Baghdad. L’attaque est l’aboutissement d’une montée des tensions survenue à la fin du mois de décembre 2019. En effet, une milice soutenue par l’Iran aurait lancé des tirs de roquette sur une base américaine le vendredi 27 décembre, entraînant la mort d’un civil américain. En réponse à cela, des frappes aériennes américaines ont visé Kata’ib Hizbollah, une milice irakienne pro iranienne, le 30 décembre, entraînant la mort de 25 soldats1. Cette attaque a entraîné des manifestations de plusieurs milliers de personnes autour de l’ambassade américaine à Bagdad le 31 décembre. On pourrait également faire remonter la montée des tensions à septembre, quand un champs pétrolier saoudien avait été l’objet d’un tir de missile, ou même à mai, lorsque divers incidents, dans la Green Zone de Baghdad et dans le Golfe persique, avaient conduit à de nombreuses déclarations belliqueuses, dont nous avions fait la synthèse sur Le Grand Continent.

La mort du général Ghassem Soleimani constitue un saut en avant des Etats-Unis dans l’inconnu et vers la confrontation avec la République islamique d’Iran. Les craintes se confirment aussi pour l’avenir de l’Irak car la reconstruction sera impossible si Bagdad devient le premier théâtre du conflit qui pourrait éclater.

Soleimani était, dans les faits, le responsable le plus influent des Gardiens de la Révolution, notamment pour la politique étrangère iranienne en Irak et en Syrie, puisqu’il dirigeait la branche Al-Qods (“Jérusalem”) de cette armée, chargée des opérations extérieures. De plus, il était très populaire auprès de toute une classe d’Iraniens conservateurs soutenant encore le régime et même auprès d’une partie non négligeable de la population, d’après des sondages qui en font une des personnalités politiques préférées en Iran, devançant même Hassan Rouhani ou Mohammad Javad Zarif. Cette popularité était telle que de récurrentes rumeurs en faisaient un potentiel candidat conservateurs à l’élection présidentielle iranienne, comme le supputait Bernard Hourcade dans une interview qu’il nous avait accordée.

Les conséquences de la mort de Soleimani pourraient donc affecter toute la région. Ainsi, dans la nouvelle escalade à venir, l’initiative HOPE portée par Téhéran pour une nouvelle architecture de sécurité dans le détroit d’Hormuz avec l’Arabie Saoudite va probablement échouer si Riyadh est poussée à soutenir son allié américain. Signe économique de cette crise, le cours du pétrole a bondi de 3 % dans la nuit pour dépasser les 68 dollars le baril.2

Les réactions des puissances influentes dans la région devront également être suivies attentivement. Nul doute que Bachar el-Assad dénoncera cette action, mais il pourrait aussi profiter de cet affaiblissement des Pasdarans pour réduire l’influence iranienne à Damas. De même, comment la Russie et la Chine, qui ont récemment organisé un exercice militaire conjoint dans le Golfe avec l’armée iranienne, réagiront-ils à la mort de cet interlocuteur incontournable ?

En tout état de cause, Téhéran marche sur des oeufs et devrait choisir une revanche hautement visible, mais à implication militaire limitée. Face aux revendications économiques intérieures de plus en plus pressantes et dans l’atmosphère des récentes manifestations contre la hausse du prix du pétrole, réprimées dans le sang le mois dernier, le régime ne peut se permettre une intervention coûteuse à l’extérieur et impopulaire auprès de la population déjà exsangue.

A quelques semaines des élections parlementaires, la mort de Soleimani devrait en outre servir les intérêts électoraux des plus conservateurs. Les réactions de Mohammed Ghalibaf, candidat conservateur présumé à la présidentielle de 2021 et ancien maire de Téhéran, sera aussi intéressante.

Perspectives :

  • Aujourd’hui 3 janvier 2020, le Guide Suprême assiste lui-même au Conseil de sécurité nationale, ce qui est extrêmement rare. Une stratégie sera probablement adoptée à l’issue de cette réunion.
  • Mike Pompeo a appelé à la “désescalade” mais le secrétariat d’Etat américain a également appelé tous les citoyens américains à quitter l’Irak.
Sources
  1. Déclaration du Pentagone, 3 janvier 2020
  2. Iran top military killed in US Strike, Financial Times, 03 janvier 2020