Pendant l’ouverture du G20 organisé par l’Inde à New Delhi, le Premier ministre indien Narendra Modi a parlé devant une pancarte désignant son pays sous le nom Bharat.

Dans la séquence de la préparation du sommet, une invitation à dîner envoyée par les autorités indiennes mardi 5 septembre aux dirigeants des pays du G20 en visite décrivait Droupadi Murmu comme « présidente de Bharat » au lieu de « présidente de l’Inde ».

Mohan Bhagwat, le chef du Rashtriya Swayamsevak Sangh, une organisation indienne paramilitaire de 6 millions de membres très influente sur la droite hindoue et dont Modi a été membre haut placé, avait déclaré le 3 septembre : « Notre pays est connu sous le nom de « Bharat » depuis des siècles. Quelle que soit la langue, le nom reste le même. Nous n’avons pas à nous demander si les gens de l’extérieur le comprendront ou non. S’ils le veulent, ils le comprendront, mais ce n’est pas notre problème »1. Ce mouvement paramilitaire défend l’idée irrédentiste de « Akhand Bharat » ou de l’Inde indivisée, une représentation géopolitique qui déplace les frontières de l’Inde vers l’ensemble du sous-continent, annulant la partition de 1947 entre l’Inde et le Pakistan, en comprenant également l’Afghanistan, le Bangladesh, le Népal, le Bhoutan, le Tibet, le Sri Lanka et le Myanmar.

Que signifie Bharat ?

  • Littéralement, Bharat désigne l’Inde. On retrouve l’expression dans bharat natyam (une danse traditionnelle de l’Inde) ou dans l’épopée sanskrite Mahabharata (la « Grande Guerre des Bharata », c’est-à-dire des descendants de l’empereur légendaire éponyme Bharat).
  • Dans les langues indiennes dérivées du sanskrit (à l’exception du tamoul), le nom du pays est Bharat. Le terme, présent dans l’article 1 de la Constitution2, est d’ailleurs communément utilisé. Mais c’est aussi un nom politiquement chargé pour désigner le pays, particulièrement populaire auprès des nationalistes hindous.

Si elle décidait de changer formellement son nom pour Bharat, l’Inde se situerait dans la continuité d’une série de pays asiatiques ayant changé leur nom colonial comme le Ceylan en Sri Lanka en 1972 ou la Birmanie en Myanmar entre 1989 et 2010. 

Cette appellation, fortement soutenue par les nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti au pouvoir de Modi traduit donc le rejet de l’héritage colonial du pays — bien que le terme « Inde » ait été largement utilisé avant que les Britanniques ne conquièrent le sous-continent — et représente plus fondamentalement sa ligne politique, incarnée dans le mantra du gouvernement Modi : Atmanirbhar Bharat (« l’Inde autosuffisante »).

  • Si ce terme ne désigne pas une politique protectionniste, comme le Premier ministre s’attache à le rappeler, il s’agit d’accroître la place de l’Inde dans l’économie mondiale en s’appuyant sur ses propres forces. À terme, le Gouvernement souhaite donc assurer l’autonomie de son pays et de l’économie en attachant une grande importance à sa souveraineté, y compris numérique. 
  • Comme le souligne dans nos pages Raja Mohan, l’un des principaux experts de la politique étrangère indienne, « de manière intéressante, l’approche indienne s’aligne sur le concept d’autonomie stratégique — bien que sur des bases très différentes de celles de l’Union. Alors que l’Europe cherche à développer une autonomie stratégique par rapport aux États-Unis, l’Inde cherche à l’obtenir par rapport à la Russie ».

Modi n’a pour le moment pas indiqué qu’il envisageait de changer officiellement le nom du pays en Bharat. Subrahmanyam Jaishankar, ministre indien des affaires étrangères, a déclaré : « L’Inde, c’est le Bharat, c’est dans la Constitution. J’invite tout le monde à la lire. »

De leur côté, les dirigeants politiques de l’opposition ont critiqué l’utilisation du nom Bharat. Il faut remarquer que leur plateforme commune est connue sous le nom de « Indian National Developmental Inclusive Alliance » — soit sous l’acronyme INDIA. Comme l’a déclaré Manoj Jha, un dirigeant de l’opposition « Cela ne fait même pas quelques semaines que nous avons nommé notre alliance INDIA et le BJP a commencé à envoyer des invitations avec ‘République de Bharat’ au lieu de ‘République de l’Inde’ ».

Plusieurs sources indiennes considèrent que le BJP pourrait proposer ce changement lors d’une prochaine session du Parlement fédéral d’ici la fin du mois de septembre.

Comme l’explique Christophe Jaffrelot dans nos pages : « Le seul programme du BJP, c’est Narendra Modi. Modi trouve à chaque fois des enjeux, des thèmes qui font la différence. En 2019, c’était l’attentat du Pulwama, l’attaque d’une colonne de militaires indiens qui se dirigeait vers le Cachemire. Cet attentat islamiste avait causé la mort de cinquante personnes et suscité en réaction des frappes aériennes contre le Pakistan. L’élection s’est gagnée là-dessus, sur le thème de Modi protecteur des hindous ».

Il est donc possible qu’avec ce changement de nom, Modi ait trouvé l’un des thèmes de la campagne électorale qui conduira à l’élection d’avril et mai 2024.

Sources
  1. Ishita Mishra, « RSS chief Mohan Bhagwat asks people to use name ‘Bharat’ instead of India », The Hindu, 5 septembre 2023.
  2. Dans sa version anglaise : « 1. Name and territory of the Union.—(1) India, that is Bharat, shall be a Union of States. »