exécutif Peter Praet, Benoît Cœuré et Yves Mersch) ont présenté des perspectives intéressantes sur les enjeux stratégiques de la politique monétaire européenne.

Peter Praet lundi à Francfort : le plan de « normalisation » de la politique monétaire européenne

Rappelant l‘efficacité des mesures non-conventionnelles engagées depuis 2014, Praet a salué une inflation proche de sa cible (2,2 pour cent en octobre) (5). Il a ensuite montré la nécessité de maintenir une politique monétaire souple. L‘objectif : amorcer un retour aux instruments de politique conventionnelle tout en sauvegardant la convergence de l‘inflation. Pour exercer une pression à la baisse sur les taux de long terme, la banque centrale conservera d‘une part un important portefeuille d‘actifs à longue maturité. Elle réinvestira à volume constant les actifs acquis quand le programme d‘achat s‘arrêtera en décembre 2018. D‘autre part, la BCE s‘appuiera sur une forward guidance « améliorée » fondée sur un double message : l‘assurance que les taux nuls seront conservés jusqu‘à l‘été 2019 au moins, et qu‘ils resteront inchangés « aussi longtemps que nécessaire pour assurer la poursuite d‘une convergence soutenue de l‘inflation » vers sa cible.

Benoît Cœuré lundi à Vienne : « la croissance, l‘Europe et l‘unité »

Comment créer davantage de cohésion socio-économique dans les États d‘Europe centrale et de l‘Est ? La convergence, « significative » avant la crise, est désormais « décevante », et la nécessité d‘une relance de la convergence dans les États membres et candidats s‘affirme (1). La croissance était fondée avant la crise sur des transferts de technologie et sur des chaînes de valeur mondiales, de plus en plus remises en question ; elle souffre aujourd‘hui du manque de capitaux. Selon Benoît Cœuré, le marché unique doit être un remède à ce marasme. Pour ce faire, il s‘agit de combiner trois types d‘évolutions : amélioration de la qualité des administrations nationales ; renforcement ou constitution du marché unique dans les domaines où il est insatisfaisant (services, données et surtout capitaux) ; facilitation de l‘accès aux fonds européens.

Mario Draghi lundi à Bruxelles : une union incomplète

Entendu par la commission des affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen, Draghi a confirmé que le ralentissement très progressif de la croissance de la zone euro devrait se poursuivre à moyen terme, sans y voir une menace pour la convergence de l’inflation vers sa cible (2). Il a appelé à compléter l‘Union économique et monétaire en tirant les leçons de la crise. L‘absence d‘union fiscale, le manque de structures de contrôle et l‘endettement excessif de certains États membres ont desservi l‘Europe. Un mécanisme de supervision financière efficace a été mis en place dans l‘intervalle. Selon Draghi, il faudrait désormais promouvoir des politiques nationales saines, doter l‘Europe d‘une fonction d‘investissement, et construire une véritable union des marchés de capitaux.

Yves Mersch mardi à Francfort : Green ECB

C‘est en citant Faust de Goethe que Mersch a débuté un discours original, qui introduit prudemment la prise en compte du changement climatique dans le domaine d‘action de la BCE (3). La question est moins évidente qu‘il n‘y paraît. Si le changement climatique lui-même n‘est nullement remis en doute, la littérature économique reste prudente quant à ses implications dans la conduite d‘une politique monétaire dont le domaine est extrêmement circonscrit. Les défis de court terme – catastrophes naturelles – ou de très long terme – évolution de la situation économique générale ou des prix de l‘énergie – modifieront-ils radicalement une politique monétaire se déployant surtout sur le moyen terme ?

Selon Yves Mersch, les risques identifiés ne menacent pas les capacités d‘action de la BCE. Mais il identifie trois sources de risques financiers : destruction d‘actifs physiques, chocs dûs à la transition vers des politiques plus durables, et création de bulles d‘actifs verts.

Si la légitimité du politique est indiscutable, la capacité d‘action de la BCE reste limitée par son mandat : stabilisation des prix et non orientation des investissements. Elle ne peut utiliser son programme de rachat d‘actifs pour favoriser un secteur spécifique. Même dans sa fonction de supervision, elle ne peut modifier ces exigences de sa propre initiative. Comme banque centrale indépendante, « dépolitisée » par son mandat au service de la seule stabilité des prix, la lutte contre le changement climatique ne saurait relever de son initiative. Reste que l‘“observation et l‘analyse” de ses effets dans ce champ font désormais partie intégrante de la réalité de ses travaux.

Yves Mersch vendredi à Rome : TIPS

Mersch a lancé dans la capitale italienne le TIPS, le nouveau système de paiements instantanés TARGET, qui offre des transferts de fonds, immédiats, dans toute l‘Europe et à toute heure, aux clients des fournisseurs de services de paiement (4). Il s‘appuie sur le système de paiements SEPA, une infrastructure moderne et une base légale solide. L‘objectif est d‘accompagner l‘évolution des modes de paiement, notamment en ligne ou via mobile, et de répondre aux besoins du Fintech. Une menace pèse cependant sur ces évolutions : la réticence des banques européennes à fournir ces services aux nouveaux entrants, stratégie dont Mersch s‘est efforcé de montrer qu‘elle était contre leurs intérêts, ajoutant que l‘investissement dans les technologies de paiement instantané est plus que jamais nécessaire.

Perspectives :

  • Décembre 2018 : fin du programme d’achat d’actifs (Asset purchase programme, APP).
  • 31 mai 2019 : fin du mandat de Peter Praet au directoire de la BCE.
  • 31 octobre 2019 : fin du mandat de Mario Draghi à la Présidence de la BCE.

Sources :

  1. CŒURÉ Benoît, The role of the European Union in fostering convergence, 26 novembre 2018.
  2. DRAGHI Mario, Hearing of the Committee on Economic and Monetary Affairs of the European Parliament, 26 novembre 2018.
  3. MERSCH Yves, Klimawandel und Zentralbankwesen, 27 novembre 2018.
  4. MERSCH Yves, TIPS et l’avenir des solutions de paiement de détail innovantes en Europe, 30 novembre 2018.
  5. PRAET Peter, Preserving monetary accommodation in times of normalisation, 26 novembre 2018.

François Hublet