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Jusqu’à présent, le combat pour la succession d’Angela Merkel a été une course en solitaire. À six mois de l’élection du nouveau Bundestag, le 26 septembre 2021, le cercle des prétendants se résume à un seul homme, Olaf Scholz, actuel vice-chancelier et candidat du SPD. En Allemagne, il est d’usage que seuls les deux plus grands partis, l’Union (composée de la CDU et de son parti-frère bavarois, la CSU) et le SPD, présentent un candidat à la chancellerie. Cette année, il y aura un troisième candidat – celui des Verts. Tant la CDU/CSU que les Verts ont déclaré qu’ils n’annonceraient pas l’identité de leur candidat avant Pâques.
Après 16 ans passés à la tête du gouvernement, Angela Merkel ne sera pas candidate à sa propre succession cette année. Conséquence pour la CDU ces derniers mois : à la nécessité de renouveler la direction du parti (Annegret Kramp-Karrenbauer ayant annoncé sa démission de la présidence en février 2020) s’ajoutait la question épineuse de la désignation d’un nouveau candidat à la chancellerie. La première difficulté a été réssolue dès le début de l’année, lorsque Armin Laschet, le ministre-président sortant de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, l’a emporté sur ses rivaux à la présidence Friedrich Merz et Norbert Röttgen.
En principe, le choix du candidat à la chancellerie devrait être facile : la CDU revendique généralement ce rôle pour son président, et dispose vis-à-vis de la CSU d’une prérogative officieuse dans ce domaine. En cette année électorale, cependant, la situation est différente. D’une part, le ministre-président bavarois Markus Söder (CSU), qui s’est imposé comme le gestionnaire de crise « numéro un » du pays pendant la pandémie, est en capacité de faire jouer sa propre autorité. D’autre part, bien qu’Armin Laschet ait été récemment élu chef du parti, sa popularité est limitée. Alors que la moitié des Allemands considèrent que Söder est un candidat convenable pour la chancellerie, 68 % s’opposent à ce que Laschet occupe ce même poste 1. Parmi les sympathisants de l’Union, la différence est encore plus prononcée : 65 % des sympathisants de l’Union considèrent Laschet comme un candidat inadéquat, alors que 79 % considèrent Söder comme un bon candidat.
Deux fois seulement par le passé, le candidat à la chancellerie de l’Union a été issu de la CSU 2. Les deux fois, la CDU était dans une situation interne tellement mauvaise qu’il était naturel pour elle de renoncer à cette prérogative. En cette année électorale, un tel schéma pourrait se reproduire.
Laschet et Söder gouvernent les deux États les plus peuplés de la République fédérale. Alors que Söder bénéficie pleinement de la situation de crise, Laschet a dû faire face à de vives critiques pendant des mois. Très tôt, ce dernier a mis l’accent sur la détente, appelant à une pratique de crise favorable aux entreprises et doutant de l’intérêt de mesures restrictives aux frontières. Söder, en revanche, est apparu dès le début de cette séquence comme un partisan de restrictions strictes en matière de contacts et de mobilité.
Il ne fait guère de doute que la politique de crise des différents ministres-présidents aura une influence décisive sur le résultat des élections au Bundestag. Les politiques frontalières de la Bavière et de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie revêtent une importance particulière dans ce contexte. Après tout, pratiquement aucun autre sujet n’a suscité autant de controverses en matière de politique intérieure comme extérieure que la fermeture potentielle des frontières. Dans ce qui suit, nous prêterons donc une attention particulière aux politiques frontalière et étrangère mises en œuvre ces derniers mois par les deux candidats potentiels à la chancellerie. Elles pourraient, en effet, déterminer de manière décisive l’orientation de la politique européenne du prochain chancelier allemand.
Markus Söder : gestion de crise exemplaire ou isolationnisme ?
Markus Söder (54 ans) est ministre-président de Bavière depuis mars 2018. Depuis 2019, il dirige l’Union chrétienne-sociale (CSU), le parti conservateur bavarois associé au niveau fédéral à l’Union chrétienne-démocrate (CDU). Sous son prédécesseur Horst Seehofer, contre lequel il s’est imposé après une longue lutte de pouvoir, il a d’abord été ministre de l’environnement puis, à partir de 2011, ministre des finances de l’État libre de Bavière.
Dans sa région comme en dehors, Söder détonne : contrairement à presque tous les anciens ministres-présidents bavarois, il est protestant et issu de Franconie, une région de l’État qui est culturellement et historiquement très différente du reste de la Bavière.
Sa politique est résolue et communicative, ce qui explique pourquoi ses partisans le considèrent comme un « battant », un politicien de conviction qui ouvre toujours la voie. Depuis qu’il a rejoint le CSU à l’âge de 16 ans, le style de Söder n’est pas sans rappeler celui de son idole Franz Josef Strauß. Söder a attiré l’attention, particulièrement depuis le début de la pandémie, pour ses fréquentes conférences de presse et pour la mise en valeur médiatique de chaque nouvelle décision.
Par ce comportement, cependant, Söder récolte aussi des critiques : ses adversaires le dépeignent volontiers comme un politicien populiste, calculateur et électoraliste. Ses conférences de presse sont décrites comme un prétexte à l’autopromotion et, plus récemment, comme une manière de se positionner en vue d’une éventuelle candidature au poste de chancelier.
Cependant, il est impossible de dire avec certitude si cette mise en valeur régulière de sa propre action est réellement une faiblesse pour Söder. Le Bavarois sait se présenter comme un leader fort, comme une personnalité dont le pays a besoin, particulièrement en temps de crise. Son aptitude à l’autopromotion contrôlée lui a permis d’être l’homme politique le plus populaire d’Allemagne pendant une partie de la pandémie et de réinterpréter les défaites politiques aux yeux du public.
Le cas de l’élection au Landtag de Bavière en octobre 2018 est à ce titre exemplaire. Avec seulement 37,2 % des voix, Söder, qui était à la tête du gouvernement bavarois depuis seulement six mois, a obtenu le pire résultat électoral pour la CSU depuis 1950 et a perdu sa majorité absolue au parlement. Cependant, Söder a réussi à faire porter à son prédécesseur Seehofer – ce qui n’était pas totalement injustifié – une grande part de la responsabilité de cette défaite électorale. Il est finalement sorti politiquement renforcé de cette séquence.
Cependant, aux yeux de nombreux observateurs, Söder avait lui-même contribué à la mauvaise performance de la CSU en faisant passer trois lois très controversées avant les élections. En particulier, le « décret sur les croix », qui rendait obligatoire l’accrochage d’une croix dans chaque administration bavaroise, avait été critiqué par les clergés catholique et protestant comme procédant d’une récupération de la religion à des fins électoralistes.
Pendant la pandémie, Söder s’est souvent fait remarquer par des mesures particulièrement audacieuses, que ce soit pour restreindre la vie publique ou pour assouplir les restrictions. Son approche lui a permis de s’imposer dans le discours politique fédéral dès le début de la crise.
En mars 2020, la Bavière est devenue le premier État fédéral à promulguer des restrictions de sortie de grande ampleur. Ces mesures ont été annoncées par Söder deux jours avant la conférence des ministres-présidents (MPK) sur le même sujet, alors même que la MPK était alors de facto l’organe chargé de coordonner les mesures sanitaires dans l’ensemble de la République fédérale. Cette manœuvre a notoirement irrité la chancelière Merkel et les autres ministres-présidents, puisque Söder, qui détenait alors la présidence tournante de la conférence, était normalement chargé de la recherche d’un consensus interrégional. Söder a été accusé d’avoir tenté, par ce cavalier seul, de « téléguider » la conférence. D’autres voix ont soutenu sa décision rapide, perçue comme relevant d’une nécessité urgente en période de pandémie.
De la fin mars à la mi-juin 2020, des « restrictions provisoires de sortie » ont été appliquées en Bavière. Au cœur de ces restrictions figurait l’interdiction de quitter son domicile sans raison valable. Ces raisons valables incluaient les rendez-vous médicaux, les achats de première nécessité et le travail, mais pas les visites amicales ou les sorties au restaurant. Ces mesures ont eu un effet majeur sur la politique frontalière, de nombreux habitants des régions voisines se trouvant sans raison valable d’entrer sur le territoire de l’État. Söder a justifié cette mesure par le défi particulier auquel devait faire face la Bavière en tant que région frontalière. En Autriche, des réglementations comparables étaient déjà entrées en vigueur auparavant ; il était donc essentiel que Munich reprît les mesures de Vienne à l’identique, afin d’endiguer un éventuel « tourisme de confinement » du côté autrichien. L’entrée a été rendue encore plus difficile à partir d’avril 2020, lorsqu’une quarantaine de 14 jours a été imposée à toute personne entrant en Bavière.
L’application des contrôles aux frontières extérieures de l’Allemagne est devenue un sujet d’intérêt national après seulement quelques semaines de pandémie. En plus des décisions individuelles des États de sécuriser leurs frontières en restreignant l’entrée, le gouvernement fédéral a décidé de soumettre le trafic frontalier fédéral à des conditions plus strictes. Horst Seehofer, aujourd’hui ministre fédéral de l’intérieur, a alors ordonné la mise en place de contrôles à certaines des frontières extérieures de l’Allemagne, y compris à la frontière entre la Bavière et l’Autriche.
À la mi-juin 2020, la situation épidémique s’est détendue. Les contrôles frontaliers ont été levés pour la première fois, notamment pour permettre aux frontaliers de rejoindre leur lieu de travail plus facilement. Dans le même temps, une interdiction d’hébergement prévoyant des exceptions sous conditions, par exemple la présentation d’un test négatif, a été introduite afin de prévenir les contaminations liées au tourisme. En raison de la faible incidence épidémique, des assouplissements ont également été décidés dans d’autres domaines. L’exécutif dirigé par Markus Söder s’est alors distingué par des mesures de retour à la normale plus rapides et de plus grande envergure que la plupart des autres régions, arrêtant par exemple la levée des « restrictions temporaires de sortie ». Ce faisant, il s’est une nouvelle fois affirmé comme un pionnier. Ses mesures ont été accompagnées, d’une part, des éloges déjà habituels sur sa détermination et sa rapidité et, d’autre part, de critiques de sa tendance à la mise en scène.
Söder a toujours été salué pour sa communication régulière et directe avec les citoyens, plutôt inhabituelle dans le paysage politique allemand. De nombreux citoyens se sont habitués à un style de gouvernement plus détaché sous les quinze années de chancellerie d’Angela Merkel.
Cette habile combinaison de mise en valeur de sa propre personne et de communication a eu un effet : en avril 2020, Söder était l’homme politique le plus populaire d’Allemagne selon les sondages, avec plus de 70 % d’approbation. Depuis lors, il se classe régulièrement en deuxième position derrière la chancelière Angela Merkel, mais toujours loin devant les autres ministres-présidents des Länder 3. Même dans les rangs de la CDU, de nombreux électeurs considèrent Söder comme un candidat à la chancellerie plus approprié qu’Armin Laschet 4. En Bavière également, la population est majoritairement favorable à ce que Söder devienne chancelier, bien que dans le même temps, de nombreux répondants déclarent souhaiter que Söder reste ministre-président.
Au cours du mois de février 2021, la cote de popularité de Söder a considérablement baissé, passant sous la barre des 50 % 5. Cela peut également être dû au va-et-vient des restrictions dues au coronavirus en Bavière, aux difficultés auxquelles est confrontée la campagne de vaccination, ainsi qu’aux chiffres d’infection bien supérieurs à la moyenne nationale qui prévalent dans l’État. En ce qui concerne le deuxième confinement, au moment de Noël, les mesures prises en Bavière ont été critiquées comme trop tardives, et comme défavorisant les jeunes de manière disproportionnée par rapport aux familles et aux personnes âgées. Par exemple, les services religieux dans les lieux de culte restaient autorisés et jusqu’à dix personnes étaient autorisées à se réunir pendant les vacances de Noël, alors même que ces règles n’avaient plus cours pour le réveillon du Nouvel An, afin d’éviter une augmentation attendue des infections après le changement d’année.
En février 2021, les règles d’entrée en Bavière depuis la République tchèque et le Tyrol ont été considérablement durcies à la demande du gouvernement bavarois, en raison de l’augmentation des mutations du SARS-CoV-2 dans cette région. Malgré les vives critiques du Tyrol, Söder a défendu le bien-fondé de ces mesures : il fallait prendre la mutation au sérieux, et par conséquent empêcher sa propagation par des mesures aux frontières.Il a cependant ajouté qu’il y avait « des raisons d’espérer et d’être optimiste » 6.
En particulier, l’assouplissement des restrictions en République tchèque, où les valeurs d’incidence dépassaient parfois 1000, a causé l’incompréhension du ministre-président bavarois. Selon Söder, l’absence de véritables mesures de lutte contre la pandémie de l’autre côté de la frontière signifiait un danger considérable pour la Bavière et l’Allemagne, justifiant ainsi les contrôles stationnaires décidés aux frontières. Ces contrôles avaient donné lieu au rejet de plus de 500 personnes à la frontière dès le premier jour de leur entrée en vigueur. Selon Söder, il valait mieux agir clairement et tôt que d’intervenir trop tard, comme cela avait été le cas avant la deuxième vague.
Il est vrai que les régions frontalières présentent actuellement les taux d’incidence les plus élevés du territoire bavarois. Söder semble également avoir tiré les conclusions nécessaires de l’introduction très tardive de nouvelles restrictions contre la deuxième vague en décembre. Il reste à voir si les mesures prises auront un effet mesurable, et comment elles affecteront sa popularité et la suite de sa carrière politique.
Armin Laschet : des frontières ouvertes et beaucoup de critiques
« Je ne suis peut-être pas l’homme de la mise en scène parfaite, mais je suis Armin Laschet et vous pouvez compter là-dessus. » C’est par cette phrase parfaitement mise en scène qu’Armin Laschet a terminé son discours pour l’élection à la présidence de la CDU. Qu’attendre, dès lors, de sa candidature ? Dans la course à la direction du parti, il était le candidat de la continuité, désireux de poursuivre les politiques d’Angela Merkel.
Laschet a coutume de se décrire comme un « catholique rhénan ». Dans ses discours de campagne, il parle de son père, un mineur devenu par la suite directeur d’école primaire.
Armin Laschet est né à Aix-la-Chapelle, avec des racines familiales dans les cantons de l’Est de la Belgique. À 18 ans, il a rejoint la CDU et, à 28 ans, est devenu le plus jeune conseiller de la CDU au conseil municipal d’Aix-la-Chapelle. Depuis 1994, il a été membre du Bundestag, du Parlement européen et du parlement régional de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Depuis 2017, Laschet est ministre-président de ce Land, le plus peuplé d’Allemagne, où il gouverne au sein d’une coalition avec les libéraux du FDP.
En tant que membre du Bundestag à la fin des années 1990, il a fait partie de la « Pizza Connection », une plateforme d’échange entre députés Verts et conservateurs née à une époque où les coalitions noir-vert semblaient encore impensables. Aujourd’hui, Laschet est plus critique : « Je ne partage pas l’opinion selon laquelle les Verts seraient la panacée. Politiquement, nous avons beaucoup de divergences, que nous devons aussi rendre visibles dans cette campagne électorale. » 7 Il préfère souligner que « sa coalition » avec le FDP en Rhénanie-du-Nord-Westphalie est un succès, et qu’un tel modèle lui paraît également envisageable au niveau fédéral. Le président fédéral du FDP, Christian Lindner, est également originaire de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
Les Verts eux-mêmes auraient probablement préféré voir Norbert Röttgen à la tête du parti. Car jusqu’à présent, Laschet s’est montré plutôt hésitant sur le sujet du changement climatique, et l’industrie reste sa priorité. En janvier, avec le ministre de la santé Jens Spahn, son candidat à la vice-présidence du parti, il a publié un plan en 10 points 8 portant sur le réalignement de la CDU. Une « prise de distance nette vis-à-vis de l’extrême-droite » a été soulignée, ainsi que l’importance que « toute la diversité de la société soit reflétée dans le parti et dans les groupes parlementaires à tous les niveaux ». La lutte contre le réchauffement climatique, cependant, n’y figurait pas. En 2018, Laschet s’opposait encore à la sortie progressive du charbon initiée par Sigmar Gabriel, en demandan la prolongation jusqu’en 2038, même s’il est aujourd’hui en faveur de l’arrêt de son exploitation.
Pour Laschet, il est clair que « le conservatisme n’est pas le cœur de la marque CDU » 9. Pour lui, « une vision chrétienne de l’homme » doit être au centre de son action. Cette vision inclut la charité, qui, selon lui, devrait se traduire par une politique d’intégration forte. Cette prise de position a déjà provoqué des oppositions dans son propre parti. En 2005, il devient le premier ministre « des générations, de la famille, des femmes et de l’intégration » à l’échelle d’un Land. En 2009, il publie La République de l’ascension sociale (Die Aufsteigerrepublik), dans lequel il appelle à une « troisième unité allemande ». Laschet considère la migration comme une opportunité pour l’Allemagne ; sans surprise, il soutient donc la chancelière lors de la crise des réfugiés en 2015. À l’été 2020, il visite le camp de réfugiés de Moria et s’entretient avec le Premier ministre grec Mitsotakis, soulignant la nécessité de trouver une solution européenne à la crise des réfugiés.
Laschet est un Européen convaincu, un buste de Charlemagne orne son bureau. Les rares fois où il a critiqué Angela Merkel, c’était pour regretter son manque d’ambition en matière d’intégration européenne. L’Allemagne aurait dû tendre davantage la main au président français Macron dans sa quête d’une plus grande intégration. On notera cependant que c’est bien Markus Söder que Macron a rencontré en janvier 2021. La FAZ 10 a interprété cela comme un signe que la France attend de Söder qu’il soit le prochain chancelier, ou du moins le candidat de l’Union.
Dans plusieurs cas, Laschet a également été critiqué au sein de son propre parti pour ses opinions en matière de politique étrangère. Bien qu’il se présente comme atlantiste, il est également considéré comme partisan d’une certaine ouverture vis-à-vis de Vladimir Poutine. Après que Merz et Röttgen se sont prononcés contre la poursuite de la construction du gazoduc Nord Stream 2 à la suite de l’affaire Navalny à l’été 2020, Laschet a fait valoir qu’il ne voyait aucune raison d’arrêter la construction. Il a condamné l’arrestation de Navalny mais a refusé d’appeler à des sanctions de cet ordre. Cette décision a suscité des critiques, tant en interne que de la part des autres partis : « Quiconque traite avec le Kremlin de manière aussi sélective ne sera guère en mesure de maintenir l’unité de l’Europe », a ainsi déclaré Omid Nouripour, porte-parole des Verts en matière de politique étrangère, à la Süddeutsche Zeitung 11.
Cependant, la gestion de la pandémie de Corona sera probablement plus importante que les positions de politique étrangère dans la course à la chancellerie. Si Söder est sorti renforcé 12 de la pandémie au niveau fédéral, on ne peut pas en dire autant du ministre-président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Söder est prompt à prendre des mesures sévères, tandis que Laschet est plus hésitant, parfois changeant, faisant très tôt campagne pour des assouplissements et soulignant que l’économie devait être préservée.
En juin 2020, Laschet a de nouveau été mis sous pression lorsque Gütersloh et les abattoirs Tönnies sont devenus un cluster épidémique important. Il a également été accusé de népotisme lorsqu’il a confié au producteur textile van Laack un contrat de plusieurs millions d’euros – sans appel d’offres préalable – pour la fabrication d’équipements et de masques de protection. Son fils avait fait la publicité de la marque sur Facebook et fourni les contacts. S’y ajoute la récente « affaire des masques » qui a touché la CDU/CSU en mars 2021 : des membres du parti conservateur y ont été accusés de s’être enrichis personnellement en facilitant l’importation de masques. Si l’affaire des masques relègue au second plan les accusations portées contre Laschet, elle pourrait cependant avoir des conséquences négatives pour l’Union dans son ensemble, et sur son président en particulier.
Contrairement à la Bavière, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie n’a pas fermé sa frontière avec la Belgique et les Pays-Bas lors de la première vague. Au lieu de cela, Laschet a mis l’accent sur la coopération avec les deux voisins. Il a mis en place une « Task Force transfrontalière Corona » 13 pour améliorer l’échange d’informations et synchroniser les mesures. Le groupe de travail est composé de représentants des trois pays, ainsi que de représentants de la Basse-Saxe et des ambassadeurs allemands aux Pays-Bas et en Belgique. Le trafic frontalier est resté ouvert. Selon Armin Laschet « le fait que nous ayons pu mettre en place cette force opérationnelle en si peu de temps souligne l’étroite coopération avec nos voisins. Nous bénéficions de structures éprouvées et basées sur la confiance, que nous avions déjà développées avant la crise ». Le succès de cette task force a été largement salué. En 2021, la frontière reste ouverte, les cours séjours 14 d’une durée maximale de 48 heures en Belgique et de 24 heures aux Pays-Bas sont toujours possibles sans devoir présenter un test ou être soumis à une quarantaine.
Après son élection à la tête de la CDU, le ton de Laschet semble avoir changé. Le 25 janvier, il s’est prononcé en faveur de la prolongation des mesures et a prévenu qu’un assouplissement trop rapide des restrictions serait contre-productif.
Mais à la mi-février, Laschet prenait déjà ses distances par rapport à la ligne de conduite de Merkel. Après un événement du conseil économique de la CDU du Bade-Wurtemberg le 15 février au cours duquel il avait remis en cause le nouveau taux d’incidence (35) choisi comme référence par le gouverneen ment fédéral, il s’est attiré de vives critiques. Son argument : « on ne peut pas continuer à inventer de nouvelles limites pour empêcher la vie de reprendre ». La limite a depuis été relevée à 50, une petite victoire pour Laschet qui lui permet de marquer des points vis-à-vis de l’aile libérale de son parti. Laschet a également obtenu le soutien de la Junge Union, l’organisation de jeunesse du parti qui s’était majoritairement rangée derrière Friedrich Merz lors de l’élection à la présidence du parti.
Söder ou Laschet : quelles conséquences pour l’Europe ?
Au-delà même de ce qu’elles révèlent de différences culturelles entre les deux hommes, les deux approches bien différentes de l’Europe et de la politique frontalière développées par les deux aspirants à la chancellerie pendant la pandémie de Covid-19 auront probablement un effet important sur leur futur exercice du pouvoir. En effet, si l’un des deux ministres-présidents est élu, il est vraisemblable que ses expériences concrètes avec ses voisins européens pendant la crise contribueront à modeler son orientation future en matière de politique européenne.
Ainsi, l’élection de Söder comme chancelier déplacerait inévitablement le centre de gravité de la politique européenne allemande vers le sud-est. C’est particulièrement vrai en termes de culture politique. Par exemple, malgré les dernières fermetures de frontières avec l’Autriche, le ministre-président bavarois a jusqu’à présent toujours maintenu de bons contacts avec Sebastian Kurz, et a plus souvent pris pour modèle, voire imité, la ligne de conduite plus sévère du gouvernement autrichien sur le plan sanitaire. Son style de gouvernement vertical, mais aussi sa critique – inhabituelle venant d’un membre de la CSU – des structures décisionnelles fédéralistes dans la crise, révèlent une compréhension de l’autorité qui se distingue clairement de celle d’une Angela Merkel ou d’un Armin Laschet, mais qui est parfaitement compatible avec les conceptions politiques des conservateurs autrichiens. Cette différence de culture politique ne serait pas non plus sans effet sur la politique intérieure européenne. La vision « souverainiste » de la CSU en matière de contrôles aux frontières internes, qui s’était déjà manifestée lors de la crise des réfugiés avec la mise en place (en grande partie anticonstitutionnelle) d’une police des frontières bavaroise, n’a cessé de se confirmer ces derniers mois. La CSU comprend la politique frontalière comme un moyen pour les citoyens de se prémunir de la politique de crise négligente des États voisins, dans le cas où ces derniers n’auraient pas pris de mesures suffisamment strictes aux yeux de leur propre gouvernement. Du reste, la situation globale de la Bavière, contrairement par exemple à celle de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, n’est pas celle d’un État qui se considère d’abord comme faisant partie d’une grande région européenne : malgré la disparition progressive des frontières au cours des dernières décennies, les zones frontalières de la Bavière et les échanges qui s’y déroulent ne sont pas au centre de son activité économique et politique, mais plutôt à sa périphérie. Par conséquent, la mise en réseau transfrontalière locale est moins prioritaire que dans l’Ouest de l’Allemagne.
Le gouvernement de Munich n’entretient pas de relations particulièrement étroites avec son voisin tchèque, dont il était séparé par le rideau de fer jusqu’à la chute du mur. Une certaine méfiance entre les deux pays demeure, entretenue par le manque de connaissances linguistiques, des décennies de séparation et des flux de travailleurs déséquilibrés. Dans cette configuration, il n’est pas évident que l’expérience de politique étrangère de son chancelier permettrait à un gouvernement Söder d’entretenir de meilleures relations avec la République tchèque. Söder a également pris clairement ses distances avec Viktor Orbán depuis presque deux ans, en appelant à l’expulsion de son parti Fidesz du PPE 15, dont ce dernier s’est depuis retiré de sa propre initiative. Avec les visites régulières de représentants du groupe de Visegrád à Munich, on pourrait certes espérer d’un chancelier Söder une meilleure compréhension des dynamiques politiques d’Europe centrale ; toutefois, en raison des tensions précédemment évoquées, il n’est pas certain que cela conduise à des relations plus harmonieuses entre l’Allemagne et les quatre États centre-européens. Ainsi, outre le lien naturel qui l’unit au chancelier autrichien, Söder pourrait avoir des difficultés à nouer des alliances stratégiques au niveau européen.
Contrairement à Markus Söder, Armin Laschet entretient des relations étroites avec les pays du Benelux limitrophes de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, ainsi qu’avec la France. Dans sa fonction de plénipotentiaire pour les relations culturelles franco-allemandes, il s’engage depuis 2019 en faveur de la coopération bilatérale entre les deux pays. En 2020, la task force transnationale Corona, créée à l’instigation du gouvernement de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, a envoyé un signal d’ouverture, tandis que Laschet a réussissait à obtenir un accord politique à Berlin pour éviter la fermeture de la frontière de son Land. Le trafic frontalier y est resté largement intact pour l’instant. Cette position contrastait notamment avec celle du gouvernement sarrois, qui s’était fait l’avocat de la fermeture au printemps 2020. Laschet, fort de ses attaches aixoises et des ses origines familiales belges, a ainsi témoigné de sa compréhension des questions transfrontalières. Dans un État fédéral qui bénéficie largement des flux transfrontaliers de personnes, de capitaux et de commerce, non seulement au niveau international mais aussi interrégional, la mise en œuvre d’une telle stratégie peut sembler naturelle. Pourtant, malgré l’image positive qu’elle a pu projeter à l’extérieur, la politique de crise d’Armin Laschet n’a nullement été récompensée par son électorat.
Les relations avec les États voisins forgées ou approfondies dans ce contexte, ainsi que l’exigence d’ouverture qu’il incarne, pourraient être bénéfiques à Armin Laschet au niveau européen. La politique européenne d’un chancelier Laschet serait solidement ancrée dans son expérience rhénane, ce qui devrait probablement favoriser les relations au sein de la vieille Europe. Néanmoins, elle pourrait également renforcer l’impression de beaucoup d’Européens du Sud, du Nord et de l’Est que certains des pays fondateurs de l’UE, au premier rang desquels l’Allemagne et la France, continuent à s’arroger le monopole du projet européen. L’accent mis par Laschet sur le Benelux et la France, associé à sa russophilie, pourrait être difficile à supporter pour certains Européens de l’Est. C’est pourquoi, dès son entrée en fonction, il devrait s’efforcer d’élargir sa communication politique en direction des pays du sud et de l’est, afin d’éviter les malentendus et de former un plus large compromis autour de lui. La visite de Sebastian Kurz à Berlin en mars 2021, lors de laquelle Laschet l’a reçu pour un entretien personnel, pourrait constituer une première étape dans ce processus. À l’occasion de cette visite, Kurz a rencontré Armin Laschet et Horst Seehofer, mais pas Angela Merkel ni Markus Söder. Il est possible que Kurz ait ainsi voulu exprimer qu’il s’attend à ce que Laschet devienne chancelier, ou bien qu’il ait cherché à signifier à son allié traditionnel que les relations entre la Bavière et l’Autriche s’étaient considérablement refroidies ces derniers mois 16.
Les préférences des deux candidats en matière de coalitions sont également très différentes, ce qui pourrait affecter fortement les dynamiques continentales. Markus Söder semble mieux armé pour une future coalition noire-verte en raison de l’importance qu’il accorde aux questions environnementales et de la position plus conciliante de son parti (par rapport au reste de l’Union) en matière de politique sociale. Grâce à la proximité culturelle et idéologique que la CSU entretient avec les conservateurs du Bade-Wurtemberg et de l’Autriche, qui expérimentent depuis des années un tel modèle de coopération gouvernementale, Söder connaît déjà indirectement les subtilités d’une telle alliance. Armin Laschet, quant à lui, défend toujours une hypothétique coalition noire-jaune qui semble pourtant hors de portée à ce stade. Il apparaît donc moins bien préparé à une probable alliance gouvernementale avec les Verts.
En résumé, les oppositions pertinentes, à l’échelle européenne, entre les deux successeurs les plus probables d’Angela Merkel peuvent être regroupées en trois catégories. Premièrement, les différences culturelles et idéologiques qui séparent Armin Laschet, originaire d’Aix-la-Chapelle et de la Rhénanie, de Markus Söder, originaire de Franconie, sont à même de favoriser des alliances transfrontalières différentes en Europe sur la base des expériences de crise passées. Deuxièmement, les rapports des deux candidats chanceliers à l’autorité, au fédéralisme et à la liberté de mouvement s’opposent parfois fortement, le Bavarois s’étant récemment révélé nettement plus strict et paternaliste dans sa pratique du pouvoir, mais aussi plus critique à l’égard du fédéralisme. Ces deux lignes de fracture ont conduit à des approches diamétralement opposées de l’Europe et de la politique frontalière dans la pandémie de Covid-19. Troisièmement, les deux hommes politiques n’ont pas la même appréciation des différents modèles gouvernementaux envisageables. Markus Söder semble mieux préparé à une alliance gouvernementale avec les Verts (qui est considérée comme la plus probable), ce qui pourrait faciliter l’entrée dans la nouvelle coalition et la recherche de compromis, et donc également favoriser l’efficacité et l’affirmation du nouveau gouvernement au niveau européen.
À la mi-mars, les mesures de restrictions en vigueur ont été prolongées jusqu’au 18 avril. Ces derniers jours, Markus Söder et Armin Laschet ont tous deux indiqué clairement que cette prolongation n’était pas comprise de la même manière partout : alors qu’en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, des « régions modèles » doivent être créées après Pâques dans lesquelles les mesures seront assouplies dans le but de permettre un retour progressif à la normale, la Bavière reste prudente et exclut tout assouplissement avant la mi-avril. La situation est similaire en ce qui concerne la politique frontalière : les contrôles à la frontière avec la République tchèque et l’Autriche resteront en place pour le moment, tandis qu’en Westphalie, la fermeture des frontières avec la Belgique et les Pays-Bas n’est pas même envisagée.
Sources
- MESTERMANN Marius, Unionsanhänger wünschen sich Söder – und strafen Laschet ab, Spiegel, 25 janvier 2021.
- En 1980, le candidat de la CSU Franz Josef Strauß faisait face à Helmut Schmidt (SPD) ; en 2002, Edmund Stoiber se présentait contre Gerhard Schröder (également SPD).
- Forschungsgruppe Wahlen e. V., Politbarometer Juli II 2020 et Politbarometer September 2020.
- Forschungsgruppe Wahlen e. V., Politbarometer November I 2020.
- LIERMANN Sandra, Umfrage : Zufriedenheit mit Söder sinkt – CSU steht bei 46,1 Prozent, Augsburger Allgemeine Zeitung, 13 février 2021.
- Söder und Herrmann zu Corona-Grenzkontrollen, Bayrischer Rundfunk, 14 février 2021.
- von DOMETEIT Gudrun, ETZOLD Marc, Wer ist schuld am Impfchaos, Herr Laschet ?, Focus, 9 janvier 2021.
- Team Laschet-Spahn, Für ein innovatives und lebenswertes Deutschland, janvier 2021.
- « Markenkern der CDU ist nicht das Konservative », Spiegel, 18 février 2018.
- FRASCH Timo, WIEGEL Michaela, Macron setzt auf Söder, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 5. Februar 2021.
- BRÖSSLER Daniel, Der Putin-Versteher, Süddeutsche Zeitung, 20 janvier 2021.
- KÜHNE Simon et al., Gesellschaftlicher Zusammenhalt in Zeiten von Corona : Eine Chance in der Krise ?, SOEPpapers on Multidisciplinary Panel Data Research, No. 1091, 2020.
- Ministerpräsident Laschet initiiert eine „Cross-Border Task Force Corona“, Land Nordrhein-Westfalen, 20 mars 2020.
- D’après Corona-Regeln im Grenzgebiet der Euregio Maas-Rhein, Grenzinfo.eu, consulté le 3 avril 2021.
- Söder fordert Rauswurf von Orbans Fidesz aus der EVP, Süddeutsche Zeitung, 5 mars 2021.
- LEITHÄUSER Johannes, Feine Spitzen in Richtung München, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 19 mars 2021.