Nous sommes en novembre 2022, une semaine peut-être après l’incroyable libération de Kherson. 70 kilomètres à l’Ouest, par une route tapissée de nids de poule et de carcasses de tanks calcinés, Mykolaïv respire, débarrassé enfin de son statut de ville de ligne de front. Dmytro ‘Frantsouz’ Paschouk, ses 27 ans célébrés au début du mois, s’y repose quelques jours avant de repartir au combat. Engagé depuis le début de l’invasion russe au sein du 73e Centre maritime d’opérations spéciales, prestigieuse unité de reconnaissance et de sabotage, cet ancien scout, pur produit de la jeunesse patriotique de l’Ouest ukrainien, a aussi trouvé le temps de s’entretenir avec deux journalistes tout juste revenus de Kherson. Dans une pièce de bureau anodine du centre de Mykolaïv, Dmytro se tient droit sur le canapé, les mains jointes sur ses genoux, dans la pose de l’étudiant qui attend les questions du professeur. Soldat tranquille et expérimenté, aguerri par les combats et, avant cela, par une poignée d’années passées dans la Légion Étrangère française qui lui a valu le nom de guerre de Frantsouz, « le Français ».

Sans triomphalisme, Dmytro Pashchouk salue cette victoire de Kherson à laquelle il a directement participé — quand on lui demande si les exploits de Kherson et, quelques semaines auparavant, de Kharkiv, pourront être répétés ailleurs, il hoche doucement la tête : « je ne crois pas ». L’armée ukrainienne a profité dans la région de Kharkiv de la faiblesse des positions russes pour enfoncer le front, et a libéré Kherson « grâce à un travail de longue haleine pour détruire la chaîne logistique de l’adversaire » analyse le soldat. « Je crois qu’après cela, ce sera plus compliqué. » Il hésite une seconde, puis se reprend. « Ce que je veux dire, c’est que ce sera plus compliqué lorsqu’on prend en compte le prix. Nous nous sommes emparés de Kharkiv et de Kherson à un prix relativement faible, mais les fronts de Zaporijia et du Donbass tiennent plus de la guerre de position, avec peu d’opportunités de jouer sur le terrain ou d’utiliser les cours d’eau… et de fait, il y aura un énorme prix à payer. Nous avancerons de manière constante, parce que nous avons l’initiative, les ressources, les soutiens. On peut prendre le Donbass, on peut prendre la Crimée, on peut même prendre Kouban, mais c’est une question de prix. Si on parle de la Crimée ou du Donbass, cela signifiera des avis d’obsèques dans chaque maison d’Ukraine. »

Vingt mois, c’est assez long pour changer une guerre. 

Fabrice Deprez

La guerre a continué sans lui. Dmytro Pashchouk a été tué au mois de mars par une munition rôdeuse russe quelque part dans la région de Kherson. Sans lui et sans les dizaines de milliers de soldats et de civils ukrainiens morts depuis le mois de février 2022, l’Ukraine entrera bientôt dans son vingtième mois de guerre. Est-ce long, vingt mois ? La Première Guerre mondiale, ravivée dans l’imaginaire populaire par les images de tranchées boueuses et de paysages ukrainiens transformés en champs lunaires par l’artillerie, en a duré presque cinquante-deux. La seconde, pile soixante-douze. Vingt mois, c’est assez long pour changer une guerre, pour passer de la brutale avancée russe à ce mélange de Première Guerre mondiale et de haute technologie, de combats où le crachat enragé de l’artillerie cohabite avec le bourdonnement lancinant des drones d’observation. Vingt mois, c’est aussi assez long pour transformer une société, l’installer dans une normalité surréaliste et chargée d’anxiété. Vingt mois, c’est assez long pour qu’une guerre s’étende.

Vingt mois qui ont tout changé

Prendre le pouls de la société ukrainienne en octobre 2023 tient à première vue de l’impossible, tant la guerre l’a éclatée et disséminée. Il y a ces plus de six millions d’Ukrainiens — d’après l’ONU — réfugiés dans les pays occidentaux, attendant pour certains l’opportunité de rentrer, mais déjà pour d’autres insérés dans une nouvelle vie. Il y a ceux partis vers la Russie, volontairement pour certains, sous la contrainte pour beaucoup. Il y a aussi en Ukraine ces millions de déplacés intérieurs, forcés d’abandonner leur ville ou village natal mais décidés à rester en Ukraine. Il y a les séparations, litanies de mères et d’enfants désormais installées à l’étranger sans leurs maris ou leurs pères. Il y a en Ukraine des hommes engagés depuis le premier jour de l’invasion russe, et d’autres qui se cachent pour échapper aux recruteurs de l’armée. Il y a ceux qui refont leur vie loin de la guerre, et ceux qui sont rentrés dans leurs villages non loin de la ligne de front — car l’intégration est parfois trop difficile, les loyers trop élevés.

Un agent d’entretien se tient devant un bâtiment gouvernemental endommagé à Kiev, en Ukraine, le mercredi 2 août 2023, à la suite d’attaques de drones russes. © AP Photo/Jae C. Hong

Impossible donc de prendre le pouls de la société ukrainienne. Peu importe, essayons tout de même. Partons du plus simple : des mots. Comment nomme-t-on cette guerre ? Sans surprise, beaucoup parlent simplement de війна (война, en russe). La guerre. « Quand la guerre a commencé » est alors synonyme de « 24 février 2022 ». Pavlo, originaire de Volnovakha, dans le Donbass, mais depuis le début de l’invasion réfugié dans le centre de l’Ukraine, évoque lui « la deuxième guerre », « parce qu’elle est tellement différente de la première ». En pleine bataille de Bakhmout, début 2023, un artilleur presque sexagénaire de la 10e brigade d’assaut de montagne procède de la même logique lorsqu’il me confie, à une vingtaine de kilomètres de Bakhmout, en être à sa « troisième guerre » : Afghanistan, Ukraine 2014, Ukraine 2022.

Beaucoup cherchent plutôt à marquer la continuité, le fait que la guerre n’a pas commencé avec l’invasion russe de 2022 mais avec l’annexion de la Crimée de 2014. Le 24 février 2022 marque alors le début de « l’invasion à grande échelle de la Russie » ou, plus rarement employé, de la « Grande Guerre ». La guerre tout court dure, elle, depuis huit ans déjà.

Distinction compréhensible, mais qui masque une réalité : l’expérience concrète de la guerre est, jusqu’au 24 février 2022, limitée à une petite partie de la population. Il y a l’armée, bien sûr, qui dans le cadre de l’ATO (« Opération Anti-Terroriste ») puis de la JFO (« Opération des Forces Unies ») affronte dans l’Est de l’Ukraine troupes séparatistes sous tutelle de Moscou et armée régulière russe. Il y a la population du Donbass, prise dès 2014 dans les hostilités, et rapidement coupée en deux par une ligne de front qui sépare des familles. Et il y a enfin une communauté d’activistes, à l’identité forgée par la révolution du Maïdan, l’annexion de la Crimée et le conflit dans le Donbass et qui va très vite mettre en place une série d’initiatives qui se révéleront en 2022 cruciales pour la résilience de la nation ukrainienne : levées de fonds pour l’armée, livraisons aux unités sur la ligne de front d’équipements en tout genre, création des premiers groupes de reconnaissance de drones… Derrière ces trois groupes, la majorité de l’Ukraine continue après 2015 sa vie, la guerre dans le Donbass se transformant avec le temps en vague bruit de fond simple à ignorer.

L’expérience concrète de la guerre est, jusqu’au 24 février 2022, limitée à une petite partie de la population. 

Fabrice Deprez

L’invasion russe change tout cela. L’expérience de la guerre devient collective et viscérale — pas un seul Ukrainien qui ne vive a minima le hurlement de la sirène anti-aérienne sur son smartphone, des millions d’habitants découvrent, de Kharkiv à Lviv, le fracas des missiles qui s’abattent autour d’eux. Trois mois après le début de la guerre, dans un village du Donbass situé depuis 2014 à une poignée de kilomètres de la ligne de front, la patronne d’une petite épicerie où se pressent une grappe de soldats regarde vers l’Est et me lâche : « avec tout ça, on se dit que toute l’Ukraine comprend maintenant ce que l’on vit depuis huit ans ».

Naissance d’un chef de guerre

L’Ukraine se soude dans la peur, dans l’effroyable compréhension qu’un monde, leur monde, vient de s’effondrer, dans cette solidarité aussi qui se forge immédiatement. Elle se rallie derrière la figure de Volodymyr Zelensky, passé en une décision — celle de rester à Kyiv — de président en perte de vitesse à chef de guerre incontesté. Journalistes, intellectuels, activistes et politiciens qui, en 2019, avaient observé avec une anxiété teintée de mépris l’arrivée au pouvoir de ce clown russophone prônant les négociations avec Poutine se rangent immédiatement derrière lui. « Je n’ai pas voté pour lui à l’époque, mais je le soutiens à fond maintenant » devient presque un poncif dans ces cercles. Un an après le début de l’invasion, un politicien qui ne ratait avant guerre pas une occasion de tancer Zelensky me l’assure au téléphone : « aujourd’hui, quiconque critique Zelensky est un traître ». Les controverses, les désaccords et peut-être même les rancœurs n’ont pas disparu, et sont encore moins oubliés. Mais elles sont mises sous cloche, avec ce mot d’ordre, répété, encore et encore : « on verra après la victoire ».

Une femme prend un selfie devant une peinture de Banksy à Borodyanka le 2 août 2023. © Jae C. Hong/AP/SIPA

En sommes-nous toujours là, vingt mois après le début de cette guerre ? Oui et non. Chef de guerre incontesté, Volodymyr Zelensky le reste. L’union sacrée est toujours là, même si les indices d’un retour de la politique se font plus évidents : au début de l’année, Petro Porochenko, éjecté du fauteuil présidentiel par Zelensky en 2019, avait lancé une grande campagne d’affichage à travers tout le pays pour promouvoir son fonds de soutien à l’armée ukrainienne. J’en avais au printemps même aperçu dans les rues désertées de Kherson, ville alors étouffée par la menace des frappes russes. Il y a quelques semaines, ces affiches se sont dotées de slogans à première vue anodins : « Les armes sont la langue de notre victoire » harangue l’une. « L’armée est notre foi » assure une autre. Référence à peine voilée au slogan de la dernière campagne présidentielle de Petro Porochenko, trois ans avant l’invasion russe : « Armée. Langue. Foi. » Le « on verra après la victoire » a lui aussi vécu, alors que plusieurs scandales ont remis des sujets comme la corruption dans l’armée ou le rythme des réformes sur la table.

L’Ukraine est entrée dans la guerre longue, et Kyiv temporise désormais des espoirs que, il y a déjà un an, la contre-offensive de Kharkiv et la libération de Kherson avaient exacerbés. « Au début de la guerre, l’important c’était de donner de l’espoir à la société, il fallait un message positif, avec un espoir de victoire rapide » explique début septembre un député du parti présidentiel. « Aujourd’hui il faut sans doute changer le message ».

Le « on verra après la victoire » a vécu, alors que plusieurs scandales ont remis des sujets comme la corruption dans l’armée ou le rythme des réformes sur la table.

Fabrice Deprez

Car entre-temps, la société ukrainienne a changé. Pour la majorité des Ukrainiens, la guerre s’est transformée en autre chose ; elle a cessé d’être une parenthèse, un interminable 24 février pendant lequel la vie s’était arrêtée, pendant lequel il était devenu impossible de penser le futur et d’envisager autre chose que l’immédiat. La parenthèse ne s’est pas refermée — l’Ukraine a pris conscience qu’elle n’existait pas, que la guerre était une phase comme une autre. Les alertes aériennes continuent de résonner, les villes ukrainiennes continuent d’être frappées, les soldats continuent de mourir au front, et il faut pour autant gagner de l’argent, payer son loyer, penser à l’université où l’on se rendra, réclamer ses arriérés de salaire. La guerre n’est plus cet évènement cataclysmique mais forcément temporaire, elle est devenue une constante de la vie avec laquelle et dans laquelle il faut composer. La résilience se fonde désormais en bonne partie sur la résignation. L’Ukraine reste plus que jamais un pays de volontaires, de milliers de petites mains, de groupes informels et de gigantesques organisations désormais engagés dans la routine de l’aide à l’armée. Les dons individuels persistent, mais s’effacent peu à peu face aux soutiens des entreprises et aux réseaux internationaux. Des brigades individuelles s’affichent sur Facebook, Instagram ou TikTok pour lever des fonds, échangent en permanence avec ces volontaires qui amènent armes, drones et équipement, et entretiennent au passage un lien entre armée et société civile d’une étroitesse inédite en Occident.

L’anti-Russie

L’Ukraine de cette guerre longue n’est déjà plus l’Ukraine du 23 février 2022. Le plus frappant pour le regard extérieur, le plus simple à raconter aussi, est sans doute l’évolution identitaire de cette Ukraine qui se rapproche plus que jamais de « l’anti-Russie » tant décriée par Vladimir Poutine et devenue réalité à la suite de ses actions. L’opposition à la Russie et à tout ce qui évoque Moscou est devenue l’un des éléments majeurs du sentiment d’appartenance à la nation ukrainienne, et vingt mois de guerre n’ont rien changé à cela. Beaucoup d’Ukrainiens russophones ayant décidé de ne plus parler qu’ukrainien l’ont fait pour rejeter la dernière chose qu’ils avaient en commun avec l’envahisseur. La mélodie de l’ukrainien est incontestablement plus courante dans l’espace public, l’ukrainien remplaçant peu à peu le bilinguisme comme base de ce que la chercheuse Anna Colin-Lebedev qualifiait de « contrat linguistique » en Ukraine. La langue russe ne s’est pas effacée, loin de là, mais l’ukrainien continue de progresser, présenté comme un élément majeur de l’unité et de la résilience de la nation ukrainienne.

Les divergences existent, bien sûr. Sur la question linguistique, certaines figures politiques comme le maire de Kharkiv ont déjà rejeté l’idée du russe comme une « langue de l’ennemi », se plaçant en hérauts d’un patriotisme ukrainien russophone fondé sur l’idée que ce sont justement ces régions russophones qui ont le plus souffert. Des nuances existent même sur l’opposition à la Russie — en témoigne un prêtre de l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou, longtemps très proche de la Russie et qui tente avec peine depuis vingt mois de convaincre société et pouvoir ukrainien de son divorce avec Moscou. Ce prêtre, assis sur les marches d’un monastère offrant à Kyiv une vue imprenable sur le Dniepr, condamne sincèrement l’invasion russe, et fait sans hésitation reposer la responsabilité de la guerre sur Moscou. Mais il explique aussi que la tragédie de cette guerre est celle d’un « bain de sang entre deux frères », un prétendu lien de filiation que rejettent aujourd’hui avec véhémence une grande partie des Ukrainiens.

La langue russe ne s’est pas effacée, loin de là, mais l’ukrainien continue de progresser, présenté comme un élément majeur de l’unité et de la résilience de la nation ukrainienne.

Fabrice Deprez

Il ne faut sans doute pas trop s’appesantir sur ces désaccords, qui restent articulés autour d’un très large consensus sur la responsabilité russe dans la guerre. D’autres tensions qui traversent actuellement la société ukrainienne sont plus immédiates et sans doute plus douloureuses, parce qu’elles ont trait aux expériences individuelles et à la manière dont ces expériences ont divergé depuis le début de la guerre. Ressentiment envers ceux réfugiés à l’étranger. Suspicions à l’égard de ces habitants ayant vécu en territoire occupé ou, à l’intérieur de ces territoires, envers ceux accusés à tort ou à raison d’avoir collaboré avec l’occupant. Tensions inévitables d’un pays soumis à une pression extrême, tensions qui éclatent ou se résorbent en fonction de la manière dont elles sont gérés par le pouvoir et de la manière dont la guerre se terminera.

Habillé en soldat, un enfant de 7 ans visite la place de l’Indépendance avec sa mère à Kiev, le 9 juillet 2023. © Jae C. Hong/AP/SIPA

La mobilisation est une autre source d’anxiété, avec ses images d’hommes jeunes et moins jeunes happés dans la rue et ses histoires et rumeurs échangés entre collègues, amis et parents. Elle touche directement l’économie, en vidant usines, mines, ou fermes agricoles. Elle s’impose surtout à tous les esprits, pousse une partie de la population masculine à changer ses habitudes. Signe de l’anxiété qu’elle suscite, et de l’installation de cette anxiété dans la vie de tous les jours, la question de la mobilisation surgit au hasard des conversations, sans qu’elle n’ait été directement soulevée. Le rédacteur en chef d’un média du sud de l’Ukraine mentionne en passant comment la féminisation quasi-totale de sa rédaction lui permet de ne pas craindre de perdre une partie de ses journalistes du jour au lendemain. Une Ukrainienne préparant une randonnée dans les Carpathes en Octobre fait à voix haute l’hypothèse que les chemins seront encore plus calmes que d’habitude, les recruteurs de l’armée étant réputés particulièrement zélés dans la région.

Le prix de la guerre

Anxiété et épuisement, détresse économique aussi, sont réels. Pourraient-ils, puisque c’est un sujet qui occupe en Europe, pousser l’Ukraine à des négociations ? La question même pose problème, car elle suppose l’existence d’un chemin de négociation que la majorité des Ukrainiens n’aperçoivent toujours pas. Face à un régime russe qui semble toujours arc bouté sur des objectifs maximalistes — celui, notamment, de placer l’État ukrainien sous sa coupe et de vider la souveraineté ukrainienne de sa substance — la société ukrainienne ne voit le plus souvent pas d’autre voie que de continuer le combat, alors même que l’espoir d’une victoire à court terme s’est largement éteint. Même lorsqu’il n’est plus fondé sur la croyance en la victoire — et la croyance éventuelle en la victoire reste forte — le rejet des négociations l’est ainsi par l’absence d’alternatives.

Un sondage réalisé à la fin du mois d’août par la sérieuse agence Rating et publié par OPORA, une ONG de surveillance électorale, s’intéresse précisément à cette question1. Lorsque le choix est posé entre trois affirmations, 53,4 % des sondés se disent prêts « à accepter que la guerre continue si cela est nécessaire pour la victoire » tandis que 30,4 % disent vouloir « que la guerre se termine rapidement, peu importe le coût ». 16,2 % ne se prononcent pas. 

Un tiers de la population réclamant une fin de la guerre semble être un chiffre significatif. Mais les questions suivantes, qui se concentrent sur les concessions que les sondés seraient prêts à voir leur pays faire au nom de la paix, sèment la confusion : de ces 30 % de sondés souhaitant que la guerre s’arrête « peu importe le coût », 23 % seulement se disent prêt à soutenir une paix alors que des territoires ukrainiens sont toujours occupés ; 13 % à peine sont prêts à soutenir la reconnaissance d’une annexion de territoires ukrainiens par la Russie en échange d’un traité de paix ; et 28 % se disent prêts à accepter que l’Ukraine rejette une adhésion à l’OTAN ou à l’Union. Bref, une majorité de ceux disant vouloir voir la guerre se terminer « peu importe le coût » rejette en fait toute concession majeure. Le sondage reflète peut-être en partie une hésitation à aller à l’encontre d’un écrasant consensus sur l’impossibilité de toute concession à la Russie. Mais il raconte peut-être l’incertitude et l’absence de perspectives visibles : il est dans ce flou possible d’envisager un arrêt des combats, mais presque impossible de formuler une concession spécifique.

« Préserver la cohésion sociale et la volonté de combattre est ce qui compte le plus » m’assurait au mois de septembre un analyste militaire ukrainien très respecté. La question d’éventuelles négociations reste encore trop nébuleuse, mais cette question de la cohésion sociale devrait attirer aussi l’attention de pays occidentaux impressionnés à juste titre par le courage de la nation ukrainienne mais peut-être parfois trop confiants dans le caractère éternellement inébranlable de cette résilience. Car c’est finalement l’Ukraine qui paye le prix. Et comme le disait Dmytro Pashchouk, tombé au front en mars : tout, dans cette guerre, est une question de prix.

Sources
  1. Le sondage est consultable à ce lien.