Paris. Le 26 septembre 2019, Elisabeth Borne, ministre française de la transition écologique et solidaire annonçait : « Le projet de loi Energie-Climat marque une étape majeure dans la concrétisation de l’ambition du Gouvernement en matière de lutte contre le changement climatique, en inscrivant dans la loi, l’objectif d’une neutralité carbone en 2050 ». Ce projet de loi porte notamment des mesures de réduction de la dépendance aux énergies fossiles, de lutte contre les passoires thermiques et de mise en place de future loi quinquennale fixant les objectifs de la politique énergétique.

Retour de 40 ans en arrière, en 1979 : dans une situation de crise pétrolière mondiale, le Danemark cherche à s’affranchir de l’importation de cette énergie fossile et de la dépendance des pays producteurs. Cette décision va ainsi permettre d’accélérer drastiquement le développement du chauffage urbain dont le réseau s’est localement structuré dès 1903 pour certaines localités de l’ouest de Copenhague comme à Frederiksberg1. En parallèle, une politique de rénovation et d’isolation thermique des bâtiments et des logements est mise en place. En effet, après les premières crises pétrolières, la ville de Copenhague intègre très vite ces enjeux en développant une politique énergétique pragmatique et efficace.

Cette politique de rénovation urbaine devient d’autant plus efficace lorsqu’elle marie performance énergétique due à la rénovation thermique des bâtiments, et diminution de l’empreinte carbone grâce à l’installation d’un système de chauffage urbain municipal. On retrouve ici un élément identitaire des sociétés scandinaves dans la recherche d’un pragmatisme en réponse à un problème donné. Afin de réduire la facture énergétique, c’est l’ensemble de la chaîne de chaleur qu’il fallait améliorer ; pouvoir utiliser les excédents de chaleur industriels, prévoir la construction d’un réseau de chaleur, et isoler les habitations afin de rendre ce même réseau flexible pour sécuriser les postes de dépenses stratégiques.

En effet, plus de 97 % des habitants de Copenhague bénéficient aujourd’hui d’un chauffage fiable et abordable, principalement grâce à quatre centrales de cogénération d’énergie et la récupération de chaleur de trois incinérateurs de déchets. Le système de chauffage urbain par district de Copenhague se veut l’un des plus grands, anciens et performants systèmes développés au monde jusqu’à présent. Plus de 500 000 familles y ont accès, et ce système couvre 15 % de la demande totale de chaleur au Danemark.2

Cette méthode est l’exemple même de ce pragmatisme cher aux sociétés nordiques. Cette technique voit localement le jour en 1884, lorsque cinq municipalités cumulant des problèmes d’entassement des déchets, d’une population grandissante couplée à la raréfaction des espaces disponibles, décident d’utiliser la chaleur produite par l’incinération de leurs déchets pour le chauffage des habitants et permettre ainsi de valoriser la chaleur précédemment rejetée à la mer3.

C’est alors qu’un réseau souterrain d’adduction d’eau connectant usines et habitations est construit, permettant de faire circuler de l’eau à haute température (jusqu’à 120 degrés) grâce à la récupération de chaleur des usines d’incinérations et de cogénération afin de la redistribuer au sein des habitations présentes dans le voisinage.

Cette stratégie thermique est cohérente puisqu’elle constitue l’une des pièces maîtresses de l’objectif de neutralité carbone que la ville s’est fixée en 2025. En plus de revaloriser le surplus d’énergie industriel, cette méthode permet également de maintenir une bonne qualité d’air, atout majeur pour une métropole de cette envergure, que d’autres capitales comme Paris tendent actuellement de combattre.

Un décret de juin 2000 accélère même le processus en permettant aux collectivités locales de rendre obligatoire le raccordement au réseau de chauffage urbain pour les bâtiments neufs et anciens4. Cette stratégie de rénovation thermique développe alors pleinement son efficacité lorsqu’elle s’allie à des méthodes de chauffage urbain qui allient performance énergétique et diminution de l’empreinte carbone.

Et cet investissement non négligeable porte actuellement ses fruits. La ville a notamment réduit de 10 à 25 kg/m2 d’émission de CO2 lié aux bâtiments depuis les années 1990. Avec pour effet sur la vie des habitants de la capitale, une facture de chauffage en baisse. En effet, pour un appartement de 100 mètres carrés dans le centre de Copenhague, la facture de chauffage mensuelle s’élève en moyenne à 65 euros contre 161 euros pour la même surface en France5. Fidèle au pragmatisme nordique, les fruits de ce grand investissement sont présents et le retour sur investissement profite à tous.

Pour reprendre le renversement de question de Morten Kabell, ancien maire en charge de la planification urbaine et de l’environnement de Copenhague : « Lorsque l’on me demande ; comment pouvez-vous vous permettre de devenir neutre en carbone ? La question serait plutôt ; comment pouvez-vous vous permettre de ne pas le devenir ? Regardez le monde autour de nous, il n’y a pas d’autres alternatives que d’aller vers une ville neutre en émission carbone. Je vois des villes qui sont les leaders du monde, et qui vont réussir là ou les états ont échoués, les villes vont prendre la relève. » On comprend que la situation actuelle de raréfactions des ressources naturelles et de crispation géopolitique autour de l’énergie oblige les décideurs à ne plus être dans une course insatiable à cette dernière, mais bien de repenser nos modes d’utilisation et de valorisation de l’énergie, à l’image des précurseurs scandinaves.

Source  : The District Heating System in Greater Copenhagen Area in a free power market, Center for Electric Power and Energy, Jorgen Boldt, Hofor, 2 mars 2018

Perspectives :

  • L’investissement initial d’un des meilleurs systèmes de chauffage urbain fut conséquent, environs trois milliards de couronnes danoises (379 millions d’euros6) pour l’ensemble du réseau, financé principalement par des prêts en devises étrangères et des incitations fiscales pour les entreprises énergétiques.
  • Renforcement du leadership européen de Copenhague de ville à faible émission carbone et confirmation du réalisme de son objectif d’être d’ici 2025, capitale européenne neutre en émission carbone.
  • Inscription dans une politique urbaine systémique englobant le volet transport, habitat, énergie dotant la ville de réels outils de réduction de l’émission de carbone.
  • Enfin, à l’image du réseau de villes mondiales rassemblées dans le C40 Cities Climate Leadership Group, bonne illustration de la volonté des métropoles de s’emparer de ces sujets, de travailler à être neutre en carbone, et de prendre la relève là où les États échouent à réduire leurs émissions. Mener des politiques à une échelle d’action plus pertinente.
Sources
  1. District heating history, Danish Board of District Heating
  2. The District Heating System in Greater Copenhagen Area in a free power market, Center for Electric Power and Energy, Jorgen Boldt, Hofor, 2 mars 2018
  3. 98 % of Copenhagen City Heating Supplied by Waste Heat, C40 Cities Climate Leadership Group, 3 novembre 2011
  4. Chauffage urbain, la leçon de Copenhague, Catherine Ducruet, Les Échos, 26 novembre 2009
  5. Calculé à partir d’un coût de 16.10 euros/m2 pour un chauffage électrique en France en 2018
  6. Case Study, 98 % of Copenhagen City Heating Supplied by Waste Heat