Suite à une procédure parlementaire longue et tortueuse, le 29 octobre dernier Boris Johnson a convaincu une majorité de députés à lui accorder l’élection qu’il réclamait. Bloqué à maintes reprises par un Parlement dont son parti ne constituait même pas la moitié, le premier ministre cherche désormais à acquérir un nouveau mandat pour entériner l’accord qu’il a négocié avec l’UE. En tête dans les sondages de plus de 10 %, le chef du parti conservateur se sentira peut-être confident d’une réussite décisive lors du scrutin de décembre1.

Johnson a pourtant de nombreuses raisons pour être concerné. En effet, le chef de file des conservateurs a tout misé avec sa promesse d’achever le Brexit avant la fin d’octobre 2019, annonçant même qu’il préférerait ‘mourir dans un fossé’ que d’échouer2. Le vote aura lieu près de neuf mois après l’échéance originale du 29 mars. Avec un délai de presque 42 mois entre le référendum lui-même et le scrutin de décembre, il se peut que les électeurs pro-Brexit punissent les conservateurs pour leur promesse jamais tenue.

D’autre part, le parti Brexit de Nigel Farage pourrait jeter de l’huile sur le feu. Farage s’est présenté comme critique de l’accord établi par Johnson avec Bruxelles, et il réclame un no deal. Même s’il annonce ce 11 novembre qu’il ne mènera pas de campagne contre les députés conservateurs actuels, Farage présentera des candidats dans tous les autres sièges du pays3. Johnson perdra certainement quelques sièges au profit du Parti libéral-démocrate et du Parti travailliste, et il aura donc besoin d’en gagner d’autres pour équilibrer ses comptes. Il lui en faudra encore plus pour ratifier son accord de Brexit.

Sur la question du Brexit, Johnson a réussi à unir le Parti conservateur, y compris les députés les plus intransigeants que Theresa May n’a jamais convaincus, dits les « Spartans ». Cependant, une minorité des électeurs pro-Brexit demeurent sceptiques. Si assez d’entre eux abandonnaient le Parti conservateur par frustration – que ce soit vis-à-vis de l’extension du délai ou des termes mêmes de l’accord – Johnson pourrait être privé du gouvernement majoritaire qu’il lui faut. Beaucoup dépendra du pouvoir de Johnson d’attirer ceux qui sont tentés par le parti Brexit.

Farage a constaté que son parti pourrait prendre le rôle joué jusqu’ici par le DUP (Parti irlandais unioniste) en servant de partenaire dans une coalition avec les conservateurs et ainsi faire pression pour un Brexit plus “pur”. Pourtant, avec le système électoral britannique, il lui faudra probablement plus du 10 % du vote actuellement prévu pour que son parti gagne un seul siège4. S’il finit par diviser le vote pro-Brexit, la conséquence ironique de ses efforts pourrait être un gouvernement travailliste et un deuxième référendum.

Le scrutin présente pourtant un risque même plus grave pour le Labour. Tandis que la majorité des électeurs travaillistes ont voté pour le Brexit, ce n’est qu’une très faible minorité des députés du parti qui a approuvé les accords proposés par May et par Johnson. Onze seulement ont soutenu le Brexit lors du référendum5. Jeremy Corbyn a adopté une politique peu crédible vis-à-vis du Brexit : ce dernier a proposé de renégocier un nouvel accord avec la Commission Européenne avant de le proposer au peuple lors d’un deuxième référendum, sans mener de campagne pour ou contre.

Cette proposition a éloigné non seulement les brexiteers mais aussi les électeurs anti-Brexit dont bon nombre préfèrent le parti libéral-démocrate : celui-ci n’a eu de cesse de faire campagne contre le Brexit depuis le début avec une ligne beaucoup plus claire et consistante que celle du Labour. Le Labour affronte donc une double critique, contradictoire et pourtant simultanée : d’une part, comme parti bloquant le Brexit et, d’autre part, comme étant celui qui le facilite. Le risque de voir une partie de ses électeurs déserter ses rangs est donc doublement accru.

Le Brexit transcende les questions de loyautés partisanes et déstabilise donc les identités politiques traditionnelles. Pendant le référendum, le pourcentage de votes pour le Brexit parmi les régions fidèles au parti travailliste était plus élevé que la moyenne nationale. Il s’agit surtout de certaines communautés du nord post-industriel de l’Angleterre qui sont loyales aux travaillistes avec un instinct presque tribal depuis les années Thatcher. Si assez d’électeurs de ces régions considèrent que le parti conservateur est celui qui est à leur écoute et agit dans leur intérêt, le Labour pourrait potentiellement y perdre son emprise sur le long-terme. Le risque pour le parti de Corbyn ne se limite donc pas aux élections de décembre. L’enjeu est la réussite future du parti dans ces régions desquelles il dépend depuis longtemps.

La première élection post-référendum (de 2017) a été un échec pour le parti conservateur : sous Theresa May le parti a perdu son gouvernement majoritaire. Sa campagne s’est focalisée sur le Brexit tandis que celle de Corbyn s’intéressait plutôt aux questions domestiques telles que la pression sur les services publics. Pour les électeurs, la question du Brexit semblait alors résolue ; et les deux partis principaux avaient promis que le pays quitterait l’UE.

Pourtant, le Brexit a été largement remis à l’ordre du jour. Près de la moitié des électeurs le considère actuellement comme le problème politique le plus important pour le pays6. S’ils préfèrent des positions plus extrêmes – rester dans l’UE sans nouveau référendum (ce que propose le parti libéral-démocrate) ou un no deal (avec le parti Brexit) – ce sera les deux partis principaux qui en souffriront. Le sort des conservateurs et des travaillistes dépendra de l’appétit du public pour un compromis. Alternativement, il dépendra aussi de l’importance relative que les électeurs accordent au Brexit vis-à-vis des questions domestiques.

Sources
  1. General election poll tracker : how do the parties compare ?’ BBC news, mis à jour le 11 novembre 2019. https://www.bbc.com/news/uk-politics-49798197
  2. ‘Boris Johnson : “I’d rather be dead in a ditch” than ask for Brexit delay’. BBC news, 5 septembre 2019. https://www.bbc.com/news/av/uk-politics-49601128/boris-johnson-i-d-rather-be-dead-in-a-ditch-than-ask-for-brexit-delay
  3. ‘General Election : Farage announces Brexit Party will not contest Conservative-held seats’. Financial Times, 11 novembre 2019. https://www.ft.com/content/c671583d-fad8-3ff0-bed3-1359374f5977
  4. ‘General election poll tracker : how do the parties compare ?’ BBC news, mis à jour le 11 novembre 2019. https://www.bbc.com/news/uk-politics-49798197
  5. ‘How MPs voted in the EU referendum’. BT , 3 novembre 2016. http://home.bt.com/news/uk-news/how-mps-voted-in-the-eu-referendum-11364110245462
  6. ‘Ipsos MORI research highlights – September 2019’. Ipsos MORI, 20 septembre 2019. https://www.ipsos.com/ipsos-mori/en-uk/ipsos-mori-research-highlights-september-2019