Asie septentrionale

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En promettant de les sortir de la misère pour quelques milliers de roubles, le régime russe arrive à aligner une génération de Russes pour mourir au front. Dans une chronique au cœur de cette classe invisible devenue chair à canon du Kremlin, Sergej Černyšov livre une clef qui va à l’opposé d’un discours dominant. Il nous aide à comprendre comment Poutine continue à mobiliser des masses.

Depuis quelques jours, de nouvelles vidéos de propagande affluent sur les réseaux sociaux. Leur but  ? Convaincre les jeunes hommes russes de se battre en Ukraine. En 2024, le budget de la défense deviendra le premier poste de dépense de la Russie, augmentant de 70  %. Alors que la prochaine manche de la guerre infinie de Poutine s’annonce particulièrement brutale, nous décodons les images, caricaturales, choquantes, parfois obscènes, mitraillées à une génération que le Kremlin veut envoyer mourir au front pour un mirage impérial.

À l’intérieur de la Fédération de Russie, contre le fantasme impérialiste poutinien, des minorités ethniques rêvent de reproduire les indépendances des ex-républiques socialistes soviétiques après la chute de l’URSS. En Kalmoukie, dans le Caucase, on mise sur la capitulation d’une Russie embourbée dans une guerre ingagnable en Ukraine pour penser un après fondé sur l’auto-détermination.

«  La politique étrangère russe a sa logique propre, son langage. Tant qu’on ne les comprend pas, on s’interdit de mettre en place une véritable politique d’endiguement.  » Dans cet entretien introduit par Guillaume Lancereau, Vjačeslav Morozov dissèque la mise à jour par Moscou de son document stratégique de référence et nous aide à fourbir une arme — l’intelligence de la guerre.

Le sociologue Grigori Yudin est une boussole pour comprendre la société russe. Dans un nouvel entretien important, il revient sur l’ambition de Poutine de mener une guerre étendue et infinie, dont l’Ukraine ne serait que la première étape. Alors que la Russie met en scène aujourd’hui des élections truquées — y compris sur le territoire ukrainien — il nous plonge dans les structures d’une société affaiblie et profondément divisée.

Le chef de Wagner a-t-il été assassiné  ? Comme toujours quand on s’approche de Poutine, le brouillard s’épaissit, le vrai n’est qu’une des nuances du faux. De traiteur du Kremlin à illustrateurs pour enfants, Evgueni Prigojine a déployé un théâtre de la cruauté de Bamako à Bakhmout, entre geôles, hôtels miteux, palaces d’oligarques et décombres d’un Empire… Quand la vérité disparaît, il reste la vérité des masques. Les voici.

Evguéni Prigojine a longtemps appelé Vladimir Poutine «  Papa  ». Les deux hommes s’étaient construits en parallèle, l’un évoluant dans l’ombre de l’autre. Le 23 août 2023, deux mois après la mutinerie ratée du chef de Wagner, son avion privé s’est écrasé en Russie. Ainsi prend fin l’affrontement entre Poutine et son ancien protégé. Il faut maintenant s’interroger sur un criminel entrepreneur de la guerre dont les excès et les boursouflures permettent de saisir quelque chose de la nouvelle Russie, celle qui est sortie de la chute de l’Empire soviétique et dont Vladimir Poutine est devenu l’homme fort.

Stratégie du chaos  : quelques heures après les allocutions de Poutine au Sommet des BRICS à Johannesburg, prononcées en visioconférence car le président russe est sous la menace d’une interpellation en Afrique du Sud, deux mois jour pour jour après la tentative avortée de coup d’État, un avion du «  traître  » Prigojine s’écrasait près de Tver — le chef de Wagner était sur la liste des passagers. Quel est le sens diplomatique de la prise de parole d’un chef de gouvernement qui semble prêt à tuer les membres de son premier cercle  ? Où est la vérité quand l’affameur du Kremlin — responsable de la crise alimentaire qui frappe l’Afrique de l’Est — se pose à Johannesburg en garant d’une nouvelle multipolarité au service de l’Afrique  ? Pour s’orienter dans le brouillard, c’est entre les lignes qu’il faut lire ce discours que nous traduisons et commentons pour la première fois en français.