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Pour ouvrir sa campagne, Narendra Modi aurait difficilement pu faire plus explicite. En inaugurant à Ayodhya, ville sainte de l’hindouisme, un temple dédié au dieu Ram sur les ruines mêmes de la mosquée de Babur, détruite en 1992 par des fanatiques, il accentue un peu plus son programme politique : une adéquation parfaite entre identité indienne et hindouisme. Pourquoi cette inauguration est-elle si symbolique ? Pour le comprendre, il faut se replonger plus de trente ans en arrière.

Genèse d’Ayodhya

L’histoire est bien connue. Catherine Clément nous l’avait racontée dans ces pages. Suivons son témoignage. 

En 1990, un étrange pèlerinage — comme il y en a des milliers en Inde — devient de plus en plus populaire. « Des semaines durant, il se dirige vers la ville d’Ayodhya, au nord-est de l’Inde. » Il est mené par Lal Krishna Advani, l’un des fondateurs du BJP et fervent nationaliste hindou.



La mosquée de Babur

« Triplement sacrée, la ville d’Ayodhya abritait encore en 1990 une mosquée construite au XVIe siècle par l’empereur Babur, fondateur de la dynastie moghole, la Babri Masjid. »

Émergence d’Advani

« Lal Krishna Advani avait appartenu à l’organisation militaire nationale (RSS), mères de milices hindoues lourdement armées, surtout connue pour avoir inspiré l’assassinat du Mahatma Gandhi — nous y voilà. En 1980, Advani avait été un des fondateurs du Parti Indien du Peuple (BJP), aujourd’hui au pouvoir. »

La ville des trois religions

« Trois religions célèbrent Ayodhya : les Bouddhistes parce que le Bouddha y fit plusieurs sermons, les Jaïns parce que plusieurs de leurs grands saints y sont nés, et les Hindous, parce que cette ville est, dans l’épopée du Ramayana, la capitale où naquit le dieu Rama (ou Ram), une incarnation du dieu Vishnou. »

Un temple hindou

« Le propos fut simple : sous la mosquée d’Ayodhya  se trouvaient « les restes de la naissance du dieu Ram ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Trouvera-t-on un berceau ? Un cordon ombilical desséché ? Une écorce gravée ? Non, un temple hindou. Je revois un majestueux mystique tout de safran vêtu s’indigner à la télévision quand on y exprimait des doutes : Just dig git ! You will find the evidence ! »

Relancer le BJP

« Le pèlerinage fit grand bruit. En bénissant les foules du haut de son lotus, Lal Krishna Advani avait spectaculairement relancé le BJP. Et pointé du doigt l’ennemi musulman. »

1992 : destruction de la mosquée de Babur

« En 1992, plusieurs milliers d’Hindous dont de nombreux yogis détruisirent la mosquée de Babur à l’explosif, et cette destruction surprenante devint un événement mondial. En Inde, elle divisa. Il y eut de nombreuses protestations d’Indiens qui refusaient d’opposer the temple or the mosk, le temple ou la mosquée, bâtiments si visibles dans d’innombrables villages partout en Inde. »

Comme le rappelle Catherine Clément, cette destruction fut à l’origine de l’une des vagues de violence religieuse les plus meurtrières de l’histoire indienne.

Des fidèles hindous assistent à l’inauguration du temple dédié au dieu Ram à Ayodhya, en Inde, le lundi 22 janvier 2024. © AP Photo/Rajesh Kumar Singh

2024 : la conscience de Modi

Trente-deux ans sont passsés.

Le discours de Narendra Modi d’aujourd’hui est on ne peut plus clair : effaçant l’histoire pluricultuelle du lieu, il en fait le parangon de la puissance du nationalisme hindoue : « Ceci est un temple de la conscience nationale sous la forme de Ram. Ram est la foi de l’Inde, Ram est le fondement de l’Inde. Ram est l’idée de l’Inde, Ram est la loi de l’Inde… Ram est le prestige de l’Inde, Ram est la gloire de l’Inde… Ram est le leader et Ram est la politique. Ram est éternel… Lorsque Ram est honoré, ses effets ne s’étendent pas sur des années ou des siècles, mais sur des milliers d’années… »

Un acteur déguisé en Hanuman ji danse dans la procession avant l’inauguration de la consécration du temple de Shri Ram à Ayodhya, le 21 janvier 2024. © Sakib Ali/Hindustan Times

Instrumentaliser les élections, galvaniser les hindous

Cette inauguration est en soi un accomplissement pour Modi et un aboutissement pour le nationalisme hindou. Depuis presque quarante ans, la construction d’un temple dédié à Ram à Ayodhya était devenu un combat cristallisant toutes les aspirations de ses partisans. C’est d’ailleurs à travers tout le pays que le BJP a médiatisé et relayé cet événement, présenté comme historique pour l’Inde — à deux mois des élections législatives qui se tiennent dans tout le pays en avril et mai 2024.

Kolkata a été le théâtre d’un rassemblement animé célébrant l’inauguration du Ram Mandir à Ayodhya et le Pran Pratishtha de Shri Ram Murti par le Premier ministre indien Narendra Modi. © Biswarup Ganguly/Pacific Press