• Le variant Manaus Br-P1 se diffuse de façon rapide dans la région. Alors que, fin mars, plus de 60 % et de 40 % des contagions, respectivement, à Sao Paulo et à Lima étaient déjà liées à ce nouveau variant, vers mi-avril, ce chiffre augmentait jusqu’à 90 % en Uruguay, par exemple. Malgré le fait qu’elles ne soient pas du tout concluantes, les résultats des premières études ont indiqué une plus grande transmissibilité du variant par rapport au virus initial et des taux de mortalité plus élevés chez les jeunes et chez ceux ne présentant pas de pathologies préexistantes. Jarbas Barbosa, directeur de l’Organisation panaméricaine de la santé craint l’émergence « d’un nouveau variant qui n’est pas protégé par les vaccins actuels ». 
  • L’Europe face au défi. Alors que la France a renforcé les mesures de protection à l’arrivée des voyageurs en provenance de l’Argentine, du Brésil et du Chili, les autorités sanitaires latino-américaines appelent à un renforcement de l’accès équitable aux vaccins. Comme signalé par Jarbas Barbosa, « il s’agit non seulement d’un impératif éthique et moral, mais aussi d’un impératif sanitaire, pour contrôler ce phénomène dans le monde entier » ; une perspective que semblerait reconnaître la ministre des Affaires étrangères espagnole, Arancha González Laya, lors de son entretien accordé au Grand Continent, en établissant notamment un lien entre le contrôle nécessaire et global de la pandémie au secteur économique du tourisme (12,4 % du PIB en 2019) : « Nous sommes un pays qui accueille plus de 90 millions de personnes par an sur son territoire. Ne serait-ce que pour cette raison, nous savons qu’il est très important que la vaccination touche tous les citoyens. » L’Espagne enverra, d’ailleurs, 7,5 millions de doses à l’Amérique latine une fois que 50 % de sa population sera vaccinée. 
  • Plutôt qu’une vaccination lente, une vaccination inégale et désintégrée. Avec un stock limité de vaccins, la vaccination de l’Amérique latine progresse lentement à l’échelle régionale. La région (en excluant le Brésil) comptait sur la production d’entre 150 et 250 millions de doses du vaccin AstraZeneca pendant le premier semestre 2021 (une quantité suffisante pour vacciner entre 24 et 40 % de l’ensemble de la population), promue par Alberto Fernández et Andrés Manuel López Obrador, les porte-drapeaux d’un nouvel élan de l’intégration régionale ; une « intégration [qui] n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui », tel que signalé par Ernesto Samper, ancien Président de la Colombie, au Grand Continent, et selon qui « si l’Institut de santé de l’Unasur avait fonctionné en ce moment à Rio de Janeiro, comme il l’a fait pendant 12 ans, nous ne serions pas dans cette situation malheureuse ». Financé par la fondation du mexicain Carlos Slim, pendant plusieurs années l’homme le plus riche au monde, le projet est bloqué au niveau du laboratoire mexicain, là où les doses étaient censées être emballées. Les équipements et les fournitures nécessaires sont inaccessibles dans le cadre de la forte demande mondiale. Alors que certains pays progressent dans leurs campagnes de vaccination à un bon rythme (le Chili, l’Uruguay, en moindre mesure l’Argentine, le Brésil, le Costa Rica, le Mexique, le Panama), d’autres sont à la traîne (notamment la Colombie, l’Équateur, le Honduras, le Nicaragua, le Paraguay et le Pérou). 
  • L’Uruguay, la Suisse de l’Amérique latine ? Le 5 mai, l’Uruguay est arrivé pour la première fois en tête des pays avec le plus grand nombre de décès liés au Covid-19 par rapport à sa population, selon la moyenne des 7 derniers jours. Avec 17,31 morts pour 1 million d’habitants, le petit pays d’Amérique du Sud, souvent décrit comme la « Suisse de la région », a devancé la Macédoine du Nord (16,7), la Hongrie (14,8) et le Paraguay (12,06). Alors que les médias européens s’étonnent face à la trajectoire de la crise dans un pays qui avait été présenté comme un modèle de gestion en Amérique latine, épicentre de la pandémie, Julia de Ípola avait déjà signalé dans Le Grand Continent le problème que cette expression pose. Alors qu’elle présente « le cas uruguayen comme une exception, un modèle à part, une enclave de progressisme et de stabilité dans une région essentiellement conservatrice et turbulente, […] son histoire récente l’inscrit bien dans la trajectoire des États du sous-continent ». 
  • En Argentine, la pandémie redessine-t-elle la grieta ? Depuis le 15 avril, la région métropolitaine de Buenos Aires (AMBA), où se concentre presque 40 % de la population du pays, est soumise à un couvre-feu de 20h à 6h. Les magasins doivent fermer à 19h. Alors que l’annonce du confinement national le 20 mars 2020, quand le pays ne comptait que 128 cas et 3 morts liés au Covid, avait été vécue comme un  moment fondationnel du post-grieta – terme utilisé pour faire référence à l’hyperpolarisation qui caractériserait le champ politique argentin –, la fermeture des écoles de l’AMBA décrétée par Alberto Fernández pendant au moins deux semaines a ravivé la confrontation avec la principale coalition d’opposition, Cambiemos, dont le leadership se place aujourd’hui sur la figure du maire de Buenos Aires, Horacio Rodríguez Larreta. Celui-ci a contesté la constitutionnalité de la mesure et la Cour Suprême lui a donné raison, permettant ainsi la continuité de la présentialité scolaire dans la ville. Si le retour de la grieta est jugé dangereux pour certains (d’ailleurs, le maire continue à parier sur la modération et le dialogue avec le gouvernement national puisque, selon ses propres mots, « les gens sont fatigués des conflits et nous courons tous le risque de voir émerger un sentiment anti-politique »), Julio Burdman considère au contraire que, derrière le conflit structuré autour de la présentialité scolaire s’exprime ce qui sera « la confrontation entre les deux grandes coalitions politiques du XXIe siècle. Contrairement à une région dont la politique se brise en mille morceaux, en Argentine le système bipartisan se consolide, malgré un contexte morose propice à l’émergence d’outsiders et de partis radicalisés ».
  • Systèmes politiques latino-américains en deconfinement. En pleine deuxième vague de la pandémie, une série d’événements dans la région ont mis en évidence la persistance de configurations caractéristiques des systèmes politiques régionaux. Au Mexique, l’accident meurtrier dans la ligne 12 du métro de la capitale le 3 mai a mis au devant de la scène publique des débats sur la corruption et l’austérité. La propension à la tentation militaire est plus palpable que jamais, structurée non seulement autour de la gestion de la crise sanitaire, tel que discuté lors d’un Miércoles del GC il y a un mois, mais aussi dans la lignée des événements de nature civile de 2019. En Colombie, les militaires ont récemment réprimé les manifestations citoyennes contre la réforme fiscale du président Iván Duque (droite) ; preuve de ce que Laura Chinchilla, ancienne présidente du Costa Rica, déclarait au Grand Continent sur les systèmes politiques latino-américains « sans grande capacité de réaction, répondant par des moyens traditionnels, ramenant la police et les armées dans les rues ». Le résultat en Colombie ? 21 morts, 80 disparus et des appels de condamnations depuis les États-Unis et l’Union. À Rio de Janeiro, une opération policière antidrogue a fait 25 morts à Jacarezinho, la troisième favela carioca la plus peuplée, derrière Rocinha et Complexo do Alemão.
  • Quel post-crise pour l’Amérique latine ? Sont de plus en plus nombreuses les voix depuis l’Amérique latine, une des régions les plus inégalitaires du monde, revendiquant le besoin d’un nouveau programme de développement. José Antonio Ocampo, ancien Ministre des finances de Colombie et Professeur associé à l’Université de Columbia, propose dans un article publié dans Le Grand Continent des jalons pour sortir de la crise et relever les défis qui attendent les pays latino-américains. La question de la place de la société civile dans la construction de nouveaux modèles de développement a été analysée lors d’un Miércoles del GC co-organisé avec le Centre de développement de l’OCDE, notamment dans un contexte dans lequel ses organisations, dont “leurs demandes étaient jusqu’à très récemment canalisées grâce à des mécanismes traditionnels de redistribution basés notamment sur des politiques de caractère assistantiel”, revendiquent de plus en plus de processus de transformation ; une potentialité qui, institutionnalisée par des mécanismes de dialogue social, pourrait s’ériger en tant qu’outil d’avant-garde pour la région lors de la sortie de la crise. En Argentine, par exemple, l’énergie des mouvements sociaux féministes s’est traduit par la création d’une Direction nationale d’Économie et Genre en 2019, dont nous avons rencontré sa directrice et dont ses actions pendant la pandémie ont permis au plus grand pays du Cône Sud de se placer comme le premier au monde en termes d’actions de politique publique dans l’outil COVID-19 Global Gender Response Tracker de l’ONU.