• Samedi, lors de la conférence Bitcoin 2021 à Miami, Bukele a annoncé qu’il comptait présenter un projet de loi afin de donner un cours légal au Bitcoin au Salvador, une première mondiale. C’est à la suite de cette annonce inattendue et extraordinaire que Bukele a changé sa photo de profil en y ajoutant le mème « Laser eyes », très populaire dans la communauté Twitter de la cryptomonnaie. Plusieurs personnalités, dont Elon Musk, se sont pris à ce jeu à partir de mars 2021 après la hausse des prix du bitcoin sur le marché international. Le « meme » est apparu après la sortie du jeu vidéo « Mass Effect 2 » en 2010, dans lequel le méchant « Harbinger » prend le contrôle de ses ennemis dont les yeux deviennent alors jaunes.
  • Le président du Salvador a justifié sa décision en précisant d’abord au cours de son intervention que « 70 % de la population [au Salvador] n’a pas de compte en banque et travaille dans l’économie informelle ». Ainsi, le but est de créer des emplois et « permettre une inclusion financière à des milliers de personnes qui sont en dehors de l’économie légale ». Pour Bukele, « grâce à l’utilisation du bitcoin, le montant reçu par plus d’un million de familles à faible revenu augmentera de plusieurs milliards de dollars chaque année ». En se gardant d’entrer en détails sur les modalités de l’éventuelle mise en place de ces annonces, il ajoute que le bitcoin est « le moyen à la croissance la plus rapide » pour transférer des milliards de dollars d’envois de fonds et éviter les commissions d’intermédiaires. Cela a son importance dans un pays où la monnaie officielle est le dollar américain et où les remises migratoires – qui ne cessent de croître très fortement en raison de la crise – représentent environ 15 % du PIB.
  • Cependant, si cette annonce a été largement saluée par les adeptes de la cryptomonnaie, il faudra voir si Bukele va au-delà de cet effet et de ce coup de communication dont il est le spécialiste. Il accompagne cela d’un spectacle qui flirte toujours avec la plaisanterie. Après avoir changé sa photo de profil, il a également ajouté une traduction cocasse de sa présentation : « Presidente de la República de El Salvador / President of the Republic of The Savior ». 
  • Cette décision intervient à un moment où Bukele devait faire face à plusieurs problèmes graves dans le pays :
  1. Un nombre de disparus toujours en hausse alors que l’exécutif continue de se féliciter de sa (non) gestion de la violence et de son fameux « Plan Control Territorial » qui n’en est pas un.
  2. L’annonce de la rupture de coopération avec la Commission internationale contre l’impunité au Salvador (CICIES) de l’OEA alors que c’était une des grandes promesses de campagne de Bukele pour lutter contre la corruption. Le président n’a pas apprécié les enquêtes ouvertes contre des membres de son gouvernement alors qu’il entendait utiliser l’organisme pour enquêter uniquement contre ses opposants politiques, comme l’indique le communiqué de l’OEA.
  3. Le refroidissement des relations avec les États-Unis depuis l’arrivée de l’administration Biden qui a condamné ce qui a été qualifié de « coup d’État » : la destitution des magistrats du Tribunal constitutionnel et le procureur général en mai dernier. Bukele jouit depuis lors d’un pouvoir absolu/sans limites.
  4. Le gouvernement salvadorien négocie depuis des mois avec le FMI un accord de crédit pour aider le pays à sortir de la crise. Alors que les négociations semblent être au point mort depuis un certain temps, en raison notamment de ses dérapages autoritaires et de ses relations tendues avec les États-Unis, cette annonce sur les bitcoins pourrait compromettre encore davantage l’éventualité d’un accord.
  • –   Ce n’est pas la première fois que Bukele parvient à détourner ainsi l’attention. En janvier dernier, alors que le hashtag #BukeleDictador était en tête des tendances sur Twitter au Salvador, Bukele avait déjà changé sa photo de profil pour mettre un portrait de Haffaz Aladeen, protagoniste du film The Dictator.

Au-delà des répercussions concrètes (s’il y en a), le coup de comm’ , lui, semble réussi.