Londres. Il n’y a plus assez de mots pour décrire le processus apparemment infini d’éclatement de l’espace politique britannique. On est presque face à un cas d’école : un référendum posant une question qui ne trouvait pas une adéquate représentation dans le système des partis en place (scindés entre européistes et eurosceptiques1) conduit inexorablement à un processus de complexe recomposition politique, produisant l’éclatement des partis sur le fond d’une crise politique généralisée. Toutes les institutions politiques sont affectées : du Parlement britannique, au parlement écossais2 jusqu’à la Monarchie.

Pourtant, si le système politique britannique traverse une des crises les plus profondes de son histoire, l’Etat continue à être composé d’une branche capable d’exprimer une forme de relative stabilité : ce sont les civil servants de haut niveau. On trouve dans chaque ministère des fonctionnaires permanents puissants, des undersecretary, qui restent très longtemps à leur poste : les ministres vont et viennent, mais les undersecretary tiennent l’administration. Il s’agit d’un rôle qui paraît encore plus stable de celui d’un secrétaire général d’un ministère en France. Dans les derniers temps nous avons eu l’occasion d’échanger avec une personnalité de très haut niveau, proche du dossier, qui, en partant de l’analyse interne des agissements de ce corps, propose une analyse intéressante.

Selon notre source, on retrouve dans l’action du corps diplomatique détaché sur le Brexit une réflexion profonde qui a suivi le choc initial du référendum et qui réactualise l’un des principes de doctrine que la diplomatie anglaise a toujours pratiqué à partir de la devise « divide and rule ». Le recrutement spécial pour les fonctionnaires qui travaillent sur les affaires européennes en fait une branche d’une très grande qualité, leur perspective débouche sur un principe : il faut par tous les moyens accompagner et intensifier la contamination du désordre politique à l’échelle continentale. L’objectif est d’infléchir un rapport de force pour l’instant largement défavorable au Royaume-Uni en vue de rééquilibrer l’équilibre des négociations futures.

Ce serait en partie à cause de l’action de ces diplomates que l’on a assisté à la série de reporting. Repousser le Brexit après les élections européennes avait deux avantages évidents : d’abord on pouvait parier, à raison, sur une recomposition politique européenne plus favorable au Brexit. Les élections de mai ont amené au Parlement des forces nouvelles qui n’ont pas encore trouvé un positionnement clair et qui affaiblissent la position défendue par la Commission Juncker. Les Britanniques peuvent ainsi espérer de trouver des alliés actifs ou passifs au Parlement Européen voire dans la nouvelle Commission qui tient compte de ce rapport de forces.

Par la suite, et c’est encore plus important, le reporting a plaqué le Brexit sur la séquence toujours compliquée de la nomination de la Présidente de la commission et de son collège 3. Notre source souligne le fait que c’est à cause de l’intervention des Britanniques si en 2004 c’est Barroso qui s’est imposé sur la dernière ligne droite face aux autres Etats qui préféraient Verhofstadt.

Selon notre source, beaucoup de pays alliés du Royaume-Uni n’ont pas compris ces motivations.

Dans les films catastrophe les zombies ont une seule manière de survivre au chaos, contaminer le reste de l’humanité — cette stratégie, plus ou moins réfléchie, plus ou moins efficace, doit entrer en compte dans les considérations et dans les calculs des Européens.

Perspectives :

  • 31 janvier 2020 : nouvelle date pour le Brexit, annoncée officiellement par la Commission européenne.
  • Les britanniques ont déjà commencé ce travail de « divide to rule » avec le report de la date. Leur objectif : réclamer une renégociation du traité de sortie qui soit à leur avantage et qui ne soit qu’un grand marché libre le plus large possible.
  • Selon notre source, « les Britanniques n’ont jamais vraiment oublié leur projet de l’AELE (Association Européenne de Libre Echange) : ce qu’ils ont en tête, c’est de profiter du Brexit pour refaire l’AELE. Ils ont toujours eu ce projet en tête depuis 1951. Ils pensent que c’est le moment où ils peuvent y arriver. L’unité de l’Europe est très fragile vous savez. Il y a des gens derrière Barnier qui ont fait un travail remarquable, mais ça peut très vite voler en éclats. »
Sources
  1. CARELLA Leonardo, Un camp anti-Brexit divisé pourrait bien ne pas donner aux conservateurs la grande majorité qu’ils espèrent, Le Grand Continent, 7 octobre 2019
  2. HARROIS Thibaut, Le Parlement écossais rejette le projet de loi sur le Brexit, Le Grand Continent, 21 mai 2018
  3. Selon notre source on avait encore l’habitude d’appeller cela la « nuit des longs couteaux »