Des perruques décolorées de Prigojine aux homélies sanguinaires du Patriarche Kirill, en passant par les combats de MMA du dictateur tchétchène Kadyrov ou encore un opéra-rock célébrant la destruction de l’Ukraine chanté par des adolescents dans l’atelier de la plus grande usine de char d’assaut au monde, les images de la Russie de Poutine nous plongent dans un monde parallèle. Une sorte d’anti-réalité dont on peine à comprendre comment elle peut fonctionner, quels sont ses réels effets, quels ressorts la soutiennent. Y a-t-il seulement une continuité entre le froid dispositif de propagande mis en place par le maître du Kremlin — ses usines à trolls, ses mercenaires, ses siloviki — et les déclarations télévisuelles délirantes des faucons qui aimeraient déclencher une guerre nucléaire depuis Moscou ? S’il n’y a pas de doute qu’il existe une machine idéologique poutinienne, elle est en train de se transformer en profondeur depuis l’invasion de l’Ukraine — devenant de moins en moins lisible.
Pour y voir plus clair et tenter de percer le voile épais tissé par des années de propagande, nous lançons une série de traductions introduites et commentées de textes clefs. Avec la spécialiste Marlène Laruelle, nous publierons chaque samedi un texte pour plonger au plus près des idéologues d’un régime qui rêve d’empire et qui, sur le sol de l’Ukraine, a déclaré une guerre sans fin à l’Occident.
Vous travaillez sur la production idéologique du régime russe depuis plusieurs années. Qu’est-ce qui a changé avec l’invasion de l’Ukraine de 2022 ? Quelles sont les continuités et les ruptures en termes de production idéologique ?
Marlène Laruelle
On trouve un mélange de continuités et de ruptures, car l’idéologie qui domine en Russie aujourd’hui est le produit d’une longue sédimentation. On peut donc en identifier les différentes « couches« , les moments de rupture et d’accélération, et en reconstruire la généalogie. La coupure de 2022 est bien sûr majeure mais elle ne doit pas obscurcir les continuités.
Cette construction idéologique a ses racines dans un kaléidoscope d’héritages soviétiques revisités et de transformations vécues dans les années 1990. Elle a été graduellement réorganisée par le régime en un tout qui a sa logique interne et une certaine cohérence dans sa vision de l’humanité, de ce que doit être l’ordre mondial et la place de la Russie en son sein. On peut la diviser schématiquement en trois grandes phases : le « premier poutinisme« durant les années 2000-2008, le « poutinisme tardif« , de 2012 à 2022, et le « poutinisme de guerre« , depuis le 24 février. On peut ensuite bien évidemment diviser ces grandes périodes en sous-périodes, avec des moments charnières comme celui de la présidence de Dmitri Medvedev qui a marqué un réel passage de flambeau entre les deux premiers poutinismes.
De nombreux éléments qui sont devenus centraux dans le discours post-24 février étaient déjà présents avant l’invasion militaire : les discours poutiniens sur l’unité présumée entre Russes et Ukrainiens datent de 2021, la sacralisation de la Grande Guerre Patriotique — la Seconde Guerre Mondiale vue de Russie, entre 1941 et 1945 — s’est accentuée au fil des années, de même que la vision de l’Occident comme fasciste ou la dénonciation des libéraux comme des traîtres à la nation. En termes non plus seulement de discours mais de pratiques, les amendements à la Constitution qui officialisent une sorte d’idéologie dans le texte suprême datent de 2020. On voit clairement a posteriori que ces éléments étaient là dès 2018-2019, mais un tournant plus répressif s’est opéré en 2020-2021.
Cela dit, il faut être prudent avec les lectures rétroactives et leur logique tautologique. Elles tendent à nous faire croire qu’il n’y avait qu’un seul futur possible, et on oublie l’existence d’une multitude d’options potentielles qui ne se sont pas réalisées. Que le régime ait durci son contrôle idéologique à l’intérieur et ait considéré l’Ukraine comme le point de cristallisation de tous ses mécontentements envers l’Occident bien avant le tournant de 2022, c’est certain. Qu’il se préparait à la guerre depuis plusieurs années, c’est moins évident. La guerre a probablement été l’une des options envisagées parmi d’autres, mais pas nécessairement celle qui était vue comme la plus plausible.
Il faut aussi se souvenir que pour le Kremlin, « l’opération militaire spéciale« devait ressembler à ce qui s’était passé à Budapest en 1956 ou à Prague en 1968, sans générer un tremblement de terre de l’ampleur que l’on connaît aujourd’hui. Une fois que la « vraie« guerre s’est installée comme réalité de terrain, le régime a pu puiser dans des récits et des méthodes d’endoctrinement qui étaient en place mais pas entièrement déployés. Il a donc pu adapter assez facilement son arsenal idéologique, d’endoctrinement et de répression à l’idée d’une grande guerre civilisationnelle avec l’Occident.
Pensez-vous que l’idéologie précède l’action ou qu’elle ait servi à justifier a posteriori les décisions prises ?
C’est l’une des questions clefs souvent posées sur la Russie, mais elle présuppose que l’on puisse dissocier l’idéologie de l’action, et ce qui est en aval de ce qui est en amont de l’action, d’une manière évidente. Je ne pense pas que ce soit le cas. Toutes nos décisions sont prises selon notre lecture du monde : elles sont situationnelles, adaptées à des contextes changeants, et l’on peut reconstruire a posteriori des logiques ou des arguments qui n’étaient pas explicites au moment des faits.
La réponse à cette question dépend donc de la définition que l’on donne à l’idéologie. Si on la définit comme une vision du monde et de l’ordre social, une grammaire, alors oui, le régime russe a une idéologie-vision du monde, comme tous les gouvernements et tous les individus. Mais si l’on définit l’idéologie comme une doctrine textuelle constituée et appliquée que les citoyens doivent suivre sous peine de répression, comme dans le modèle soviétique, alors la réponse est plus nuancée, car le régime sait en effet adapter sa production discursive à des contextes changeants et à des audiences différentes. Il a cherché pendant longtemps, avec succès, à éviter de reproduire une idéologie-doctrine à la soviétique et à capter le soutien populaire sans grande répression.
Je dirais que le régime russe est fondé sur une idéologie-vision du monde qui est stable et identifiable, définie par trois principes majeurs : la chute de l’Union soviétique était une erreur et un effondrement similaire de la Russie doit être évité à tout prix ; la Russie doit être une grande puissance pour résister aux pressions occidentales ; la Russie est incarnée par son État, non par son peuple, les citoyens doivent donc laisser l’État gérer la politique et se contenter d’être de fervents patriotes.
Cette idéologie-vision du monde informe la prise de décision stratégique, même s’il y a des différences entre les groupes au pouvoir dans leur lecture, radicale ou modérée, de ces trois principes. Si le régime n’avait été qu’un groupement de kleptocrates intéressés à garder leurs affaires offshore et leurs villas en Europe, il n’aurait pas décidé d’envahir l’Ukraine et de mettre en péril des années d’intégration sur la scène internationale. Si Poutine a pris un tel risque, si le régime a suivi sans trop de dissensions, c’est qu’il y a une idéologie-vision du monde qui fait sens pour eux et justifie une telle prise de risques.
Cette grammaire est déclinée en des récits stratégiques bien plus contingents et évolutifs : on peut insister sur la Russie comme État-civilisation, sur son identité eurasienne ou russocentrée ; la présenter comme étant une nation moderne ou un empire, un pays séculier, orthodoxe — ou orthodoxe et musulman — ayant son modèle dans la Byzance ancienne ou dans la Chine contemporaine ; on peut voir dans le dernier tsar Nicolas II un héros ou lui préférer Pierre le Grand ou Staline… Il y a du choix tant que l’on reste dans le cadre autorisé des trois principes, qui exclut toute vision de la Russie comme devant suivre un modèle occidental libéral et progressiste.
Un exemple de l’articulation entre la stabilité de la grammaire et la contingence des déclinaisons : Vladimir Poutine a toujours pensé que sa mission était de redonner à la Russie un statut de grande puissance — c’est un élément stable de sa grammaire géopolitique. Mais les moyens d’y parvenir ont évolué, et avec eux les discours stratégiques : dans les années 2000, il pensait que ce statut de grande puissance pourrait être acquis à nouveau par la Russie avec l’accord, bon an mal an, de l’Occident et par l’intégration de la Russie dans l’économie mondiale. Des échecs graduels à obtenir cette reconnaissance — qui, pour Moscou, signifie un droit de regard sur l’ancien espace soviétique — ont favorisé l’idée d’une grande puissance qui devrait s’imposer non plus avec l’Occident mais contre lui, et la notion de « contre« a elle aussi évolué : de contre au sens d’une compétition grandissante avec l’Occident sur la scène internationale au contre d’une guerre avec l’Occident dont l’Ukraine est le locus belli par procuration.
Comment résumeriez-vous les grands traits de la nature idéologique du régime ?
Pour moi, le cœur du régime est contre-révolutionnaire. C’est un régime thermidorien, qui cherche à stabiliser la Russie après les changements exceptionnels des années 1990. Comme souvent, ce qui est au début une stratégie conservatrice au sens originel du terme — ralentir les changements pour permettre à la société de « digérer » les transformations — devient graduellement, après plus de vingt années d’exercice du pouvoir par Vladimir Poutine, réactionnaire : il ne s’agit plus seulement de conserver mais de revenir en arrière. Je vois donc une évolution d’un conservatisme libéral au début des années 2000 à un conservatisme radical, visible dès le tournant des années 2012-2014, et accentué par le tournant de 2022.
Le régime est fondamentalement conservateur : il croit en une ontologie de l’homme qui suppose qu’on ne peut se libérer de notre identité collective — qu’elle soit de genre, de sexualité, de nationalité, de religion — et que le progressisme qui nous dit que ces identités sont socialement construites et donc déconstructibles conduit au nihilisme et donc à la mort de l’individu et du collectif. C’est un régime pessimiste, qui s’inquiète de ce qu’il voit comme le déclin des valeurs de la civilisation européenne, provenant aussi bien de ses origines chrétiennes que de la Renaissance et des Lumières.
Ce conservatisme s’exprime donc sous la forme d’une obsession pour les méfaits de l’« Occident collectif », un terme qui définit aujourd’hui aussi bien l’Occident politique (les États-Unis, l’Union européenne, l’OTAN), le libéralisme comme philosophie politique, et le progressisme comme expression de l’individualisme. La culture politique russe a progressivement pris la forme d’une vision du monde conspirologique, une grille de lecture cynique des relations de pouvoir où les grandes puissances s’affrontent dans des jeux à sommes nulles, et où les plus petits pays n’ont pas d’autonomie stratégique et se contentent de choisir un patron.
L’anti-occidentalisme est donc central dans la construction idéologique russe, mais définir cette idéologie uniquement par la négative me semble réducteur. Il y a un projet politique pour la Russie et le monde : une vision du monde ontologiquement conservatrice qui veut défendre une Europe « authentique » contre ce qui est vu comme les « perversions » du libéralisme et promouvoir un monde qui ne serait plus fondé sur l’internationalisme libéral. C’est un projet qui parle aussi à certaines audiences ailleurs qu’en Russie.
On a beaucoup parlé de « fascisme », quelle est votre analyse de l’usage de ce terme ?
J’ai beaucoup écrit sur la notion de fascisme appliquée à la Russie, que je vois comme problématique. Elle est si hautement normative et émotionnellement chargée qu’elle brouille les pistes d’analyses et crée des catégories binaires : la Russie est présentée comme l’Autre par essence de l’Occident, le nouvel empire du mal, l’incarnation de valeurs autoritaires et réactionnaires face à un Occident démocratique et progressiste, dans une forme de lutte éternelle entre la lumière et les ténèbres. Je ne crois pas en
cette binarité, je vois la Russie comme un cas, certes extrême, mais toujours dans le continuum de notre monde. Les valeurs promues par le régime, qu’on peut définir ici rapidement comme « illibérales« , sont présentes dans des parties importantes de nos sociétés, et sont en train de s’imposer politiquement à travers toute l’Europe et aux États-Unis. L’opposition russe à l’universalisme américain et à l’internationalisme libéral est partagée par une grande partie de ce qu’on appelle le Sud Global. La Russie n’est donc pas, selon moi, quelque chose d’externalisable à un « nous » collectif, mais une partie intégrante des complexités de notre monde. La Russie de Poutine a été co-produite par l’Occident à bien des égards.
Une fois ces considérations exprimées sur l’inflation problématique du terme de fascisme, que nous dit-il de la Russie ? Dans mon livre Is Russia fascist ?, qui date de 2021, je réponds par la négative en définissant le régime russe comme conservateur, illibéral, autoritaire, mais non fasciste : être fasciste, cela suppose avoir une utopie, croire en une violence régénératrice pour la nation, croire que la guerre est la seule solution pour qu’un nouvel Homme faisant tabula rasa du passé puisse émerger. Je ne crois pas que le régime russe d’avant 2022 ait eu une vision utopiste de son futur fondé sur une théorie de la régénération. Il y avait des « poches« dans lesquelles on pouvait identifier des tendances fascistes, en particulier les milieux paramilitaires, les milices d’extrême-droite et les mouvements de vigilantisme, mais ceux-ci ne représentaient pas le régime dans son ensemble.
Avec l’invasion militaire de l’Ukraine, la nature du régime a bien évidemment changé. Je vois maintenant un régime divisé, avec un fascisme que je dirais fragmentaire. D’un côté, ceux qu’on appelle le parti de la guerre —les siloviki, les blogueurs militaires, tous ceux qui appellent à une guerre totale avec l’Ukraine et à la mobilisation entière de la société russe partagent un imaginaire fasciste. Ils croient en la régénération par la violence, avec tout l’esthétique que le fascisme implique (masculinité, militarisation, etc.). Mais une large part de l’establishment politique russe souhaite au contraire que « l’opération spéciale » reste justement « spéciale », c’est-à-dire sans implication sur le pays dans son entier, que la société ne soit pas entraînée dans la guerre, que les classes moyennes et les élites soient protégées, que la vie continue comme avant — moins le contact avec l’Occident. Or si l’on souhaite que la vie continue comme avant, il ne peut y avoir de fascisme, car il n’y a pas d’appel à une violence révolutionnaire.
Je vois donc le régime comme un Janus à deux têtes, une partie souhaite plus de violence — aussi bien envers l’Ukraine qu’envers la société russe — et appelle à l’engrenage vers la guerre totale, une partie souhaite moins de violence et le retour à la « normalité ». Cette normalité est conservatrice, voire réactionnaire, comme on le voit dans le débat actuel autour de l’idée d’interdire l’avortement dans l’espoir que les femmes fassent plus d’enfants — et donc de futurs soldats —, mais ce n’est pas du fascisme. Cette quête de normalité prend la forme d’une rétrotopie : on projette un futur inspiré du passé. Cela dit, la rétrotopie n’est pas propre à la Russie : on la trouve aussi en Occident, ou les Trente Glorieuses sont le modèle implicite ou explicite de ce que l’on cherche à préserver ou recréer. La version russe est centrée sur « l’âge d’or » soviétique des années 1960-1980, que l’on espère recréer sur la scène internationale comme sur la scène intérieure. Avec quand même certains bémols : la propriété privée et la société de consommation font par exemple dorénavant partie des normes sociales qu’on ne souhaite pas voir remises en cause.
Vous parlez d’écosystèmes idéologiques au sein du Kremlin, quels en sont les acteurs principaux ? Quel rôle a joué et joue encore Vladislav Sourkov ? Que sait-on de ce que pense Poutine lui-même ? Est-il un acteur idéologique à part entière ?
Le Kremlin est une « boîte noire« par bien des aspects mais on peut malgré tout identifier différentes constellations idéologiques que j’appelle des écosystèmes, faits de figures officielles du gouvernement, de personnalités extérieures comme des oligarques ou des entrepreneurs d’influence, de médias, de grandes structures financières ou industrielles, privées ou publiques, qui interagissent entre elles dans l’espoir que leur vision du monde reçoive une approbation officielle.
On peut identifier assez nettement l’écosystème des siloviki, avec ses différentes composantes : d’un côté les services de renseignements, le ministère de l’Intérieur, de l’autre les Forces armées et le complexe militaro-industriel. Un autre écosystème est celui de l’orthodoxie politique, avec l’Église comme institution majeure mais également pléthore de bureaucrates, de figures culturelles et de groupes radicaux en orbite autour du Patriarcat. L’administration présidentielle a une double identité ; elle est un écosystème en soi et elle chapote les deux autres écosystèmes et leur interaction.
Vladislav Sourkov, ancien vice-président de l’administration présidentielle — une figure flamboyante, romantique et romancée par Giuliano da Empoli dans Le mage du Kremlin — a été un pilier de la construction idéologique russe pendant des années, cultivant l’éclectisme du régime et sa capacité à absorber des idées et des modes (visuelles, musicales…) nouvelles qui venaient des milieux de la contre-culture, extrêmement vivaces en Russie. Mis à l’écart autour des années 2012-2015, considéré responsable pour ne pas avoir su éviter les grandes manifestations anti-Poutine de l’hiver 2011-2012, la révolution Maïdan en Ukraine, et l’enlisement du conflit au Donbass, Sourkov est aujourd’hui une figure marginale, périphérique des cercles de décision, même si l’on peut imaginer qu’il a gardé certaines de ses entrées dans le « système« .
Après le tournant de 2012-2014 et son départ, l’administration présidentielle a perdu en diversité et a rigidifié ses relations avec les « producteurs d’idéologie », renforçant un conservatisme de rigueur et explorant de nouvelles sources doctrinaires à travers des think tanks internes. Avec le tournant de 2022, cette recentralisation de la production idéologique est encore plus visible. Sergey Kirienko, qui occupe le poste de Sourkov, est un ancien libéral désormais en charge de l’intégration des nouveaux territoires ukrainiens annexés — et donc de la violence qui s’y produit — et de la fabrication de nouvelles normes idéologiques pour les manuels scolaires et universitaires.
En ce qui concerne Poutine lui-même, il est le centre du système dans tous les sens du terme : l’arbitre entre les différents clans et écosystèmes, le sommet de la chaîne à qui tout le monde s’adresse, implicitement ou explicitement, mais aussi le centre idéologique au sens où il cultive une position médiane qui parle aux différentes audiences. On sait qu’il est un fervent passionné d’histoire, qu’il a lu les grands classiques de l’histoire russe ainsi que les mémoires des grandes figures de l’histoire nationale. Mais il n’est pas un idéologue qui passerait des heures à lire des textes philosophiques et encore moins à les écrire. Il a pour cela toute une équipe autour de lui charge de « digérer« des textes doctrinaux divers et variés et de choisir les thèmes, voire les citations qui viendront peupler ses discours. Il est difficile de savoir s’il intervient directement dans le processus, mais il peut faire référence à certains grands noms de la pensée russe de manière « spontanée« lors de ses « lignes directes« — sa grande interview annuelle durant laquelle il répond à des questions de citoyens dans une mise en scène largement travaillée.
On peut noter par exemple que Poutine semble avoir une fibre anti-communiste — non pas antisoviétique mais anti-communiste, ce qui est une nuance majeure — prononcée, plus visible que celle partagée par la bureaucratie russe en général. Il a souvent déclaré son mépris pour les bolchéviques, Lénine en particulier, et pour la politique des nationalités soviétique qui aurait, selon lui, donné trop de pouvoir et de territoires aux autres nationalités — et bien évidemment aux Ukrainiens en premier lieu. Il a également cité à plusieurs reprises les auteurs « Blancs« , c’est-à-dire représentant l’opposition aux bolchéviques, même s’il a toujours été critique de la nostalgie pour le tsarisme et du culte du dernier tsar, Nicolas II. On sait que des figures idéologiques centrales telles que l’ancien ministre de la Culture Vladimir Medinsky, le cinéaste Nikita Mikhalkov, l’homme d’affaires de l’ombre Yuri Kolvachuk ont gagné en influence sur lui durant la période du coronavirus, où il était extrêmement isolé. Poutine a, c’est sûr, sa propre vision de l’histoire russe, mais son rôle est fondé sur l’alliance entre arbitrage entre clans et centrisme idéologique.
Quelle place occupe l’Église orthodoxe russe dans cette construction idéologique ?
L’Église orthodoxe russe, ou plus exactement sa personnalisation administrative, le Patriarcat de Moscou, joue un rôle important dans cette construction idéologique, mais souvent plus paradoxal qu’il n’y paraît au premier abord.
L’Église a besoin de l’État pour sa mission première qui est de rechristianiser la société russe : la majorité des Russes se disent orthodoxes mais c’est une définition culturelle et identitaire de la religion, peu liée à la croyance en Dieu et encore moins à la pratique religieuse. L’Église a aussi besoin du soutien de l’État pour des raisons financières et matérielles — récupérer les églises confisquées à la période soviétique, obtenir de nouveaux terrains et des financements. Elle s’est donc rapidement positionnée comme le bras droit idéologique du régime, mais avec son autonomie de pensée et d’intérêts : l’Église est bien plus conservatrice que le régime sur les questions morales et familiales (elle a par exemple milité pour l’interdiction de l’avortement bien avant que le gouvernement ne s’empare du sujet), elle est plus critique de la période soviétique, de son athéisme et de ses violences d’État que le Kremlin, etc.
Le régime, de son côté, a besoin de corps intermédiaires ralliés à lui et soutenant la stabilité politique afin d’« encadrer » la société russe. L’Église est un corps intermédiaire incontournable, car elle produit une forte légitimité symbolique autour des questions d’identité nationale, de continuité historique et de patriotisme. L’alliance fonctionne donc bien, car chacun des deux acteurs y trouve son compte, même si en réalité l’Église est la grande perdante : en soutenant l’invasion militaire de l’Ukraine, elle a perdu nombre de ses paroisses ukrainiennes et s’est isolée de plusieurs autres patriarcats orthodoxes, dont celui de Constantinople, qui soutient l’autocéphalie ukrainienne. Ce schisme géopolitique au sein du monde orthodoxe aura un impact de long terme sur la légitimité de l’Église russe et de son Patriarche, Kirill, largement discrédité parmi les grandes institutions chrétiennes.
Avec le tournant de 2022, l’Église semble avoir perdu une partie de son rôle d’entrepreneur idéologique, car l’administration publique s’est investie dans ce domaine avec force, et a repris le dessus — même si l’Église reste une voix dominante sur les questions de moralité. En revanche, au front, il semble qu’elle soit devenue plus importante, avec le phénomène des prêtres soldats. C’est désormais le prêtre orthodoxe qui joue le rôle de commissaire à l’idéologie pour les soldats et officiers. L’Église offre également une justification théologique à la guerre, quasiment une théorie de la guerre juste adaptée aux canons de l’Orthodoxie, ce qui a une valeur non négligeable.
Que sait-on de ce que la société russe pense de l’idéologie officielle ? Y-a-t-il des moyens fiables de mesurer l’approbation et le refus de l’endoctrinement en Russie aujourd’hui ?
On sait encore beaucoup de choses sur la société russe, à condition de bien vouloir lire les enquêtes d’opinion avec nuance, de les corréler avec des informations plus qualitatives, et de suivre les derniers espaces de liberté que l’on trouve sur Telegram. On peut bien évidemment discuter de la pertinence à mener des enquêtes d’opinion dans un contexte à la fois autoritaire et en guerre. Mais la plupart des sociologues de la Russie continuent à penser que les sondages nous donnent une opinion à peu près fiable des citoyens russes, si on pose les bonnes questions et si l’on prend en compte l’autocensure et les silences comme des données importantes.
Schématiquement, on peut dire qu’environ les deux-tiers de la société russe partagent l’idée que le régime sait mieux que quiconque ce qui est bon pour la Russie. Cela veut dire qu’ils soutiennent la guerre si Vladimir Poutine appelle à la guerre, mais soutiendront également la paix le jour où le Kremlin annoncera un cessez-le-feu. Ce chiffre élevé ne doit donc pas être lu comme un soutien à la guerre en soi mais comme l’acquiescement au modèle politique en vigueur qui dit que l’État s’occupe de politique et les citoyens de leur vie privée. Dans les enquêtes d’opinion, environ 20 % des sondés s’opposent à la guerre — un chiffre remarquable en soi vu le contexte, et qui est probablement sous-estimé car certaines personnes s’autocensurent.
Mais il serait faux de lire l’opinion publique en termes binaires, pour ou contre la guerre. Quand on regarde plus en détail, on identifie environ 10-15 % de la population seulement comme véritablement pro-guerre, c’est-à-dire prêt à faire des sacrifices matériels pour elle ou à être mobilisé. Entre cette minorité pro-guerre et la minorité anti-guerre, le reste de la société russe peut être divisée en deux grandes catégories : ceux qui partagent le discours officiel mais sans être prêts à s’engager personnellement, qu’on définit comme des « loyalistes ritualistes », et ceux totalement indifférents, demandant seulement à pouvoir mener leur vie privée sans devoir commenter sur la politique.
Si la majorité de la société russe interprète la guerre comme une guerre de l’Occident contre la Russie, et soutient le régime dans son endoctrinement idéologique — nouveaux cours de patriotisme à l’école et à l’université, embrigadement patriotique et militaire des enfants lors des activités parascolaires —, dès que l’on creuse un peu plus, l’uniformité de façade disparaît. Les citoyens russes expriment de l’anxiété envers la guerre, non de l’enthousiasme : c’est la grande différence avec l’annexion de la Crimée en 2014, qui avait généré une authentique exaltation. Les gens sont soucieux de l’avenir, soudainement incertain, ils sont confus sur les pertes humaines, nombre d’entre eux continuent de voir l’Ukraine comme une victime de l’Occident non comme un ennemi de la Russie en soi. Et « seulement« un quart soutient l’idée que l’Ukraine doit intégrer la Russie, même si c’est la ligne tenue véhémentement par Vladimir Poutine lui-même.
On mentionne souvent la figure d’Alexandre Douguine. Pouvez-vous décrire son rôle depuis le tournant de 2022 ? Comment expliquez-vous sa visibilité à l’international ? Il semble particulièrement bien connu en Italie par exemple, pourriez-vous développer ce cas ?
Alexandre Douguine est depuis des années la coqueluche des médias occidentaux : il est largement traduit en langues occidentales, a des contacts avec la plupart des grands noms de la Nouvelle Droite européenne, et incarne un discours si radical qu’il est parfait pour illustrer l’image d’un régime russe hystérique et fasciste. Mais l’idée de Douguine comme gourou caché de Poutine est totalement fausse : on sait que Douguine a des soutiens dans certains milieux militaires et via l’oligarque monarchiste ultra-orthodoxe Konstantin Malofeev, mais il n’a pas ses entrées dans l’administration présidentielle et n’y est pas apprécié. Il est bien trop radical, ésotérique, et inspiré par des auteurs occidentaux fascistes pour correspondre aux normes dont a besoin le régime — si ce n’est l’idée d’Eurasie, dont Douguine n’a plus l’exclusivité depuis bien longtemps. Les nouveaux manuels d’endoctrinement publiés cette année pour les universités ne le mentionnent à aucune reprise et suivent sur une ligne pro-soviétique bien plus classique, qui ne saurait que faire de références à Julius Evola et à l’occultisme nazi.
Cela dit, Douguine a su profiter du changement d’ambiance, et de l’assassinat de sa fille Daria Douguina en août 2022 — imputés par la Russie aux services secrets ukrainiens, et qui probablement le visait lui, et non elle — pour apparaître comme la victime sacrificielle de la guerre. Il a retrouvé une visibilité médiatique qu’il n’avait plus eu depuis le printemps 2014 au moment de l’annexion de la Crimée et du lancement du sécessionnisme au Donbass. Il est invité sur les chaînes d’État pour parler dans les talk-shows aux heures de grande écoute et était même présent au Forum économique de Saint-Pétersbourg de 2023.
Il a également réussi à être nommé directeur d’un nouveau centre au RGGU (l’Université d’État des Sciences Humaines de Russie) qui répond au nom pompeux de Haute École Politique Ivan Ilyin, après avoir essayé pendant des années, sans succès, de se faire nommer au Département de philosophie du MGU (l’Université d’État de Moscou), plus prestigieux. Pour ceux qui suivent l’histoire intellectuelle russe, voir Douguine à une chaire nommée d’après le philosophe réactionnaire de l’émigration blanche Ivan Ilyin, en vogue dans les milieux ultra-conservateurs, ressemble à une ironie de l’histoire, car Douguine l’a pendant longtemps critiqué et dédaigné avant de se sentir le vent tourner et de s’y rallier.
Sur le plan international, Douguine occupe une place assez unique sur l’échiquier de l’extrême droite internationale car il est un traducteur, à la fois au sens propre et au sens figuré, des grandes philosophies radicales, vers la Russie et de la Russie. Il a su profiter de la demande d’une partie de la société russe envers des doctrines politiques nouvelles (pour le contexte russe), et en retour de la fascination pour la « Russie éternelle« des extrêmes droites européennes, et en partie américaine. Son usage de la géopolitique comme d’une « métapolitique » lui permet de jouer sur plusieurs tableaux idéologiques : il parle à ceux pour qui une géopolitique antiaméricaine et continentaliste est centrale — et cela fait du monde, également parmi certains milieux de gauche et du Sud Global— tout en gardant langue commune avec le nationalisme blanc dans ses versions européennes ou anglo-saxonnes très focalisées sur les questions de race. Je l’ai défini comme un caméléon, car il sait s’adapter à l’air du temps et s’inspirer des évolutions contemporaines pour nourrir sa production prolifique.
S’il semble avoir partiellement perdu certaines de ses entrées en France, il a clairement renforcé sa position en Italie ainsi qu’en Allemagne. Ses contacts italiens sont anciens, par exemple autour de Claudio Mutti, mais on a vu récemment un renouveau d’intérêt pour lui parmi des groupes périphériques de la droite radicale venus en autre de CasaPound, parti néo-fasciste italien, et de son ancien secrétaire Simone DiStefano. Le groupe Vento dell’Est (Vent d’Est) de Lorenzo Berti et le Comitato fermare la guerra (Comité contre la guerre) de Gianni Alemanno, ancien maire de Rome et ancien membre du mouvement néofasciste MSI, sont devenus les deux forces les plus virulentes dans leur soutien à la Russie. Elles ont cherché à organiser des séminaires dédiés à Douguine et à Daria Douguina en janvier 2024, largement boycottés toutefois. Bien que marginales, ces voix montrent que la politique pro-OTAN de Giorgia Meloni ne fait pas l’unanimité au sein de l’extrême droite italienne, dont une partie, incarnée par Matteo Salvini, la Lega et feu Silvio Berlusconi, a toujours été russophile.
Poutine et son régime ont été à la fois l’impresario et une source d’inspiration d’une partie de l’extrême droite européenne. Quel rôle joue-t-il alors qu’une forme d’usure semble s’installer, que le front ukrainien se fige en faisant craindre une défaite ukrainienne, et que l’extrême droite semble étendre son soutien ?
Il y a eu à la fois convergence d’intérêts et affinités idéologiques authentiques entre une partie des extrêmes droites européennes et la Russie. C’est bien évidemment à nuancer : dans les pays voisins de la Russie (Finlande, pays Baltes, Pologne, Roumanie, etc.) les extrêmes droites sont majoritairement russophobes, par tradition historique. La russophilie est visible principalement dans les pays d’Europe occidentale, particulièrement en France et en Allemagne, où le Rassemblement National, Reconquête, et l’AfD ont été des grands soutiens à la Russie.
L’Italie est un cas fascinant comme je viens de le dire, car on y trouve une extrême droite russophile, autour de Matteo Salvini, de la Lega et de feu Silvio Berlusconi, et une extrême droite atlantiste, incarnée par Giorgia Meloni, marquée par l’anticommunisme et le ralliement aux États-Unis et à l’OTAN. On trouve une situation quelque peu similaire aux États-Unis, où les Républicains sont par tradition très russophobes mais où les voix russophiles ont graduellement pris de l’ampleur, tout d’abord autour des questions de moralité — Poutine a été un héraut des valeurs chrétiennes pour la droite chrétienne américaine pendant des années avant que le flambeau ne soit repris par Victor Orbán — puis autour de Donald Trump et du noyau MAGA, incarné aujourd’hui par Tucker Carlson.
La convergence d’intérêts entre la Russie et une partie des extrêmes droites européennes et américaines a bien évidemment été secouée par l’invasion militaire russe de l’Ukraine. Les leaders d’extrême droite ont dû nuancer leurs propos publics pour rester en ligne avec leurs opinions publiques ; c’est très visible dans le cas français, bien moins dans le cas allemand. Mais les affinités idéologiques sont toujours là, ainsi que les contacts personnels.
Je pense donc que des voix pro-russes émergeront à nouveau graduellement, probablement plus discrètes dans leur apologie de la Russie qu’auparavant, mais je ne crois pas que cette relation va disparaître. Si la Russie s’était effondrée dans les premiers mois de la guerre, cela aurait joué en défaveur de la relation, car personne ne s’allie à un vaincu. Mais maintenant que la Russie a montré sa résistance aux sanctions et sa capacité à poursuivre la guerre encore pendant un certain temps, que la contre-offensive ukrainienne a échoué et que l’épuisement se fait sentir en Ukraine, se rapprocher de la Russie ne sera plus aussi problématique.
Et on voit bien que le changement de ton dans les médias occidentaux est graduellement en train de rejoindre ce que l’extrême droite disait auparavant : « la guerre coûte cher, on ne pourra pas payer pour l’Ukraine pendant des années, on doit penser à nos citoyens ». Ce discours était de mauvais ton au printemps 2022, il ne l’est plus aujourd’hui. Cela dit, il y a des nuances importantes à garder ici : dire que l’Occident n’a peut-être pas les moyens de faire gagner l’Ukraine ne doit pas être lu comme une position pro-russe, elle ne devient qualifiable de russophile que si elle s’accompagne d’un discours sur l’illégitimité de l’Ukraine, de son identité, de ses frontières, de son gouvernement.
Mais il est sûr que dans un tel contexte de doute, la Russie va tenter de relancer le dialogue avec certains Européens et Américains, et l’interview récente donnée par Poutine à Tucker Carlson peut être vue comme un moyen de parler aux Républicains, même si le président russe n’a pas tant que cela joué la carte de la solidarité internationale entre conservateurs. La Russie va également continuer à participer à la fragmentation des opinions publiques, et en particulier au gouffre entre pays du Nord et le « Sud Global ».
Quel est le bilan que vous établissez de la capacité de nos systèmes à faire face à l’idéologie poutinienne ? Quelles seraient vos préconisations pour y faire face en Europe ?
C’est une question difficile et sensible car elle suppose qu’on prenne partie non seulement sur la Russie mais sur nos propres sociétés. Quelle forme doit prendre une résistance aux idéologies que nous ne partageons pas ? On ne peut espérer que l’ensemble de la planète partage nos valeurs, simplement qu’on arrive à coexister ensemble sans violence.
Dans le cas russe, je ne crois pas que toutes les mesures de « contre-propagande« ait un effet quelconque. Faire du fact-checking peut-être rassurant intellectuellement, mais on sait que cela n’a aucun effet sur ceux qui adhèrent à ce qu’on définit comme propagande ou fake news. De même tenter de convaincre quelqu’un qui croit que la vaccination anti-Covid vous implante une puce dans le corps que c’est une théorie complotiste est sans effet. C’est supposer qu’il y a des solutions cognitives à des questions existentielles, où c’est l’affect et le vécu qui domine. Comme l’explique Giuliano da Empoli dans Les ingénieurs du chaos, ce qui compte ce n’est pas la véracité des faits mais le récit.
Il en va de même pour la société russe : son « problème » n’est pas qu’elle serait « zombifiée » par la propagande télévisuelle, comme c’est souvent avancé, car dans les enquêtes faites à ce sujet, on voit que les Russes ont à peu près le même taux de détection des fausses nouvelles que les Européens. C’est que le régime a co-créé avec la société une vision du monde qui est basée sur l’affect, qui résonne avec le vécu quotidien des gens, l’épaisseur sociale de leur monde. Cette vision du monde sera donc difficile à déconstruire même une fois la guerre terminée, et probablement même une fois que Vladimir Poutine aura quitté le pouvoir. Car aujourd’hui en Russie, à part une opposition libérale très minoritaire, même lorsqu’on est insatisfait du régime actuel, on ne peut projeter d’alternative : au mieux on souhaite le retour aux années du « poutinisme heureux », lorsque la stabilité politique était synonyme d’amélioration du niveau de vie et que l’Occident était certes un concurrent mais non un ennemi.
La résistance, ou plus exactement la résilience de nos sociétés ne peut être consolidée que par un travail de fond sur nos propres limites et échecs. On peut bien évidemment lutter ponctuellement contre des opérations de désinformation mais cela suppose de pouvoir contourner les mécanismes commerciaux et technologiques qui dominent le monde des médias en général et plus encore des réseaux sociaux et leur logique financière. Tout ce qui déconstruit les liens sociaux qui font le vouloir vivre ensemble a été monétisé — il me paraît plus important de chercher à briser ce cycle qu’à travailler à débusquer la « main de Moscou » un peu partout.
Il faut travailler à une identité européenne partagée, à une politique étrangère et de défense commune. Le fait qu’un nombre croissant de citoyens européens et américains ne se reconnaissent plus dans le modèle libéral démocratique est la question clef, et elle suppose un travail en interne plus qu’une obsession pour les défis que le discours russe nous pose. S’il a du succès, c’est qu’il se place en écho à nos propres tensions sociales et doutes politiques. Pour parler à nouveau à tous ceux qui sont des contrariants — sur la vaccination, le changement climatique, les institutions représentatives, l’ordre mondial — il faut réinventer un projet politique global, cela me paraît le cœur du sujet, et la seule solution de long terme.